Titre : L’île de Silicium
Auteur : Chen Qiufan
Traduction : Gwennaël Gaffric
Éditeur : Rivages (Imaginaire)
Année de parution : 2022
Nombre de pages : 441
Histoire : Xiaomi travaille sur l’île de Silicium, située au large de la Chine, où les appareils électroniques du monde entier sont envoyés au recyclage. Comme elle, des milliers de migrants sont attirés sur cette île polluée par la promesse d’une vie meilleure. Mais ceux que l’on surnomme les « déchetiers » demeurent à la merci de puissants chefs de clan. Alors qu’un conflit se trame entre les trois clans rivaux, des investisseurs américains et des écoterroristes, Xiaomi découvre les débris d’une mystérieuse prothèse qui risque de changer le cours de leurs destins.
Mon avis :
Quand un éditeur démarre une nouvelle collection consacrée à l’imaginaire, j’avoue être forcément curieuse. Quand la dite collection se propose de commencer par un roman de SF d’un auteur chinois, depuis ma rencontre avec Liu Cixin, cela ne peut que me rendre encore plus curieuse. Merci à Rivages d’avoir pensé à moi pour cette expérience.
Pour cette entrée en scène, l’éditeur a eu la belle idée d’y aller en douceur en choisissant non pas un titre de pure SF qui aurait pu nous emporter super loin comme avec Le problème à trois corps, ma référence dès qu’on me parle de SF chinoise, mais plutôt en s’orientant sur ce courant de SF proche du thriller et proche de nous également : l’anticipation éco-technologique. Un choix judicieux. Avec la couverture d’Huleeb, le lecteur est de suite intriguée et se demande ce que peut cacher ce corps au coeur vide mais à la tête hypertrophiée. C’est une belle métaphore de la suite de l’histoire.
Texte publié pour la première fois de 2013, L’île de silicium est le premier roman de Chen Qiufan, auteur multi-primé depuis, qui s’est inspiré de sa propre jeunesse près de Guiyu, où se trouve la plus grande décharge de déchets électroniques du monde, pour l’écrire. Il y mélange, à l’aide d’une plume très fluide et addictive, des thématiques autour des questions du traitement des déchets, du rapport à ces emplois abrutissants, dégradants et dangereux pour la santé, de la place des femmes dans la société chinoise, mais aussi de la mafia chinoise et de la mondialisation, sans parler des expérimentations pharmaceutiques-militaires. C’est très riche.
Pourtant le texte ne paie pas de mine au début. Il est certes immersif et nous permet d’entrer très facilement dans le monde de Xiaomi, jeune ouvrière sur l’île de Silicium (île fictive), mais a des allures de récits à la Zola tant la misère est partout. A part découvrir les tensions entre les différents groupes voulant diriger l’île, on ne voit pas trop où cela peut nous mener, même quand elle découvre une drôle de prothèse. Le mystère est bien gardé. Nous sommes alors plus dans un thriller écolo ou sociétal dénonçant ce reconditionnement des déchets confiés à des castes miséreuses qu’on dénigre, que dans de la SF.
Cependant le récit bascule au cours d’une scène d’une rare brutalité qui va être le point d’achoppement de tout et même de mon propre sentiment par rapport au récit, car elle va autant m’apporter la dimension futuriste que j’attendais, que me déranger par le choix bien trop facile de l’auteur d’occulter ce qu’a vraiment subi son héroïne. Est-ce pour nous provoquer qu’il balaie ainsi l’agression subie en se mettant dans la peau de ses personnages ou est-ce vraiment si peu important pour lui ? Cela me poursuivra jusqu’au bout tant je trouve ce pan occulté par la suite à tort.
Il aura donc fallu attendre la moitié du récit pour voir véritablement apparaître cette dimension science-fictionnesque que je désirais, mais vu que le mélange avec le thriller amorcé précédemment se fait fort bien, je n’ai aucun regret. J’ai aimé par la suite suivre les conséquences de ce qui est arrivé à Xiaomi, conséquences qui se mélangent avec les intrigues d’un certain grand groupe américain qui a envoyé un espion sur place, mais aussi avec les luttes de pouvoirs de mafias locales. J’ai beaucoup aimé, l’ambiance mi-mécha (comme dans les mangas) mi-fantastique, qui s’opère chez Xiaomi une fois qu’elle entre en contact avec un certain objet qui va la parasiter. Il y a des pages saisissantes qui décrivent ce qui se passe en elle, comment elle se transforme et ce qu’elle produit comme effet face aux gens en face d’elle. C’était glaçant et fascinant !
L’intégration des thématiques autour des produits de synthèse, des prothèses et des I.A. dans ce décor qui nous est pourtant familier et qui pourrait cohabiter avec nous, a rendu cela passionnant à lire. Et ce même si le récit se fait un peu trop à travers le regard des hommes, qui certes sont ceux qui définissent les drames qui se produisent, mais qui n’en sont pas les victimes au final. J’aurais donc aimé avoir encore plus le regard des Xiaomi car elles ont un petit quelque chose de Dark Angel quand elles viennent bouleverser cet ordre établi et lancer un coup dans la fourmilière en se transformant en arme surprenante.
Récit proche de nous et pourtant récit plein de surprise, en alliant thriller techno et anticipation écolo, L’île de Silicium vient percuter le lecteur tout comme il percute son héroïne. Récit lent et immersif au début, il devient tranchant et incisif dans sa seconde partie avec une course à la survie qui prend aux tripes et un traitement des déchets comme un traitement des humains qui doit questionner. Un joli choix pour démarrer une future collection d’Imaginaire, qui je l’espère continuera d’interpeler.
(Merci à Rivages pour cette lecture !)
> N’hésitez pas à lire aussi les avis de : Sometimes a Book, Le nocher des livres, Maki, Stelphique, Vous ?
La couverture est clairement intrigante ! Et en plus de ma curiosité suscitée par cet objet devenant parasite, les thématiques évoquées m’intéressent que ce soit cette question mondiale des métiers abrutissants ou des questions plus nationales comme la place des femmes en Chine.
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Un titre effectivement assez riche, qui a de nombreux atouts pour plaire du coup 😉
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J’avoue être passée à côté de ce titre ET à côté de la création de cette collection chez un éditeur que j’apprécie.
Bonne nouvelle :-), je vais me le procurer afin de soutenir ce nouveau départ.
Le titre a l’air intéressant, et j’imagine que l’héroïne ne s’appelle pas Xiaomi par hasard …
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Je suis bien d’accord pour le côté brutal de certains épisodes. Et je trouve que la moitié finale du récit part un peu vite dans la frénésie, genre récit catastrophe avec mécha et typhon, en laissant de côté les sentiments de Xiaomi, dont on ne s’occupe pas vraiment, malgré l’horreur de ce qu’elle a subi.
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Tu as raison, on délaisse un peu trop la psychologie pour un final plutôt explosif. Mais clairement , c’est prometteur et ça donne envie de lire l’auteur sur d’autres textes 😉
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Un bon roman pas facile à lire !
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Exigeant mais passionnant, tu as raison !
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