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Le Cheminot / Poppoya et Love Letter de Jirô Asada et Takumi Nagayasu

Titre : Le Cheminot / Poppoya et Love Letter

Auteurs : Jirô Asada et Takumi Nagayasu

Éditeur vf : Panini Manga (1e éd.) / Mangetsu (nouvelle éd.)

Années de parution vf :  2001 / 2024

Nombre de pages vf : 250

Résumé« Le monde peut bien changer, nous autres cheminots, nous ne pleurons jamais. »

C’est le Nouvel An et la neige a recouvert d’un manteau blanc le quai désert de Horomai. Dans cette petite station ferroviaire défraîchie, Otomatsu un vieux chef de gare, profite de ses derniers jours avant la retraite en se remémorant son passé d’homme du rail. Mais la nuit est encore longue et le poids de ses regrets semble bien trop lourd pour que la porte des souvenirs ne se referme sans bruit…

Deux nouvelles de Jiro Asada, lauréates du prix Naoki, que l’on ne peut lire sans pleurer, sont entièrement adaptées en manga par le maître conteur Takumi Nagayasu (Mibu Gishi Den).

Mon avisÉcrit avant la réédition de Mangetsu –

Avec sa belle politique de réédition de ses dernières années, Panini entreprend de remettre en avant certaines pépites oubliées de son catalogue. Ce sera le cas prochainement du Cheminot de Jiro Asada et Takumi Nagayasu, recueil adaptant en manga de très belles et poignantes nouvelles.

Je ne sais pas si je suis la seule à voir cela, mais j’ai eu le sentiment en lisant ces deux histoires signées Takumi Nagayasu aux dessins d’être en présence d’un travail dans la lignée des nouvelles de Tsukasa Hojo qui viennent justement de ressortir dans un très beau coffret chez Panini. Hasard fortuit ou ambition assumée de l’éditeur, je trouve la concomitance incroyable.

En attendant Le Cheminot et Love Letter, les deux histoires composants ce volume sont signées Jiro Asada et la première avait même reçu un prix quelques années plus tôt, ouvrant la porte à une adaptation en film. C’est dire son succès. Sa recette : une belle histoire emprise d’émotion portée par un personnage incarnant à merveille l’esprit japonais. Est-ce que cela a fonctionné sur moi ? Bien évidemment !

J’ai été touchée d’aller à la rencontre d’Oto, un cheminot comme on en fait plus, qui a toujours pris son travail très au sérieux, mais qui est sur le point de le voir disparaître, sa ligne fermant et étant lui-même poussé à la retraite. Mon grand-père était cheminot, j’ai donc eu une relation toute particulière à cette lecture, avec cet homme incarnant une lointaine époque révolue des chemins de fers où tout était bien plus manuel, plus humain, où les petites lignes incarnaient encore quelque chose. Cependant, j’ai aussi trouvé que l’auteur allait parfois dans l’excès en mettant drame sur drame sur la route d’Oto. Il nous touche par son histoire personnelle et les drames de sa vie de famille avec sa femme et sa fille, mais l’auteur en fait peut-être trop dans cette importance qu’il accorde avant tout, et même sa propre vie, à son travail. Ça a du mal à parler à la lectrice française du XXIe siècle que je suis.

Toutefois, je ne peux nier que c’est une très belle histoire, fort émouvante, portée par une belle incrustation du fantastique, me rappelant tout ce que j’aime avec ce procédé, à savoir un doux glissement de la réalité vers l’onirisme auprès d’une personne pour qui cela fait sens parce qu’il en a besoin. Les rencontres que fait Oto sont un écho de sa vie et il fut tellement gentil qu’elles sont à son image. Mais le fantastique seul n’est pas l’unique porteur d’émotion ici, le personnage d’Oto en lui-même, l’est, comme le démontre ses relations avec ses collègues qui ont compris quelle belle âme il est et ici, dans son portrait, c’est mon propre père que j’ai reconnu, toujours le coeur sur la main, et reconnu pour cela par les autres. Alors même si elles sont douloureuses les dernières pages de son histoire envoient un très émouvant message sur l’importance des relations humaines et de la sincérité. 

La seconde histoire, Love Letter est dans un tout autre genre, pourtant on y retrouve des marqueurs communs, avec ce portrait d’homme qui détonne et présente lui aussi des regrets quant à ses relations. 

L’auteur nous met en scène quelque chose de typiquement japonais : l’histoire d’un type flirtant avec la pègre, qui a conclu un mariage blanc avec une chinoise pour qu’elle puisse se prostituer au Japon, mais qui doit aller récupérer son corps maintenant qu’elle est morte de maladie. 

C’est glauque à souhait et pourtant l’histoire fait mouche à nouveau parce qu’elle pointe du doigt notre insensibilité et notre manie de détourner le regard de ce qui nous dérange. Le héros, lui, dit non et ouvre les vannes de son coeur. C’est parfois exagéré, c’est souvent étrange, c’est tout le temps dérangeant, mais c’est ce qui fait sa réussite. L’histoire percute car c’est un vrai drame et l’histoire dérange car elle ose dénoncer le proxénétisme, la traite humaine et l’insensibilisation de nos sociétés. Je dis oui.

Après, même si les thèmes sont intéressants, l’histoire n’a rien de crédible et n’a pas l’émotion de la précédente. Je trouve que l’idée de cette mourante tombée amoureuse d’un homme qu’elle ne connaît pas et n’a jamais rencontré bancale, tout comme les émotions brutales de Goro à son encontre ou la façon dont tout le monde ferme les yeux autour d’eux, du coup ça m’a sorti de l’histoire… Dommage.

Graphiquement, nous avons ici une fort jolie oeuvre, qui comme je le disais plus haut, c’est pas sans me rappeler le travail de Tsukasa Hojo dans ses propres nouvelles. Je me demande donc si Takumi Nagayasu n’a pas été son assistant et s’ils n’ont pas des connaissances communes, car on dirait la même école. C’est notamment fragrant dans les dessins des petites filles de la première histoire si on les compare à celles d’Hojo dans ses histoires, ou encore dans l’expression exagérée de la tristesse chez ses personnages qui colle aussi avec ce qu’à fait le maître. En dehors de cela, je suis totalement tombée sous le charme de ce cheminot aux allures de papi dans des paysages enneigés. On ressent également toute la fascination de l’auteur pour les traits, cette vieille passion japonaise, et c’est charmant.

Même s’il y a un déséquilibre entre les deux histoires, j’ai été ravie de découvrir le travail de Jiro Asada avec ses récits de vie poignants et émouvants autour de personnages inattendus (vieux cheminot solitaire, vendeur de cassettes porno…). Son acolyte Takumi Nagayasu m’a fortement rappelé Tsukasa Hojo par son trait. Je trouve donc une belle cohérence à rééditer ce titre qui le mérite après les nouvelles d’Hojo. J’espère que vous serez nombreux à vous laisser tenter.

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6 commentaires sur “Le Cheminot / Poppoya et Love Letter de Jirô Asada et Takumi Nagayasu

  1. Tchou-tchou, étant ferrovipathe, j’avais bien aimé le Cheminot, beau récit empreint d’une belle nostalgie, il y a eu une adaptation ciné si je ne me trompe mais non traduite en Fr.

    Je me souviens de Love Letter, mais je ne pourrais dire si j’avais aimé ou pas.

    Aimé par 1 personne

  2. Je pourrais me laisser tenter par le 1er, mais j’avoue que le côté assez réaliste des dessins de couverture ne m’attire pas vraiment…

    C’est un chouette projet en tout cas de rééditer des oeuvres plus classiques, un bon moyen de les redécouvrir et de les faire découvrir à un public plus jeune ou plus néophyte 🙂

    Aimé par 1 personne

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