Livres - Mangas / Manhwa / Manhua

Dispersion d’Hideji Oda

Titre : Dispersion

Auteur : Hideji Oda

Éditeur vf : Casterman (Sakka)

Année de parution vf : 2004-2005

Nombre de tomes vf : 2 (série terminée)

Histoire : Après 5 ans d’absence, Azumi revient avec ses parents s’installer dans la ville de son enfance. L’adolescente part immédiatement à la recherche de Katsuhiko Tobe, dit « Kat-chan », son ancien compagnon de jeu, mais celui-ci semble à peine se souvenir d’elle. Prostré au bord de la rivière, ce garçon étrange livre peu à peu son secret à Azumi : incapable de vivre en ce monde, il a développé le pouvoir de se « disperser » aux quatre vents, pour quitter une réalité qui l’oppresse. Un matin, il a disparu. Azumi peut-elle vivre sans lui ?

Mon avis :

Tome 1

Encore une belle trouvaille que j’ai eu la chance de faire dans une petite librairie mangas proposant aussi de l’occasion. J’ai de suite flashé sur le dessin tout en crayonné et en petits traits de l’auteur et je suis ravie de l’avoir fait alors que je ne connaissais rien de l’oeuvre ni de l’auteur à part l’adaptation de son manga La forêt de Miyori en film d’animation.

Publiée en 2004 chez nous, cette oeuvre date en fait de 1995 et alors que je la lis plus de 25 ans plus tard, je l’ai trouvée encore très actuelle. L’auteur y aborde sous une forme très imagée sa dépression vis-à-vis du monde qui l’entoure, dans une ambiance étrange et mélancolique qui ne peut pas laisser indifférent.

Tout commence quand après 5 ans d’absence, Azumi revient dans sa ville natale où elle avait connu Katsuhiko, un garçon étrange que tout le monde, à part elle, prenait un peu pour l’idiot du village. Mais Katsuhiko était seulement différent, différent parce qu’il avait vu et vécu des choses très difficile pour un enfant de son âge. En le retrouvant, Azumi qui a grandi replonge dans cette étrangeté sans bien comprendre et Katsuhiko lui dit qu’il a désormais le pouvoir de se disperser et qu’il risque de disparaître du jour au lendemain.

Fable sur une enfance difficile, Dispersion est une métaphore puissante sur la maltraitance des enfants. Ce premier tome, qui peut se lire seul (heureusement parce que je n’ai pas trouvé le tome 2 en occasion), se découpe en deux parties. Dans la première, on y découvre l’étrange monde de Katsuhiko et Azumi, qui vivent un peu dans leur bulle en huis clos, ce qui dérange les autres qui ne les comprennent pas. Mais eux sont très bien ensemble, ils vivent ce qu’on appelle une amitié fusionnelle, comme peuvent en connaître les enfants blessés. L’auteur nous fait comprendre à demi-mots avec une plume poétique et âpre pleine de métaphores symboliques que Katsuhiko n’a pas une vie de famille comme les autres, qu’il a vécu des choses traumatisante et c’est dans cette fable de la « Dispersion » qu’il se réfugie pour fuir ce quotidien avec les conséquences que l’on imagine.

Le récit se veut puissant et pourtant la narration est toute douce et tranquille, presque monotone. Le parti pris de suivre la première histoire du point de vue d’Azumi montre aussi combien il est dur d’aider quelqu’un qui part à la dérive car on risque trop souvent de se laisser emporter. Il s’agit alors de trouver à son tour comment remonter et ça on ne peut pas le faire seul. Le récit est donc vraiment poignant et avec une belle portée philosophique.

Portée que l’on retrouve dans une seconde partie, peut-être encore plus dure car plus concrète. Celle-ci débute par le viol brutal d’une jeune lycéenne par ses camarades. C’est inattendu, violent et sordide. Cette nouvelle histoire m’a prise de court mais avec elle, j’ai encore plus senti le lien avec le travail d’Hideji Oda et celui de Kenji Tsuruta, puisque son héros errant, comme Emanon, se retrouve impliqué auprès de la victime. L’occasion pour l’auteur de dénoncer une réalité sordide avec les violence dont sont victimes les femmes et à fortiori celles qu’on pense « perdue de réputation ». La victime est effectivement la fille d’une femme célibataire, qui a été elle-même abandonnée par son mari, et n’étant pas remariée, ça jase sur elle et donc sur sa fille. C’est juste horrible de se dire que ce genre de chose a pu et arrive encore. Le poids de la rumeur et de la réputation est terrible.

A travers ces histoires qui peuvent sembler anodines, je pense que l’auteur dénonce son mal être vis-à-vis de la société dans laquelle il vit. Il explique ainsi pourquoi il s’est senti si mal à un moment de sa vie, ce qui ne va pas dans cette société et pourquoi des gens ont envie d’en disparaître. C’est certes sombre mais nécessaire d’en parler et c’est fait ici avec beaucoup de puissance et une certaine poésie.

Je ne regrette donc en rien cet achat compulsif sur seule base des dessins. J’avais été charmée par l’ambiance des dessins de l’auteur, leur nostalgie, leur âpreté et leur poésie, avant même de connaître le contenu de l’oeuvre et j’avais raison. Ce sont des thématiques toujours d’actualité qui me parle et la puissance évocatrice dont fait preuve l’auteur dans cette étrange narration me touche et semble préfigurer ce qu’on retrouvera plus tard plus éphémèrement chez Kenji Tsuruta.

 >N’hésitez pas à lire aussi les avis de : Nostroblog, Vous ?

Tome 2 – Fin

J’ai mis un peu de temps mais j’ai enfin pu lire la suite et fin de ce diptyque fort singulier dont le trait et le propos philosophique m’ont particulièrement marquée et fait sortir de ma zone de confort.

Dans le premier tome, nous avions été confronté à la maladie unique dont souffrait le héros, Katchan : la dispersion. Il a ainsi perdu plusieurs femmes de sa vie et échappé à plusieurs moments difficiles mais en a conçu de nombreux regrets qui le poursuivent encore. Nous le retrouvons donc dans un lieu totalement inattendu où sa maladie et ses regrets vont le faire réapparaître pour en quelque sorte se racheter, mais est-ce que cela suffira pour qu’il vive heureux ?

Dispersion n’est franchement pas un titre à lire quand on est déprimé ou fatigué, l’auteur, Hideji Oda, n’y va pas avec le dos de la cuillère. Il fait vivre de sacrées expériences à son héros et aux femmes qu’il croise, qui font vraiment dire qu’on vit dans un monde pourri. Que ce soit lors de sa rencontre avec un peuple isolé en Afrique, lors de ses retrouvailles avec ses « -ex », ou lorsqu’il tombe sur un mafieux, Katchan n’a vraiment pas de chance et ne voit que la face sombre de l’humanité, ce qui est bien rendu par le dessin très sombre et étrange de l’auteur, toujours fait d’une multitude de traits qui fascine et mystifie, ce qui est parfait ici.

Après, il y a aussi quelques petites touches de lumières dans les sentiments toujours positifs qu’il éprouve, car malgré ce qu’il vit Katchan ne tourne pas mal et n’a qu’une envie : aider les autres, même s’il s’y prend mal, même si ça se retourne contre lui. Les femmes de sa vie l’ont bien senti et ont tendance, également, à tout faire pour le prendre sous leur aile et lui offrir leurs sentiments. Il y a un joli équilibre entre eux qui apporte un peu de tendresse dans cette ambiance bien morose.

Le titre est en effet très gris et étrange. Le propos de l’auteur n’est pas des plus clairs pour moi. Un peu comme Daisuke Igarashi, il aime apporter mystification à son histoire et ça rend l’ensemble puissant mais confus. On est percuté par la puissance symbolique du récit, personnalisé ici par les moments que Katchan passent en Afrique et les tatouages qu’il y reçoit, mais ça reste très très flou, quant à des dispersions et leur finalité ainsi que cette créature de cauchemar qui apparaît finalement et semble être une extension de lui-même. Est-ce une parabole sur les regrets de la vie qui nous dévorent de l’intérieur et cette envie de fuir qu’on peut ressentir ? Je ne saurais dire, c’est un peu trop perché pour moi et ce ne sont pas les mots finaux d’un certain critique d’art venant clore le tome qui m’ont aidée…

Histoire fascinante mais cryptique, Dispersion fut une vraie expérience. Je ne regrette pas de m’y être frottée rien que pour le trait puissant et singulier de l’auteur, mais je suis un peu frustrée d’en sortir avec autant de clés de compréhension manquantes. C’est très, trop, métaphysique pour moi, mais ce cri, cet appel à l’aide face à notre monde oppressant et agressif, fut entendu.

 

 

3 commentaires sur “Dispersion d’Hideji Oda

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