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Our Colorful Days de Gengoroh Tagame

Titre : Our Colorful Days

Auteur : Gengoroh Tagame

Editeur vf : Akata (M)

Année de parution vf : 2020

Nombre de tomes vf  : 3 (série terminée)

Histoire : Sora est lycéen, et il aime en secret Kenta, son camarade de classe. Même à Nao, son amie d’enfance, il n’a jamais avoué qu’il est gay. Pourtant, quand un jour en classe, à force d’entendre les blagues homophobes des autres garçons, il ne supporte plus le poids du secret, il décide de sécher les cours… Et tandis qu’il s’endort près du rivage, un mystérieux homme apparaît et lui dit qu’il l’aime… Qui est-il ?

Mon avis :

Tome 1

Comme on aime bien le faire avec Xander de temps en temps, on a décidé de se faire une lecture commune autour du dernier titre de Gengoroh Tagame, un auteur qu’on aime beaucoup tous les deux. Alors n’hésitez pas à aller lire son avis qui sort également aujourd’hui. Il vous suffit de cliquer ici !

J’ai découvert Gengoroh Tagame il y a quelques années avec son très beau Mari de mon frère, une saga publiée également à l’époque chez Akata et qui proposait une histoire sur l’homosexualité masculine bien différente des crédos du Boys Love, seul autre biais pour le lecteur en général de tomber sur ce type d’histoire dans les mangas. Ce fut un uppercut en plein coeur tant j’avais été touchée par ce que le titre disait sur la communauté homosexuelle et sa perception au Japon à travers le regard d’une petite fille et de son père. Alors forcément, quand l’éditeur récidive et propose la nouvelle série de l’auteur, je ne peux qu’être au rendez-vous.

Cependant, ne vous attendez pas à un Mari de mon frère bis, ce n’est pas du tout le but de l’exercice, ici. On est plus proche dans ce récit de celui vécu par le héros d’Eclat(s) d’âme, puisque nous suivons également un lycéen homosexuel qui n’a pas encore fait son coming-out et qui étouffe de plus en plus à cause du poids de ce secret. Il va faire une rencontre inattendue, un jour au bord de la mer, qui va l’aider à vivre mieux son orientation sexuelle. Et tout comme dans Eclat(s) d’âme, il va trouver un lieu et des personnes pour l’écouter.

C’était déjà le cas dans le Mari de mon frère mais j’aime beaucoup le ton du mangaka. Il plante des décors très simples, part de personnages banals, pour mettre en place des histoires fortes et marquantes. Ici le héros, Sora, est un lycéen lambda, la seule chose qui le démarque, alors que ça ne devrait pas être le cas, c’est le fait qu’il aime les hommes et n’en dit rien. Il étouffe à ne rien dire, à toujours porter un masque et ce mal être s’ajoute à celui que ressentent souvent les adolescents pour plein de raisons. Il n’arrive pas à être proche des autres comme il l’aimerait parce qu’il ne peut pas être 100% lui-même avec eux et c’est très triste. On démarre vraiment l’histoire avec le poids de ce secret et la sensation d’écrasement et d’étouffement avec lesquels vit le héros.

Heureusement, Gengoroh Tagame est quelqu’un d’optimiste et très vite, il va introduire des biais qui vont permettre au héros de respirer à nouveau. Il y a d’abord sa passion pour l’art, que l’on ressent dans le regard observateur qu’il pose sur tout et dans sa quête incessante des couleurs de la vie qu’il nous fait partager. Il y a ensuite cette rencontre fortuite, presque fantastique, qu’il fait au bord de la place et qui va le conduire vers LE lieu qui deviendra son havre de paix. Ça m’a beaucoup rappelé Eclat(s) d’âme et j’ai aimé retrouver cet élément scénaristique car le héros en avait réellement besoin car autrement il n’avait aucun lieu où être lui-même que ce soit chez lui ou au lycée, tant tout le monde s’attend à ce qu’il soit « normal ».

Ce sera d’ailleurs l’un des sujets phares de cette série, je pense. Le mangaka insiste à plusieurs reprises pour montrer qu’être homosexuel ne devrait pas être considéré comme « hors norme » mais au contraire être normal comme l’est le fait d’être hétérosexuel, qu’on ne devrait pas avoir à faire son coming-out, tout comme on ne le fait pas quand on est hétéro. Ça ne fait que mettre une pression supplémentaire sur les épaules des jeunes qui n’en ont pas besoin. De plus, ça incite une culture homophobe pas forcément malveillante mais plutôt blessante faute de l’ignorance de ceux qui rigolent et se moquent des homosexuels sans le savoir. Cela favorise une ignorance dangereuse et un manque d’ouverture cruelle, car on ne peut pas être tous pareils, c’est dans la nature d’être différents les uns des autres, d’avoir nos particularités. Ici, j’ai trouvé que c’était montré à la fois avec force et subtilité et ça m’a plu.

Cette subtilité, je l’ai retrouvé de nombreuses fois dans la composition des pages avec la mise en scène très poétique voire philosophique des émotions de Sora. Alors que le trait de Gengoroh Tagame est plutôt carré et massif, il parvient à dégager une grande douceur dans les moments clés, donnant envie de protéger son jeune héros à la dérive. J’ai vu que dans la publication numérique qu’avait proposé Akata, les pages d’ouverture des chapitres, qui sont en fait des tableaux du héros de l’histoire, étaient colorisées de très belle façon également, avec une ambiance très douce, ce qui montre encore une fois la richesse des émotions que peut dégager le travail du mangaka. Il met vraiment très bien en lumière tout le cheminement de son héros.

Ainsi dans Our Colorful Days, le questionnement du héros autour de sa sexualité est différent de d’habitude. Il ne se demande pas pour qui il éprouve du désir, il le sait déjà. Il se demande plutôt comment concilier cela et la vie dans la société japonaise actuelle (ce qu’on peut facilement élargir à la nôtre, soyons honnête). C’est un cheminement compliqué, intime et solitaire dans lequel il a la chance de trouver des gens à qui se confier au fil de l’histoire. Nous n’en sommes qu’au début mais l’on ressent déjà très bien tout le potentiel de l’histoire à travers ces thèmes si bien développés et si terriblement d’actualité. Pour ma part, j’ai adoré.

Tome 2

On dit souvent que le tome du milieu est le plus dur à appréhender, cela se confirme ici. Même si j’ai passé un très bon moment, je n’ai pas retrouvé la force et la poésie du premier et j’ai donc un peu moins aimé.

Pourtant c’était intéressant, rien que grâce à l’arc consacré à la meilleure amie de Sora, Nao qui se pose plein de questions après la révélation de ce dernier. J’ai aimé voir son point de vue sur la question, elle, qui jusqu’il y a peu, pensait pouvoir avoir une relation romantique avec lui. Il y a le poids du secret de Sora qu’elle doit garder. La question de l’outing, quand quelqu’un révèle que vous êtes homo alors que vous ne le vouliez pas, qui est judicieusement abordée. Et dans l’ensemble, je trouve cette fille vraiment chouette, ouverte, positive. C’est quelqu’un sur qui on peut compter même si ça lui crée des soucis.

En revanche, Sora m’a un peu agacée, lui. Je l’ai trouvé très fade et plan plan. Je sais que sa situation n’a rien de simple mais il n’avance pas assez dans la vie. Il ressasse les mêmes idées et nous lecteurs on fait un peu du sur place. Après cela reste intéressant parce qu’il est question de comment se déclarer auprès d’un autre garçon sans savoir s’il est hétéro/homo ou autre. On essaie de se mettre à sa place. L’auteur aborde aussi la façon dont les parents ont forcément des attentes hétérocentrées concernant leurs enfants et se font tout plein d’idées, ce qui met un poids de fou sur leurs épaules. D’où le retour du masque.

Mais malgré tout ça, j’ai un peu perdu la poésie du premier tome et l’impact dramatique. La dimension artistique est moins présente. Certes Sora doit peindre une fresque mais celle-ci peine à prendre forme et on ne voit presque rien d’elle. On a également perdu les ouvertures de chapitres stylées du premier tome pour quelque chose de plus classique. J’espère vraiment que ça reviendra sur le devant de la scène dans le dernier tome parce que c’est vraiment une dimension essentielle pour moi, comme l’annonce le héros avec la perte de couleurs dans sa vie.

Je me dis que c’est peut-être liée également à l’absence du patron qu’on ne voit pas beaucoup. C’est mon personnage préféré de l’histoire et j’ai eu l’impression de ne presque pas le voir. Heureusement que lorsque c’est le cas, c’est vraiment impactant. Avec lui, on évoque les hommes faisant leur coming out alors qu’ils sont mariés et les conséquences dramatiques que cela peut avoir sur tout le monde. Mais d’un point de vue plus positif, il pousse Sora à agir pour ne pas avoir les mêmes regrets que lui et ça, ça me plaît !

Pour finir, graphiquement j’ai eu du mal avec les corps beaucoup trop massifs des personnages. Ça alourdit les planches et le récit et je trouve dommage que la gamme des personnages manque de variétés et qu’ils soient tous costauds. Cela m’a en partie frappée avec le crush de Sora, où là, c’est dramatique…

Ainsi, une bonne lecture avec des thèmes intéressants dont il faut parler mais dans la forme, cela m’a moins touchée car j’ai trouvé le héros trop plat et que le manque de poésie m’a frappée cette fois.

Tome 3

Déjà le dernier tome de cette courte série qui finalement ne m’aura pas totalement convaincue. Je l’ai trouvé pertinente dans ses intentions mais trop lisses dans sa réalisation.

Avec Le mari de mon frère, l’auteur avait frappé fort. Il avait réussi à me faire découvrir un texte mature sur la communauté LGBT sous le prisme du regard d’un enfant. J’attendais d’avoir la même belle surprise ici, mais tout au long de la série, j’ai eu l’impression de rester trop en surface et d’aller trop vite. Ce dernier tome n’y coupe pas, au contraire, il concentre encore plus cela.

Le héros est l’emblème de ce souci. Dans cet ultime opus, après quelques péripéties, il fait inopinément son coming out auprès de ses parents. Élément phare qu’on pouvait attendre dans la série. Sauf que tout se passe tellement bien qu’il n’y a, finalement, aucune tension narrative. C’est extrêmement plat, classique et limite trop « happy end ». Ça m’a ennuyée et je n’ai pas ressenti grand-chose, je l’avoue. C’est vraiment dommage parce que tout la thématique du masque, de l’homo qui doit sortir du placard avait été fait de manière bien plus forte et subtile dans les tomes précédents.

Au final, c’est plus l’histoire de vie du Patron qui m’aura fait vibrer. C’est vraiment lui qui incarne le mieux ce que l’auteur cherche à porter. Malheureusement il ne lui donne pas assez de temps de parole et de présence pour que cela marque vraiment et c’est bien dommage. Le récit de la fin de sa relation avec sa femme, de la façon dont il a essayé de gérer sa nouvelle vie, des rencontres souvent sans lendemain qu’il a fait et de sa première amitié avec un jeune homosexuel, ça c’était fort ! J’aurais vraiment aimé que le titre soit plus orienté vers lui et non vers Sora, qui manque trop d’envergure pour cela. Je comprends le souhait de l’auteur d’avoir voulu mettre un peu en scène celui qu’il aurait pu être plus jeune, mais ici, ça rend tout trop fade.

En refermant ce dernier tome, qui ne représente au final qu’un très bref moment de vie de Sora et du Patron, j’ai vraiment eu un sentiment de quelque chose d’inabouti. Où en est la fresque ? Oubliée ! Où en est la relation amoureuse de Sora ? Oubliée ! Alors oui, c’était une belle rencontre entre un ancien et nouvel homo qui aura permis à chacun de faire un joli bout de chemin, mais j’attendais plus. J’espère que l’auteur saura se renouveler où il ne restera que l’homme d’une oeuvre sinon pour moi.

(PS – Spoiler sur une des scènes finales : j’ai été très dérangée par le baiser entre Sora et le Patron qui pour moi n’avait pas lieu d’être et sort un peu de nulle part…)

Ma note : 14,5 / 20

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© Gengoroh Tagame 2018 / ©2020 Editions Akata

27 commentaires sur “Our Colorful Days de Gengoroh Tagame

  1. J’avais vraiment adoré sa mini série Le Mari de mon frère. Quel fraicheur et comme tu le dis très loin des Boy’s love qu’on peut avoir l’habitude de lire. J’ai hâte de découvrir celui là, il est sur ma liste 😉

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  2. Un bien joli manga effectivement. Il me fait aussi pas mal penser à Eclat(s) d’âme, au niveau du cadre certes, mais aussi pour cette mise en scène des émotions dont tu parles. Là où Le mari de mon frère était plus carré, plus dans la tranche de vie, celui-là à des envolées plus poétiques. Dans les deux cas, j’ai adoré.

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  3. J’avais beaucoup aimé Le mari de mon frère et je n’ai donc pas hésité à me lancer dans cette nouvelle série. Ce que j’aime dans ces deux séries (et tu met le doigt dessous dans ta chronique) c’est que l’on part de situation très banales. Sora est un lycéen comme les autres, et le décalage ne réside pas dans sa sexualité, mais dans le fait que cela soit un problème pour les autres. La banalité du cadre ne fait que renforcer le coté incongru de la discrimination. On se rends compte à quel point cela n’a pas lieu d’être. Si ce genre de titre pouvait faire évoluer les mentalité et qu’on fasse plus attention à ce qu’on dit, ça serait super. Il y a un côté pédagogique dans l’approche de Gengoroh Tagame, une éducation à la tolérance, qui passe par des histoires de vies ordinaires et touchantes, que j’aime beaucoup.

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    1. Merci pour ton très beau commentaire. J’aime beaucoup ce que tu dis de l’auteur et de ses séries, c’est tellement vrai. On devrait avoir ses titres dans toutes les bibliothèques au rayon ado !

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  4. Je repasse mettre un commentaire car en postant mon article sur le dernier tome j’ai vu que le tien était en ligne.

    Si je comprends les points qui te posent problème, notamment cet absence de soucis lié au coing out qui se fait dans la bienveillance, mais une fois de plus été conquis par le titre. C’est amusant parce que tu conclus en disant que tu espère que l’auteur ne sera pas l’auteur d’un seul grand titre, et de mon côté tu verras dans mon article que je dis plusieurs fois que Tagame est déjà devenu un auteur assez important à mes yeux, dont j’ai hâte de voir les prochaines travaux.

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    1. Oui, je viens de te lire et clairement si on aime tous les deux beaucoup l’auteur, toi tu es plus enthousiaste que moi, ce que je peux comprendre. Moi, quand quelque chose me dérange comme ici, ça a tendance à me bloquer à tout le reste ><
      Je conclurai donc en disant, une fois de plus, que c'est une question de sensibilité. Pour ma part, j'aime les récits et les personnages avec plus d'aspérités ^^

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  5. je te rejoint totalement sur l’aspect artistique qui m’avait séduit dans le premier tome et qui disparait peu à peu dans les deux tomes suivants. cela donnait une profondeur au premier tome qui fait défaut aux tomes suivants.
    J’ai, comme toi aussi, apprécié les interrogation de Naho qui se retrouve gardienne d’un secret qui n’est pas sien et qui s’interroge sur l’attitude a avoir.
    En revanche si je suis d’accord pour dire que le fait que le coming out se passé de façon hyper simple prive le manga de tension narrative, pour moi c’est un point positif. On ne manque pas d’histoire qui font de cet évènement quelques chose de dramatique or ce n’est pas toujours le cas dans la vraie vie. Et parfois ça se passé aussi simplement que ça. Et moi je trouve ça super de mettre cette simplicité en avant. Le coming out n’est pas synonyme de drame, parfois on s’en fait toute une montagne et finalement il ne se passe rien. Et je trouve que cela concorde avec l’esprit de banalisation du manga qui cherche à dédramatiser l’homosexualité pour en faire quelques chose d’ordinaire et de simple qui ne devrait pas susciter tant de problèmes.
    Ceci dit d’un point de vue narratif, j’ai préféré le mari de mon frère, qui est plus touchant. Ici l’aspect pédagogique a clairement pris le pas sur l’aspect narratif et le manga manque de tension, de pets.

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    1. Merci pour ton commentaire.
      C’est vrai que je n’avais pas regardé la notion de coming-out dans le manga de ce point de vue là mais ce que tu dis se tient totalement avec les intentions que l’auteur semble avoir avec ce titre, alors merci à toi, ça me donnerait presque envie de le relire avec cette idée en tête ^^

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