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Le Péché originel de Takopi de Taizan5

Titre : Le Péché originel de Takopi

Auteur : Taizan5

Traduction : Manon Debienne et Sayaka Okada

Éditeur vf : Pika (shonen)

Année de parution vf :  2023

Nombre de tomes vf : 2 (série terminée)

Résumé : Takopi est un petit extraterrestre arrivé tout droit de la planète Happy, pour répandre la joie sur Terre ! Sauf que la première personne à lui tendre la main est Shizuka, une fillette au visage infiniment triste… Aussitôt, Takopi se donne pour mission de lui rendre le sourire à l’aide de ses fantastiques « happy gadgets » ! Mais le petit alien est loin d’imaginer la noirceur de l’environnement dans lequel évolue l’écolière. L’innocence et la bonne volonté de Takopi vont peu à peu l’entraîner dans une situation inextricable… Jusqu’à ce que le pire se produise.

Mon avis :

Tome 1

Je me méfie toujours un peu des titres présentés comme des « phénomènes », je me demande toujours si ce n’est pas un simple coup marketing. Je me méfie toujours un peu aussi des séries choc qui se veulent dénonciatrices des faits de société comme le harcèlement ou la violence car c’est parfois plus racoleur que juste. Mais j’ai été surprise, Takopi n’est tombé dans aucun de ces écueils !

Série courte, terminée en 2 tomes, la première bonne surprise, Takopi est l’oeuvre du jeune mangaka Taizan 5 qui officie ici sous pseudonyme, chose de moins en moins courante pourtant de nos jours. Il nous propose ici un récit mélangeant SF et réalisme cru sur le thème connu du harcèlement scolaire et des violences faites aux enfants : une réussite pourtant non évidente au départ.

Des mangas sur le harcèlement scolaire et les violences subies par les enfants, il y en a pléthore au Japon et même chez nous en France, ce n’est plus quelque chose de méconnu et c’est donc plus difficile d’innover en la matière. Pourtant, Taizan 5 a essayé ici d’apporter quelque chose de neuf avec cette histoire racontée à travers le regard d’un jeune alien arrivant sur Terre depuis sa planète, qui se nomme Happy, avec pour mission de rendre les gens heureux. Cela crée un savoureux décalage porté par ce regard naïf qu’il pose sur tout et qui nous amène à trouver encore plus frappant et choquant ce à quoi il assiste. 

Je n’ai cependant pu m’empêcher de retrouver dans cette lecture des inspirations venues d’ailleurs. Il y a un brin de Magical Girl à la Creamy et de shonen humoristique fantastique à la Doreamon dedans avec les « Happy gadgets » du héros. Il y a du Mohiro Kitoh (Bokurano, NaruTaru) avec cette créature extraterrestre mais qui prend à contre pied ses prédécesseurs par sa bonté. Et il y a bien sûr du Keiko Suenobu avec son Life, manga coup de poing sur le harcèlement scolaire qui avait tellement fait parler de lui à l’époque. Takopi est un peu la synthèse de tous ces titres.

Alors en quoi est-il différent ou nouveau ? Il ne l’est pas réellement mais il sait allier tout cela pour créer une histoire bouleversante. D’abord présentée à distance, de qui permet de supporter tout ce à quoi on assiste, l’histoire est peu à peu vécue de manière plus rapprochée, plus intime et cela se sent, le ton change, et on est de plus en plus touché.

Qu’est-ce qui vient nous toucher, nous bouleverser ? Le destin de ces petites filles, qui à cause des décisions pourries de leurs parents, voient leur vie bouleversée voire niée. Oui, on pourra dire que les événements décris ici sont un brin excessifs, qu’on les connaît déjà, mais ils touchent tout de même. C’est rude de voir une enfant comme Shizuka harcelée à ce point à l’école sans que personne ne fasse rien (spoiler : c’est malheureusement une réalité qui existe au Japon mais pas la seule réalité / vérité). C’est difficile à avaler que c’est notamment dû à la situation conflictuelle de nombreux adultes de son entourage et de celui de sa harceleuse (spoiler : il y a ce genre de famille dysfonctionnelle partout, j’en ai régulièrement dans mon travail, dans mon école, avec demi-soeurs / frères issu(e)s du même père avec un an de différence dont les mères se croisent avec hargne à la sortie...). Tout cela sonne juste et ça fait mal.

Mais ici, le procédé choisi par l’auteur pour en parler est judicieux. Il crée d’abord une distance grâce au regard neutre et naïf de Takopi avant de nous rapprocher et nous impliquer grâce à un twist rude et brutal survenant de manière totalement inattendue qui va mettre la créature au centre de l’histoire. Ainsi sous ses allures de petite chose mignonne qui veut bien faire, Takopi va être l’élément agitateur de l’histoire, celui qui va apporter troubles et lumière. Sa lumineuse relation avec Shizuka émeut mais les troubles qu’il apporte à cause de sa trop grande naïveté va encore plus profondément la faire plonger. Une alternance entre ombre et lumière qui prend aux tripes. 

Le dessin de Taizan souligne tout cela. Il entre en écho avec la créature qu’il a imaginée. Avec ses rondeurs enfantines, il suggère quelque chose de doux, très vite rompu par les traces de coups et les gouttes de sang perçu, ce qui nous impacte d’autant plus, car cela rompt brutalement avec cette douceur qu’on associe à l’enfance et ça fait d’autant plus mal. A l’image de l’histoire qui casse les codes, le dessin en fait de même et surprend. 

Premier tome efficace, rondement mené, on comprend en le lisant comment le titre a pu bouleverser bien des lecteurs. Il serait cependant judicieux de s’interroger sur la nécessaire répétition de tels titres : ne serait-il pas temps que la justice et la société se bougent plus pour empêcher de telles situations ? Ne faudrait-il pas mettre plus de moyens dans la protection des enfants ? Les thèmes abordés ici font mal et ils le font car ils rappellent bien trop la réalité sous ce mélange réussi de SF et de thriller de société. Il serait temps que ça serve et que ça change.

> N’hésitez pas à lire aussi l’avis de : L’Apprenti Otaku, Floriane, Vous ?

Tome 2

Sorti en même temps que son premier tome pour que nous puissions judicieusement avoir l’histoire complète en une fois, ce second tome bouscule et percute encore plus que le premier, chamboulant totalement le lecteur et l’invitant à s’interroger sur la notion de bonheur et ce qu’il doit faire pour l’atteindre.

Série présentée comme un phénomène par son éditeur, si le terme est un peu galvaudé, force m’est de reconnaître qu’effectivement en refermant ce volume, j’ai été chamboulée par l’histoire de Shizuka, Marina et Azuma, ces trois enfants aux parents qui dysfonctionnent, ce qui a de graves conséquences sur leur vie d’enfant. Certes, le ton de l’auteur est volontiers provocateur et excessif mais la morale est là, nécessaire, et c’est ce qui compte.

Ce second tome fut un peu plus complexe à lire. J’ai cru un temps qu’il était même un peu plus brouillon du fait de son absence de linéarité et des agitations qui l’occupent, mais c’est qui l’a rendu d’autant plus fort. On ne suit plus un seul narrateur, mais plusieurs qui se succèdent. On entend ainsi également la voir d’Azuma et celle de Marina par un intermédiaire inattendu. Cela change tout, l’histoire prend une toute autre épaisseur.

Plus qu’une histoire de harcèlement à l’école, ce qui est quand même bien présent, ce sera donc l’histoire de trois enfants et trois familles avec des portraits de parents qui font mal. On a une mère qui met trop la pression à son enfant avec Azuma. On a un couple qui se sépare dans la douleur avec Marina et une mère qui se raccroche trop à sa fille, ce qui tourne mal. Et on a un père qui a probablement mené une double vie et a ainsi une double famille avec Shizuka. Comment voulez-vous que les enfants n’aillent pas mal ?

Si j’ai aimé les dénonciations faites ici, j’ai quand même trouvé le ton volontiers excessif. Autant pour Azuma, j’ai trouvé une certaine justesse chez ce garçon fragile qui veut toujours plaire et répondre aux attentes des autres, autant chez les filles, j’ai eu plus de mal, en particulier avec Shizuka. L’auteur va très loin pour montrer à quel point elle est amochée par ses expériences, ce qui la transforme indéniablement. C’est également le cas pour Marina. Et j’ai trouvé cela un peu too much, même si la pirouette finale rétablie cela, de même que la petite surprise narrative de ce tome. 

C’est donc plus dans le message sur la quête du bonheur que je me suis attardée. J’ai trouvé assez fort de la part d’un auteur de ne pas être dans la destruction du mal à la racine en quelque sorte mais dans le contournement de celui-ci pour quand même réussir à vivre sa vie. Il explique avec force qu’on ne peut pas lutter contre les saletés que la vie nous réserve, qu’on ne peut pas changer les autres, mais que c’est à soi de s’adapter et de trouver comment contourner cela pour trouver sa propre forme de bonheur. Ainsi, il ne transforme pas ces adultes dysfonctionnels d’un coup de baguette magique, non, il fait juste grandir ces enfants, en leur apprenant à compter sur d’autres personnes, leurs amis, leur frère, en s’ouvrant, en osant parler et dire quand ça va ou ne va pas. J’ai apprécié ce message moins bisounours que ce que j’attendais. C’est bien joué !

Oeuvre au final assez atypique, Takopi a su me surprendre par la façon dont l’auteur est finalement arrivé à sa conclusion après bien des détours. C’est souvent touchant, parfois excessif mais résolument percutant et indéniablement juste au final. Taizan 5 offre sa propre recette pour atteindre le bonheur, une recette piquante mais non dénuée de douceur qui demande travail et renoncement. Une belle surprise !

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17 commentaires sur “Le Péché originel de Takopi de Taizan5

  1. J’ai craqué pour le coffret sans m’attarder sur le fond mais en te lisant, je me dis que j’ai bien fait. Si on occulte le côté too much du deuxième qui semble néanmoins t’avoir convaincue, cette duologie semble poignante. Cette sorte de regard naïf dans un environnement difficile m’avait beaucoup plu dans Mon amie des ténèbres, mais ici, il paraît prendre une tout autre dimension.

    Aimé par 1 personne

  2. J’étais passé à côté de ton article, mais je suis quand même rassuré de voir que quelques personnes ont trouvé le titre de qualité. Parce qu’avec tous les déçus, je commençais à me dire que j’étais bizarre de l’avoir trouvé très intéressant !

    Aimé par 1 personne

      1. J’en étais déjà convaincu pour certains, mais même des gens me semblant disposer de sensibilité ont été déçus !

        Moi par contre ça m’a questionné sur un point, car j’ai eu le sentiment d’avoir plus d’empathie pour le chien que pour les enfants 🤣

        Aimé par 1 personne

  3. Je viens de lire les 2 tomes, c’est assez dur à lire, et l’auteur dénonce beaucoup de sujets en 2 tomes (harcèlement scolaire, violences familiales, pressions sociales, inaction des adultes etc..) d’autres mangas ont également abordé un de ces thèmes (Nijigahara holograph et Bonne nuit PunPun d’Inio Asano, le manga Mauvaises Herbes, my Capricorn Friend etc..) mais ils n’abordaient pas forcément tous les thèmes dans une série aussi courte.
    Malgré tout, les sujets sont bien abordés, avec finesse on entre doucement dans le calvaire, et beaucoup de choses sont suggérées mais nous mettent vite dans un profond malaise.
    J’ai adoré la fin, une belle conclusion, qui peut paraître un peu facile, mais qui montre qu’au final on partage tous des choses communes.

    Graphiquement, ça allait, sans être exceptionnel, mais j’ai adoré les détails des intérieurs des maisons qui montrent rapidement la situation familiale de la famille.

    Aimé par 1 personne

    1. Oui c’est assez fort de le faire en si peu de pages, les autres étaient plus long.
      Je confirme, les dessins sont largement perfectible. C’est peut-être justement en ça qu’une expérience comme les titres d’Asano est différente.
      Je note My capricorn Friend que je n’ai jamais lu.

      J’aime

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