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Darkside Blues de Hideyuki Kikuchi et Yûho Ashibe

Titre : Darkside Blues

Auteurs : Hideyuki Kikuchi et Yûho Ashibe

Traduction : Sebastien Descamps

Éditeur vf : Black Box

Année de parution vf : 2021

Nombre de pages : 241

Histoire : Depuis son siège en orbite, la gigantesque compagnie Persona Century règne sur une Terre au bord de la dévastation, dont 90% en sont la propriété. La pauvreté et la soumission entraînent la population vers un sentiment grandissant de rébellion. Une nuit, une altération dimensionnelle est ressentie par l’ordinateur à prédictions de Persona Century, et du « miroir des abysses » apparaît Darkside, le soigneur de rêves. Son arrivée permettra-t-elle à la révolution de se réaliser, ou n’est-il qu’un simple spectateur des événements ?

Mon avis :

Depuis quelques années, Black Box est mon pourvoyeur officiel de shojo vintage et de titres plus largement écrits par des femmes et ayant été publiés souvent avant ma naissance. Il faut dire que les autres éditeurs français sont plus que frileux alors que quand c’est un auteur masculin, c’est bien moins le cas… Passons. C’est attirée par la sombre très sombre couverture de Darkside Blues que j’ai choisi cette nouvelle lecture et bien que déroutant l’expérience graphique ne m’a pas fait regretter mon choix.

Ce manga est le résultat de la rencontre de deux auteurs, l’un romancier de renom au Japon, on lui doit des univers sombres et fantastiques comme Vampire Hunter D. également adapté en manga, l’autre est une illustratrice spécialisée également dans le surnaturel et ayant un coup de crayon très fin et onirique, rappelant celui de Chie Shinohara (Ao no fuin, Red River…). Autant vous dire que j’ai adoré le résultat de cette rencontre.

Pourtant la lecture fut très étrange, pour ne pas dire déroutante comme le souligne l’éditeur en postface. Le duo d’auteurs nous plonge sans préavis dans un monde futuriste sombrement poétique, voire gothique, où réel et illusion se côtoient sans cesse, sans qu’on n’arrive plus à faire la part entre les deux, du moins le lecteur. Si on ne lit pas le court texte d’introduction sur le rabat de la couverture, on est littéralement perdu au début, ce fut mon cas. Mais je dois avouer faire partie de ces gens qui aiment également être déstabilisé et qui aiment chercher ensuite des réponses pour tenter de reprendre pieds, sans que cela gêne de se sentir en apesanteur en attendant.

Quel est donc cet univers complexe ? Depuis l’espace un vaste conglomérat, dirigé par des magnats qui semblent totalement névrosés, observe et règne sur une Terre qui, elle, est au bord de la dévastation. Ils en possèdent 90% et le reste n’est que pauvreté et soumission. Cependant, un être mystérieux semble vouloir dérégler cette entreprise trop bien huilée et vient mettre un grain de sable dans ses rouages : Darkside. Que va-t-il provoquer ?

La Terre que l’on découvre est un bel univers de cyberpunk, un peu comme on en trouve chez K. Dick, Otomo ou Kishiro, avec des loubards en tenue de cuir, des rebelles aux pouvoirs qui fusent tels des lasers. C’est très visuel. On est entre le bidonville et la ville futuriste telle qu’on l’imaginait dans les années 80 avec ces voitures qui volent en rasant le sol ou roulent sur de grandes artères suspendues, tout en côtoyant des calèches et un décor néo-gothique. C’est étrange et fascinant.

Tout sent la révolte. Les héros que l’on suit errent tels des ado ou jeunes adultes en manquent de repères tentant de survivre. On ne comprend pas tout ce qui se joue, quelle est vraiment l’intrigue de fond. Il y a juste ce duo fille filiforme badass + garçon balourd aux gros bras qui survivent dans les rues, puis rencontrent par hasard un mystérieux gentleman en calèche et tenue d’autrefois, qui semblent avoir des pouvoirs et les aide à lutter contre ceux qui viennent mettre le souk, soit à leur propre profit, soit aux commandes du grand conglomérat en orbite. C’est très flou.

Pour autant, j’ai aimé cette étrangeté et cette imprécision. Le trait de Yûho Ashibe fin et poétique est happant. Il appâte le lecteur et ne le lâche plus. Il l’entraîne dans un univers entre gothique et SF typique des années 80. Il est terrible fin et poétique avec une touche d’horreur, de violence et de noirceur qui frappe. La narration graphique virevolte à l’intérieur des pages et fait preuve d’un très beau dynamisme. Il y a un petit air de de Ken le survivant chez certains, de Tim Burton à d’autres moments et surtout de Chie Shinohara dont je parlais plus haut, la plupart du temps. C’est le genre de shojo d’aventure sombre qu’on avait autrefois que j’adore. 

Ce premier tome de Darkside Blues déroute et fascine. Certes on ne comprend pas tous les tenants et aboutissants de ce monde et de cette proposition, mais l’ambiance happe et interroge. On sent une rébellion qui gronde derrière le joug si oppressif et paupérisant de ce conglomérat lointain et à la famille en plein dégénérescence. Ce mélange de SF, d’horreur et de gothique est vraiment une singulière expérience.

Pour les amateurs, le manga a été adapté en film d’animation en 1994. Information : Ici

Tome 2

Alors que le premier tome m’avait happée mais m’avait également totalement perdue, j’ai enfin eu l’impression de découvrir la richesse de cet univers dans ce tome bien trop court malheureusement, qui aurait appelé une suite.

Les auteurs ont prit leur temps, mais ils nous livrent enfin leur Mad Max urbain, en plein territoire libre de Shinjuku, l’un des rares qui le soit encore, et qui est comme par hasard LE quartier de la jeunesse tokyoïte à l’époque de sa publication. Souffle épique et drame sont au rendez-vous mais la fin abrupte est très frustrante.

J’ai beaucoup aimé mieux comprendre qui étaient les protagonistes, notamment les rebelles sur Terre, découvrir leur vie, découvrir ce qu’ils risquent avec leur rébellion, quels actes ils commettent et pourquoi. On plongeait vraiment dans la noirceur de cette triste cohabitation des pauvres terriens avec ce riche conglomérat dirigé par des fous.

Les duos hommes-femmes sont en plus assez marquants, que ce soit le nouveau rebelle et la fille orpheline d’un ancien, ou les deux jeunes ados en pleine rébellion qui pensent ne pas compter mais qui pourtant osent tout. On est vraiment dans une ambiance à la K. Dick avec ce puissant conglomérat et ces corps modifiés de partout par la technologie souvent soumis au premier. Il est bon d’avoir un souffle de liberté même s’il est un peu désespéré et ne semble pas porter.

Le trait de Yûho Ashibe a toujours ce quelque chose de désespéré qu’il emprunte aux shojos dramatiques des années 70, qui eux-même empruntent au théâtre japonais. C’est très sombre et poétique, j’adore ! Quand le fameux Darkside apparaît, c’est toujours comme un coup de tonnerre, tel l’ouvreur de scène avec son bâton qui tire ou retire le rideau à volonté. J’adore cette mise en scène très théâtrale et puissante. La guérilla urbaine est superbement mise en scène avec un je ne sais quoi empruntant à l’horreur qui m’a ravie. Ah, cette scène d’attaque à l’acide !

Cependant, le titre est loin d’être parfait. Il laisse un sentiment amer d’inachevé ou plutôt de n’avoir vu qu’un bref épisode de ces jeunes rebelles en devenir. Les auteurs ne nous décrivent pas assez cette famille d’hommes et femmes totalement dérangés gouvernant le monde par la terreur nucléaire. On ne fait que les croiser alors qu’ils ont un potentiel de fou pour nous glacer et nous effrayer. Je trouve aussi qu’au final, on voit peu la menace qu’ils représentent hormis une certaine scène vraiment percutante. On a juste une petite guérilla sans conséquence ou si peu. Le final est d’ailleurs assez mince de ce côté-là, avec juste une des héroïnes qui entre enfin vraiment dans la résistance. On n’évoque non plus qu’à demi-mots les liens entre l’autre fille de l’histoire et l’un des fils barjot du conglomérat, alors qu’elle semble avoir été violée par lui. Ç’aurait été bien de développer. Ici, j’ai un peu eu l’impression d’une longue introduction et comme cela s’arrête là, c’est frustrant.

Darkside Blues est comme promis – regardez-moi ces couvertures ! – une belle mise en bouche d’un univers de science-fiction singulier me rappelant d’anciens souvenirs dans un écrin japonais typique avec ses loubards, son Shinjuku, son esthétique issue du théâtre. Les auteurs reprennent un trope typique du genre souvent mis en scène chez K.Dick, le grand méchant conglomérat. Ils ne vont malheureusement pas jusqu’au bout pour moi, s’arrêtant à un moment qui conclut une première partie convenablement, mais qui n’en reste pas moins frustrant, vu le potentiel de l’univers et sa sombre poésie. J’aurais voulu plus.

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(surtout pour l’univers et l’expérience graphiques !)

11 commentaires sur “Darkside Blues de Hideyuki Kikuchi et Yûho Ashibe

  1. C’est dommage pour ce goût d’inachevé qu’on rencontre parfois avec les séries courtes, mais je suis complètement intriguée/fascinée par le mélange des genres ! Quand j’ai vu la couverture, j’ai pensé que tu allais nous parler d’un manga à la Sherlock Holmes ou d’un dandy sombre alors que l’histoire est tout autre et a l’air complètement atypique (du moins selon mes références encore modestes en matière de mangas). Merci pour cette découverte qui me tente énormément !

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  2. Je n’ai lu que le premier tome, j’ai beaucoup aimé l’ambiance et le dessin mais l’histoire m’a semblé très floue et maladroitement racontée. Penses tu que la lecture du second tome vaux quand même le coup? L’histoire semble plus compréhensible bien que non terminée dans le second tome.

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    1. Je suis partagée car je trouve que c’est dans la droite ligne. Ce que tu as trouvé flou et maladroit le reste en grande partie malgré quelques infos supplémentaires. Oui l’histoire est un peu plus compréhensible mais il reste beaucoup de zones d’ombre et de choses non résolues ou expliquées.

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