Livres - Mangas / Manhwa / Manhua

Le Château solitaire dans le miroir de Mizuki Tsujimura et Tomo Taketomi

Titre : Le château solitaire dans le miroir

Auteurs : Mizuki Tsujimura et Tomo Taketomi

Éditeur vf : Nobi Nobi (Genki)

Année de parution vf :  2023-2024

Nombre de tomes vf : 4 / 5 (en cours)

Résumé : Kokoro Anzai vient d’entrer au collège. Toutefois, elle ne s’y sent pas à sa place et vit recluse chez elle, incapable de mettre les pieds en classe. Un matin, alors qu’elle s’apprête à passer une nouvelle journée dans sa chambre, de la lumière émane de son miroir. Elle le traverse et découvre de l’autre côté un mystérieux château. Ils sont sept collégiens, avec elle, à avoir été invités par une « fille-loup » dans ce lieu qui renferme une pièce appelée la chambre des souhaits. Celui qui en trouvera la clé obtiendra le privilège de formuler n’importe quel voeu et de le voir exaucé… Adapté du roman best-seller multi-récompensé au japon, franchissez le seuil de l’étrange château pour y percer ses nombreux mystères, dans ce conte moderne haletant et terriblement addictif !

Mon avis :

Tome 1

Le thème du mal être à l’école, du décrochage scolaire ou encore du harcèlement, on commence à connaître dans les mangas, mais c’est peut-être la première fois que je le vois aborder avec l’originalité et les ambiances fantastiques du Château solitaire dans le miroir.

D’habitude quand on met en scène ces thèmes c’est plutôt de manière assez frontale et réaliste, mais ici Tomo Taketomi, en adaptant le roman de Mizuki Tsujimura, a fait un tout autre choix. Elle nous emmène dans un univers flirtant avec Alice au pays des merveilles et Battle royale, dans une histoire où une jeune victime, en traversant un miroir, va se retrouver dans un manoir où elle devra trouver une clé pour voir son voeu le plus cher se réaliser. Mais elle n’est pas la seule et elle devra « affronter » d’autres élèves en souffrance comme elle. 

Comme le promet la belle couverture signée Tomo Taketomi, le ton est assez doux et mélancolique, plus proche d’un fantastique étrange que violent, et pourtant les sujets le sont. L’autrice dévoile peu à peu ce que fut le quotidien de Kokoro qui l’a conduite à ne plus aller à l’école au grand dam de ses parents. Bien que ce soit désormais quelque chose de connu, c’est toujours aussi dur de voir se mettre en place les mécanismes d’un harcèlement en règle qui va détruire la vie de collégienne de cette petite pourtant si souriante et attachante autrefois. J’ai donc été touchée par son histoire.

Même si cela manque de nouveauté du côté des thèmes et du vécu de l’héroïne, j’ai été séduite par ce titre grâce aux choix opérés par les autrices. J’ai aimé d’abord le rythme assez lent et entêtant, qui ne fonce pas dans le trash et le vendeur, mais offre plutôt une respiration permettant de réfléchir à ce qui se passe et s’est passé. J’ai aimé qu’on nous montre des parents dépassés et une jeune victime à la dérive qui essaie mais n’y arrive pas. 

Mais surtout, c’est le choix d’introduire cette dimension fantastique que j’ai trouvé originale. Pour l’instant, ce n’est pas très poussé. On est juste en présence d’un lieu hors du temps dans lequel se rendent nos héros pour accomplir leur quête et peut-être voir se réaliser leur souhait. On ne connaît pas bien les autres personnages en dehors de Kokoro et certaines interactions mises en scène ne sont pas intéressantes, comme lorsque l’un d’eux se met presque à harceler romantiquement Kokoro. Mais il se dégage quelque chose de ces moments qu’on les voit passer ensemble, eux, qui ne réussissent pourtant plus à aller en cours. 

J’attends cependant pour les prochains tomes, il y en aura 5 en tout, que l’autrice développe chacun d’eux et qu’elle ne se contente pas d’une ambiance mystérieuse potentiellement dangereuse sans rien en faire. J’ai besoin de plus de grain à moudre et de plus d’émotion, ainsi que de vrais backgrounds et pas juste l’idée que l’héroïne se fait de chaque personnage. 

Je trouve cependant très intéressant que ce soit chez Nobi Nobi que le titre soit sorti, donc à destination d’un jeune public, potentiellement vivant les mêmes choses et qui j’espère trouvera ici un message positif pour l’aider à trouver des solutions et s’en sortir. Le tout dans un joli habillage entre modernité, rudesse et onirisme qui surfe sur les contes de notre enfance comme Le petit chaperon rouge avec une certaine curiosité.

Conte moderne au thème percutant dans un habillage onirique déstabilisant et entraînant, Le château solitaire dans le miroir est une belle façon d’aborder la douleur des victimes de harcèlement et décrochage scolaire. Avec un premier tome intriguant, il questionne le lecteur et lui donne envie de suivre et découvrir ce groupe d’enfants différents au mal être évident qui trouve ici un endroit où souffler et se retrouver malgré les mystères qui l’entourent. Je suis curieuse de découvrir la suite !

Tome 2

Avec l’actualité du moment, le harcèlement est vraiment un sujet phare (sans mauvais jeu de mots) mais ce n’est pas pour autant quelque chose facile à aborder avec les jeunes sans tomber dans le cliché et la pathos à l’excès, surtout du point de vue de l’adulte extérieur à cela. Je trouve donc vraiment pertinent que des titres aussi juste que Le Château solitaire existe pour se mettre à leur hauteur.

Peut-être l’un des meilleurs titres du catalogue de Nobi Nobi à l’heure actuelle, ce deuxième tome confirme et assoit tout le bien que je pensais de cette histoire où nous suivons un groupe d’ado qui se retrouve dans une drôle de grande demeure après avoir franchit un miroir. Leur point commun : leurs difficultés à l’école sous x ou y forme.

Après un premier tome introductif, je m’attendais à ce que le second développe les personnages encore peu vu, ce n’est pas vraiment à l’ordre du jour à part Ureshino qui a droit à son chapitre et Kokoro qui continue à tenir le rôle de l’héroïne. Cependant, malgré tout, j’ai passé un très beau moment de lecture, émouvant à souhait, qui m’a serré le coeur. Comment ? En écoutant ce que ces ados avaient sur le coeur et le courage qu’ils mettent à aller de l’avant.

J’ai trouvé très juste la façon dont les autrices traitent ici des problèmes psychologiques que rencontrent les adolescents. On ne pas encore tout, mais nous avons avec Kokoro quelqu’un qui a subi du harcèlement scolaire, avec Ureshima quelqu’un qui a subi des brimades, avec Rion quelqu’un que ses parents ont laissé seul, loin, en internat et avec Aki une collégienne qui sort avec un garçon bien plus âgé qu’elle. Tous ont des profils atypiques. L’occasion pour aborder la question douloureuse de la phobie scolaire et de la déscolarisation avec les deux premiers profils. Cela avait déjà était abordé en manga dans le poignant Cat Street, c’est à nouveau le cas ici, avec la même sensibilité, et la même célébration de ces institut permettant d’accueillir ces enfants pour qui l’école normale n’est plus adaptée.

Mais là où Cat Street montrait déjà la vie dans cet institut et comment ses « élèves » vivaient en dehors, nous sommes ici à l’étape précédente avec Kokoro qui ne parvient même pas à sortir de chez elle et j’ai trouvé cela encore plus poignant. Les autrices retranscrivent très bien ses peurs, l’impuissance de ses parents et le malaise qui gagne tout le monde. De la même façon, avec Ureshima, on est passé à l’étape supérieur avec un père l’obligeant à retourner en cours, ce qui est catastrophique vu que la violence escalade des deux côtés. Les mangakas montrent donc la difficulté à réguler ce phénomène.

Heureusement pour nous, il y a ce lieu refuge un peu hors du temps qu’est le château, tout n’y est pas rose, on y retrouve dans ce tome des tensions liées aux relations entre filles, d’autres liées au mal être de plusieurs d’entre eux qui imaginent ce que les autres pensent d’eux et spoiler : c’est négatif selon eux. Ce n’est donc pas simple non plus, cependant c’est un cocon et finalement, même par tout petit groupe, ils retrouvent peu à peu leur place et cela redevient un lieu d’échange et de repos pour eux. J’aime beaucoup la dynamique du groupe, qui bien que tiraillée parfois, finit par se ressouder et offrir une quête commune pour une sérénité retrouvée partagée.

Oeuvre de dénonciation et oeuvre de guérison également, Le château solitaire offre un espace de parole à ceux pour qui l’école traditionnelle et le groupe social qui y vit sont trop dur. Ce n’est pas chose aisée de le dire et d’en parler mais c’est fait justesse et finesse ici pour ne pas faire culpabiliser les victimes, ce qui est très important. Ainsi entre noirceur et lumière, les autrices élaborent un message d’espoir qui ne sera pas simple mais aura le mérite d’exister et de leur ouvrir un champ de possibles.

Tome 3

Série discrète qui ne paie pas de mine, je trouve pourtant qu’elle gagne en puissance et intensité au fil des tomes, offrant une plongée onirique dans le quotidien d’enfants ne parvenant plus à aller à l’école juste saisissante.

De tome en tome, j’aime de plus en plus cette série et ses personnages. Les auteurs parviennent à énormément me toucher par ce mélange d’esprit de groupe qui naît entre les enfants de l’autre côté du miroir et leurs histoires dramatiques personnelles. Le thème du harcèlement mais aussi des violences domestiques et des familles éclatées sont importants mais j’ai parfois ressenti une lassitude dans leur traitement. Ici, les auteurs ont trouvé la juste formule avec cette touche de fantastique et j’adore.

La dynamique est pourtant toujours un peu la même de tome en tome, mais elle gagne en intensité. On continue à voir évoluer nos jeunes héros dans ce château derrière le miroir et on prend plaisir à les voir nouer de vrais liens d’amitié et à y passer de bons moments. Ce tome se déroulant en grande partie en décembre, c’est Noël qui est au coeur avec une belle fête partagée entre eux qui exploite à merveille ces sentiments. Mais cela ne s’arrête pas là, il y a aussi la recherche de la clé qui se poursuit, car même s’ils aimeraient toujours rester là, le compte-à-rebours tourne. Et bien sûr, on continue de les voir se livrer avec émotion.

Avec ce mélange de mal être et d’amitié, les auteurs nous concocte dans ce tome la scène parfaite : celle d’un retour commun dans le lycée / collège où ils semblent tous aller, pour ainsi se soutenir dans leur envie d’avancer. Une belle idée mais qui va susciter encore plus de questions et de mystères, ainsi que d’émotions à fleur de peau. Avec une Kokoro toujours en personnage principale, les auteurs remettent une couche sur le harcèlement scolaire et le font très bien. On assiste à un très joli mais douloureux instant confession avec sa mère, à sa terrible confrontation avec son professeur, horrible portrait du prof qui a pris parti et n’écoute pas les deux partis, puis un retour qui fait tout exploser. C’est beau, c’est émouvant. J’ai adoré sa relation extraordinaire avec sa mère, le rappel de leurs souvenirs et relation passés pour souligner tout ce que cet incident a changé en elle. C’est très bien écrit et réaliste. C’est ça le harcèlement. C’est fait parfois par des groupes parfaitement intégrés qui ne semblent pour pouvoir être « les méchants ». C’est souvent mal écouté et ça transforme totalement les gens. Bravo pour cette peinture émouvante et pas dans l’excès comme trop souvent.

J‘ai donc lu ce tome avec envie et émotion. J’ai été charmée par l’amitié qui se nouait entre ces enfants malheureux. J’ai été intriguée par les mystères du château et les pistes que je vois se dessiner. J’ai été bouleversée par l’histoire de Kokoro, sa mère et ses persécutrices, mais aussi celles qui l’aident à s’en sortir. C’est poignant et passionnant à lire. Il faut parler plus de ce titre qui le mérite !

Tome 4

Je m’étais un peu lassée du sujet du harcèlement dans le manga, trouvant qu’il était un peu toujours traité de la même façon. J’y reprends vraiment goût avec la mélancolie poétique et fantastique de ce titre !

A un tome de la fin, les autrices nous offrent ici une lecture vraiment dense, riche en hypothèses et contre-hypothèses, recherches et frayeurs, émotions et solitudes. Il y a vraiment un très beau travail à la fois sur l’ambiance étrange de cette histoire et sur les aspects psychologiques réels en lien avec les troubles que ces jeunes personnages ont vécu dans leur vie. Ça me touche, ça me parle.

Après leur rencontre ratée dans le monde réel afin d’aider Masamune, il est temps pour eux de se remettre en question, c’est ce qu’ils font dans une partie un peu longuette qui entame cette lecture, où chacun raconte comment est le monde dans lequel il vit, ce qui les fait aboutir à une drôle d’hypothèse. J’ai trouvé ce début un peu lourd et je n’ai pas été convaincue par leur théorie qui prenait bien trop de place dans la lecture. Heureusement les autrices n’en restent pas là et repartent ensuite sur ce qui fait le sel de la série : les troubles de chacun. C’est vraiment là-dedans que je m’épanouis personnellement et non pas tellement dans les mystères de ce lieu singulier.

J’ai tout de même aimé l’association des deux ici. J’ai aimé voir ces enfants chercher enfin des réponses mais savoir aussi s’en écarter pour chercher leur propre bonheur, eux qui s’en voient un peu dépouillés dans le monde réel. En suivant la figure de Kokoro, on décortique vraiment bien les mécanismes du harcèlement scolaire, de la position de chaque partie : victime, harceleur, enseignants, parents. Tout est écrit avec justesse et une belle forme de recul, notamment quand il est évoqué les émotions de chacune des filles, le fait que la harceleuse ne va sûrement pas bien, mais que ce n’est nullement à la victime de s’en préoccuper, ou encore que certains adultes ne parviennent pas à procurer les bons messages, à trouver la bonne voie, et qu’il faut parfois faire appel à quelqu’un d’extérieur. C’est éclairant et assez moderne. On voit qu’ils ont évolué sur la question par rapport à sa représentation passée. J’ai clairement beaucoup aimé cette phase introspective.

Mais j’ai également beaucoup aimé les éléments fantastiques de l’histoire à ce stade. Il y a certes une introduction bien trop longue mais c’était amusant de suivre la théorie de Masamune. Cependant, c’est le final qui donne ses lettres de noblesse à ce tome avec un retournement brutal, qui va bousculer les paradigmes établis (et confirmer, j’ai l’impression ma propre théorie), dans une ambiance stressante à souhait où enfin la dimension conte horrifique, conte psychologique, prend toute sa place. J’ai adoré l’exploitation faite des contes de Grimm dans leur dimension réflexive mais aussi graphique avec un côté vraiment effrayant. Enfin on touche à l’essence du titre et tout s’y marie à merveille.

Parfait modèle de ce que doit être un avant-dernier tome, il fait monter la tension, nouant et dénouant des noeuds de l’intrigue, mettant en exergue les troubles de chacun avec un beau travail psychologique, le tout dans un cadre fantastique – merveilleux reposant sur les contes de notre enfance parfaitement exploité dans sa dernière partie. Certes le début un peu maladroit dans sa narration mais la suite rattrape largement le reste et augure d’un final plein de sensibilité âpre. J’ai hâte ! (Et après ce sera au tour du film 😉 )

7 commentaires sur “Le Château solitaire dans le miroir de Mizuki Tsujimura et Tomo Taketomi

  1. J’ai encore plus hâte de le lire car si le thème est maintenant de plus en plus abordé, il reste important et il est toujours intéressant de découvrir la manière dont un auteur se l’approprie. Le fait que l’univers soit plus étrange que violent me plaît bien… J’espère que les tomes suivants t’apporteront cette épaisseur que tu recherches.

    Aimé par 2 personnes

    1. Je me suis dit aussi que cette sorte de douceur en quelque sorte pourrait te plaire (et explique la colle choisie) car ça romp avec un réalisme trop connu sur le sujet.
      Mais je te rejoins même répété, il faut en parler, c’est comme avec Hungry Ghost !

      Aimé par 1 personne

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