
Titre : Unlucky Young Men
Auteurs : Kamui Fujiwara et Eiji Otsuka
Editeur vf : Ki-Oon
Année de parution : 2016
Nombre de tomes : 2 (série terminée)
Résumé du tome 1 : Tokyo, 1968. Les mouvements étudiants tournent à l’émeute et l’agitation gagne le Japon. Pour essayer d’échapper à son lourd passé criminel, Norio Nagayama rejoint la capitale dans l’espoir d’un nouveau départ. Au Village Vanguard, bar jazz dans lequel la jeunesse révolutionnaire nipponne a ses quartiers, il fait la connaissance de Takeshi Kitano, un jeune comique raté qui tente de faire carrière dans le cinéma. Le grand projet de Takeshi : Unlucky Young Men, un scénario qu’il a rédigé, véritable chronique d’une génération japonaise désabusée et prête à tout pour réaliser ses rêves. Afin de financer la production du film et d’assurer leur avenir, les deux jeunes hommes vont planifier l’attaque d’un fourgon transportant 300 millions de yens…

Mes avis :
Tome 1
Je voulais lire ce titre depuis que j’ai découvert Mishima Boys du même auteur en début d’année. Les deux titres sont les deux faces d’une même pièce. Ils parlent tous les deux du Japon des années 60, un Japon ébranlé par le terrorisme et les révoltes étudiantes où se cotoient de grandes figurines de la littérature comme Yukio Mishima ou Kenzaburo Oe qu’on croise d’ailleurs dans U.Y.M. Ce contexte lourd et sombre est le cadre parfait pour le récit d’Eiji Otsuka. Cela lui permet de faire un tableau sans concession du Japon d’alors à travers la célèbre affaire du vol des 300 millions de yens. On sent vraiment que lui et Kamui Fujiwara se sont très bien documentés sur la période pour ainsi nous livrer cette « fiction-réalité ». Cependant pour le lecteur néophyte qui connait peu l’Histoire récente du Japon, c’est parfois compliqué à suivre. On sent qu’il y a tout un tas d’éléments sous-jacents qu’on ne fait que percevoir mais qu’on ne comprend pas, qui nous passent à côté. C’est dommage.
Contrairement à Mishima Boys, j’ai tout de même trouvé ce titre bien plus facile d’accès. La narration est simple et fluide. On suit l’histoire de T et N sans la moindre difficulté. On comprend assez bien le monde démoralisant dans lequel ils vivent et cette envie qu’ils ont de voir les choses s’améliorer tout en étant découragés et en ne se sentant pas la force de le faire. Cela fait plutôt bien écho avec le monde actuel alors c’est une bonne idée de l’avoir sorti maintenant. J’ai beaucoup aimé tout le travail fait pour les auteurs sur la reconstitution de l’époque et de son ambiance. On sent bien le côté glauque des organisations de jeunes, on sent bien la corruption des flics, on sent bien combien la société est démoralisée et comment tout part à vau-l’eau. L’ambiance est pesante tout comme le graphisme avec ses noirs intenses. On se sent à mi-chemin entre le polar, le film noir et le thriller. Le glissement entre la petite vie pas si tranquille de N au début et ses implications avec un groupe communiste extrémiste qui se fait manipuler par une barjot est prenant mais glaçant. Je n’ai absolument pas vu le temps passer sur ces 357 premières pages.

Tome 2
Ce second tome est tout aussi puissant si ce n’est plus que le premier. Il montre vraiment toute la désespérance de cette génération post-guerre. Les mangakas font ainsi la critique du bombardement atomique, du post-Hiroshima, de l’occupation américaine, de la responsabilité de l’Empereur et du peuple japonais, … C’est très riche et ça m’a vraiment donné envie de me pencher sur cette période de l’histoire japonaise. A cela se mêle le destins de ces Unlucky Young Men. On découvre ainsi le passé de N dont la famille a vraiment beaucoup souffert et les auteurs ont eu une riche idée d’en profiter pour faire la critique du Japon d’avant la Seconde Guerre Mondiale. Certes tout n’est qu’effleuré puisque c’est à des visées narratives et que ce n’est pas le coeur de ce titre mais c’est très intéressant. J’ai également apprécié suivre les traces de T qui comme il le dit s’est retrouvé tellement subjugué par N que les rôles ont été inversés. C’est amusant et perturbant à la fois de le voir remonter à la trace la vie de N. Mais les plus perturbants sont probablement les personnages féminins dont la folie douce est palpable. Les deux Yoko sont fragiles psychologiquement et pourtant elles savent aussi se montrer très forte vis-à-vis de leurs convictions. Je les ai trouvées assez glaçantes au final dans leur façon de changer brusquement d’avis et surtout de manipuler froidement leur petit monde.
Du point de vue de la narration, c’est toujours aussi impeccable. L’histoire est complexe et se suit pourtant très facilement. C’est fascinant de suivre leur groupe au milieu de cette période si trouble, qu’on nous rappelle souvent à travers le personnage de Mishima. La fiction et la réalité se mêlent à merveille au point qu’il est difficile parfois de distinguer l’un de l’autre. J’ai beaucoup aimé la lente montée de l’intrigue dans ce dernier tome jusqu’à la scène de rupture qui met un terme au petit groupe. Les adieux entre N et T sont aussi très bien mis en scène. Il y a un vrai travail dans la narration et la découpe des cases encore plus fort que dans le premier tome.
Mon seul regret sur ce titre est l’absence d’un vrai appareil critique pour nous éclairer sur la période et nous donner des clés de compréhension plus complètes que celles des brefs mots des auteurs à la fin de chaque tome.
Ma note : 16,5 / 20

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