Livres - Fantasy / Fantastique

Sénéchal de Grégory Da Rosa

Titre : Sénéchal

 Auteur : Grégory Da Rosa

Éditeur : Mnémos (Fantasy) / Folio SF

Année de parution : 2017-2018 / 2019-2020

Nombre de tomes : 3 (série terminée)

Histoire : « Sénéchal, la ville est assiégée ! »
Telle est la phrase que l’on m’a jetée sur le coin de la goule. Depuis, tout part à vau-l’eau. Oui, tout, alors que ce siège pourrait se dérouler selon les lois de la guerre, selon la noblesse de nos rangs, selon la piété de nos âmes. Nenni.
Lysimaque, la Ville aux Fleurs, fière capitale du royaume de Méronne, est encerclée et menacée par une mystérieuse armée. Et pour le sénéchal Philippe Gardeval, ce n’est que le début des ennuis. Suite à l’empoisonnement d’un dignitaire de la cité, il découvre que l’ennemi est déjà infiltré au sein de la cour, dans leurs propres rangs ! Sous quels traits se cache le félon ? Parmi les puissants, les ambitieux et les adversaires politiques ne manquent pas ; le sénéchal devra alors faire preuve d’ingéniosité pour défendre la ville et sa vie dans ce contexte étouffant d’intrigues de palais.

Mon avis :

Tome 1

Premier roman publié d’un jeune auteur français qui utilise un cadre historique assez marqué, il n’en fallait pas plus pour me donner envie de découvrir Sénéchal de Grégory Da Rosa.

Quand j’ai d’abord vu le scénario de Sénéchal, je me suis dit : « Hum, sympa, ça a l’air original !« . Suivre toute une série qui tourne autour d’un siège, ça change complètement ! Mais très vite, j’ai eu peur que cette histoire de siège donne un titre un peu ennuyeux où il ne se passerait pas grand-chose et je ne voyais pas comment l’auteur pouvait faire tenir son histoire sur plusieurs tomes. J’ai très vite compris mon erreur en ouvrant ce livre. La plume de Grégory Da Rosa virevolte dès les premières pages. Il se passe énormément d’événements petits et grands au cours de ce premier tome rendu la lecture très addictive. La langue d’époque qui aurait pu sembler une fioriture est en fait un vrai atout pour plonger dans l’ambiance, même si j’avoue que c’est parfois un peu lourd et que notamment je n’arrive pas à bien m’imaginer toutes les descriptions, notamment au niveau des tenues, mais c’est faute de connaissances de ma part sur le sujet. Ce titre est donc une excellente surprise. Je vais maintenant y revenir plus en détails.

En effet, j’ai d’abord été happée par la plume très vive de l’auteur. Pour un premier roman, je suis assez ébahie devant la qualité de celle-ci. Le choix de parler « comme à l’époque » est un vrai atout pour la saga, rendant la lecture très immersive. On se croirait vraiment en plein siège au Moyen-Âge au milieu de cette piétaille et de ces nobles. C’est très bien vu alors que ça aurait vraiment pu être casse gueule. Ici, ça met juste dans l’ambiance, et les nombreuses notes en bas de pages et mots transparents permettent de tout bien comprendre. Le seul défaut, c’est qu’il y a vraiment beaucoup de mots de cet ordre et que pour les descriptions, ce n’est pas toujours simple de se les représenter.

Autre grande qualité de l’auteur, c’est son sens du rythme. Alors que j’avais peur de m’ennuyer avec cette histoire à huis clos, Gregory Da Rosa joue vraiment bien avec son lecteur. Il prend tantôt son temps pour poser le décor et les nombreux personnages qui ont un rôle à jouer dans cette histoire, et quand il est nécessaire de donner un coup de fouet, il est toujours là, le temps d’une bonne petite scène d’action surprise qui nous souffle. C’est donc une lecture qui surprend sans cesse et dans laquelle on a l’impression d’évoluer tel un danseur qui s’adapte à la musique qu’il entend, variant sans cesse le tempo. C’est très agréable.

Ce qui m’amène à mon point préféré : l’ambiance. Je n’aurais pas cru écrire ça, mais j’ai adoré être dépaysée avec cette histoire de siège. C’est rare en fantasy d’être dans une telle unité de lieu. C’est une vraie gageure de réussir à intéresser le lecteur avec ça et pourtant il y réussit à merveille. Il se passe énormément d’événements qui temporisent ou dynamisent le récit : assassinat, embuscade, trahison, attaque démoniaque surprise. C’est excellent. On passe ainsi d’une ambiance politique style les Rois maudits, à la recherche d’un traître à la Agatha Christie, puis à un récit de guerre un peu à la Gemmel, pour enfin découvrir une ambiance plus ésotérique avec de vraies questions sur les anges et les démons ainsi que les mythes de leur univers. C’est surprenant. Je ne pensais pas tomber là-dessus. Je pensais avoir un récit plus proche d’une uchronie sérieuse et fidèle à la réalité avec très peu voire pas d’éléments fantastiques ou magiques, or ceux-ci se dévoilent tranquillement au fil des pages, nous plongeant de plus en plus dans un autre univers. Ce mélange entre récit à consonance historique et récit plus fantasy m’a vraiment surprise et séduite.

Le seul petit point faible pour le moment, du moins qui ne m’a pas autant séduite, ce sont les personnages. Qu’on s’entende, j’aime beaucoup le côté vieux briscard du héros et le fait que ce soit lui le narrateur, cet homme entre deux classes sociales. Je trouve aussi le roi au caractère sanguin mais honnête intéressant et charismatique. Cependant, il y a ensuite tellement de seconds couteaux que je ne suis pas parvenue à me rappeler de tous au fil de l’histoire et pourtant, je n’ai pas mis une semaine pour lire ce premier tome. Il y a aussi pas mal de caricatures ou du moins d’archétypes avec les religieux corrompus, le fils rebelle, la femme délaissée, les nobles qui ne méritent pas les honneurs qu’ils ont, etc. Je les trouve donc dans l’ensemble moins intéressants que le cadre dans lequel ils évoluent.

Pour conclure, Sénéchal fut une très belle surprise pour moi, une petite claque, car je n’attendais absolument pas de trouver ce genre de récit. J’ai été ravie de découvrir un auteur au style aussi abouti, aussi bien dans le choix des mots, que dans la gestion du rythme et la création de l’ambiance ou plutôt des ambiances. Gregory Da Rosa est définitivement une nouvelle plume française à découvrir et à suivre !

Tome 2

Ah ce cher Sénéchal, j’en aurai mis du temps à le retrouver mais quel bonheur de replonger dans une fantasy historique aussi immersive et bien écrite où on a l’impression de vivre avec nos héros les épreuves du siège et des soubresauts dynastiques et religieux qu’ils subissent. De la grande fantasy !

Il est assez fou de se dire qu’on tient là la première saga d’un jeune auteur tant elle est aboutie, bien écrite et terriblement vivante. Chacun des aspects de l’oeuvre me semble maîtrisés et jouissifs à lire, ce qui fait que quand je m’y plonge, je ne vois pas passer le temps ni les pages qui défilent tant je vis l’histoire avec son héros.

J’ai adoré retrouver la gouaille de notre narrateur. Procédé classique, mais terriblement efficace, j’ai adoré retrouver les mémoires de Philippe Gardeval, grand sénéchal du royaume. Cette façon de s’adresser directement à nous et de jouer avec nous fonctionne à plein avec moi. L’auteur joue avec la langue pour mieux nous plonger dans ce Moyen Âge fictif. J’ai appris plein de termes propres à cette époque que je ne connaissais pas. J’ai ressenti dans mes tripes l’ambiances de ce siège et la vie de cette ville tant les descriptions sont riches et étayées. C’est vraiment de l’excellent travail.

La lecture est ainsi très vivante. On se plaît à suivre les aventures et mésaventures de Philippe qui passe d’un lieu à l’autre en ville au gré des missions qu’on lui confie et des troubles auxquels il échappe. J’ai adoré ce mélange de fantasy militaire, avec une ville assiégée à défendre et donc pas mal de stratégie, et de fantasy politique, avec la couronne qui vacille sous les ambitions des grandes familles mais aussi du clergé du coin dont la mythologie autour des anges fondateurs est remise en question. Tout cela crée une dynamique de trahisons-complots incessants, nous empêchant de savoir sur quel pied danser, les alliances se faisant et défaisant sans cesse.

Vu en plus sous le prisme de ce vieux héros pas si héroïque que ça qu’est Philippe, cela a un goût particulier. Celui-ci a vécu. Il a un passif, des amis mais aussi pas mal de gens qu’il a agacé et plus. On ne voit donc pas les choses de la même façon à travers son regard, tout est orienté, et on sent sa lassitude de la vie, du pouvoir, des intrigues. J’ai beaucoup aimé suivre ses relations troubles avec la couronne et les personnages associés, que ce soit le Roi ou son héritière, ou encore à travers ses souvenirs l’ancienne reine décédée, qui était si importante pour lui. Cela en fait un personnage vraiment à part, marqué par la vie et les épreuves, ce qui rend sa nouvelle relation avec son fils, Charles, qu’on voit un peu plus ici encore plus touchante car enfin il s’ouvre à nouveau à quelqu’un et place des espoirs en lui.

Autre volet fort intéressant dans ce tome : la religion et la magie car les deux sont liés. J’ai beaucoup qu’on revienne sur les origines de la dynastie au pouvoir et ceux qui ont fondé la ville : Lysimaque, une ange, et son compagnon. Il y a énormément de mystères et de questionnements sur eux, sur leur nature, leur genre, leur sexe, et cela remet beaucoup de choses en question potentiellement si ce qu’on connaît est faux. La magie, en elle-même, se fait discrète dans l’oeuvre en dehors des moments où les armées passent à l’attaque et c’est pas plus mal. J’aime qu’il n’y ait pas un déploiement de tous les instants mais qu’elle intervienne plutôt lors de temps forts. C’est encore plus marquant et c’est judicieux de la part de l’auteur.

Ce deuxième tome, dans un ton à la fois joueur et gouailleur, mais également un brin dramatique, met en place tous les pions pour un final qui s’annonce fort agité pour la ville, coeur de l’intrigue, mais également pour la couronne dont notre héros dépend. C’est extrêmement bien écrit, grinçant, tragique et véritablement immersif. J’aimerais lire plus de romans de fantasy où j’ai l’impression de vivre les aventures littéralement aux côtés des héros grâce à la puissance d’évocation de la plume de l’auteur. Chapeau !

Tome 3

Dernier acte de ce siège que Grégory Da Rosa nous a vraiment fait vivre comme si on le subissait nous aussi. A travers les chroniques de son Sénéchal, nous participons et subissons nous aussi cette double voire triple attaque de la ville, de la couronne et de la religion du royaume. Ce fut certes immersif encore une fois mais l’auteur a pris des raccourcis et des directions qui ne m’ont pas toujours convaincue.

Tout du long, j’ai pris plaisir à retrouver la plume vraiment ciselée de l’auteur. C’est gouailleur, c’est fun et pourtant percutant. Il manipule avec aisance les différents aspects de son intrigue et s’il se débarrasse un peu trop vite et facilement à mon goût de l’aspect politique pour plonger dans le religieux et mystique, cela reste fort entraînant à lire, à point de me dire que cette saga était peut-être le House of Dragons (cf la série tv en cours de diffusion) que j’aurais aimé voir (sans les dragons), car ici il y avait vraiment du grand théâtre, des trahisons et une mise en scène bien plus percutante que la fade série que j’ai vue…

J’ai ainsi adoré tout l’aspect politique de l’oeuvre. C’était très malin, l’auteur s’amusant à jouer avec nous, nous faisant soutenir des personnages et des idéaux pour ensuite mieux les abandonner suite à une Xième trahison et revers de fortune, le tout alors que le siège bat son plein et atteint son point de bascule. Il entremêle tout cela, en plus, avec la vie de Philippe, vu que c’est lui qui fait le récit de tout cela. C’est donc très intime également. On se sent déchiré par la destinée de celui-ci et plus particulièrement de ses proches, famille et amis/anciens amis. C’est très fort et assez retors car l’auteur nous fait de terrible révélation à la fin sur ce personnage et sa participation au siège qui m’ont scotchée. Non, vraiment le côté politique de l’oeuvre fut passionnant à suivre.

Dans la catégorie « passionnant », j’ai aussi beaucoup aimé l’ensemble des descriptions. Une fois de plus, j’ai vécu au plus près les grands moments de ces derniers instants. Le duel judiciaire, la joute, à laquelle participe le fils de Philippe pour prouver l’innocence de sa famille et son père, je l’ai vécu totalement en apnée, ressentant chacun coup et chaque revers du sort. L’attaque de la ville où le chaos se met à régner littéralement dans chaque rue, où le monde se retrouve sans dessus dessous, je l’ai aussi vécu dans ma tête, peinant à rationaliser ce que je lisais. C’était très déroutant et jouissif à la fois car on se dit que l’auteur a vraiment réussi son coup ! Et les coups de théâtre justement, je les ai vécus comme autant de coups de semonce, comme c’était le cas justement chez G.R.R. Martin et son Trône de fer. Excellent !

Mon seul souci, c’est que ces intrigues politiques, qui reposaient quand même pas mal sur la recherche d’un traitre, furent balayées rapidement, trop facilement avec des dénouements un peu bâclés à mon goût pour mieux nous lancer dans la partie religieuse de l’oeuvre et n’étant pas friande de la chose, j’ai été un poil déçue. J’ai aimé voir Philippe partir enquêter pour le roi et tenter de démêler les fil des complots pour regagner sa confiance, mais il trouve des preuves bien trop facilement et quand il les présente, on sent à nouveau que c’est trop facile. L’explication est donnée plus tard mais ne me convainc pas. Pour une histoire bâtie, pour moi, autour de ces thèmes, ceux-ci sont évacués trop vite et trop simplement.

Quant à la religion, à mon goût, elle prend rapidement une place trop importante ici. Si j’ai aimé voir des Anges se mêler à la bagarre et intervenir dans cette longue bataille assez terrible où le chaos menaçait de l’emporter, j’ai moins aimé le côté assez classique que cela prend. On nous reparle d’exorcisme à l’ancienne ; on retrouve une figure charismatique, Le Bossu, qui manipule les foules ; on se coltine encore des fanatiques et on ne doit notre survie à la fin qu’à la double intervention du mage Gilmenas, aux anges et à ceux qui prient avec eux. Très peu pour moi… J’avais eu espoir au contraire d’une remise en cause de leur religion et d’une évacuation de celle-ci, mais à croire qu’il est impossible pour certains auteurs d’imaginer une fantasy dans un cadre moyenâgeux sans religion, celle-ci se retrouve au contraire encore plus au coeur de son univers qu’au début à la fin de la saga. Rendez-vous manqué pour moi.

Cela n’enlève rien heureusement à la puissance d’évocation que j’ai ressenti lors de la lecture de cette aventure. J’ai vraiment trouvé beaucoup de talent à l’auteur pour zoomer, dézoomer l’histoire au besoin, passer régulièrement de la grande à la petite histoire et inversement, alterner entre querelle de cour et guerre avec les voisins, impliquer des petites gens et des figures comme les anges. C’est très dynamique et assez fascinant à suivre. Il a également su imaginer des personnages marquant. Philippe a ainsi une destinée vraiment surprenante et fascinante, encore plus quand on découvre comment il est perçu également par les autres, vu qu’on n’a quand même essentiellement que son point de vue. J’ai aussi été touchée par le destin tragique de son fils ici, par celui plus mordant de sa femme Bénédicte, qu’on voit bien plus, et j’ai aimé la nouveauté que tente d’apporter Sybille même si elle se retrouve enfermée dans un certain rôle au final.

Malgré sa baisse de régime dans l’assemblage des pièces du puzzle dans ce dernier tome et ce virage trop religieux pris par l’oeuvre, j’ai adoré ma lecture de bout en bout. C’était fascinant de suivre un héros / anti-héros comme Philippe qui naviguait aussi bien entre les entrailles de la ville que ses plus hautes sphères. L’auteur nous décrit une trajectoire de vie assez fulgurante avec ce moment de basculement qu’est le siège qu’on vit à ses côtés de bout en bout. Avec un talent certain, il nous a fait pénétrer dans celui-ci et nous fait le vivre aux côtés de ses personnages. Il nous a chamboulé la tête quand il le fallait, fait réfléchir à d’autres et laissés sans voix parfois. Malgré quelques petites facilités pour se débarrasser de certains pans de l’intrigue, j’ai beaucoup aimé le mélange proposé ici, avec une plume, en plus, pleine de gouaille et d’allant. Grégory Da Rosa est définitivement un auteur que j’ai envie de suivre désormais.

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