Titre : Peau d’Homme
Auteurs : Hubert et Zanzim
Editeur vf : Glénat (1000 feuilles)
Année de parution : 2020
Nombre de pages : 160
Histoire : Dans l’Italie de la Renaissance, Bianca, demoiselle de bonne famille, est en âge de se marier. Ses parents lui trouvent un fiancé à leur goût : Giovanni, un riche marchand, jeune et plaisant. Le mariage semble devoir se dérouler sous les meilleurs auspices même si Bianca ne peut cacher sa déception de devoir épouser un homme dont elle ignore tout. Mais c’était sans connaître le secret détenu et légué par les femmes de sa famille depuis des générations : une « peau d’homme » ! En la revêtant, Bianca devient Lorenzo et bénéficie de tous les attributs d’un jeune homme à la beauté stupéfiante. Elle peut désormais visiter incognito le monde des hommes et apprendre à connaître son fiancé dans son milieu naturel. Mais dans sa peau d’homme, Bianca s’affranchit des limites imposées aux femmes et découvre l’amour et la sexualité.
La morale de la Renaissance agit alors en miroir de celle de notre siècle et pose plusieurs questions : pourquoi les femmes devraient-elles avoir une sexualité différente de celle des hommes ? Pourquoi leur plaisir et leur liberté devraient-ils faire l’objet de mépris et de coercition ? Comment enfin la morale peut-elle être l’instrument d’une domination à la fois sévère et inconsciente ?
À travers une fable enlevée et subtile comme une comédie de Billy Wilder, Hubert et Zanzim questionnent avec brio notre rapport au genre et à la sexualité… mais pas que. En mêlant ainsi la religion et le sexe, la morale et l’humour, la noblesse et le franc-parler, Peau d’homme nous invite tant à la libération des mœurs qu’à la quête folle et ardente de l’amour.
Mon avis :
Voici typiquement le genre d’album à côté duquel je serais totalement passée en librairie à cause de mes goûts graphiques mais qui a été sauvée grâce à une belle campagne de promos sur des blogs amis et sur les réseaux sociaux.
Peau d’Homme est avant tout un très bel objet publié chez Glénat dans sa collection 1000 feuilles où ils proposent des titres en grand format relié avec un papier de qualité et une très belle maquette, à l’image de la couverture que vous voyez plus haut. Ça m’a plu d’emblée surtout avec son rappel à l’art de la Renaissance. En prime, parmi les deux auteurs ayant commis cette bande dessinée, je connais assez bien Hubert, qui nous a quitté il n’y a pas longtemps, et dont j’avais adoré le travail dans les Ogres-Dieux l’an passé. Avec tous ces arguments, je n’avais plus aucune raison de me laisser arrêter par les dessins inhabituels (pour moi) de Zanzim. Et quelle claque ! J’ai vraiment eu raison de me laisser convaincre malgré le prix aussi assez élevé de l’ouvrage, 27€…
Dans cet album, les deux auteurs nous proposent de suivre une famille dans laquelle les femmes ont un secret connu d’elles seules : elles possèdent une peau d’homme qu’elles appellent Lorenzo. Une fois la peau revêtue, elles se transforment en homme et nul ne peut deviner qu’elles n’en sont pas un, ce qui leur permet de voyager incognito dans le monde des hommes et d’y vivre bien des aventures.
C’est sur ce concept très original que Zanzim et Hubert construisent une histoire dense et complexe, avec des messages très intéressants sur la place/le rôle de la femme, de l’homme, la recherche de sa sexualité, la vie de couple, et la liberté. Je ne m’attendais pas à trouver une telle richesse dans ce livre quand je l’ai commencé. Je pensais juste suivre une histoire fantastique avec une femme se déguisant en homme et vivant des aventures d’hommes, mais c’est bien plus que cela.
L’héroïne, Bianca, est une jeune fille de sa époque, appartenant à une famille riche qui doit se marier par intérêt et sans avoir son mot à dire. Sauf que ce n’est pas une fille soumise, elle est instruite, intelligente et a des idées qu’elle compte bien défendre. Ce sera la force de Peau d’Homme. Bianca est celle qui donnera un coup de pied dans la fourmilière et mettra tous les engrenages en marche. Elle poussera les gens autour d’elle à s’interroger et évoluer. Je l’ai beaucoup aimé, aussi bien sous ses autours d’homme que de femme, peut-être surtout dans ces derniers où l’on ressentait encore plus la richesse et la force de son caractère ainsi que le drame de ce qu’elle vivait.
Son alter ego, Lorenzo, m’a moins plu. Je le distingue d’elle, même si c’est le côté pile et elle le côté face, parce que je le trouve en un sens plus faible, plus fragile. Au début, ça m’a amusée de la voir se travestir et découvrir ainsi la vraie vie des hommes qu’on cachait alors aux femmes avec les discours horripilants qu’on pouvait s’attendre à entendre. Petit à petit la romance qu’elle va vivre m’a touchée, de même que les hésitations qu’elle va vivre et la fragilité qu’elle va ressentir. Sauf qu’au bout d’un moment, j’ai trouvé le personnage bien pâle et inutilement dramatique face à la forte et franche Bianca, qui elle, avait bien les pieds sur terre. Du coup, heureusement le choix des auteurs dans la dernière partie de l’histoire m’a plu.
Ces personnages ne seraient rien sans celui qui les relie : Giovanni, le promis de Bianca. Il est en arrière-plan et pourtant, c’est avec lui que tout démarre. Les parents de Bianca veulent le lui faire épouser alors qu’elle ne le connait pas. Elle décide donc d’y remédier avec l’aide de sa marraine d’une façon fort originale. Et l’homme imbu de lui-même qu’on avait découvert à travers les yeux de Bianca au début, se révèle quelqu’un de bien plus doux et touchant sous ceux de Lorenzo qui apprend à le connaitre. Il va ainsi petit à petit former un vrai trio avec Lorenzo d’un côté et Bianca de l’autre.
La grande force du récit est le choix des auteurs de parler de la société de la Renaissance avec beaucoup de modernité autour de thèmes toujours d’actualité. Bianca, Lorenzo et Giovanni sont les héros d’un drame romantique propre à leur époque à cause des mariages arrangés qui avaient lieu autrefois mais qui résonne quand même en nous. Ce sera le point de départ pour évoquer le rôle qu’on veut attribuer aux femmes, les qualités qu’on leur attribue, ainsi que ce qu’on attend d’un homme mais aussi ce qu’on ne souhaite pas voir. Les auteurs en profitent pour nous offrir une belle ode à la liberté, sexuelle mais pas que. On parle de désir, de couple, de famille au sens large. L’homosexualité y a une grande place et tant mieux ! Ce que vivent les héros, on le voit encore de nos jours dans des couples où l’un des deux n’avait pas osé sa vraie sexualité avant. C’est donc très moderne et encore plus grâce aux réactions de Bianca.
En plus de ce récit assez intimiste, il est aussi question de religion et les auteurs fustigent avec humour et sérieux à la fois les extrêmes et ce à quoi ils peuvent conduire. Il y a des passages drôles et forts à la fois sur le port du voile, l’égalité homme-femme, et bien d’autres sujets que l’on peut retrouver encore de nos jours malheureusement. C’est un aspect que je ne pensais pas trouver dans ce récit et qu’on été agréablement surprise de voir traité.
Tout cela ne serait rien sans la science de la narration des auteurs, que ce soit graphiquement ou verbalement, c’est vraiment très réussi. Zanzim a développé un langage graphique qui a su transcender ce trait que je n’affectionnais pas à première vue. J’ai beaucoup aimé la composition tout sauf classique de ses pages, notamment quand il se joue de la continuité de l’action sur une même page, comme Hitchcock avec Fenêtre sur cour. Il reprend aussi les codes graphiques de la Renaissance avec talent et a une belle palette d’expressions pour ses personnages. Verbalement, Hubert est toujours aussi doué pour trouver la petite formule qui fait mouche et cela revient plein de fois pour notre plus grand plaisir. Le mélange des deux est très savoureux et m’a marquée en tant que lectrice.
Alors que je partais avec beaucoup de réticences et que je n’étais pas du tout sûre de mon achat, je ressors totalement conquise de cette lecture. Peau d’Homme est un grand titre par les sujets qu’il défend, la science de la narration qu’il propose et la force de l’héroïne qu’il nous offre de découvrir. C’est un récit marquant qui le fait directement entrer parmi ces grandes BD dont je souhaite ne jamais me séparer et que je compte relire régulièrement à travers le temps. C’est un récit subtile et intelligent tout en sachant être drôle et cynique mais juste et défendant de belles valeurs, dont la plus belle : la liberté !
Ma note : 17 / 20
©2020, Éditions Glénat
Wha cet album à le mérite d’être original. J’apprécie grandement Hubert moi aussi, Les Ogres-Dieux est une de mes sagas favorites ♥ Je me note ce titre là, merci pour la découverte 🙂
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Avec grand plaisir ! Les Ogres Dieux furent aussi une belle surprise mais étaient plus facile d’accès que celui-là graphiquement parlant.
Du coup, je serais ravie de convaincre des lecteurs qui seraient peut-être passés à côté sinon 😉
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Ravie de voir que malgré tes réticences du début, cet ouvrage t’a conquise autant sur le fond que la forme. Le titre était déjà dans ma wish list, mais je ne m’attendais pas à ce qu’autant de thématiques soient abordées et de manière aussi efficaces ! La modernité des sujets malgré le cadre historique interpelle et semble déjà le signe d’un livre à lire et relire, je ne suis donc pas étonnée que ce soit exactement ce que tu comptes faire 🙂
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Merci ! Je ne suis pas surprise de voir le titre sur la WL, il a tout pour te plaire 😀
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Je l’ai feuilletée et il est magnifique, je ne peux me l’offrir pour l’instant car son prix reste élevé mais dès que je peux surtout après ton avis et les sujets qu’il aborde, je vais foncer ! =)
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Je comprends, si je n’avais pas eu un chèque cadeau, je ne suis pas sûre que je l’aurais pris…
Pour ma part, je zieute souvent les occasions sur le net pour trouver ce genre d’album à prix plus raisonnable. J’ai trouvé Les Indes Fourbes dernièrement de cette façon 😉
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Ah oui as tu un site particulier sur lequel tu vas ? Je suis à la recherche de bonnes occasions en excellent état, je suis assez maniaque avec mes livres…
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Juste les sites habituels : Rakuten, Momox, Amazon, le Bon Coin 😉
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C’est vrai qu’il a bonne presse et le sujet est intéressant.
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Je comprends mieux pourquoi après l’avoir lu ^^
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