Livres - Fantasy / Fantastique

Les Maîtres Enlumineurs de Robert Jackson Bennett

Titre : Les Maîtres Enlumineurs (Foundryside)

Auteur : Robert Jackson Bennett

Editeur vf : Albin Michel Imaginaire

Année de parution vf : 2021-2023

Nombre de tomes vf  : 3 (série terminée)

Histoire : Toute l’économie de l’opulente cité de Tevanne repose sur une puissante magie : l’enluminure. À l’aide de sceaux complexes, les maîtres enlumineurs donnent aux objets des pouvoirs insoupçonnés et contournent les lois de la physique. Sancia Grado est une jeune voleuse qui a le don de revivre le passé des objets et d’écouter chuchoter leurs enluminures. Engagée par une des grandes familles de la cité pour dérober une étrange clé dans un entrepôt sous très haute surveillance, elle ignore que cet artefact a le pouvoir de changer l’enluminure à jamais : quiconque entrera en sa possession pourra mettre Tevanne à genoux. Poursuivie par un adversaire implacable, Sancia n’aura d’autre choix que de se trouver des alliés. 

Mon avis :

Tome 1

Les Maîtres Enlumineurs est le premier tome d’une trilogie de Robert Jackson Bennett dont j’ai entendu parler sur la toile avant même l’annonce de sa sortie chez nous. Le premier tome Foundryside a rapidement eu droit à pléthore d’excellents avis dès sa sortie vo, certains comme Apophis le qualifiant de « meilleur système de magie de toute l’histoire de la Fantasy« . Alors forcément, cela ne peut rendre que curieux !

J’ai découvert le plume de Robert Jackson Bennett récemment avec la novella Vigilance que j’ai trouvé assez marquante dans son portrait du devenir de la société américaine. Je savais donc que la plume de l’auteur allait me plaire, pas de souci de ce côté-là. Il a un côté page-turner simple et pourtant ultra maîtrisé. En plus, Albin Michel Imaginaire a doté son édition de superbes couvertures signées Didier Graffet dont j’aime beaucoup la symbolique et la composition toute en longueur tombante, fascinant !

J’ai donc plongé tête la première dans ce premier tome de plus de 600 pages quand même et j’en suis ressortie émerveillée le lendemain. La lecture fut comme prévue ultra addictive grâce à un rythme soutenu de l’auteur qui ne diminue jamais et ne fait que grimper. Sa plume semble simple, elle est pourtant très travaillée avec des descriptions juste détaillées ce qu’il faut mais pas trop, des personnages parfaitement développées et surtout des scènes d’action écrite comme si on était devant notre écran de cinéma. C’est bluffant. En cela, il se rapproche beaucoup de Brandon Sanderson avec qui il n’a pas que ce point commun.

J’ai beaucoup aimé plonger directement dans l’intrigue avec un premier chapitre ultra immersif où déjà nous suivons l’action en nous glissant dans les pas de l’héroïne, une figure typique maintenant des montes en l’air des romans de fantasy se déroulant dans des villes sales, crades et tortueuses. Le cadre de l’intrigue est d’ailleurs l’un de ses points forts. Comme dans les Salauds Gentilshommes ou comme dans Fils-des-Brumes, j’ai beaucoup aimé ce décor urbain dont on découvre peu à peu au fil de l’intrigue les multiples coins sombres et étranges, ainsi que les multiples strates. La ville semble ressembler à toutes les autres déjà croisées dans ce type d’univers mais on détour d’un événement clé de l’histoire, elle se révèle bien différente et surtout totalement liée à la moelle de l’intrigue.

Cette intrigue, elle repose sur un système de magie simple et complexe à la fois, qui là aussi m’a rappelé par sa virtuosité et sa mise en application, celui de Fils-des-Brumes de Sanderson. Dans un univers très urbanisé, la richesse de la ville de Tevanne ne repose que sur la magie dont ses puissants fondateurs se servent : l’enluminure. Sorte d’alchimie poussée à l’extrême, celle-ci repose sur des sceaux écrits complexes imaginés par des êtres qui ont disparu de nos jours mais dont on cherche à comprendre les créations. Pour cela, on les étudie, on en cherche de nouveaux, on expérimente, et surtout on n’utilise qu’une fraction de leur savoir sans être sûr vraiment de ce qu’on fait. Ces sceaux donnent aux objets et choses sur lesquels on les applique des pouvoirs incroyables car ils contournent les lois de la physique grâce à d’astucieux jeux sur les concepts. Cela peut sembler compliqué quand on me lit mais cela coule de source quand on lit Robert Jackson Bennett tant il a intégré cela pas à pas dans son intrigue épique et rocambolesque.

Celle qui mène la danse dans cette histoire haletante, c’est Sancia Grado, une jeune voleuse inhabituelle, qui ne vient pas de Tevanne mais d’une plantation, où des Maîtres Enlumineurs ont fait des expériences sur elle, la dotant du pouvoir de revivre le passé des objets qu’elle touche et d’entendre le chuchotement des enluminures qui les recouvrent. Engagée par une des grandes familles de la cité pour voler une vieille boîte dans laquelle repose une étrange clé, elle ignore l’importance de celle-ci et l’engrenage terrible dans lequel elle vient de mettre le doigt. Car quiconque possède cette clé, peut mettre Tevanne et ses grandes familles à genoux en se jouant des lois régissant habituellement les enluminures. Devenue l’ennemie numéro 1 de ces puissants, Sancia n’a d’autres choix que de fuir.

Dans sa fuite, Sancia va se faire de drôles d’alliés que nous allons découvrir tout au long d’une première partie très dense où l’auteur fait preuve d’une imagination sans borne, jouant et déjouant à merveille les codes qu’il a lui même inventé pour régir cette ville. Il y a d’abord Gregor Dandolo, fils héritier d’une grande famille fondatrice, qui n’a pas voulu de son héritage et préfère travailler comme soldat pour la ville afin de lui apporter la justice qui lui manque. C’est mon personnage préféré après Sancia et Clé. Vient ensuite le maître Orso, vieux fou d’enluminures, qui avec son assistante Berenice vont fournir les informations et les cerveaux qui manquent à nos héros tout feu tout flamme. Et enfin, il y a Clé, cet artéfact avec lequel Sancia peut communiquer par la pensée et qui se révèle être un fidèle et précieux allié. J’ai adoré la relation entre les deux. Voilà pour les personnages principaux et il n’en faut pas plus ! Chacun est parfaitement travaillé. L’ensemble des relations est réfléchie et pensée, et connait une belle évolution. Les personnages ne restent jamais campés sur leurs positions et savent nous surprendre avec une rare émotion. Il n’y a qu’une certaine romance que je trouve maladroitement écrite et de trop ici… Pour le reste, je les trouve parfait, tout comme leurs antagonistes malgré le côté un peu caricatural de ceux-ci, avec ces méchants vraiment méchants… Mais chacun renferme bien sûr d’importants secrets qui viendront enrichir l’univers et doper les mystères à résoudre.

La narration de Robert Jackson Bennett est excellente. Faisant preuve d’un rythme non-stop, il enchaîne les mises en danger, les courses-poursuites, les affrontements, les révélations et les retournements de situation. Il dévoile son univers progressivement se servant des secrets et manigances de chacun pour l’enrichir. On découvre ainsi petit à petit la mythologie derrière les enluminures et la création de Tevanne et de ses familles, ainsi que de leurs croyances. Il y a pour moi une vraie dimension alchimique cachée derrière les démiurges à l’origine de ces enluminures et de leurs pouvoirs sur notre monde. Découvrir des pans de leur existences et de leurs réalisations au détour d’un chapitre quand on ne s’y attend pas fut assez fascinant. J’adore les histoires qui ont des mythologies non pas religieuses mais plus techniques en quelque sorte comme ici. Du coup, je comprends pourquoi parfois on qualifie le titre de cyberpunk, même si moi j’ai une autre définition du genre. En tout cas, c’est vraiment surprenant et innovant, et j’ai retrouvé le même plaisir face à cette mythologie que celle que j’avais éprouvé face à celle des Cent Mille royaumes de N.K. Jemisin qui fut un coup de coeur.

Je n’ai pas envie de vous en dire plus pour vous laisser le plaisir de la découverte, tout comme moi je l’ai eu. Sachez juste que Sancia n’est pas une pâle copie de Vin (Fils-des-Brumes), que Tevanna n’est pas non plus Luthadel, tout comme les Enluminures ne sont pas l’allomancie, et pourtant les deux se font magiquement écho. Sanderson était peut-être trop bavard parfois là où Bennett nous plonge plus dans une action soutenue dont on ne ressort pas avant la fin. Mais Sanderson avait réussi à écrire des personnages qui m’avaient bien plus touchée et émue que ceux de Bennett en dehors de Clé et de son tragique destin. Pourquoi je compare les deux parce que j’ai ressenti le même plaisir de lecture lors de la découverte de ces deux sagas, la même fascination pour des systèmes de magies extrêmement bien pensés et la même immersion lors des scènes d’action. Chacun a ses forces et ses faiblesses, si on avait eu les deux ensemble, on aurait eu le titre ultime de Fantasy épique urbaine pour moi.

En attendant, j’ai été soufflée par la qualité de ce premier tome. Les maîtres enlumineurs est clairement l’une si ce n’est ma meilleure lecture de fantasy depuis le tome 1 de Fils-des-brumes. De la première à la dernière page, je n’ai jamais décroché. Le rythme est haletant, l’univers est fascinant, le cadre est poisseux et terrible comme j’aime. Quant au final, il est saisissant et rend l’attente du tome 2 qui sortira cet automne très longue… Chapeau monsieur Bennett !

Je remercie encore Albin Michel Imaginaire et Gilles Dumay pour leur confiance et cet envoi.

>> N’hésitez pas à aller également lire les avis d’autres blogueurs comme : Apophis, De livre en livres, Sometimes a book, L’ours inculte, Yuyine, Les lectures de Maki, Les chroniques du chroniqueur, L’épaule d’Orion, Albedo, La Bibliothèque d’Aelinel, Au pays des caves Troll, …     

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Tome 2 : Le retour du Hiérophante

Une des quatre maisons marchandes de Tevanne est tombée. Sancia Grado et ses associés ont non seulement changé l’histoire de la cité, ils ont aussi créé Interfonderies dans le but de démocratiser l’art magique de l’enluminure. Mais la jeune entreprise a beau accomplir des prouesses, celles-ci ne suffisent pas à la maintenir à flots. La concurrence est rude, et les grandes maisons marchandes de Tevanne sont prêtes à tout pour écraser Sancia et l’idéal qu’elle représente.
C’est alors qu’une ancienne puissance vogue en direction de Tevanne : un hiérophante. Un adversaire qui connaît et maîtrise l’enluminure mieux que personne, fasciné en outre par Sancia et ses pouvoirs. Pour survivre à cette menace et sauver ceux qu’elle aime, la jeune femme devra percer le secret le mieux gardé de l’univers, : celui des origines de l’enluminure.

Après un premier tome qui fut un coup de coeur, j’attendais avec impatience cette suite qui annonçait en plus le retour du grand antagoniste de l’histoire. Si comme dans le premier tome, j’ai beaucoup aimé l’écriture archi dynamique de Robert Jackson Bennett, j’ai trouvé le déroulé plus classique et prévisible, peut-être parce que l’univers était déjà connu. Ainsi, j’ai passé un très bon moment de lecture, mais ce ne fut pas la claque surprenante des débuts.

Dans cette suite directe de l’oeuvre, nous retrouvons nos héros après les derniers événements, dirigeant maintenant l’Interfonderies qu’ils ont créée dans le but de démocratiser l’art magique de l’enluminure. Mais très vite, ils vont être dérangés dans leurs plans et ceux-ci vont leur échapper pour les emmener dans une aventure à cent à l’heure bien plus vaste où la mère de Gregor a rappelé à la vie un personnage longtemps oublié qui va venir semer le chaos dans la ville de Tevanne.

J’ai beaucoup aimé une fois de plus l’univers de la saga. Nous ayant présenté leur fonctionnement dans le tome précédent, l’auteur s’appuie tout du long sur les enluminures qui deviennent un élément du spectacle parfaitement maîtrisé pour le lecteur, mais toujours un élément de surprises, source de bien des rebondissements. C’est un élément phrase de l’histoire, tout comme la ville de Tevanne qui en est grande constituée. Cependant, le mystère étant tombé, cela ne revêt plus le même charme, je l’avoue et j’ai plus vu cela comme quelque chose ayant toujours été là, donc un peu banal.

Il en va de même pour l’aventure de ce tome. Bien que parfaitement rythmée, elle se déroule dans une ville, pour moi, bien moins mystérieuse qu’on début, ainsi ce fut plus le divertissement que le mystère qui ont alimenté mon plaisir de lecture et j’ai trouvé la lecture peut-être plus facile et moins profonde que la première fois. Je me suis totalement laissée porter par l’ensemble des événements, et en même temps sans le chercher, j’ai en général deviné ce qui allait se passer avant que ça arrive… C’est un peu dommage. Alors oui, c’est chouette d’avoir une écriture archi fluide et dynamique, mais un peu plus de noirceur et de profondeur, n’aurait pas été de trop pour nous surprendre aussi.

Du côté des personnages, j’ai aimé l’équilibre trouvé ici. L’auteur offre la part belle à chacun d’entre eux à un moment donné. Les possibilités offertes par l’arrivée de cet antagoniste sont parfaites pour redistribuer les cartes et remettre tout le monde en action. J’ai beaucoup aimé le duo féminin Sancia-Berenice de part ce que l’auteur offre en les jumelant. J’ai beaucoup aimé l’approfondissement de Gregor à travers les actions de sa mère et la révélation de leur passé familial. J’ai beaucoup aimé voir Orso participer autant à l’action et se mouiller. Seuls peut-être les personnages mystiques (Clef, Valeria et Crasedes) furent un peu difficile à cerner pour moi, manquant de matérialité parfois, mais le chemin tortueux que leur fait emprunter l’auteur fut très prenant à suivre, les mystères reposant sur leurs relations les uns avec les autres. Il y a une mythologie assez intéressante qui se dessine derrière eux et que j’espère voir encore plus développée dans le prochain tome.

L’aventure au sein de Tevanne et de ses alentours, elle, est présente non-stop et menée tambour battant. Il n’y a pas un moment où on s’ennuie ou où il y a un coup de mou. Ça s’agite et court dans tous les sens. Les cerveaux sont tout le temps en éveil pour tenter de comprendre ce qui se passe et d’empêcher Crasedes de réaliser son plan qu’on imagine forcément néfaste malgré ses dires. Les héros tentent de la contrecarrer avec plus ou moins de réussite pendant tout le tome, faisant preuve de beaucoup d’astuce et de réactivité. Chaque grande partie de l’histoire compte donc une grande manoeuvre en mettant le focus sur un ou plusieurs personnage alors, mais l’auteur parvient toujours à rebondir pour nous emmener plus loin et tenter de nous surprendre avec de nouveaux décors, de nouvelles révélations, de nouvelles possibilités. C’est très entraînant.

Alors oui, connaissant le décor et le système de magie, je n’ai pas été aussi soufflée que lors du tome 1. Oui, j’avais deviné depuis un moment ce qui se tramait et qui le tramait, mais ça n’empêche que cette lecture m’a totalement divertie, que j’ai eu l’impression de me retrouver devant un film d’action grandeur nature lors de nombreuses scènes grâce à la plume très visuelle de l’auteur. Donc malgré les petits défauts du titre, j’ai adoré ma lecture, l’univers, les personnages et leurs aventures et que j’en redemande, car l’auteur nous laisse littéralement en PLS à la fin de ce tome avec un sentiment de frustration très grand.

Les Maîtres Enlumineurs tient ainsi parfaitement sa promesse de série littéraire à grand spectacle avec un auteur qui maîtrise parfaitement son récit de bout en bout. Certes ce volet est plus léger et peut-être moins sombre et brumeux que le premier, mais il offre une excellente aventure, qui ouvre des portes pour une suite assez terrible s’il va au bout de son propos. On adore !

PS/ Sinon, vous ai-je parler de la couverture ? J’avais déjà adoré la première mais celle-ci est d’une beauté terrifiante et magnétique ! J’aurais adoré voir son auteur illustrer les romans de Robin Hobb, en particulier sa saga Les aventuriers de la mer ><

Je remercie encore Albin Michel Imaginaire et Gilles Dumay pour leur confiance et cet envoi.

>> N’hésitez pas à aller également lire les avis d’autres blogueurs comme : Sometimes a book, Carolivre, Les lectures de Maki, La Geekosophe, Les pipelettes en parlent,Au pays des cave trolls, …Vous ?

Tome 3 : Les Terres Closes

Autrefois, Sancia Grado n’était qu’une jeune voleuse dotée d’un talent rare. Puis elle a appris à utiliser ce talent et a battu les grandes maisons marchandes de Tevanne à leur propre jeu. Avec Clef et Bérénice, elle a même éliminé un hiérophante immortel – mais la guerre qu’ils mènent maintenant semble perdue d’avance. Sancia et ses alliés n’affrontent plus les élites de l’enluminure ou un hiérophante revenu d’un passé oublié ; cette fois, ils veulent détruire une entité dont l’intelligence est répartie sur la moitié du globe : un fantôme bien caché, qui utilise la magie pour posséder les objets, mais aussi contrôler les esprits humains.
Malgré tous les efforts de Sancia et de ses alliés, leur implacable ennemi se rapproche de son véritable but : une ancienne porte qui mène au cœur-même de la création.
Mais peut-être leur reste-t-il une ultime chance de survivre à ce combat, en réalisant le casse le plus audacieux qu’ils aient jamais tenté…

C’est une nouvelle fois avec une couverture hautement symboliques signée Didier Graffet que je me suis lancée dans le dernier volet de l’aventure bien riche des Maîtres enlumineurs, ses hommes et femmes qui ont tenté maladroitement de transformer le monde avec leur invention mais ont tapé à côté. L’aventure fut prenante, parfois complexe, parfois perdante, mais toujours pleine d’émotion et de réflexion.

Cela m’a fait bizarre de replonger dans cet univers plus d’un an et demi après son précédent volet. Sans rappel, sans aide, je me suis sentie un peu perdue au début. (Un petit résumé des épisodes précédents n’aurait pas été de trop !) L’auteur en plus nous déracine dans ce troisième tome des aventures de Clef, Sancia, Bérénice et leurs alliés, après une fantasy très urbaine, c’est une fantasy plus maritime et aérienne à la fois qu’il nous propose ici à bord des citadelles, citacielles sur lesquelles voguent nos héros. Mais moi, je me suis sentie déracinée, perdue, sans ancre par moment et ce ne fut pas simple.

Le récit était pourtant plein d’aventure et a démarré plein pot, tandis que Sancia et Clef cherchent comment contrer Tevanne dans son projet de bouleversement mondial. Avec son rythme cassant, tantôt nerveux, tantôt plus calme, où les relances agissaient comme des piques sur notre attention, Robert Jackson Bennett maintenait toujours nos sens en éveil. Cependant, j’ai aussi eu l’impression que nous étions arrivé à un seuil dans l’histoire, dans l’imaginaire même de ce monde difficilement franchissable, comme s’il avait déjà proposé tout ce qui était possible ici en matière de fantastique et qu’il ne pouvait aller au-delà. Je n’ai donc pas eu le même émerveillement, ni le même vertige que précédemment. Les nouveautés au rayon des enluminures se sont faites attendre malgré ces portes si bien mises en avant au fil de l’intrigue.

Nous étions sur un texte beaucoup plus refermé étrangement malgré le décor plus libre que celui de la ville avec ces citadelles écumant le ciel. L’auteur s’est ici recentré sur ses personnages, leur intimité et leur psyché, ce qui a rendu l’intrigue bien plus intérieure. On aime ou on aime pas, mais on ne pourra pas reprocher à l’auteur d’avoir fait les choses à moitié car il exploite parfaitement cela jusqu’à la fin, afin de tisser une toile bien différente de celle imaginée dans un premier temps, où les questions autour de la nature et la qualité des inventions viennent se coupler avec celles sur notre intériorité, notre humanité et nos sentiments, dans une sorte de revisite de l’Allégorie de la Caverne de Platon.

Mais revers de la médaille, l’intrigue fut beaucoup plus lente, plus longue, avec un côté « serpent qui se mort la queue », comme si nous avons tourné et tourné en rond pendant fort fort longtemps au milieu de l’intrigue et ce fut dur de s’accrocher jusqu’au bout. Sans nouveauté, avec juste les héros pour tenir et leur quête pour comprendre ce que cherchent leurs adversaires et qui ils sont, mon attention a parfois vacillé assez fortement. Heureusement, trouvaille fort heureuse de l’auteur, bien que classique, les pensées de Clef distillées par fragment au fil des chapitres, semblant faire émerger son passé humain, tandis qu’il se rappelait la vie de famille qu’il avait eu et ce qui l’avait conduit à faire ce qu’il a fait à son fils, ont su me raccrocher, me réveiller et me tenir en haleine. Je sentais que je tenais quelque chose et ce fut effectivement le cas. L’auteur avait astucieusement tissé sa toile et s’il nous avait dévié de cette fantasy très gun & powder des débuts, pour quelque chose de plus calme, ce n’était pas pour rien.

Il m’est donc impossible de ne pas revenir sur ce final. Vous êtes averti, ça va divulgâcher !!! (surlignez pour voir)

J’avais vu venir depuis plusieurs chapitres le rôle de Clef et sa famille dans le destin auquel nous étions en train d’assister et dans la solution à trouver à ce final sous tension où le chaos semblait menacer, cela n’a pas loupé. J’avais peur que l’émotion ne soit pas au rendez-vous, je me trompais bien. Bien qu’il ait fait pas mal de name dropping et qu’il ait utilisé d’autres deux ex machina un peu facile pour arranger les besoins de son intrigue, j’ai tout de même beaucoup aimé l’imagination dont il a fait preuve dans le rôle joué avec Clef, suite à son chagrin trop grand pour lui, dans la dérive prise par les enluminures et leur utilisation. Ce fut un très beau chapitre dans l’oeuvre, lui donnant une vraie épaisseur.

J’ai également beaucoup apprécié les chapitres finaux apportant une belle conclusion douce amère sur l’évolution des populations après le passage de Sancia et Clef et ce qu’ils ont fait pour rétablir l’ordre. Les nouveaux fondements de ce peuple, leur choix d’évolution et l’exclusion Berenice, qui ne peut y participer et attend autre chose, m’ont saisi. Cela avait vraiment quelque chose d’émouvant, rappelant dans sa mise en scène et son ton, ces classiques de la SF que j’adore que sont Contact ou Interstellar. L’auteur a vraiment bien joué la carte émotion et a offert un très beau final qui trouvera écho dans les remerciements qu’il adresse ensuite où il raconte les circonstances d’écriture bien particulière de ce tome.

Avec ce dernier tome, Robert Jackson Bennett met vraiment la dernière touche à une histoire encore plus ambitieuse que ce que j’avais imaginé en la découvrant. Plus qu’un super concept de monde et de magie, Les maîtres enlumineurs racontent comment une invention géniale censée aider le monde peut au contraire le faire vriller si l’on n’est pas prêt mais aussi au contraire le faire positivement évoluer quand c’est en fait le cas. Cela aura parfois été une lecture complexe, je me serai parfois perdue en cours de route, ayant du mal à tout visualiser et à me sentir impliquée à chaque instant, mais l’émotion m’aura a chaque fois rattrapée et je ne regrette pas au vu de ce final plein d’émotion et de nuances. Une belle réflexion sur notre société moderne à travers un récit aux inspirations platoniciennes qui me donne envie de retrouver l’auteur dans ses anciens et prochains travaux.

Merci à Albin Michel Imaginaire pour ce beau voyage

>> N’hésitez pas à aller lire aussi les avis de : Vous ?

27 commentaires sur “Les Maîtres Enlumineurs de Robert Jackson Bennett

  1. Il est déjà dans la wish list, et les avis ultra positifs comme le tien me donnent encore plus envie de le lire, d’autant que tu ne sembles pas avoir ressenti ce problème d’intrigue survolée rencontré dans Oraisons malgré une cadence qui semble presque infernale

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    1. Oui, on ne joue pas du tout dans la même cour entre les deux. Bennett a une maîtrise assez incroyable de ce rythme effréné au point qu’il n’oublie pas de développer tout le reste en même temps, c’est assez bluffant.
      Donc tu as très bien compris, je te le recommande très très vivement !

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  2. Aussi bon que Fils-des-Brumes ? Mmh ! Ça donne matière à réfléchir, même si je n’ai eu un coup de cœur que pour le premier tome de la saga. La faute à Kelsier, si tu vois ce que je veux dire lol.
    Dans tous les cas, je suis convaincue par ta chronique, et par toutes les autres qui vantent les mérites de cette duologie. Du coup, j’ai acheté le premier tome :p. Je vais attendre que la suite soit sortie pour m’y plonger, mais j’ai hâte ! 🙂

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    1. Il faudrait que je relise pour être sûre mais j’ai eu le sentiment de ressentir le même émerveillement face au système de magie et sa matérialisation dans les scènes d’action et puis quelle écriture ultra fluide et rythmée. Le premier chapitre donne déjà le la, tu verras 😉

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