Livres - Contemporain

La Légende des filles rouges de Kazuki Sakuraba

Titre : La légende des filles rouges

Auteur : Kazuki Sakuraba

Traduction : Jean-Louis de la Couronne

Éditeur vf : Folio (poche) / Piranha (grand format)

Année de parution vf : 2021  /  2017

Nombre de pages vf : 475

Histoire : À travers l’histoire de trois générations de femmes japonaises, Kazuki Sakuraba livre une saga familiale empreinte de réalisme magique, entre tradition et modernité.
Lorsqu’une fillette est retrouvée abandonnée dans la petite ville japonaise de Benimidori en cet été 1943, les villageois sont loin de s’imaginer qu’elle intégrera un jour l’illustre clan Akakuchiba et règnera en matriarche sur cette dynastie d’industriels de l’acier. C’est sa petite-fille, Toko, qui entreprend bien plus tard de nous raconter le destin hors du commun de sa famille. L’histoire de sa grand-mère, femme dotée d’étonnants dons de voyance, et celle de sa propre mère, chef d’un gang de motards devenue une célèbre mangaka, dont le succès permettra de sauver la famille du déclin dans un Japon frappé de plein fouet par la crise de l’industrie industrielle.

Mon avis :

J’ai lu pas mal de littérature japonaise ces derniers mois, mais plutôt des titres doux, feel good, avec parfois une jolie âpreté mélancolique mais des histoires plutôt simple. Avec La Légende des filles rouges, c’est un tout autre texte que j’ai eu sous les yeux, une fresque familiale qui m’a fait traverser les décennies d’après-guerre du Japon et qui m’a passionnée.

Enfant déjà, j’aimais beaucoup les fresques familiales. J’aimais regarder ces feuilletons estivaux où on suivait les destins de familles compliquées remplies de drames. J’ai un peu retrouvé cette ambiance ici dans le texte de Kazuki Sakuraba,, autrice apparemment très connue au Japon à la fois pour ses romans pour adultes salués par la critique et pour le manga Gosick, que je trouve passable pour ma part avec sa fascination mal digérée pour le gothique lolita. Surprenant.

Ici, elle nous offre un texte très simple et pourtant terriblement efficace. Découpé en trois parties, il nous invite à suivre le destin des femmes de la famille Akakuchiba sur trois générations, trois femmes qui seront très différentes et trois parties également avec chacune leur personnalité. J’ai ainsi eu ma préférence pour l’une d’entre elle et j’ai senti à l’inverse une faiblesse dans une autre qui m’a moins plu, mais dans le global, j’ai trouvé l’idée fort belle et intéressante. En effet, en suivant Man’yo, puis sa fille Kemari et la fille de celle-ci Tôkô, c’est à la fois l’histoire de la famille Akakuchiba, propriétaire d’une usine de sidérurgie, et l’histoire de ce Japon d’après-guerre en pleine mutation qu’elle va nous offrir de l’intérieur, de la province et non pas de Tokyo, et ce fut passionnant.

J’ai beaucoup aimé son portrait des femmes de la famille, car le récit sera avant tout matriarcal. Man’yo est une orpheline qui attirera le regard de la matriarche de la famille pour son fils. Elle a des pouvoirs « de vision » et sera marqué tout au long de sa vie par cela. C’est une femme effacée et pourtant omniprésente qui trouvera sa place dans cette drôle de famille avec ce mariage arrangé, auprès d’un époux qui couche avec l’une de ses domestiques, et avec quatre enfants très différents, dont on suivra avec fascination la venue au monde à chaque fois. Je l’ai trouvé émouvante dans sa position de femme charnière, celle ayant vécu dans un Japon vraiment reculé et en retrait, avant de se confronter brutalement à la modernité qui peu à peu surgit. Sa fille, Kemari, est un autre portrait de femme qui vient puissamment nous percuter. L’autrice nous décrit un destin incroyable avec elle, celui d’une fille pleine de révolte, loubarde qui va monter un gang de motarde, avant de se découvrir une autre passion suite à un double drame personnel. Son feu, sa colère, m’ont brûlé. Ce fut une héroïne difficile à aimer et pourtant terriblement attachante, tâchant de se défaire sans succès des chaînes de sa famille. Ainsi, passant après deux femmes au destin aussi imposant, Tôkô et l’histoire qu’elle porte, un mystère à résoudre, m’ont semblé plus fade et j’ai moins aimé sa partie. Jeune femme de notre époque, elle a moins de défis à relever que ses prédécesseures.

En tout cas, chaque partie a été soigneusement écrite pour avoir sa propre identité. Il y a une allure très terroir dans celle de Man’yo avec ses croyances et ses superstitions. Il y a un feu de révolte avec Kemari qui correspond bien au tournant que vit alors le Japon. Et plutôt une sorte de résignation et de regard en arrière ému avec Kôtô. Chacune a ainsi eu son charme, même la dernière qui m’a moins plu parce qu’elle s’est quand même conclue sur une très belle émotion lors du dévoilement du mystère porté par Tôkô. Cependant, je dois avouer que c’est l’histoire de Man’yo qui m’a le plus émue. Peut-être parce que c’est une marginale qu’on embarque dans l’histoire d’une grande famille et qui se cache presque honteusement parce qu’elle ne sent pas à la hauteur. Peut-être parce que c’est une femme qui va avoir trop tôt des visions dramatiques de son futur qui vont l’empêcher de s’épanouir, ne pensant qu’aux malheurs qui vont survenir devant elle. Peut-être aussi parce que c’est sur cette partie que repose notre rencontre avec cette famille d’une certaine élite provinciale et que c’est là qu’on s’attache à chacun grâce à la belle écriture des personnages réalisée par l’autrice, qui confère vraiment une identité à chacun et une belle diversité : syndicaliste, ouvrier, enfant abandonné, matriarche, garçon homosexuel, maîtresse, fils dans l’ombre de son père, fille en révolte, enfant illégitime… Il y a une belle brochette et chacun présente une belle nuance et un beau rôle dans l’histoire.

En plus, à travers les histoires faites de heurts et de peu de moments de bonheur, c’est l’histoire du Japon que j’ai suivi, celle de ce pays d’après-guerre d’abord en plein boom, avec ses usines qui tournent à fond, ici de sidérurgie, mais toujours avec un pied dans ses traditions ancestrales et un petit côté arriéré. Puis un Japon qui va être forcé de se transformer plus vite, qui va connaître la crise avec le Choc pétrolier, la mécanisation de l’industrie, les révoltes de la jeunesse, ses phénomènes de bosozuku (gang de motard(e)s), ses problèmes de prostitution lycéenne, etc. Et enfin le Japon de l’après-bulle, un peu estomaqué, sous le choc de ce qui eu lieu et qui regarde tendrement en arrière. L’autrice truffe son récit d’anecdotes et références savoureuses pour les amoureux d’Histoire comme moi. Elle m’a vraiment appris des choses et apportés parfois un autre regard. Enfin, il y a une partie consacrée à l’édition de mangas vu de l’intérieur par une autrice que j’ai trouvé super. J’ai aimé le vivre avec elle et je me dis qu’il y a peut-être une part de vécu ici de sa part.

Je savais partir dans une lecture plus âpre que d’habitude, j’ai aimé aller à la rencontre d’une fresque familiale très humaine et poignante me faisant voyager dans ce Japon provincial d’après-guerre au travers les destins de générations de femmes puissantes et touchantes qui ont survécu. C’était une écriture très terroir. C’était une écriture très féministe. C’était une écriture transgénérationnelle. Un très beau portrait familial.

> N’hésitez pas à lire aussi les avis de : Sophie, Aly, Ma lecturothèque, Belykhalil, Viduité, Brize, Vous ?

23 commentaires sur “La Légende des filles rouges de Kazuki Sakuraba

    1. Effectivement, tu avais bien aimé dis donc !
      Je trouve ce genre de texte, mi-fiction, mi-récit personnel et historique hyper intéressant pour découvrir de telles périodes.
      Si tu en connais d’autres, je suis preneuse 😉

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  1. Je ne connaissais pas ce titre, mais il pourrait tout à fait me plaire, même si j’avoue que le contexte du gang de motards me rebute un peu…

    Merci pour cette découverte 😉

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    1. Oui, vu tes lectures, je te vois bien le découvrir, même si je suis sûre que tu vas grincer des dents sur certains points lol Le reste compense largement, n’hésite pas à oser !
      Quant aux gangs de motardes, c’est pas non plus un truc ultra violent. C’est plus dans l’optique « on est amis à la vie à la mort » avec de belles virées en ville et quelques affrontements de gangs en mode bataille mais racontés de loin 😉

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  2. J’ai envie de m’intéresser davantage à la littérature japonaise (je prévois déjà de participer au challenge Un mois au Japon l’année prochaine, à moins que j’anticipe et que je fasse quelques lectures à l’automne pendant que mon fils séjournera là-bas). Je vais plutôt commencer par quelques titres doux et feel-good, justement, mais je note celui-ci pour plus tard, quand je me serai déjà un peu plus familiarisée avec le pays et sa culture. J’ai toujours aimé les sagas familiales et un récit matriarcal ne peut que me plaire !

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    1. Oh, il a trop de chance ton fils !
      J’espère que la décovuerte de cette littérature te plaira. J’ai commencé par des classiques pour ma part et j’avais eu un peu de mal avec. Puis j’ai basculé récemment vers le feel good et tranche de vie, j’ai adoré. Je commence aussi à peine à explorer les titres peut-être plus âpres et engagés.
      Bonne découverte !

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