Livres - Fantasy / Fantastique

Le Chien du Forgeron de Camille Leboulanger

Titre : Le Chien du Forgeron

Auteur : Camille Leboulanger

Éditeur : Argyll / J’ai Lu (Fantasy)

Année de parution : 2021 / 2022

Nombre de pages  : 247

Histoire : Approchez, approchez ! Alors que tombe la nuit froide, laissez moi vous divertir avec l’histoire de Cuchulainn, celui que l’on nomme le Chien du Forgeron ; celui qui s’est rendu dans l’Autre Monde plus de fois qu’on ne peut le compter sur les doigts d’une main, celui qui a repoussé à lui seul l’armée du Connacht et accompli trop d’exploits pour qu’on les dénombre tous.
Certains pensent sans doute déjà tout connaître du Chien, mais l’histoire que je m’apprête à vous narrer n’est pas celle que chantent les bardes. Elle n’est pas celle que l’on se raconte l’hiver au coin du feu. J’en vois parmi vous qui chuchotent, qui hésitent, qui pensent que je cherche à écorner l’image d’un grand homme. Pourtant vous entendrez ce soir l’histoire du Chien. L’histoire derrière la légende. L’homme derrière le mythe.
Approchez, approchez ! Venez écouter le dernier récit d’un homme qui parle trop…

Mon avis :  

En ces mois d’automne, j’avais envie de lectures mythologique, ésotériques et quoi de mieux que celle d’une figure de légende que j’ai rencontrée adolescente dans les chansons que j’écoutais, je parle bien sûr du Chien du Forgeron que Manau avait popularisé à l’époque. Pour plonger dans cette aventure, je fus très bien accompagnée par Steven de Maven Litterae, avec qui je partage le goût des belles plumes et l’envie d’un bol de mythologie celtique ! Spoiler : nous sommes tous deux sortis enchantés de cette lecture !

J’ai pour ma part découvert le texte dans sa belle édition chez Arygill, qui a une politique de collection assez sobre que j’adore au niveau des couvertures mais où on trouve toujours plusieurs éléments forts représentant bien l’histoire. Ici ce sont ces marques sigillés aux airs celtiques et bien sûr la figure du chien, surnom terrible du personnage principal. J’aime beaucoup l’effet que ça donne.

C’était la première fois que je lisais un texte de Camille Leboulanger, jeune auteur également professeur de français en Bretagne, et il m’a totalement emporté dans son univers. Avec lui, c’est simple, j’avais l’impression d’être assise au coin du feu à écouter un feu conteur nous relater la légende de cet anti-héros qu’est Setanta : le Chien du Forgeron. Avec une plume à la fois directe et riche, il nous plonge dans cet univers passé qu’il avoue lui-même avoir réinventé car il y a très peu d’écrits ou de témoignages dessus, c’est plus l’archéologie qui permet de la reconstruire, mais donc de manière incomplète. Cependant, il parvient à la faire vivre et vibrer sous sa plume.

J’ai de suite été fascinée par la figure qu’il avait choisie. Il faut dire que la chanson de mon adolescence m’avait déjà donné une image assez rude et tragique de ce personnage et que j’avais hâte d’en apprendre plus sur son destin. Je n’ai pas été déçue. Malgré une narration en épisode qui a eu un peu trop tendance à me couper dans mon élan, ce qui m’a posé problème par moment, j’ai beaucoup aimé l’écriture de ce héros / anti-héros. En nous interpellant sans cesse avec son narrateur impliqué également dans l’histoire, mais n’étant pas Setanta, l’auteur nous implique à notre tour. On est rapidement frappé par le destin de Setanta et sa transformation en Chien. C’est quelque chose !

Camille Leboulanger fait preuve de beaucoup d’âpreté pour nous faire découvrir ce personnage. C’est assez terrible de le voir transformé en cette figure quasi inhumaine du Chien dans laquelle on retrouve pourtant tous les travers de la masculinité toxique aussi bien en tant qu’agresseur que victime. Du coup, on n’arrive ni à aimer ni à détester ce personnage, car malgré les atrocités qu’il commet, il subit lui aussi des actes terribles et est capable parfois de beaux sentiments. C’est très ambivalent.

De la même façon, j’ai été fascinée par l’univers décrit mais sans parvenir à pleinement l’apprécier ni le détester. C’est une terre celte antique brutale et sale qui nous est décrite où tout est à vif. J’ai eu beaucoup de mal à retenir les noms celtes de l’histoire et je me suis souvent retrouvée à me laisser porter par celle-ci par défaut, mais justement j’étais totalement plongée à l’intérieur de cette époque vue à travers le regard de l’auteur. J’ai notamment beaucoup aimé son mélange de croyances, de politiques et de questions sur le statut des femmes. Celles-ci dégustent vraiment dans l’histoire. L’auteur est dur avec elle mais justement il n’édulcore rien du sort qu’elles subissaient alors sous la férule des hommes et j’ai apprécié cette dureté et cette justesse, surtout que cela se couple à un très joli renvoi d’ascenseur dans les ultimes chapitres.

Grâce à Camille Leboulanger, j’ai aussi pu découvrir l’homme derrière la légende, l’univers dans lequel il vivait et pour finir les aventures qu’il avait connues. A travers cette écriture en épisodes, j’ai aimé découvrir les différents moments clés de l’histoire de notre Chien. C’était très intéressant et terrible d’assister à sa naissance en tant qu’homme et son basculement dans la figure qu’on connaît à cause d’une famille très singulière. J’ai rarement lu des lignes aussi avilissantes. Puis c’est la tragédie qui prend le pas et de ses premiers amours, à la quête quasi homérique qui va s’en suivre, on le voit commettre des actes terribles mais sans le repentir de son modèle (Ulysse pour ceux qui suivent), ce qui frappe. De la même façon, quand on assiste plus tard à ses premiers combats et aux exactions qu’il commet sur les femmes, notamment lors de son mariage pas du tout tout consenti, on a envie de le détester. L’auteur nous entraîne un peu de Charybde en Scylla avec lui, comme le démontrent ses échauffourées avec ses voisins et notamment un de ses amis de toujours qui se terminent bien mal. C’est vraiment la création d’une légende noire à laquelle on assiste en direct avec ses parts de réalité et de fantasme. L’auteur décrit très bien tout cela en sous-texte à son histoire.

Son narrateur est ainsi l’élément clé de l’histoire. C’est grâce à cet observateur de toujours, que Setanta finit par retrouver une figure humaine dans ses derniers instants alors que la tragédie et la vengeance le suivent de près telle une malédiction. A nouveau telle une tragédie grecque, il commettra le pire acte qui soit pour un père et il tombera par là où il a toujours pêché lors d’un moment suspendu dans le temps qui est MON moment préféré de l’histoire. Ce retour d’une forme de magie vengeresse fut terrifiante et unique et signe, pour l’auteur, un fort bel usage des figures de la mythologie celte. Avec une belle économie de mots, l’auteur fait sentir la toute puissance des bafoués et leur donne non la parole mais un moyen d’agir. C’est fort. Pas de doute, je fus donc servie ! 

Je pense que nous tomberons d’accord avec Steven, Le Chien du Forgeron fut vraiment une lecture riche et intéressante avec des niveaux de lectures fascinants malgré la noirceur, la rudesse et la saleté de cet univers sans concession. L’auteur a réussi le tour de force de nous passionner pour un personnage qui est tellement ambivalent et une époque tellement différente de la nôtre qu’elle ne pouvait que nous choquer. Cette finesse dans la retranscription, cette justesse dans l’écriture de la figure du « héros / anti-héros » m’ont vraiment fait passer un bon moment et j’ai hâte de découvrir les autres textes de Camille Leboulanger.

> N’hésitez pas à lire aussi les avis de : Steven, Yuyine, Le Chroniqueur, Syndrome Quickson, Pages pluvieuses, Cannibal Lecteur, Temps de mots, Ramettes, Vous ?

9 commentaires sur “Le Chien du Forgeron de Camille Leboulanger

  1. Et bien à mon tour, je me retrouve totalement dans ton avis !
    Tu éclaires chaque point de cette passionnante et complexe figure que nous avons eu l’honneur de rencontrer grâce au merveilleux conteur qu’est Camille Leboulanger.

    Je suis vraiment ravi que nous ayons ressenti les mêmes émotions sans pour autant partager les mêmes références. Comme quoi et malgré des influences différentes nous tombons tous deux d’accord sur le brio de cette œuvre.

    J’ai déjà hâte de retrouver l’auteur et de t’accompagner pour une nouvelle LC.

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