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Les Amants Sacrifiés de Masasumi Kakizaki

Titre : Les Amants Sacrifiés

Auteur : Masasumi Kakizaki

Traduction : Sylvain Chollet

Éditeur vf : Ki-Oon (seinen)

Année de parution vf : 2022-2023

Nombre de pages  : 2 (série terminée)

Résumé : Trahir son pays ou protéger son mari ? Le destin d’une Japonaise hors norme prise dans les tumultes de la Seconde Guerre mondiale. Dans les années 40, aux portes de la guerre, le Japon s’enfonce dans la dictature et ferme ses frontières. Dans ce contexte, l’entreprise de commerce international Fukuhara peine à maintenir son activité. Son président, le charismatique Yusaku, décide de chercher de nouveaux canaux d’approvisionnement en Mandchourie, province du nord de la Chine passée sous la coupe japonaise et présentée comme une terre d’abondance… Malgré l’inquiétude de sa femme, Satoko, il embarque dans un voyage de plusieurs mois avec son neveu Fumio. À leur retour, Satoko sent un changement… pire, l’odeur du secret. Fumio s’éloigne brusquement, et Yusaku annonce à son épouse qu’il compte arranger leur départ aux États-Unis, ennemi en puissance du Japon… Que leur est-il arrivé durant leur excursion en terrain conquis ?

Mon avis :

Tome 1

Dernier titre annoncé en grandes pompes par Ki-Oon, Les amants sacrifiés, diptyque adapté du film du même nom de Kiyoshi Kurosawa qui a remporté le Lion d’argent du meilleur réalisateur à la Mostra de Venise en 2020, me laisse pourtant un sentiment mitigé.

Romance et drame historique, cette adaptation bénéficiait pourtant des dessins très puissants de Masasumi Kakizaki, qui avait déjà sévi sur Hideout et Green Blood, deux titres percutants. Mais ici, sans trait s’est en quelque chose figé dans le temps face à l’importance du sujet qu’ils portaient, et du coup, l’ensemble manque cruellement d’émotion en dehors de celle de sidération face à ce qu’on découvre, ce qui rend le récit très froid.

Nous y découvrons pourtant, aux côtés de Satoko, la jeune épouse japonaise d’un entrepreneur fasciné par l’Occident, l’ambiance du Japon en train d’entrer dans la guerre dans les années 40. A leurs côtés, nous allons voir pas à pas comment la société japonaise va petit à petit se renfermer sur elle-même, exclure tout ce qui n’est pas japonais, et prendre en grippe ceux qui ne rentrent pas dans le moule. Un climat oppressif va vite nous saisir à la gorge dans cette ambiance de film noir de l’oeuvre.

Cependant, nous découvrir cette horreur, l’auteur reste très factuel, peut-être trop et ainsi le récit saute d’un épisode à l’autre assez brutalement avec à chaque fois une pleine page annonçant la progression de l’entrée en guerre des Japonais et l’attitude des autres pays face à cette époque charnière. Cela manque de vie, cela manque d’une histoire impliquant pleinement les personnages. 

On ne parvient pas avant longtemps à entrer dans la tête de ceux-ci. Semblant trop lisses, trop gentils, trop parfaits, ils manquent de relief, surtout monsieur. Yusaku est présenté comme la figure charismatique de l’entrepreneur à qui tout réussi, mais il se révèle surtout un homme secret et froid au premier abord. L’auteur ne lui confère que peu de sentiments visibles. Quant à sa femme, Satoko, malgré ses tenues occidentales modernes, elle est l’image même de la femme japonaise traditionnelle : elle suit et écoute son mari aveuglément, sans rien dire.

Heureusement que les derniers chapitres du tome, au passage fort court avec ses 144 pages, viennent bouleverser cela. En plus plongeant dans l’horreur du récit qu’il veut nous faire, des abjections des Japonais qu’il veut dénoncer, l’auteur donne enfin corps à son histoire et à l’un de ses personnages, si ce n’est aux deux. Par un jeu de circonstance, Satoko découvre ce que son mari lui cache, tout comme nous découvrons ce que le Japon cache au monde et c’est terrible. Un vrai effroi s’empare de nous, d’elle et le récit prend sens. On comprend enfin où voulait en venir l’auteur et cela nous percute. 

Malheureusement, en ayant scindé l’histoire en deux tomes, on a aussi le sentiment que l’histoire s’arrête au moment même où elle démarre, ce qui est très frustrant, surtout que la narration en flashback avec une héroïne internée dans le présent, qui se remémore tout cela, ne peut qu’intriguer le lecteur. La tentation va donc être grande d’aller voir le film pour satisfaire ma curiosité.

Oeuvre d’ambiance, Les amants sacrifiés surprend par une composition scénaristique au choix risqué. Avec ses personnages froids, son histoire très factuelle, elle déstabilise au début. Puis lorsque la vérité se dévoile l’histoire percute et se révèle terrible mais fascinante. J’aime quand les auteurs osent dénoncer les travers de leur propre pays et de leurs compatriotes. Il faut du courage. J’ai désormais hâte, puisque l’histoire démarrait tout juste à la fin du tome, de découvrir où tout cela va mener notre couple et si d’autres révélations auront lieu. Ce fut une découverte vraiment surprenante !

(Merci à Ki-Oon pour cette découverte dérangeante)

> N’hésitez pas à lire aussi l’avis de : Apprenti Otaku, Les voyages de Ly, Floriane, Julie, Vous ?

Tome 2 – Fin

Découvrons ensemble, le final de cette rude adaptation d’un film de Kurosawa, portant sur la morale et la fidélité d’une femme mariée à un homme sur le pays de trahir son pays : le suivre ou renoncer, telle sera la question qui va l’agiter ?

Je reste assez dubitative quant au choix d’avoir fait de la femme de ce couple l’héroïne de notre histoire. S’il est intéressant d’avoir son point de vue pour les dilemmes moraux que cela occasionne, je trouve la représentation de Satoko dans le manga assez bancale. Je m’explique. Je ne sais pas si ça tient de Masasumi Kakizaki ou si ça vient de l’oeuvre originale, mais j’ai trouvé Satoko particulièrement antipathique. Sa décision première de trahir m’a semblé incongrue et tout ce qui a découlé ensuite n’a fait que montrer une femme jeune, frêle, fragile qui veut jouer aux espionnes pour rester aux côtés d’un mari qu’elle idolâtre et qu’elle a ainsi défini. Ce portrait où comme par hasard on a une femme – enfant m’a semblé assez réducteur et portée par l’image des hommes forts vs les femmes faibles, un cliché qui m’irrite pas mal, encore plus quand on la voit finir dans un asile, ce qui rappelle une pensée archaïque du XIXe siècle. Mais ne voulant pas commettre d’anachronisme, je précise que tout ça tient surtout à mon sentiment personnel.

Pour ce qui est du scénario, lui, il est implacable et j’ai adoré suivre ce dernier. J’ai eu le sentiment que même si l’auteur allait un peu vite du point de vue de l’histoire qu’il nous balance à coup de petites phrases rapprochées montrant l’escalade entre le Japon et les Etats-Unis voisins, Kakizaki se montrait percutant et surtout puissant. Avec son ambiance de film noir d’époque, il nous entraîne totalement aux côtés de Yusaku dans ce film d’espionnage où tous les codes sont savamment repris. J’ai aimé la tension se dégageant de chaque instant au moment de la récupération des documents, du retour, de la dénonciation, du montage du nouveau plan. C’est extrêmement prenant et on suivait ça presque le souffle coupé tant la tension était oppressante. Yusaku m’a vraiment fasciné de bout en bout dans son idéalisme visant à dénoncer les exactions japonaise mais aussi dans son habileté à manipuler sa femme-enfant pour qu’elle le gêne le moins possible dans ses actes.

Ce mélange d’histoire et de destinée humaine est donc l’âme de la série. J’ai adoré le rendu de la dimension historique de l’oeuvre. L’auteur ose dénoncer les exactions japonaises et il a raison. Il ose aussi pointer la responsabilité japonaise mais également américaine dans cette course à la guerre avec des hommes préférant jouer les gros bras qu’aller vers la diplomatie. Il ne réécrit pas l’histoire mais montre ses points de bascule, ce qui fait d’autant plus mal quand on voit ce qu’il en est sorti. Quant à la destinée humaine, elle est croquée très finement et la dimension psychologique qu’introduit l’auteur a un je ne sais quoi de fascinant quand on réalise ce qu’il s’est vraiment passé a posteriori. C’est un joli tour de force et une idée qui forcément frappe et rend l’histoire marquante.

La narration graphique a toujours ce ne je sais quoi de figé qui me dérange et me perturbe un peu, mais elle accapare et capture aussi le regard, nous rendant captif de ce qui se passe et nous faisant bien sentir la tension et le malaise des événements. Le trait de Kakizaki est très beau lorsqu’il s’agit de rendre cette époque. Il représente en détails les lieux, les costumes et les attitudes des gens. Il y a une violence terrible dans sa représentation de l’Histoire en marche mais aussi de sa main armée : les policiers et autres instances au pouvoir. C’est excellent. Alors, certes il n’y a pas de fulgurance narrative, tout est très classique, mais ce n’est pas moins fort et marquant. On ressent vraiment cette ambiance de film noir et d’enfer sur Terre.

C‘est en refermant le volume que le titre des Amants sacrifiés prend tout son sens tant l’auteur nous a menés par le bout du nez de bout en bout en suivant le destin et l’esprit sacrifié de cette femme fragile, ballottée à travers les événements de cette grande Histoire qui se joue, alors qu’elle n’aspirait qu’à vivre sa vie tranquille et banale de femme mariée. A travers ce film noir historique l’auteur a su imaginer une très belle fresque d’espionnage et de malaise humain où petite et grande histoires viennent s’agglomérer pour détruire bien des destinées. C’est beau et sombrement tragique, ça donne envie de voir le film d’origine !

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10 commentaires sur “Les Amants Sacrifiés de Masasumi Kakizaki

    1. Oups désolée après ce n’est que mon ressenti, n’hésite pas à lire les autres chroniques sorties certains ont bien plus accroché que moi notamment au côté dramatique et à la tension qui va induire le choix de l’héroïne.
      Je pense globalement que tout se jouera dans le tome 2 😉

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  1. Dommage que l’histoire manque de vie et d’émotions, mais la fin semble avoir su éveiller ton intérêt ! Comme toi, je trouve courageux quand un auteur ose dénoncer des pans de l’histoire de son pays ou certains de ses travers, a fortiori dans un pays comme le Japon au fort sentiment nationaliste.

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  2. Me concernant, ayant été surtout intéressé par l’exercice de style autour des codes du mélodrame, j’ai tendance à penser que je serai plus indulgent que toi, sans malgré tour crier au chef d’œuvre. Notamment parce que j’ai les mêmes réserves sur la longueur du titre, qui me semble être la raison d’un manque d’émotion, ne pouvant pas jouer sur la durée. Ce genre d’histoire a quand même besoin de prendre un peu d’ampleur et 4 ou 5 tomes ne m’auraient pas semblé être de trop. A voir avec le second tome ce qu’il en sera.

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    1. Effectivement, on n’a pas pris le même angle d’analyse. Il faudra peut-être que je le relise lors de la sortie du 2 avec cela en tête pour le voir différemment 😉
      Mais clairement, j’aurais été plus rassurée avec une longueur comme celle que tu énonces, parce que je me dis que l’auteur aurait plus pris le temps de décrire les mécanismes en cours de ces multiples trahisons.
      Rendez-vous au tome 2 ^^

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      1. Oui, d’autant que de ce que j’ai lu par rapport au film, alors que je pensais qu’elle ne soutenait pas son mari c’est visiblement le contraire qui va avoir lieu. Donc j’attends de voir.
        Et je suis du même avis que toi, c’est vraiment le second tome qui fera que…

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