Titre : Les Premiers de leur siècle
Auteur : Christophe Bigot
Éditeur : La Martinière / Points (grands romans)
Année de parution : 2015 / 2016
Nombre de pages : 360
Histoire : En entrant sur le conseil de son oncle dans l’atelier d’Ingres, le jeune peintre allemand Henri Lehmann (1814-1882) a-t-il vendu son âme au diable ?
Quand ce maître génial mais tyrannique prend la direction de l’Académie de France à Rome, Henri, subjugué, décide de l’y rejoindre. C’est là, dans les salons enchantés de la Villa Médicis, qu’une autre rencontre va bouleverser sa vie : celle de Marie d’Agoult et de Franz Liszt.
Témoin fasciné de l’agonie de leurs célèbres amours, parrain dévoué du dernier rejeton du couple, bientôt homme à tout faire de la terrible comtesse, Lehmann sacrifie progressivement toutes ses ambitions personnelles et artistiques à la gloire des « premiers de leur siècle ».
A travers les mémoires de ce personnage spleenétique devenu un peintre académique raté et aigri, c’est toute une époque qui se trouve ressuscitée, avec ses grandeurs et ses bassesses, ses débats mystiques et ses ragots d’alcôve, ses querelles esthétiques et ses révolutions avortées.
Sur sa route, Lehmann croise Delacroix, Sainte-Beuve, Chassériau ou encore Stendhal. Mais la vitalité de ces grands hommes confine au monstrueux, et en se rapprochant d’eux, Henri se laisse peu à peu dévorer. Ce roman, fresque intime du romantisme, est aussi une méditation lucide sur les difficultés à concilier exigence morale et génie. « Comment expliquer que ceux qui tiennent le premier rang parmi les hommes de leur temps se montrent si souvent amis ingrats, amants infidèles ou parents indignes ? Quels liens entretiennent, dans les cuisines enterrées de la création, l’aspiration au beau idéal et les passions les plus tristes, les penchants les plus égoïstes, les appétits les plus vulgaires ? Faut-il croire que les forces nécessaires à la fabrication d’un chef-d’oeuvre suffisent à assécher le coeur et à ruiner le bon sens utile à une conduite décente dans les rapports privés ? »
Mon avis :
Après notre découverte enchantée du Château des Trompe-L’oeil, impossible pour Steven et moi de lâcher de sitôt Christophe Bigot qui avait si bien su ressusciter l’époque révolutionnaire et offrir une surprenante histoire intime. Nous avons donc logiquement choisi son roman se passant dans la période suivante : le XIXe siècle pour poursuivre. Dans un style totalement différent, l’auteur a une nouvelle fois convaincus !
Christophe Bigot est vraiment un auteur qui sait enfiler différents costumes sur une même variation. Il nous offre, en effet, à nouveau de suivre un héros narrateur qui, subjugué par son sujet, va peu à peu s’effacer derrière tout en nous apportant, à nous lecteurs, une riche documentation historique passionnante et une histoire bouleversante.
Comme précédemment, je suis très facilement entrée dans l’histoire, grâce à la plume on ne peut plus accessible de l’auteur, alors même qu’il truffe son récit de nombreuses références artistiques, historiques et littéraires pour faire revivre cette époque, ce à quoi il réussit à merveille. Il nous plonge, en effet, dans un XIXe siècle plus vrai que nature que nous allons traverser aux côtés d’un artiste peintre quasiment oublié qui fut pourtant un élève d’Ingres et un peintre reconnu à son époque : Henri Lehmann. Le Musée Caravalet lui a d’ailleurs consacré une rétrospective que l’auteur cite en source. Et des sources, on sent bien que Christophe Bigot s’en est nourri de nombreuses pour faire revivre cette époque. J’ai dû faire cette lecture le téléphone à la main pour confronter ses écrits à la réalité historique et tenter de dénicher peut-être les inventions, mais je n’en ai pas trouvé. Chaque artistes cité, chaque oeuvre citée a existé. J’ai ainsi adoré mettre des images sur les tableaux invoqués et parcourir, même brièvement, les biographies des personnes croisées. J’ai à nouveau appris ou redécouvert énormément de choses.
Aux côtés de son héros, nous revivons l’histoire d’un groupe d’artistes, celui qui tournoie autour d’Ingres, célèbre peintre classique du XIXe qui a du mal avec la modernité et les changements apportés par certains de ses contemporains. C’est le regard émerveillé que j’ai découvert comment vivait ce petit monde, entre histoires d’atelier, rivalités d’artistes, critiques plus ou moins bien reçues, riches commandes, arts qui se croisent et histoires plus personnelles. Le narrateur s’efface totalement derrière elles. Très vite on suit son parcours en deux coups de crayons mais on se passionne plus pour les liens qu’il va nouer, avec Ingres d’abord, puis avec Liszt et sa compagne Marie D’Agoult, femme tellement atypique. C’est cette dernière qui animera vraiment l’oeuvre à travers sa relation adultère assumée avec Liszt, les enfants naturels qu’ils auront et le destin de ces derniers.
Roman historique d’une époque, il célèbre le spleen à la Baudelaire, le romantisme à la Musset, et on croise énormément de figures connues et d’autres plus méconnues : d’Ingres, en passant par Liszt, Chopin, George Sand, Delacroix ou Chassériau… Le portrait de cette époque, de l’évolution du rapport à l’art, de l’évolution de la peinture elle-même, du fonctionnement des ateliers et des salons artistiques, tout cela est très intéressant. J’ai cependant longtemps eu l’impression d’être moi-même un peu trop spectatrice et d’être du coup dans une histoire classique à défaut d’être sensible. C’était riche, intéressant, instructif, mais il me manquait quelque chose.
Ce quelque chose est heureusement arrivé dans le dernier tiers lorsque l’art lui-même finit par s’effacer peu à peu devant les vies complexes de ces artistes où les méandres sentimentaux et familiaux qu’ils vivent contrastent avec leur peinture si bien ordonnées. Suivre les soubresauts de la vie de la Comtesse d’Agoult et la relation non moins compliquée que le narrateur, Henri Lehmann, entretient avec elle fut ce qui a donné vraiment corps à l’histoire et lui a permis de dépasser le simple stade de récit d’une époque, aussi riche et intéressante soit-elle. C’est dans leurs rapports à chacun avec leurs enfants au sens propre et figuré que mon coeur a vraiment battu et que j’ai enfin trouvé le petit truc en plus qui manquait jusqu’alors au récit.
Malgré un petit côté plus classique que Le Château des Trompe-L’oeil, Les premiers de leur siècle fut une lecture d’une très belle maîtrise de bout en bout avec un décor historique riche et passionnant où j’ai aimé me perdre au milieu de ces artistes à la petite vie encore plus tortueuse que leurs oeuvres. Nous ne sommes pas prête de quitter Christophe Bigot avec mon cher Steven. Rendez-vous très bientôt avec ses romans révolutionnaires 😉
> N’hésitez pas à lire aussi les avis bien plus pointus de : Steven, Vous ?
Et bien je vois que nous avons de nouveau été sensible aux mêmes émotions concernant cette dernière lecture. Comme toi, j’ai été fasciné par la galerie de portraits peints à travers toutes ces mondanités et ce snobisme, croustillant à se mettre sous les yeux !
Je suis plus que ravi de continuer l’aventure dès le mois prochain en ta compagnie.
J’aimeAimé par 1 personne
Effectivement nous sommes au diapason, ce qui montre bien les qualités universelles du titre ^^
Hâte d’y retourner surtout à l’époque révolutionnaire, une de mes préférées !
J’aimeAimé par 1 personne
Vous semblez avoir passé tous deux un très bon moment avec ce roman riche et instructif qui semble donner vie à toute une époque. Je dois d’abord lire Le Château des Trompe-L’oeil, mais si j’accroche au style de l’auteur, je tenterai avec plaisir ce titre qui devrait se révéler des plus instructifs !
J’aimeAimé par 1 personne
Alors bonne future découverte.
J’ai une petite préférence pour le château qui a su faire vibrer ma corde fan de surprises ^^
J’aimeAimé par 1 personne
Etant aussi fan de surprises… 🙂
J’aimeAimé par 1 personne
J’ai beaucoup aimé Le Château des trompe-l’oeil mais je n’ai pas eu l’idée de jeter un oeil sur la bibliographie de l’auteur. Pourtant, vu les thèmes de ce livre, ça pourrait vraiment me plaire, j’aime beaucoup ce siècle littéraire.
J’aimeAimé par 1 personne
C’est grâce à Steven qu’on y a jeté un oeil de moi-même je n’aurais pas regardé non plus et à tort !
J’aimeJ’aime