Livres - Science-Fiction

L’Arithmétique terrible de la misère de Catherine Dufour

Titre : L’Arithmétique terrible de la misère

Auteur : Catherine Dufour

Editeur vf : Le Bélial’

Année de parution vf : 2020

Nombre de pages : 366

Histoire : Et si, après plus d’un siècle de vie, vous vous retrouviez dans un corps tout juste sorti de l’adolescence ?
Et si, en guise de petit boulot, le huitième cumulé depuis le début du mois, on vous proposait enfin un vrai job : mourir ?
Et si, finalement, votre meilleur ami était ce machin bizarre aux allures de R2-D2 laissé par votre coloc’ dans l’appartement ?
Et si vous n’étiez pas vous, mais le clone de vous ?
Et si Patrick Bateman était… une femme ?
Et si l’Intelligence Artificielle avait déjà gagné ?
En dix-sept récits comme autant de coups de couteau, Catherine Dufour esquisse les contours d’un futur qui ne parle que de nous-mêmes, la place qu’on y prendra et, de fait, la manière dont il nous traitera. Une science-fiction radicale, à l’os, à en faire mal parfois, souvent à en rire, à en pleurer toujours — de joie comme de tristesse.
« Tel est ce recueil : un contre-poison à l’infobésité. L’avers du divertir : subvertir. »
Alain Damasio
Mon avis :

Je tiens d’abord à remercier les éditions Le Bélial’ pour leur confiance et l’envoi de ce titre.

Catherine Dufour est une autrice du monde de l’imaginaire dont j’entends parler depuis des années. Ayant en général du mal avec les auteurs qualifiés d’humoristiques, comme Terry Pratchett, le maitre en la matière, je pensais que ses titres n’étaient pas fait pour moi et je n’avais jamais osé franchir le pas. Mais après l’avoir entendue parler à la radio où elle m’a totalement séduite, j’ai eu envie de tenter l’expérience.

Pour commencer, me voilà donc à me lancer dans un recueil de 17 nouvelles dont la plupart ont été publiées avant la sortie de cette ouvrage, soit entre 2008 et 2019, sur différents supports que ce soit sur internet, dans des anthologies ou dans des journaux comme Libération et Le Monde Diplomatique. Seule l’une d’elle est totalement inédite, la dernière.

La majeure partie de ce recueil appartient au genre de la science-fiction. Avec sa plume drôle, piquante, grinçante et ciselée, qui s’adapte toujours aux discours tenus et au contexte de ses nouvelles, Catherine Dufour passe de l’anticipation, au cyberpunk puis à la dystopie avec une facilité rare. Elle va même jusqu’à casser les codes pour proposer en fin de volume, des nouvelles qui n’ont rien à voir avec le genre : l’une étant une biographie caustique et l’autre une étrange tranche de vie. Le point commun de tous ces textes : la dénonciation avec un humour sans pareille des pires horreurs de notre vie avec une crudité rare. C’est vraiment une autrice qui ose et avec qui ça passe ou ça casse.

Pour ma part, je vais être honnête, je n’ai pas aimé tous ces textes. Certains m’ont enchantée, d’autres m’ont laissée sur le bas côté, voire profondément dérangée. Je n’ai pas toujours aimé le ton très cru de l’autrice. Par contre, j’ai trouvé les idées vraiment excellentes. Tel qu’elle le disait dans l’interview que j’ai écouté d’elle, elle aime faire se côtoyer des éléments qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre pour les confronter et en faire naître une histoire qui forcément va remuer. Et effectivement ça marche très bien !

Cependant le format court de la nouvelle, ici il y a quand même des textes vraiment extrêmement brefs, bien plus que dans le recueil que j’ai lu précédemment de Ted Chiang où l’auteur avant quand même quelques histoires d’une centaines de pages, a vraiment été un frein. Le format est vraiment très bref et ce n’est pas celui que je préfère. La preuve, mon texte préféré est certainement le plus long du recueil. Du coup, je n’ai qu’une envie maintenant, lire un de ces romans pour pouvoir enfin avoir le plaisir de voir sa plume se déployer.

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Parlons un peu du contenu.

Le recueil commence par un drôle de texte qui reprend la technologie mise en scène dans L’homme qui mit fin à l’histoire de Ken Liu, une nouvelle que j’avais adorée, pour la transformer en dérive marketing. Un excellent pastiche qui se poursuit sur l’ensemble du volume sous forme d’intermèdes publicitaires drôlatiques totalement délirants. J’ai en particulier beaucoup aimé ceux des pages 85 et 141.

Les nouvelles, elles, sont une suite de dénonciations des problèmes de notre époque et des dérives auxquelles cela pourrait aboutir, un peu comme chez notre ami K. Dick que j’aime bien invoquer dans ces cas-là. L’autrice évoque ainsi la question des migrants dans « L’arithmétique de la misère » ; le terrible futur d’un monde du travail déshumanisé dans « Oreille amère », « Une fatwa de mousse de tramway » ou « Pâles mâles » ; les algorithmes des GAFA avec « WeSip » ; l’écologie dans « La mer monte dans la gamelle du chat » ; les musées de « Tate Moon » ; les I.A et autres gadgets avec « Sans retour et sans nous« et « Bobbidi-Boo »  ; le tourisme sexuel de « Sensations en sous-sol » ; l’eugénisme, le clonage et la vie éternelle avec « Enemy Isinme » et « En noir et blanc et en silence » ; et enfin les violences sexistes dans « Un temps chaud et lourd comme une paire de seins » et « La tête raclant la lune« .

Le but de l’autrice : amener le lecteur à une prise de conscience rapide et radicale pour que cela change. Elle utilise d’ailleurs à plusieurs reprises ses personnages comme des vecteurs de cette tendance puisqu’ils deviennent eux-mêmes acteurs de changements. Elle tente ainsi de nous faire comprendre que le futur dont elle fait le portrait au vitriol pourrait être le nôtre et que l’on pourrait être à la place de ces personnages. C’est notamment particulièrement frappant dans les nouvelles sur le monde du travail ou celles touchant à l’intime. Ce furent mes préférées.

Elle a vraiment une plume moderne. J’ai ainsi beaucoup aimé ses dénonciations de notre accoutumance aux publicités, aux plaisirs faciles, à la technologie comme vecteur d’une forme de bonheur. Cela lui permet de parler de famille mais aussi et surtout de féminisme vs masculinité toxique et de diversité avec un discours très ouvert sur les différentes sexualités et les genres auxquels on souhaite ou non appartenir, et elle le fait avec force pour essayer de nous interpeler. Ces nouvelles où elle inverse les positions/rôles des hommes et des femmes sont particulièrement frappantes.

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Reste ensuite une fin de volume un peu différente avec d’un côté une nouvelle qui est la biographie d’un célèbre écrivain et de l’autre un texte étrange qui s’approche du tranche de vie autobiographique ou du journal intime. J’ai adoré le premier, j’ai eu énormément de mal avec le second…

Dans le premier, l’autrice propose une biographie plus que caustique d’Alfred de Musset, exercice qu’elle avait déjà pratiqué avec Ada Lovelace. J’ai adoré. C’est drôle piquant et documenté, on n’est pas juste dans de l’amusement pur jus comme on pourrait le croire. Cependant c’est totalement orienté et parfaitement assumé. Elle propose une image détestable de ce homme, mais une image cruellement réaliste au vu de ses écrits et de ceux de ses contemporains. N’aimant pas du tout les premiers, j’ai pris un grand plaisir à lire ce texte vraiment plein de malice et totalement honnête en même temps. Catherine Dufour ne fait qu’y dénoncer un masculiniste toxique et bien trop larmoyant. Excellent ! Il faut vraiment que je lise sa biographie d’Ada Lovelace maintenant.

Le dernier texte, le seul à être inédit ici, est bien plus étrange. Il oscille en permanence entre l’anecdotique et le malaisant, sorte d’entre deux entre sexe et meurtre avec plein de fluides. Il a de plus un format assez particulier auquel on adhère ou pas. Je n’ai pas adhéré.

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Je conclurai par cette citation : « J’essaie de prendre des leçons, je lis Ellis, Cioran, Houellebecq et les cours de la Bourse, je regarde la pub mais décidément, je n’arrive pas à m’habituer à ce monde. »

Encore merci au Bélial pour cette découverte

6 commentaires sur “L’Arithmétique terrible de la misère de Catherine Dufour

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