Livres - BD / Illustrations

Le Château des Animaux de Xavier Dorison et Félix Delep

Titre : Le Château des Animaux

Auteurs : Xavier Dorison et Félix Delep

Éditeur vf : Casterman

Année de parution vf : Depuis 2019

Nombre de tomes vf : 3 / 4 (en cours)

Histoire : Quelque part dans la France de l’entre-deux guerres, niché au cœur d’une ferme oubliée des hommes, le Château des animaux est dirigé d’un sabot de fer par le président Silvio… Secondé par une milice de chiens, le taureau dictateur exploite les autres animaux, tous contraints à des travaux de peine épuisants pour le bien de la communauté… Miss Bangalore, chatte craintive qui ne cherche qu’à protéger ses deux petits, et César, un lapin gigolo, vont s’allier au sage et mystérieux Azélar, un rat à lunettes pour prôner la résistance à l’injustice, la lutte contre les crocs et les griffes par la désobéissance et le rire…

Premier tome d’une série prévue en quatre volumes, Le Château des animaux revisite La Ferme des animaux de George Orwell (1945) et nous invite à une multitude de réflexions parfois très actuelles…

Mon avis :

Tome 1

J’entends parler du Château des animaux depuis la sortie de son premier tome que je vois régulièrement en coup de coeur des librairies où je passe. Avec la sortie du tome 2 en novembre, je me suis dit qu’il était temps de sauter le pas.

Le tome s’ouvre d’abord sur un court texte de Xavier Dorison, le scénariste que j’avais déjà eu le plaisir de découvrir dans Long John Silver, où il nous explique sa démarche de rendre hommage à La Ferme des animaux de George Orwell (1945) avec des réflexions modernes et pacifistes. Ce dernier étant un texte que je me suis toujours promise de lire, forcément Le Château des Animaux ne pouvait que m’intéresser.

J’ai entamé ma lecture un peu en aveugle, ayant attendu suffisamment longtemps après les derniers avis que j’avais lus sur le titre pour oublier de quoi il en relevait. Ce fut l’idéal pour me plonger et me fondre encore plus facilement dans l’atmosphère si particulière et hors du temps de ce titre.

Le Château des Animaux nous emmène en plein coeur d’une forêt mystérieuse et pourtant familière, dans un château abandonné par l’homme où des animaux ont pris le pouvoir, mais pas tous les animaux. Sous nos yeux se dessine très vite, le récit de la vie injuste des animaux les plus faibles opprimés par les plus puissants et c’est terrible ! On ressent parfaitement les influences historiques des auteurs. Effectivement, comme il disait dans son préambule, Xavier Dorison s’en donne à coeur joie pour dénoncer ce que la population à pu subir sous des temps comme la Terreur. Il en reprend d’ailleurs par certains points la terrible organisation, ce qui permet de rendre son récit encore plus vivant et le souffle de la révolte qui gronde encore puis puissant.

Cette histoire, nous allons la suivre à travers les yeux d’une chatte, Miss Bengalore, veuve et mère de famille, obligée de travailler comme une bête de somme pour subvenir aux besoins de ses enfants. Avec elle, nous allons découvrir le rythme de la vie quotidienne de cette ferme, le terrible travail que doivent amasser certains animaux pour que les plus puissants puissent avoir une belle vie, mais aussi les peines qu’ils encourent s’ils tentent le moindre acte de rébellion, du moins une rébellion frontale, et la terrible morosité qui s’est emparée de tout le monde.

Mais l’astuce de ce titre c’est, sous le terrible nuage opaque qui pèse sur cette ferme, de nous laisser apercevoir un rayon de soleil et d’espoir avec une forme de révolte inédite et astucieuse grâce à l’arrivée d’un personnage surprenant, sorte de figure des Lumières. J’ai beaucoup aimé voir celle-ci se mettre tout doucement en place même si nous n’en sommes qu’aux prémices. Il faut dire que tout un tome, voire même plusieurs, qui feraient uniquement le récit de l’oppression de ces animaux m’aurait vite pesé. J’avais besoin d’autre chose et les auteurs ont su y pourvoir.

J’ai été agréablement surprise de suivre un tel type de récit avec des animaux comme acteurs principaux. Cela donne une saveur toute particulière au récit et aux réflexions pacifistes et humanistes des auteurs.

Le trait de Félix Delep les anime comme personne, loin de leur donner l’aspect cartoonesque qu’on voit chez certains, il leur conserve toute leur animalité et bestialité tout en leur conférant quelques uns de nos traits. C’est superbe, très vivant et très lumineux également ! La composition des pages, bien que souvent classique, joue avec astuce sur le point de vue et le regard posé à hauteur d’animaux. C’est très bien fait pour dynamiser la lecture.

Si vous avez aimé Chicken Run et la révolte de ses poules, vous retrouverez le même élan de liberté mais d’une manière plus sombre et réaliste dans Le Château des Animaux les longues injustices subits par les animaux de la ferme ont pesé sur leurs aspirations mais ne les ont pas détruites. Celles-ci ne demandent qu’à ressurgir au détour du dessin d’une marguerite.

Puissant et poétique, tel un point levé face à l’oppression !

Tome 2

De retour avec une couverture hivernale de saison, les auteurs en remettent une couche pour nous montrer que ce n’est pas si simple de résister et de se rebeller sans faire appel à la violence.

Dans un deuxième tome tout aussi puissant mais moins virevoltant que le premier, notre cher duo continue à prôner la résistance passive de Gandhi. Mais fort de l’expérience de l’histoire, ils en montrent aussi les failles, ce qui donne encore plus de force à leur récit.

Madame B. et son ami lapin continuent leur lutte discrète contre le pouvoir en essayant de scier la réputation de dur à cuir du Chef. Pour cela, rien de mieux que l’humour. Mais à l’heure où le froid et la faim s’installent pas si simple de continuer. Les auteurs s’échinent désormais à nous montrer la complexité de ce type d’action, la nécessité de contourner chaque obstacle quand le camp d’en face tente de nous piéger et de nous empêcher de continuer et surtout la nécessité de ne pas être seul et d’emporter l’adhésion de la majorité voire de la totalité du groupe pour que cela ne fasse pas pschitt.

Déjà sombre, le récit le devient encore plus alors que le froid et la peur s’installent. Les privations sont nombreuses et font échos à celles des différentes grèves auxquelles on a pu assister dans notre histoire. Ces influences-là sont parfaitement digérées pour ressurgir dans le récit et lui apporter encore plus de tenue. Les personnages vivent bien des épreuves dans ce tome, mais leur courage est également à toute épreuve et pendant longtemps, on les voit vaillamment résister. C’est beau. Malheureusement à toutes épreuves il y a une fin et dans toute résistance il y a une faille…

C’était bien joué de la part des auteurs de nous montrer un peu plus l’envers du décor pour contrebalancer la révolte des faibles. J’ai apprécié de découvrir que Silvio n’était pas le premier à s’arroger cette place. J’ai apprécié de découvrir le système d’embrigadement et de cercle vicieux qui a lieu pour que chacun puisse vivre dans des conditions décentes. Assister également aux échanges de n°1 et n°2 ainsi que de Silvio qui ne sont pas dupes de ce qui se passe était savoureux et je me suis retrouvée fascinée devant la perspicacité de n°2 et la cruauté de la compagne de Silvio qui a oublié d’être bête. Tout cela conduit à un terrible final qui laisse sans voix !

Avec ce tome peut-être plus difficile à appréhender que le précédent, car plus statique, plus répétitif et surtout plus sombre, les auteurs ont cependant achevé de me convaincre qu’on avait là un grand titre dans les idées qu’ils cherchent à porter. Loin de se contenter de la facilité, ils brossent des personnages aux psychés complexes que je trouve percutants et marquants.

La résistance est vraiment un long cheminement, âpre et douloureux, loin d’être gagné d’avance.

Tome 3

Avec toujours autant de verve mais de doigté également, Delep et Dorison mène cette révolte silencieuse qui gagne en puissance évocatrice et bouleverse le lecteur qui y assiste.

Je croyais bêtement être face au dernier tome de la série et j’étais surprise de voir les auteurs prendre autant leur temps. Il se révèle qu’en 2023 sortira un 4e et dernier tome expliquant cela. Ceci étant dit, je n’ai pas boudé mon plaisir dans ce tome centré sur la révolte non-violente des animaux opprimés de notre basse-cour. C’est à nouveau génial à lire et terriblement bien écrit et pensé, tant on sent toute la retenue et l’intelligence des auteurs dans sa mise en scène graphique ici.

J’ai beaucoup aimé assister aux menées de nos animaux menés toujours par une Madame B très charismatique épaulée par son ami lapin et une certaine éminence grise déguisée en rongeur. C’était puissant de les entendre élaborer les futurs plans d’une démocratie directe pour résoudre leurs problèmes et mettre cela en branle sans violence, avec une contestation silence mais puissante, parfaitement pensée et très impactante. On sent une vraie réflexion des auteurs pour faire passer ce message et menée une révolte qui ne tombera pas dans le bain de sang mais où les idées seront entendues. Cependant, ils ont fort à faire avec ceux en face d’eux, et si les sous-fifres sont prêts à les écouter, dans les hautes sphères, ce n’est pas le cas et celle qui se cache derrière Silvio est inattendue.

J’ai aimé suivre cette montée en puissance des désirs et revendications de nos animaux qui passent d’oppressés à revendicateurs et osent désormais se rebeller avec force et inventivité. La marguerite est à nouveau un superbe emblème et leur façon de se préparer à la réponse de leurs oppresseurs est magique. Les personnages principaux prennent alors une belle envergure, de Madame B, en passant par notre Casanova de service et même le nouveau numéro 1 qui a su m’émouvoir dans ce poste malaisant qu’il occupe. En revanche, je trouve les autres un peu oubliés, en retrait par rapport à eux, offrant juste un joli décor en arrière-plan. Même Silvio n’a pas son charisme effrayant habituel. Je croyais pourtant qu’on irait vers une découverte de celui-ci au vu des premières pages, mais non. Petite déception.

De la même façon, si j’ai aimé les messages et leur mise en scène, j’avoue que la narration parfois un peu trop classique et rigide de ce tome m’a un tantinet ennuyée. Cela manquait de dynamisme pour moi et était trop académique dans l’ensemble. Heureusement ce fut rattrapé par les dessins très joliment colorisés de Delep que j’ai pu prendre plaisir à admirer notamment lors des cases un peu plus grandes où il déployait son talent.

Quand la contestation gronde, la réponse n’est pas forcément la violence, mais l’intelligence et le dialogue !

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11 commentaires sur “Le Château des Animaux de Xavier Dorison et Félix Delep

  1. cela fait un moment que j’ai envie de me laisse tenter. Et ta critique me confirme que je dois absolument lire cette bd! Il faudrait d’ailleurs que je lise le roman d’Orwell également. Et j’ai vu que l’illustrateur Quentin Greban travaille aussi sur un projet autour de ce titre dont le sujet revient à la mode.

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