Livres - Mangas / Manhwa / Manhua

La Déchéance d’un homme de Junji Ito et Osamu Dazai

Titre : La déchéance d’un homme

Auteur : Junji Ito, sur une histoire d’Osamu Dazai

Editeur vf : Delcourt -Tonkam

Année de parution vf : Depuis 2021

Nombre de tomes : 2 / 3 (en cours)

Histoire : Yôzô Ôba souffre énormément du regard que les autres portent sur lui et ne comprend pas le bonheur de son entourage. La solution qu’il finit par trouver pour s’en guérir : se transformer en bouffon. C’est ainsi que s’écoulent ses jours, à se vouer à ce rôle de clown empli de souffrance. « Extérieurement, le sourire ne me quittait pas intérieurement, en revanche, c’était le désespoir. »

Mon avis :

Tome 1

Junji Itô est un auteur de mangas horrifiques qui a eu son petit succès chez nous dans les années 2000. Tombé un peu en désuétude depuis, j’avais décidé d’en faire enfin la découverte l’an passé grâce à l’éditeur américain Viz, qui propose de belles intégrales de ses oeuvres. C’était avant d’apprendre que non seulement Tonkam  son éditeur d’origine avait décidé de le relancer, mais également qu’un petit nouveau sur le marché : Mangetsu, avait annoncé la sortie de presque l’intégralité de son oeuvre dans les mois et années à venir !

La déchéance d’un homme, oeuvre plutôt récente qui date de 2017 au Japon, est en fait l’adaptation d’un célèbre roman d’un grand romancier japonais : Osamu Dazai. Junji Itô adapte à sa sauce, en 3 tomes, ce titre culte de la littérature japonaise dont l’ambiance sombre et morose fait bien écho aux titres qu’il a l’habitude d’écrire lui-même. Pour l’amener jusqu’à nous, Delcourt-Tonkam avec l’aide d’une valeur sûre à la traduction : Jacques Lalloz, nous propose une édition simple au format seinen dont la couverture donne d’emblée le ton en mettant particulièrement mal à l’aise.

Junji Itô est connu pour ses titres horrifiques. J’ai pour ma part lu Spirale qui me semblait être l’un de ses titres les plus représentatifs. Je dois dire que si ce dernier m’avait scotchée graphiquement, je reste un peu sur ma faim en ce qui concerne La déchéance d’un homme que j’ai trouvé bien sage. Même si je n’ai pas lu le roman d’origine, je me permets de penser que l’auteur se contente d’adapter le roman sans vraiment insérer sa propre patte, ou si peu, au point que c’est bien fade par rapport à l’horreur vécue dans ses titres phares.

Certes, La déchéance d’un homme est une histoire sombre, déprimante, qui met en scène un jeune héros qui n’a jamais su trouver sa place dans la société japonaise élitiste dont il est issu, mais le mangaka raconte cela très rapidement et sans y mettre beaucoup d’émotion. J’ai l’impression que la force du matériaux d’origine a en quelque sorte effrayé le mangaka qui n’a pas réussi à s’en dépêtrer pour proposer quelque chose qui lui serait propre. Cela donne ainsi un titre sympathique à lire mais trop lisse quand on sait de quoi Junji Ito est capable.

L’ambiance est délétère. On peut plaindre ce jeune héros qui se cache sans cesse sous un masque pour plaire à son entourage alors qu’à l’intérieur il se sent tout le temps en décalage. Cela n’a pas été sans me rappeler le texte de Yukio Mishima un peu autour du même thème. La vision de la société japonaise est pleine d’acide. Rien ne semble aller des élites nombrilistes aux domestiques dérangés en passant par ces terribles portraits de femmes que fait l’auteur. J’ai d’ailleurs eu un peu de mal avec cette obsession de faire de celles-ci des personnages oppressifs envers le héros… Celui-ci n’est pas très attrayant puisqu’il ne montre jamais son vrai visage, préférant passer pour le bouffon de service, ou faire tout et n’importe quoi pour plaire aux autres. Il déprime non-stop en plus, ce qui pèse sur le récit.

Heureusement la narration est rapide. On ne perd pas de temps à s’attarder trop longtemps sur les nombreux malheurs qui l’accablent, car le pauvre tombe en permanence de Charybde en Scylla. La métaphore filée de l’artiste maudit lui correspond bien et j’ai aimé la culture dont l’auteur fait preuve dans ses références très modernes pour l’époque invoquée, cela ancre bien le récit dans cette époque un peu délétère de l’entre deux-guerres. Le portrait est donc sombre mais assez juste dans ce qu’il laisse transpirer sur la misère et la décrépitude d’alors par endroits.

Ainsi dans ce premier tome, on découvre d’abord de manière assez terrible et directe son enfance pas très heureuse entre abus et problèmes d’intégration. Puis on le voit monter à la capitale poursuivre ses études mais voguant d’un milieu à l’autre avant de se faire embarquer dans un mouvement révolutionnaire. Il passe également d’une figure féminine oppressive à l’autre, ce qui a de quoi glacer le sang. Avant de découvrir l’amour sans tout à faire le comprendre, ce qui le conduira à un geste tragique. C’est vraiment une histoire dramatique dans la plus pure veine du genre.

Mon seul regret dans cette histoire très sociale est que le dessin ne suive pas. Je le trouve très classique à part quelques fulgurances bien rares où on retrouve bien le sens de l’horreur du mangaka et de son trait très organique. Il m’avait habituée à des trouvailles visuelles fortes qui suintaient de chaque page, ici c’est très timide. On retrouve un trait seinen déjà vu et bien connu des amateurs du genre et seul le travail sur les regards de fous m’a vraiment marquée. Petite déception en cette raison quand on se rappelle le génie horrifique d’un Spirale ou d’un Gyo, qui viennent également de ressortir en intégrale chez Delcourt-Tonkam.

Ainsi, ce titre a toute les chances de séduire des amateurs de littérature japonaise classique ou encore des amateurs d’Inio Asano et autres auteurs aimant traiter de manière assez âpre de la société japonaise. Pour ma part, si j’ai aimé le portrait désespéré de cette époque qui commence à se faire lointaine, je n’ai pas pleinement adhéré à la narration que j’ai trouvé trop rapide et au dessin un peu fade. Je m’attendais à quelque chose d’encore plus dérangeant visuellement et je suis restée sur ma faim. C’est peut-être une bonne adaptation, je ne peux pas juger, mais je trouve le travail de Junji Itô trop timide quand on l’a lu de part ailleurs.

Tome 2

Malgré un premier tome difficile à appréhender et lire, je n’ai pas voulu en rester là face à cette terrible histoire. Il me fallait savoir si le héros allait s’en sortir ou sombrer encore plus comme je le pressentais. Vous aurez la réponse en me lisant. En revanche, sachez que ce deuxième volume est bien plus facile à appréhender que le premier et ça facilite les choses.

Nous continuons donc à suivre la vie tortueuse de notre peintre / mangaka à l’aube d’années agitées pour le Japon – l’histoire se déroule au tournant des années 20-30 -. Il est toujours aussi perdu dans sa vie et dans son art. Il a toujours une opinion aussi médiocre que lui. Et il mène donc toujours une vie aussi dissolue. Mais la différence avec le tome 1, c’est qu’il finit par se poser au peu, cherchant à avoir l’ombre d’une famille pour tenter de rentrer dans la norme.

J’ai apprécié de moins voir le héros passer d’une femme à l’autre et d’une tragédie à l’autre. Je ne dis pas que c’est un long fleuve tranquille. Ses névroses sont toujours là et bien là. Il est hanté par les fantômes de son passé et a une vision totalement disloquée et malsaine des femmes qu’il ne peut s’empêcher de voir comme des monstres. Il a été totalement traumatisé et ne parvient pas à sortir de ce schéma, tant pis s’il tombe sur des femmes bien comme la mère célibataire et veuve du début, la patronne du bar, ou la petite qu’il finit par épouser.

Du coup, il entraîne tout le monde dans ses tourments. Il boit, se néglige et néglige les autres, souffre de névrose. On assiste toujours à une vraie descente en enfer, mais peut-être moins rapide que dans le tome 1 car atténué par la stabilité que lui apportent les femmes de sa vie et le travail qu’il mène en tant que mangaka. C’est plus dans sa peinture que transparaissent ses troubles. Celle-ci est saisissante d’horreur et de malaise. J’ai aimé suivre ses premiers pas de mangaka publié et ses difficultés à en vivre. J’ai aimé le voir mettre ses névroses dans son art.

Cependant, c’est un homme qui ne parvient pas à se sortir du mal être profond qu’il ressent, ce qui donne une teinte plombante au titre de bout en bout, chaque petite graine d’espoir étant écrasée. Ainsi le malaise un temps éteint ne fait ensuite que monter, monter, jusqu’à l’explosion finale où j’ai enfin retrouvé le sens de mise en scène d’Itô qui avait fait tant défaut jusqu’à présent. En effet, je trouvais l’auteur un peu trop timide graphiquement parlant par rapport à ses titres phares où la répétition de motifs de manière hypnotiques saisissait le lecteur à froid. Ici, cela ne surgit que dans le dernier chapitre, tandis qu’il essaie d’évacuer bien maladroitement son mal être et ces boules abjectes font froid dans le dos également.

Alors non, ce n’est toujours pas du grand Junji Itô, le titre ressemble trop à une adaptation assez classique d’une oeuvre littéraire fort connue au Japon. Cependant, le portrait de cette noirceur sans fond qui enlise le héros est parfaitement rendue et ce qui me rendait si mal à l’aise dans le tome 1 s’estompe ici avec une narration plus nuancée. Avis aux amateurs d’oeuvres sombres et torturées, vous avez ici un titre très singulier où la noirceur est omniprésente et le malaise grandissant.

(Merci à Sanctuary et Delcourt-Tonkam pour ces lectures)

7 commentaires sur “La Déchéance d’un homme de Junji Ito et Osamu Dazai

    1. Avec plaisir 😉
      Malgré ma faible expérience, je pense quand même qu’il vaut mieux le découvrir sur l’une de ses oeuvres originales pour vraiment sentir sa patte, alors je pense que tu fais bien d’attendre.
      Je risque aussi de craquer pour Tomie, qui est son second titre qui me fait le plus envie ><

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