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Meurtres dans le décagone de Yukito Ayatsuji et Hiro Kiyohara

Titre : Meurtres dans le décagone  

Auteurs : Yukito Ayatsuji et Hiro Kiyohara

Traduction : Patrick Honnoré

Éditeur vf : Pika (seinen)

Années de parution vf :  2022-2023

Nombre de tomes vf : 5 (série terminée)

Résumé : Un groupe d’étudiants, membres d’un club d’amateurs de romans policiers, partent en vacances sur l’île de Tsunojima. Ils vont résider dans le Décagone, un bâtiment à l’architecture surprenante créé par Seiji Nakamura, mort six mois plus tôt dans un incendie sur la même île. Mais une fois sur place, le groupe va faire une étrange découverte : de mystérieuses plaquettes où figurent les mots “victime”, “détective” et “coupable” semblent leur être destinées. Au même moment, une autre étudiante, ex-membre de ce club, reçoit une lettre… de la part du mort. Alors qu’elle essaie d’en savoir plus, elle fait la connaissance de Shimada, étudiant en théologie bouddhiste et, lui aussi, passionné de romans policiers et de mystères à résoudre. Une double enquête commence alors…

Mon avis :

Tome 1

Avec sa couverture très joliment travaillée pour capturer le regard du futur lecteur, Meurtres dans le Décagone interpelle : un beau jeune homme classe entouré de plantes sauvage avec une tache de sang sur la joue. Pas le survival auquel on pourrait penser, mais quelle histoire alors ? Un bon classique du roman policier revisité par un auteur japonais à succès.

Yukito Ayatsuji, l’auteur à l’origine du texte ici adapté en manga, est un romancier à succès spécialisé dans le polar. Meurtres dans le Décagone, publié en 1987, fut son premier roman et lança le mouvement du « roman policier néo-orthodoxe ». Depuis l’auteur s’est amusé à sortir toute une série de roman des « Meurtres dans… », mais il a aussi écrit plein d’autres romans comme Another, dont on connait aussi l’adaptation en manga. Et il a reçu également plusieurs pris comme le Grand Prix des écrivains de romans policier en 1992 ou celui de la littérature policière en 2018.

Pourtant quand on pénètre dans l’univers de Meurtres dans le Décagone, on peut se demander ce qu’il y a de nouveau. L’histoire semble tout droit inspirée des Dix petits nègres (Ils étaient 11) d’Agatha Christie avec ce huis clos dans une maison où un meurtre a déjà été commis et où se regroupent les meurtres d’un club de fiction policière de la fac. Le seul petit twist pour le moment est la présence, hors de l’île, d’un trio d’amis anciens membres qui enquête à leur tour sur l’histoire. Pour le reste ce ne sont que des ressorts dont la Reine du crime a déjà usé.

Les personnages quant à eux sont volontairement on ne peut plus caricaturaux. L’auteur leur conférant des caractères très forts pour se démarquer. Mais il est amusant de noter qu’on ne connaît de chacun que son pseudonyme et que celui-ci est tiré de l’auteur de romans policiers qu’ils admirent. Nous avons ainsi Ellery, le garçon de la couverture qui est très sûr de lui ; Carr celui qui est agressif en permanence ; Leroux le petit boute-en-train du groupe ; Poe la figure paternelle ; Agatha la belle fille sexy ; Orczy la binoclarde discrète ; et Van le malade chronique aux airs romantiques. On ne sait rien de leurs relations, tout est donc possible dans les trahisons à venir entre eux.

Tout cela m’amène à dire que nous sommes en présence d’un titre à ambiance. Le mystère qui va naître sur l’île au sein de la maison à la forme si particulière qu’ils vont habiter, n’est pas forcément des plus original. Il a déjà été écrit : ils sont enfermés, ils reçoivent clairement une menace, on ne sait pas qui en est l’auteur et ils se soupçonnent tout en réfléchissant également au meurtre qui a déjà eu lieu sur place. A l’extérieur, un peu sur le même modèle, leurs camarades ont reçu des lettres étranges, se soupçonnent également et soupçonnent les absents. Donc l’ensemble va mener l’enquête, du moins, c’est ce qu’on nous promet car pour l’instant nous sommes juste dans un tome d’installation fort bavard. 

En effet, malgré un dessin très fin et léché avec un design plutôt classe de chacun des personnages dans un trait moderne, la narration, elle, très classique est plutôt un frein à la lecture. L’auteur est trop bavard et rend les paroles de ses personnages assez lourdes à lire, sachant qu’en plus au final, ça n’avance pas vraiment pour le moment. Ça donne l’impression de personnages voulant se montrer intelligent mais ne l’étant pas encore forcément dans la pratique. Un peu de la poudre aux yeux, quoi.

J’ai apprécié l’ambiance à huis clos de ce premier tome, les promesses faites de futures tensions dans et hors de l’île grâce à un double point de vue. C’était amusant de suivre des personnages aussi stéréotypés portant le nom de leurs idoles. Mais pour le moment, c’est surtout de la mise en place et il ne se passe pas grand-chose. Ça ne m’a donc pas aidé à apprécier cette lecture que j’ai trouvé un peu trop lourde et bavarde pour ce qu’elle avait à dire au final. J’espère que la suite sera plus tendue et active surtout, avec une réelle utilisation des codes des auteurs de polar cités. Pour le moment, c’est on ne peut plus classique et pas forcément inspirant.

> N’hésitez pas à lire aussi l’avis de : Les voyages de Ly, Vous ?

Tome 2

Si vous avez lu le premier tome, vous retrouverez les mêmes qualités ou défauts selon comment vous l’aurez vécu dans la suite de ce huis clos meurtrier sur une île pas si déserte que ça.

Reprenant les mêmes ingrédients, les auteurs poursuivent sur le même rythme leur récit mystérieux de ce qui se déroule entre ces étudiants passionnés de crime sur l’île de Tsunojima où ils se sont rendus pour élucider un crime. La recette fonctionne toujours pour qui aimé enquêter et résoudre des mystères, les mangakas exploitant à fond le lieu si particulier où cela se déroule. Ainsi entre meurtres dans le décagone où ils logent, balades stressantes sur l’île, découverte de lieux secrets, tout est fait pour faire monter la tension et nous faire frissonner.

Le rythme est bon, les pages s’enchaînent fébrilement pour découvrir qui est derrière ces meurtres en série. Ces derniers se voient en plus agrémentés de nouvelles victimes, 2 dans ce tome qui ont des morts brutales et inattendues. Pour entretenir le mystère, on ne s’attarde pas trop sur les circonstances et on joue plutôt sur des schémas meurtriers issus des lectures qu’ils affectionnent tant. C’est à la fois rassurant et peut-être un peu facile, ce qui tue parfois le mystère et la tension. Pourtant, il y a de quoi s’inquiéter et le joli dessin très froid d’Hiro Kiyohara joue bien là-dessus.

Je regrette cependant de retrouver cette propension de l’auteur à être trop bavard aux mauvais moments. A force de vouloir tout expliquer, tout décortiquer, sans apporter d’originalité en plus dans ces moments, cela alourdit la lecture et rappelle juste combien il a pioché dans des oeuvres existantes sans réinventer l’eau chaude. Peut-être que certains aimeront ces références ou clins d’oeil, pour ma part, je les trouve trop appuyées et trop récurrentes, j’ai besoin qu’ils s’en détachent.

De la même façon, je trouve que l’enquête piétine un peu tant chacun cherche à faire le malin et à montrer sa spécialité. Les personnages sont du coup assez antipathiques pour la plupart et c’est surtout leur intellect qui nous intéresse et non leur personnalité ou leur charisme. Dommage pour ce type d’histoire où c’est souvent le caractère de l’enquêteur qui fait toute la saveur de l’histoire. Ici, c’est plus les crimes et le lieu où ils se produisent qui nous happent et nous tiennent en haleine.

De la même façon, je m’attendais à quelque chose de très sombre mais si beaucoup de choses sont dites et suggérées, peu de choses sont montrées, ce qui rend au final le titre assez soft, du moins plus que je ne l’attendais. On n’est clairement pas dans un MPD Psycho qui est l’un des summum du thriller stressant et gore avec des personnages archi flippant, pour moi. Ici tout est plus lisse et consensuel.

Sympathique polar jouant sur les codes littéraires du genre, Meurtres dans le décagone peine à prendre son envol mais reste solide en tant que récit d’enquête dans un lieu inquiétant où tout peut arriver. On se plaît à attendre le prochain crime et à chercher à comprendre comment cela a pu se passer, à défaut de qui a pu le faire pour le moment. Le final, en plus, offre une belle avancée. Il n’y a plus qu’à concrétiser cela !

Tome 3

Je trouvais que la série peinait un peu à décoller et ainsi une narration qui l’engluait, oubliez tout ça, avec ce tome 3, elle prend enfin son envol et c’est un régal !

Ambiance stressante à souhait, dans ce troisième volet, les auteurs par un savoureux jeu d’intérieur – extérieur élargissent le champ visuel de leur intrigue comme jamais et cela change tout. D’un huis clos qui tournait un peu en rond, on passe à une intrigue avec plus de ramification et donc de raisons d’avoir peur. Le mystère s’éclaircit mais pas la menace et celle-ci passe même à un niveau supérieur. On adore !

Sur l’île, nous avons droit à la découverte d’une partie du mode opératoire du tueur mais sans qu’on puisse l’en empêcher, ce qui fait augmenter la dose de frayeur ressentie. La preuve, certains plus fragiles commencent à craquer. Les corps pleuvent d’ailleurs dans les ultimes pages, ce qui est fracassant, surtout que l’un d’eux s’était peut-être approché d’une certaine vérité. Zut !

En dehors de l’île, leurs anciens camarades du club enquêtent et cela porte ses fruits. Ils découvrent une toute autre réalité sur ce qui s’est passé autrefois sur l’île et sur les liens que cela a avec une certaines familles. La tension et les questionnements montent. Mais qui est vraiment derrière tout cela et pourquoi. Est-ce la personne vers qui on nous oriente ou une autre qui nous surprendrait encore plus ? Les questions pleuvent.

Et je dois avouer que les très jolis dessins, entre beauté et froideur, d’Hiro Kiyohara contribuent bien à ce sentiment de malaise grandissant. Il y a une mise en scène qui semble être de plus en plus au scalpel avec une mise en garde contre la beauté qui pourrait cacher bien plus de noirceur, qui m’interpelle et me séduit. L’horreur et la tension gagne son trait qui offre des tableaux glaçants et morbides par moment, notamment quand on est sur ces fameuses pages à fond noir. J’adore !

Seul bémol et de taille : c’est quoi ce papier déjà tout jaunâtre choisi par Pika ? Je suis extrêmement déçue de ne pas pouvoir profiter des noirs et blancs profonds de l’oeuvre à cause de cela… C’était déjà le cas sur le tome 2 et je pensais que c’était une erreur, une anomalie, mais cela se répète ici, c’est donc un choix et je ne l’approuve pas V.V

Arrivée à mi-chemin, la série dévoile enfin son envergure et s’éloigne de cette narration trop explicative qui l’alourdissait. Alors tandis que des pistes se dessinent la tension monte et monte de la plus jolie et terrifiante des façons sous le trait acéré du mangaka. Cela devient un vrai plaisir coupable d’assister aux derniers instants des personnages et de suivre cette course contre la montre entre les survivants et le tueur potentiel. Un bien bon thriller au final !

Tome 4

Avec ses couvertures saisissantes et réalistes, Meurtres dans le décagone a vraiment l’ambition de revisiter les classiques des romans policiers. Si je suis un peu sur la réserve concernant ce point, force m’en de constater que c’est à chaque fois une lecture bien addictive.

Dans cet avant-dernier tome, l’auteur entreprend de commencer à associer les pièces du puzzle ensemble pour amorcer le début d’une piste vers une trame générale. Présenté avec brio et mystère, avec rythme et jeu de temporalité et de lieu, cela rend la lecture fort entraînante.

Un dernier meurtre a eu lieu. Il ne reste plus que trois survivants sur l’île dans le décagone qui s’interrogent sur l’identité du coupable qu’ils pensent être parmi eux. L’occasion pour nous d’un petit récap sur ce qui s’est passé jusqu’à présent, avec les possibilités de chacun de commettre ces crimes, afin de faire le point et d’essayer de dégager un potentiel coupable.

J’ai beaucoup aimé aller à la rencontre de cette recherche de nouveaux indices, de nouvelles théories, avec en prime une utilisation amusante de la géométrie des lieux. C’était entraînant même si peut-être un peu fainéant car cela offrait énormément de répétition et donc de scènes déjà écrites remises sur le devant de la scène, plutôt que d’en inventer de nouvelle. Mais cela a permis une belle montée en tension entre les trois derniers amateurs de romans policiers.

L’air de rien, c’est classique, mais on se retrouve pris au piège de leur narration et de leur rythme pour nous conter cette histoire et nous dévoiler les indices qu’ils découvrent. Leroux, qui mène un peu les instigations, est fascinant comme personnage. Il a un charisme inné et en même temps peut faire froid dans le dos. Je n’aurais rien contre l’idée qu’il soit complice de tout ça au final tant il me semble au coeur de tout. En tout cas, jusqu’au dernier moment je douterai et me poserai des questions car si les auteurs nous dévoilent des choses ici, dont un potentiel mobile et un potentiel modus operandi, j’ai l’impression que c’est un peu trop facile pour y croire. Il y aura de la tension et des mystères jusqu’au bout, je parie.

Alors que je décriais un peu la série à ses débuts, comme les héros, je me suis retrouvée piégée sur cette île à vouloir tenter de comprendre ce qu’il se passait. J’adore la façon logique et référencée dont l’enquête est menée. C’est astucieux, percutant et fascinant et même si on s’éloigne de ses inspirations, le titre s’offre lui-même comme un bel héritier aux polars classiques avec un touche de modernité faisant penser aux polars scandinaves. J’aime.

Tome 5 – Fin –

Ultime volume d’un bel hommage aux romans policiers. On peut dire que le duo d’auteurs m’a vraiment menée par le bout du nez, tant je me suis laissée prendre par leur procédé. Bravo à eux !

Tome d’explication, celui-ci lève le voile sur tous les mystères de l’affaire : mobile, procédés, identité du coupable. J’ai été très surprise de ce dernier que je n’avais pas du tout deviné alors que les indices étaient bien là sous nos yeux. C’est en cela que je salue l’ingéniosité des auteurs d’avoir ainsi inclus leur coupable au sein des scènes sans qu’on s’en rendent compte. Ce tour de passe passe était simple mais pourtant très efficace, la preuve. Mais je comprends ce que veut dire l’auteur sur l’impossibilité de le porter tel quel à l’écran sans quoi son identité serait trop vite dévoilée.

Le mobile, lui, est plus classique et au final il recoupe ce qui avait été annoncé depuis le début. C’est une triste et cruelle histoire de vengeance. Mais c’est plutôt la révélation finale sur ce dernier qui lui donne tout son sel, toute sa profondeur et sa dramaturgie, pour ce coupable qui ne s’est jamais rêvé en assassin mais l’a été par la force des circonstances. C’était terriblement triste au final, des deux côtés d’ailleurs.

Enfin, les procédés, la mise en exécution du plan, sont également simple mais efficace et sont repris dans le détail ici, permettant de revenir sur chaque mort et ses circonstances : les raisons, la façon de faire prévue, l’exécution finale. On voit tout ce qui nous a échappé, ce qui nous était caché et ce qu’on aurait pu voir. Ça donne envie de tout relire pour tout recouper comme un détective. Les astuces sont très simples mais particulièrement efficace et notre meurtrier ne s’est pas embêté, il s’est inspiré de ce qu’il connaissait, comme quoi la science des romans policiers peut être une mine pour des tueurs. Il y avait d’ailleurs, il y a longtemps, un criminel qui s’était ainsi inspiré des romans d’Agatha Christie pour commettre ses méfaits, c’est documenté.

Au final, voici un roman policier très bien adapté en manga, avec une belle science de la mise en scène et de la dramaturgie, faisant monter la tension et les craintes de chapitres en chapitres jusqu’à la résolution finale. C’était prenant, stimulant et angoissant. J’ai aimé ce final explicatif mais aussi dramatique et touchant, ces dernières pages qui collent le frisson et font terriblement mal au coeur pour les victimes et le coupable. C’était une histoire déchirante mise en scène richement, me donnant envie de retrouver les auteurs dans d’autres aventures.

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3 commentaires sur “Meurtres dans le décagone de Yukito Ayatsuji et Hiro Kiyohara

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