Livres - Mangas / Manhwa / Manhua

Entre soies de Yuriko Hara

Titre : Entre soies

Auteur : Yuriko Hara

Traduction : Camille Velien

Éditeur vf : Taifu (Yuri)

Année de parution vf : Depuis 2022

Nombre de tomes vf  : 4 (en cours)

Résumé : Depuis de multiples générations, la vénérable académie Hoshimiya accueille en son sein des cohortes de jeunes femmes de belle éducation. Dans ce contexte idyllique, les étudiantes se rapprochent et forment des sororités. La tradition raconte que les somptueux uniformes couleur d’ébène qui accompagnent les étudiantes dans leur scolarité sont en fait tissés avec des cheveux de leurs prédécesseuses. Et quand un étrange incident survient autour de l’insaisissable Hoshimiya, la petite-fille de la personne à la tête de l’académie, les passions et les désirs cachés sous cette mystérieuse soie se réveillent brutalement…

Mon avis :

Tome 1

Je lis assez peu de yuri (romances lesbiennes), n’ayant pas vraiment trouvé celles qui me plaisent en dehors d’Ebine Yamaji (Au temps de l’amour, Indigo Blue, Love my Life). Pourtant quand j’ai vu la couverture de celle-ci, ça m’a de suite rappelé certains shojos précurseurs du yuri, qui eux me plaisaient, comme Très cher frère où on retrouvait de fortes sororités dans des internats ou écoles de filles, alors j’ai eu envie de tenter l’aventure !

Cependant pour être totalement franche, au Japon, ce titre est assimilé à un seinen, étant publié dans le magazine Comic Beam dont c’est la cible. Mais les romances lesbiennes et autres yuri étant tellement peu présents sur le sol français que je me refuse à le voir autrement >< Bref, nous avons entre les mains le premier titre d’une jeune autrice japonaise : Yuriko Hara, qui fait pourtant déjà étalage d’un talent graphique rare, si ce n’est sur un scénario un peu plus classique.

La force de Entre soies tient effectivement à l’univers graphique tellement fin et éthéré de l’autrice qui se prête à merveille à cet univers fait de cachotteries et autres mots chuchotés derrière le rideau des cheveux des pensionnaires de cette école fort singulière. La mangaka a eu la riche idée de reprendre les codes de vieux shojos des années 70 avec ces écoles pour filles, où naissaient certaines amitiés tenant presque de l’amour. Elle joue donc à flirter avec ces non-dits, ces entrechats et ces secrets, ce qui donne une atmosphère assez savoureuse et un brin rétro au récit. Mais sa force a été d’y ajouter une dimension incongrue quasi fantastique : dans l’école de ces jeunes filles, les uniformes sont tissés à partir des chevelures de leurs aînées.

L’histoire commence étrangement avec l’une des pensionnaires, Yokozawa qui semble entendre son uniforme lui chuchoter des choses. Elle côtoie également, « le Prince » du lycée qui, elle, est fascinée par la fille de la directrice : Hoshimiya, qui est très mystérieuse. Et tout cela s’entremêle dans une histoire de sororité avec des relations entre amour et amitié où la limite est souvent floue.

Si l’aspect visuel m’a plus que convaincue, j’y reviendrai, j’ai trouvé l’histoire assez classique voire un peu vide dans ce premier tome. L’autrice joue sur les codes des shojos rétro avec des héroïnes qui sont des archétypes d’histoires connues et avec des relations aux évolutions déjà lues. Cependant, il y a très peu de tension narrative et on a presque l’impression d’avancer au milieu d’un brouillard. C’est fort singulier et un brin déstabilisant. J’ai pour ma part apprécié la poésie de cela et la dimension quasi fantastique que cela donne, mais sans dépasser le stade de la bonne lecture. Il m’a manqué quelque chose.

En revanche, graphiquement, c’est juste sublime. J’adore, j’adore, j’adore le travail sur les chevelures de nos héroïnes. On dirait tantôt du fil, tantôt un voile de soie. L’autrice les fait virevolter partout librement et formant leur propre fresque, leur propre histoire. C’est d’une finesse. On sent qu’elle a également vraiment poussé la réflexion sur la manière de les représenter en fonction de la scène, tantôt un à un tel des fils ultra fin, tantôt dans leur entièrement et alors les héroïnes se parent d’un voile tantôt opaque, tantôt transparent, rappelant le travail d’Haruko Ichikawa sur L’ère des cristauxC’est sublime ! J’aime aussi beaucoup l’esthétique de cette école qui semble ancré à un port hors du temps, avec ses costumes rétros et son ambiance à l’européenne, comme au début du siècle dernier.

Ainsi, alors même qu’il m’a manqué quelque chose lors de la lecture, trouvant celle-ci un brin fade, j’ai beaucoup aimé l’expérience graphique d’Entre soies, qui porte si joliment son titre, flirtant entre la soie de la chevelure de nos héroïnes et ce soi qu’elles cherchent encore à définir dans leurs relations à l’autre et à elles-mêmes. C’est d’une sublime poésie.

> N’hésitez pas à lire aussi l’avis de :  Vous ?

Tome 2

Après un tome 1 un peu timide où l’histoire ne m’avait pas entièrement convaincue, je suis prête à revenir sur ce que j’avais dit avec ce deuxième tome où on entre plus franchement dans les mystères et étranges relations des héroïnes de ce drôle de pensionnats.

Comme dans le tome 1, j’ai été subjuguée par le trait de l’autrice totalement envoûtant. Le premier chapitre est un modèle du genre. Cette ouverture est saisissante, subtile, poétique et mélancolique à la fois. Ces mèches de cheveux qui s’entremêlent pour mieux mettre à nues les sentiments et pensées les plus profonds de ces jeunes filles sont à la fois étrange et entêtant, voire un peu dérangeant, mais si belles à voir.

J’ai même eu le sentiment dans ce tome, après le registre des shojo dans des écoles pour filles, que l’autrice empruntait aux codes des shojo d’horreur et des shojo fantastiques. Le personnage de Kujo fut superbe pour cela. Son côté torturé de part sa relation problématique avec Hoshimiya ainsi que son côté manipulateur et toxique de part sa relation avec celles qu’elle prend sous son aile, en ont fait un personnage frappant !

Avec elle, j’ai adoré plonger dans la mythologie étrange de cet endroit à travers son passé d’héritière en quelque sorte d’une place en ce lieu grâce à sa mère qui y a été également, mais aussi à travers les récits répétés et le tableau de ces deux femmes à l’origine de l’idée de ce lieu : les normes = les Parques pouvant voir passé, présent et futur, dont la relation complexe est si joliment expliquée ici. J’aime beaucoup les méandres que cela cause. Tout cela nous amène vers une ambiance rappelant Utsubora d’Asumiko Nakamura qui m’aura autant dérangée que fascinée.

De plus, l’autrice montre un nouveau visage avec une narration toute en courbe, comme les chevelures de nos héroïnes, formant une boucle entre récit passé et présent de manière fort astucieuse et nous ramenant toujours à la mystérieuse Hoshimiya, qui décidément fascine tout le monde.

Avec ce tome 2, je peux désormais dire sans faillir qu’Entre soies est une très belle surprise. Une lecture fascinante et à la fois dérangeante qui interpelle avec cette dépendance de certaines héroïnes vis-à-vis d’autres et la main mise toxique des autres. J’aime beaucoup les dynamiques qui se mettent en place avec des relations complexes qui s’entremêlent les unes aux autres et le mystère du lieu et décor qui les entoure avec ces drôles de costumes et la légende derrière leur création. C’est fascinant et tellement beau avec cette narration rejoignant les courbes et circonvolutions des chevelures de ces lycéennes, fer de lance de la série. Un lecture étrange et surprenante.

Tome 3

Avec toujours la même sensation fascinante et floue la lecture se poursuit dans cet étrange pensionnat-école pour filles où les cheveux semblent prendre vie et s’incarner dans les uniformes de leurs successeurs faisant ressortir des sentiments enfouis et complexes. C’est beau mais terriblement étrange.

A chaque fois que je replonge dans cet univers, je me sens un peu perdue au début et l’autrice semble entretenir cela. Elle aime proposer des chapitres annexes avec d’autres pensionnaires, anciennes ou présentes, ce qui floute encore plus l’histoire principale. Cependant chaque de ces moments est une petite pépite. Ainsi que ce soit dans le chapitre d’ouverture avec une ancienne pensionnaire qui ne veut plus se laisser repousser les cheveux ou dans le chapitre terminal avec une pensionnaire mal à l’idée de tourner la page, on ressent un fort attachement de leur part à ce lieu et à ce moment de leur vie qui est une très belle métaphore de notre peur de grandir et de changer.

Cette poésie amère, on la retrouve dans toute l’oeuvre. Elle transpire des pages et des situations dans lesquelles on retrouve nos héroïnes où en plus se mêle le souffle provoqué par le dessin si fin et atypique de l’autrice qui fait un travail incroyable sur les chevelures et les textiles qui en sont issus, rendant tout cela vivant. C’est à la beau, fascinant et terriblement malaisant que ces chevelures et ces robes qui semblent vivantes et prêtes à nous posséder, surtout face aux âmes tourmentées des héroïnes.

Dans ce tome, l’histoire se recentre un peu sur Saeki et Yôko. La première est totalement perdu depuis le geste d’Hoshimiya pour qui elle rêvait d’incarner la figure du prince sauveur. Elle est donc totalement désemparée car toute son identité, durement construite, a disparu, volatilisée d’un coup. Que doit-elle faire ? Comment se l’aider à se retrouver ? C’est alors qu’intervient, de manière inattendue, la figure de Yôko. Celle-ci n’a pourtant rien d’une sauveuse au premier abord, c’est même plutôt l’archétype de la fille fragile qui a tout le temps besoin d’aide. Et pourtant, c’est elle qui, grâce à la force de ses sentiments, va s’éveiller et tout faire pour aller repêcher Saeki qui était parti bien loin. C’est très émouvant.

J’ai beaucoup aimé toute la mise en scène dramatique et intime de Yuriko Hara qui s’inspire encore et toujours des drames shojo des années 70. C’est exagérément tragique pour des choses qui se veulent banales, tels que les sentiments romantiques ou non adolescents, mais cette quête de soi a une importance cruciale à cet âge-là alors ça se comprend. En tout cas, elle a une science du cadrage et de la mise en scène assez incroyable quand elle dessine un décor qui nous rappelle au moment avant de l’effacer pour mieux nous asséner un climax. C’est hyper percutant derrière cette douceur dramatique apparente.

J’ai du coup vraiment été touchée par les sentiments complexes et chaotiques de nos héroïnes. C’était beau de voir Yôko s’éveiller de plus en plus à ses sentiments et entrer en action, alors que tout est fait dans cette école pour la retenir. La voir parvenir à s’en échapper pour aller sauver son amie était très beau. De la même façon, la mélancolie froide de Saeki était déchirante et la voir retrouver une forme de chaleur humaine dans la main qu’on lui tend enfin à elle qui la tendait toujours aux autres est émouvant. Ce renversement des rôles surprend d’autant plus.

Ainsi derrière les cheveux qui virevoltent se cachent les sentiments tout aussi agités et complexes de nos héroïnes qui peinent à trouver leur voie dans le marasme qu’est l’adolescence. Toute la métaphore représentée par cette étrange école, ses uniformes et les chevelures rend la lecture de ce drame romantique encore plus fort grâce à la poésie que cela dégage. C’est souvent étrange et perturbant mais les émotions nous happent pour ne plus nous lâcher une fois attrapé.

Tome 4

A l’image de ce titre à la lecture double, chaque incursion dans l’univers d’Entre soies est double également, onirique, entêtant et pourquoi diablement obscur et flou, au point de ne pas toujours en saisir le fond. Mais j’aime ce sentiment d’étrangeté qui me pousse à réfléchir sur chaque page écrite et dessinée.

Dans ce nouveau tome, c’est à nouveau la forme qui l’a emportée pour moi sur le fond. Ce dernier reste assez opaque et résistant. On y suit toujours de manière assez malaisante ce groupe de jeunes filles et ses manigances au sein d’une école pour filles où certaines essaient de tirer les ficelles pour s’accaparer une place dans le coeur des autres après la disparition de la Madone de l’école. C’est étrange, légèrement glauque et dérangeant mais surtout ça n’avance pas bien vite au point d’avoir le sentiment d’être empêtré dans cette drôle d’histoire malaisante.

L’autrice nous offre ici une métaphore de ces sentiments maladroits qui parfois nous consument à l’adolescence. Que ses personnages soient des femmes n’y changent rien, on se retrouve avec des situations dignes de n’importe quelle relation qu’elle soit homosexuelle ou hétérosexuelle. Elle donne même parfois des allures de méchant garçon toxique à certaines d’entre elles, ce qui est assez malaisant, comme si seule une aura mâle pouvait incarner cela…

A côté de cela, c’est un festival de dessins plus puissants et symboliques les uns que les autres. Il y a toujours ce travail magnifique sur les chevelures des héroïnes qui sont représentées tour à tour tels des voiles ou des toiles, qui prennent vie depuis la tête de celle-ci ou à travers les costumes qui ont été confectionnés avec. Cela s’incarne également dans les lieux où prennent place les drames, qui entrent en écho avec les sentiments et les chevelures de nos héroïnes, comme cette superbe baignoire où baigne Yoko ou encore et surtout la pièce étrange et fascinante où Haruka se retrouve après un cauchemar. C’est onirique et dérangeant à la fois.

On sent combien l’autrice a réfléchi à chaque moment, chaque geste, chaque mise en scène pour qu’on en retire quelque chose sur les sentiments qui agitent nos héroïnes. Il se dégage un lyrisme incroyable des pages, faisant écho à toute une ancienne esthétique européenne dont les Japonais ont été si friands dans les années d’après guerre, ce qu’il retranscrivait dans les fameux mangas « à internat » d’alors. Ce serait vraiment à étudier.

Cela dégage en tout cas quelque chose d’unique à la lecture où au-delà de nous interroger sur les sentiments qui chagrinent nos jeunes héroïnes, cela nous interroge sur la notion d’individualité de chacune, ce qui est très puissant.

Récit flou mais onirique, Entre soies me titille, me dérange, me démange. J’ai du mal à voir où l’autrice veut aller, à suivre son rythme quasi immobile, mais je suis fascinée par les intentions qu’elle met dans ses compositions qui me transportent et me laissent songeuse. Le lire, c’est presque comme me retrouver au musée devant des toiles de grands maîtres.

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4 commentaires sur “Entre soies de Yuriko Hara

  1. Je suis également sous le charme des illustrations et ravie de voir que le deuxième tome a su vaincre tes réserves. J’aime beaucoup le jeu autour des cheveux et le fait d’aborder, entre autres, les relations toxiques dans un cadre qui ne manque pas de charme ! Le glissement vers les codes du shojo d’horreur a l’air bien amené et m’intrigue pas mal…

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  2. En voyant les couvertures je me suis également fait la réflexion pour leurs chevelures ! Les pages que tu nous dévoiles illustre parfaitement tes propos, on croirait que chaque éléments est créée pour s’assembler au mouvement des cheveux. C’est très beau visuellement, dommage que l’histoire ne t’ai pas apporter autant de satisfaction. 🙂

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