Livres - Mangas / Manhwa / Manhua

En proie au silence d’Akane Torikai

Titre : En proie au silence

Auteur : Akane Torikai

Editeur vf : Akata (Large)

Année de parution vf : 2020-2021

Nombre de tomes vf : 8 (série terminée)

Histoire : Misuzu exerce ce que certains appellent le plus beau métier du monde… Mais entre le désintérêt de ses élèves et surtout la blessure qu’elle porte en elle, la jeune femme essaie tant bien que mal de mener son existence, la tête haute. Hélas, quand Minako, sa meilleure amie, lui annonce ses fiançailles avec Hayafuji, son petit ami de longue date, le quotidien de cette professeure vacille pour atteindre, peut-être, un point de non-retour. Pourra-t-elle trouver son équilibre dans une société si foncièrement inégale et injuste ?

Mon avis :

Tome 1

Je suis un peu gênée pour évoquer ce titre. Quand Akata en a parlé, ils le vendaient comme un titre dénonçant le sexisme, la misogynie et les inégalités hommes-femmes dans les sociétés modernes grâce à une autrice importante dans son pays : Akane Torikai, qui n’avait jusque là jamais été publiée chez nous. Ils ont pour cela choisi En proie au silence, seinen en 8 tomes. Le problème, c’est que je ressors un peu mitigée de ma lecture, dans laquelle on retrouve bien ce que l’éditeur annonçait, mais qui m’a profondément dérangée dans sa mise en scène.

Dans En proie au silence, nous suivons deux héros victimes de la vision sexiste que la société et ses membres ont des gens : une jeune professeure et l’un de ses élèves. La première a l’air complètement froide et transparente au premier abord, mais elle cache bien des secrets, de terribles secrets. Le second a l’air tout aussi ordinaire, le modèle parfait de garçon pouvant être brimé par les autres, mais une rumeur va transformer sa vie et peut-être pas de la meilleure façon.

Tout au long de ma lecture, comme son titre l’annonçait, j’ai eu l’impression de subir une chape de plomb et d’angoisse. J’ai parfaitement ressenti le malaise de chacun des personnages au point que cela a rendu ma lecture vraiment malaisante. Je n’ai pas aimé le regard froid et calculateur mais honnête jeté par l’héroïne sur son environnement de travail, le lycée. C’est assez terrible et cynique. Je sais que ça donne une touche réaliste à l’histoire mais moi, ça m’a surtout mis mal à l’aise. Je n’ai pas aimé ce personnage et je n’ai pas beaucoup aimé ma lecture non plus à cause de ça, mais sûrement parce que je ne suis pas amatrice de ce type de récit trop dur.

Je reconnais tout de même un certain talent à l’autrice pour évoquer cela. Oui, c’est dérangeant mais le malaise est amené vraiment progressivement, malgré un début un peu brouillon et fade. On ne se doute vraiment pas de ce que cachent les personnages au début et au fil de l’histoire on tombe un peu des nues quand on découvre certains secrets. Si j’ai été touchée par celui du garçon, Nizuma, qui m’a bouleversée, ce ne fut pas le cas pour les autres. J’ai eu un sentiment de surenchère au bout d’un moment avec l’accumulation de personnages étant détestables ou dérangés. Je n’ai aussi pas compris comment l’héroïne pouvait se retrouver dans une telle situation après les révélations de la fin du tome. C’est trop surréaliste et ça ne sonne pas juste pour moi à nouveau.

Alors oui le discours sur le sexisme m’intéresse. J’aime la façon dont l’autrice nous amène petit à petit à comprendre que rien ne va, que des propos ordinaires ou certaines situations banales, ne devraient pas l’être mais devraient choquer et être interdits. J’ai aimé surtout qu’elle veuille nous montrer que ces violences ordinaires touchent aussi bien les hommes que les femmes, et que quand on est victime ça peut fausser notre façon de voir les choses et nous amener à être injuste, voire pire, à notre tour. Du moins, c’est ce que j’ai voulu voir dans les derniers chapitres où un personnage tient des propos terriblement choquant qui m’ont fait bondir. Elle n’épargne personne et nous montre une vérité crue qui fait mal. Ça, ça me plaît, mais est-ce que cela sera suffisant par la suite, je ne sais pas. Si elle tombe vraiment trop dans la surenchère de situations glauques pas forcément justifiées, ce sera trop pour moi et je m’arrêterai là.

Au passage, petit avertissement, cette série est dure et contient des scènes très difficiles : sexisme ordinaire, impunité des coupables, agressions sexuelles, viols… et les scènes ne sont pas justes évoquées. Soyez prévenus !

En conclusion, comme annoncé par l’éditeur français, En proie au silence est un titre qui ne peut pas laisser indifférent. Il questionne notre société sur certains de ses vices cachés qui ne devraient plus l’être et qu’il faut dénoncer en plein jour. Mais pour le moment, je trouve le titre inabouti, alors que vu la réputation de l’autrice, je m’attendais à quelque chose de plus fin…

Tome 2

Difficile de trouver les mots après la lecture de ce nouveau tome. Je ne suis toujours pas convaincue. Il y a énormément de choses qui me dérangent dans ce titre, dans les paroles mises dans la bouche des personnages et dans les éléments dénoncés qui me font me sentir très mal. Je sais que c’est voulu par l’autrice mais par moment j’ai du mal à voir où elle se situe et ça n’aide pas. Je continue donc à trouver le titre too much et à ne pas savoir me positionner dessus.

Je m’attendais après la lecture du tome 1 à voir une dénonciation des violences sexistes et sexuelles faites aux femmes aussi bien qu’aux hommes, ce qui aurait été révolutionnaire. Malheureusement, ce n’est pas le cas. On ne se concentre que sur les femmes. Les hommes sont cependant traités de façon plus nuancée et ne sont pas tous mis dans le même panier, ouf ! Cependant, je continue à trouver le discours un peu trop à charge par moment et j’aurais aimé ce contre point avec Niizuma mais ça ne vient pas…

Ce fut une lecture très dense avec beaucoup de personnages qui interviennent, vivent des choses différentes et tiennent des propos différents car leurs positions et visions du monde diffèrent. Cependant, j’ai eu l’impression d’une « accumulation » de cas encore une fois. Ce serait bien aussi de croiser des gens « normaux » au milieu de tout ça et pas que des victimes ou des pervers… Cependant je reconnais que la narration est bien menée, on passe d’un personnage à l’autre, d’une histoire à l’autre avec beaucoup de fluidité et la découverte de chaque exemple de « maltraitance » est intéressante.

Le cas de Misuzu qui fut le point de départ, n’est qu’un parmi d’autre ici, et en plus il n’avance pas beaucoup avant le cliffhanger car elle reste enfermée dans sa position de victime. Au passage le moment où on la montre comme victime prenant du plaisir fut très très dérangeant pour moi, je ne cautionne pas ! Cependant c’est le cas qui va donner envie à certains de se bouger et j’aimerais vraiment voir cela dans les prochains tomes. Je trouve intéressant que certains remarquent que quelque chose clochent et cherchent à se mobiliser, à voir comment. Concernant Niizuma, son pendant masculin, j’ai plus de mal, ça me dérange de le voir fantasmer sur sa prof dans le contexte de l’histoire. Cependant, il ressemble à un vrai ado entre guillemets avec ses désirs incontrôlés, ses envies de découvertes et pourtant sa naïveté. C’est un gentil garçon qui ne fait pas n’importe quoi, il me plait. Sa copine Mika me fait de la peine, elle n’a aucune confiance en elle à cause de ses rondeurs et du dictat de notre société qui ne valorise que les filles minces. Du coup, elle ne s’appuie que sur sa poitrine et ça lui joue bien des tours. A l’inverse, une de leurs camarades, Midorikawa, a parfaitement compris comment fonctionnait la société et préfère en jouer. Ça a l’air d’une fille forte qui pourrait ruer dans les brancards ! Enfin, il y a le fameux couple ultra dysfonctionnel des amis de Misuzu qui me donne envie de vomir. Entre elle qui se conforte dans sa vision passéiste et soumise de la femme, et lui qui est un violeur récidiviste mettant tout sur le dos des femmes, c’est révoltant !

Alors oui, l’autrice remue beaucoup de choses en moi. Je ressors écœurée, dégoutée et énervée de cette lecture. Mais je ne trouve pas cet effet « coup de poing » que j’attends pour le moment. J’ai juste la sensation d’une accumulation de situations glauques et malsaines sans rayon de lumière, sans espoir et moi j’ai besoin d’espoir dans ce genre de situation. Peut-être que la prise de conscience des petits jeunes fera bouger les choses, je l’espère, parce que pour le moment on est juste dans du sombre, très sombre et sans issue, ce qui est fort triste.

Tome 3

J’ai mis le temps pour me lancer dans la lecture de ce tome. Après deux tomes un peu compliqués pour moi où je trouvais le message de l’autrice brouillon et peut-être trop véhément envers tous les hommes, je me suis enfin réconciliée avec elle ici grâce à un tome libérateur et charnière pour la suite.

Dans ce tome, pour la première fois, l’héroïne n’est pas victime de viol. En effet Hayafuji s’est trouvé une nouvelle victime et il la laisse tranquille. Mais elle ne va pas bien pour autant car quand on est victime, comme elle, même sans voir son agresseur on souffre. L’autrice prend son temps dans ce tome pour nous montrer la culpabilité qui ronge Misuzu qui s’estime responsable en partie de ce qui lui arrive, alors que ce n’est absolument pas le cas, et c’est terrifiant. Terrifiant de voir qu’elle se sent obligée de trouver un biais où c’est elle la fautive et non Hayafuji. C’est également révoltant de voir que tout le monde semble au courant autour d’elle mais que personne ne fait rien. Sa soi-disant meilleure amie est au courant des incartades de son cher et tendre mais laisse faire. Peut-être n’en sait-elle pas la gravité mais quand même, quand on voit les rumeurs qui court sur Hayafuji il y a de quoi s’interroger. Personne ne fait rien chez les adultes, tout le monde se contente de regarder et ainsi on laisse un prédateur en liberté. Est-ce bien normal ?!

L’autrice nous fait tranquillement passer le message et celui-ci gagne terriblement en force au fil des tomes, car cette normalité s’affiche et s’effrite également de plus en plus. Le nombre de personne parlant de tout ça s’élargit et on se dit que certaines vont bien finir par réagir. C’est le jeune Niizuma, qui contre toute attente, va être l’élément déclencheur. Malgré sa terrible confrontation avec sa prof, qui aurait pu le mettre à mal, il va décider de l’aider à sa manière. C’est superbe. J’ai adoré ça. L’autrice ne force pas le trait pour cela. Elle met juste face à face deux personnes blessées dont l’une tente d’aider l’autre à sa mesure, sans rien attendre en retour. Retour qu’il va finir par avoir de la façon la plus brute et la plus belle, par l’acceptation de cette main tendue et la reconnaissance de l’erreur de sa prof. Un très beau moment.

Ce tome fut superbe pour l’évolution de ce duo, celui au coeur de l’histoire, mais ce ne sont pas les seuls qui ont mis notre coeur de lecteurs à mal. En effet, afin de montrer d’autres types de prédateurs que Hayafuji, l’autrice a enfin révélé ce que cache Misakana. Celle-ci se comportait de manière bien étrange avec les garçons depuis le début, on comprend enfin pourquoi, avec la terrible révélation qui est faite sur son frère. Alors soit, je trouve ça encore un peu gros, je ne vais pas mentir, mais j’ai aimé la façon dont c’était amené et surtout le message que cela peut potentiellement porter sur la dénonciation de cette image de la femme pure en opposition avec la femme « souillée » que certains hommes portent en étendard de manière bien hypocrite. Son histoire m’a retourné l’estomac une nouvelle fois, j’ai eu très peur pour elle et je pense qu’il y a vraiment quelque chose d’intéressant à faire autour de son personnage et de celui de Wada, qui est peut-être plus profond que prévu. Cependant, elle est quand même vachement tordue comme fille et je continue à trouver que la mangaka aime un peu trop dramatiser son récit par ce genre d’effet de manche. J’aime les personnages un peu plus réalistes pour ma part.

Cependant, je dois enfin reconnaitre qu’avec ce tome, la série décolle pour moi. J’y trouve enfin, par moment, le discours dénonciateur plus nuancé que j’attendais où on voit bien que tous les hommes ne sont pas des pourris même si certains le sont de manière terrifiante. Non, ce que l’autrice dénonce, c’est plutôt l’ensemble de cette société qui se voile la face et laisse faire, laisse tenir des propos dévalorisants envers les femmes, les laisse se faire agresser sans rien dire, etc. C’est ce message-là qu’il faut retenir et les interventions de certains hommes et femmes confondus qui ne ferment pas les yeux et sont prêts eux à aider ceux dans le besoin.

Tome 4

La série continue sa belle progression avec la phase de reconstruction de l’héroïne et de son élève qui est définitivement entamée et qui me plait beaucoup. Pour autant, il y a toujours autant de moments révoltants et cette sensation que le patriarcat est tout puissant m’étouffe toujours autant.

Après la déclaration de Nizuma, Misuzu réagit enfin et sort de sa coquille pour tenter de reprendre possession de son corps et de sa vie même si cela n’a rien de facile. Cela donne une nouvelle dynamique à la série bien plus engageante et positive, ainsi qu’un nouvel allant pour le lecteur, qui était peut-être comme moi englouti par tout ce marasme. Du coup, je n’ai pas eu la sensation d’être embourbée dans des couches et des couches de mélodrame cette fois. J’ai au contraire eu la sensation qu’enfin les lignes bougeaient.

Pour autant rien n’est fait et rien n’est facile. Des résistances sont toujours belles et bien là. Il y a d’abord cette société patriarcale étouffante et révoltante où en plus certains hommes se protègent les uns les autres dans leurs méfaits dans une mauvaise solidarité masculine, ce dont profite le terrible Hayafugi. Ce sont des passages qui m’ont tordu le ventre et donné envie de hurler. J’espère vraiment qu’il finira par être puni pour ses actes parce que ce type est abject. Je salue d’ailleurs le courage de l’amie de Reina qui tente elle aussi de faire bouger les lignes à ses risques et péril. Cependant, il y a un profond sentiment d’impunité qui fait que malgré tout ce courage fourni par les femmes de l’histoire, cela ne bouge pas et c’est terrible. J’ai détesté suivre la petite vie tranquille d’Hayafugi qui se voit coopté par ses pairs, promis à un avenir brillant avec promotion, femme et bébé. C’est à vomir ! Bravo à Akane Torikai de nous faire ressentir tout ça avec tant de force !

Heureusement pour ne pas trop sombre, en parallèle elle nous propose le parcours plus positif de Misuzu, qui commence à relever la tête. Elle a vraiment trouvé une nouvelle force en Nizuma et la façon très douce et subtile dont l’autrice met en place leur rapprochement me plait beaucoup. On sent qu’ils tirent l’un l’autre de la force de leur rencontre et de leurs partages. C’en est très touchant. Les petits instants qu’ils partagent sont ceux qui me marquent le plus car on sent vraiment une fragilité à fleur de peau chez chacun comme s’ils pouvaient se briser à chaque instant mais se renforçaient plutôt au contact l’un de l’autre. C’est très beau. Et j’espère vraiment que l’autrice va les protéger au mieux pour que toute la noirceur qui les entoure ne les ravage plus, car j’ai vraiment peur pour eux avec les personnes toxiques qui gravitent autour d’eux.

Alternant entre moments douloureux qui donnent envie de hurler et vomir, et moments beaucoup plus forts, beaux et doux également où l’on voit l’héroïne et Nizuma qui se relèvent et commencent à se reconstruire, ce tome fut vraiment un très beau moment de lecture, puissant et touchant. La série a vraiment pris un joli tournant que j’espère lui voir poursuivre avec peut-être un poil plus de justice.

Tome 5

Nouvelle lecture fort perturbante pour ne pas changer. Alors que les personnages semblent avancer à leur façon totalement tordue et parfois dérangeante, le discours lui est toujours aussi sombre et malaisant.

Je continue à avoir du mal à cerner le propos d’Akane Torikai dont je trouve la mise en scène souvent brouillonne et le chemin emprunté fort tortueux, mais elle a le mérite de me faire réfléchir et de laisser une trace après la lecture, ce qui est la preuve d’une oeuvre forte. Ici, nous assistons à des chemins de vie inextricablement mêlés, dont le seul reproche que j’aurais à faire, c’est que comme par hasard, ils concernent tous des gens avec des traumas bien lourds, ce qui est tout sauf réaliste. Comme je l’avais déjà écrit, cela donne un sentiment de surenchère et d’exagération alors que j’aurais aimé un propos plus juste et sensible.

Il y a d’un côté Misuzu et Niizuma dont l’histoire semble avancer à pas de fourmis car ce n’est pas simple pour l’un tout comme pour l’autre de se défaire de ses traumas pour avancer dans une histoire romantique, mais j’apprécie beaucoup leur fraicheur et leur fragilité. Si le chemin emprunté par Niizuma me dérange énormément et en dit long malheureusement sur une certaine image qu’on attribue aux hommes, je suis plus séduite par celui de Misuzu qui redevient la jeune femme qu’elle aurait dû être sans ce qu’elle a vécu. Il n’y a que cette image de la « femme-mère » qui pardonne qui me dérange profondément tant je la trouve clichée et rétrograde à l’heure actuelle… Mais cela avance quand même joliment entre eux vers une romance que je trouve belle, touchante et faisant sens.

Mélangé à leur histoire, nous touchons également à la vie sordide de Misato, personnage terriblement ambigu dans sa représentation « des femmes » pour ne pas dire glauque mais tout de même très moderne dans ce qu’elle dit de ce qu’on accepte pour ne pas être ennuyée ou violentée en tant que femme. Cela déchire le coeur. Elle est vraiment bien cabossée et l’autrice semble nous amener tranquillement à la considérer comme un élément explosif pour la suite.

Reste en marge et pourtant au centre de tout cela, le couple Minako-Hayafuji qui pourri la vie à tout le monde. Je n’arrive pas à éprouver la moindre pitié pour eux, je les déteste autant l’un que l’autre. Je trouve Minako à vomir dans ce qu’elle accepte de cet homme et dans cette soumission qu’elle accepte naturellement. Alors même si elle se fait plus douce depuis qu’elle est enceinte (quel cliché !), ça ne suffit pas pour moi. C’est le genre de femme à fuir pour moi. En revanche, cette scène où Misuzu lui rend visite et s’avoue la vraie nature de leur relation est frappante. Quant à Hayafuji, c’est bien que la parentalité le remue mais c’est impossible pour autant de pardonner tout ce qu’il a fait et fait encore. Ce type est l’une des pires ordures que j’ai pu trouver dans une oeuvre de fiction et je ne veux pas d’une rédemption. Ce qu’il dit des femmes « qui acceptent tout » comme si c’était leur faute est à vomir ! Du coup, je comprends parfaitement le coup de folie qui prépare Reina.

En proie au silence est vraiment un titre qui porte bien son nom tant les personnages étouffent ce qu’ils ressentent et pensent vraiment. Il renferme de vraies qualités dans son intention de dénoncer les travers d’une société dans son rapport aux femmes. Cependant je continue à le trouver bancal dans sa forme, tout est trop surjoué, trop cliché, manquant de nuances et certains discours mis en avant me dérangent vraiment. Je n’arrive pas à trouver la sensibilité que j’aime et que j’attendais dans ce genre de titres. Quand des séries comme Don’t Fake your Smile ou Blue Flag dénoncent des sujets similaires, je trouve qu’elles le font bien mieux avec un côté moins voyeuriste, plus juste et réaliste. C’est ce qui fait qu’En proie au silence restera pour moi une bonne série mais pas une série que j’aurais envie de relire, je pense.

Tome 6

Quelle horreur ce tome ! Pas parce qu’il est mal écrit mais au contraire parce qu’il frappe fort là où ça fait mal et nous laisse soit énervée, soit k-o. La description de l’engrenage de cet homme violent et des conséquences sur tout son entourage est glaçant d’horreur et de vérité. Le besoin d’explication, de pardon est naturel mais exacerbe mon énervement et mon horreur. Effrayant de réalisme.

Depuis le début, j’ai du mal avec les propos d’Akane Torikai. Je la trouve parfois assez flou dans ses propos et j’ai du mal à cerner ses intentions. C’est encore le cas ici mais je soupçonne de plus en plus que c’est totalement voulu et qu’elle va nous asséner quelque chose de très puissant dans les ultimes chapitres.

Je tremble encore là en rédigeant ce billet après ce que je viens de lire. Je ne m’attendais pas à tant de violence, tant de noirceur, alors que pourtant les autres tomes nous y préparaient. Mais l’espoir qui était né aussi des différentes relations qui se mettaient en place m’avait laissé entrevoir autre chose. C’était bien me tromper. L’espoir est là et les personnages victimes de violences commencent à trouver épaules sur lesquelles pleurer et oreilles prêtes à les écouter, mais ça n’empêche pas leur tortionnaire d’être toujours là et actif.

C’est justement Hayafuji qui m’a fait le plus trembler dans ce tome avec les femmes autour de lui. Il y a d’abord sa maîtresse actuelle, totalement folle, qui va tenter de commettre l’irréparable mais qui va être heureusement sauvée par sa meilleure amie, une femme que j’ai trouvé très intéressante de par ses réflexions sur son sexe/son genre et ce que la société attend d’elles. Étonnamment ce duo de personnages secondaires est l’un des plus intéressants ici. A l’inverse, je suis ivre de rage contre la femme d’Hayafuji, Minako, qui continue à faire la sourde oreille. Certes, cela tient en partie de son éducation, mais ça va trop loin. Cette femme aussi est totalement dérangée ou totalement sous emprise. Effrayant et glaçant. A travers elle, l’autrice tient des propos vraiment dérangeants, excusant presque le comportement inacceptable d’Hayafuji et lui pardonnant. Je dis NON !

Hayafuji est et restera une ordure finie. On ne doit pas lui trouver d’excuses ou de faiblesses psychologiques expliquant cela. NON ! C’est un tortionnaire, un persécuteur, un criminel, une pourriture. D’ailleurs, je m’interroge pas mal sur les choix fait par l’héroïne Mlle Hara. Elle aussi semble vouloir lui trouver des excuses et lui pardonner. Ce n’est pas la bonne réponse pour moi. Je refuse qu’on pardonne à ce genre de type, ce qu’il a fait est trop grave et il doit y être confronté. J’espère très très fort que l’autrice poussera la justice à se mêler de son cas sinon ce serait d’une injustice trop forte pour moi et je risque de vilipender le titre.

J’ai ainsi été très chamboulée par cette lecture. J’ai été très dérangée par les propos autour d’Hayafuji visant à son pardon. J’ai été effrayée par le comportement de ce dernier et les derniers outrages qu’il fait encore subir à Mlle Hara. Mais pourquoi ? Vraiment pourquoi ? Qu’est-ce qui cloche chez lui ? Jusqu’où va-t-il aller encore ? Que font les autres ? Mais à l’opposé, qu’est-ce que j’ai aimé le développement de Nizuma, qui dit à Mlle Hara : « c’est bon, je vous ai entendu, je vous ai compris. » C’est si beau ! Malgré ses maladresses, j’aime vraiment beaucoup le développement de ce personnage. Maintenant, j’ai juste un peu beaucoup l’impression qu’on a oublié Reina, qui elle aussi ne va pas bien…

Face à ce maelstrom d’émotions, je suis bien en peine d’évaluer ce tome et je vous ai livré là mes émotions brutes. Beaucoup de choses se mélangent, beaucoup de sentiments désagréables et malaisant qui interpellent aussi sur notre monde, sa violence, la raison pour laquelle les hommes s’en prennent tant aux femmes encore et encore. La réponse avancée par l’héroïne dans la toute fin interpelle et laisse songeur mais est une jolie piste à explorer qui a quelque chose d’un peu freudien, je trouve. Un tome intense, bouleversant, limite intimidant…

Tome 7

Un tome bien étrange qui m’a encore laissé un drôle de sentiment en tête après l’avoir refermé. A un tome de la fin, j’ai encore du mal à cerner les propos et surtout ce que pense Akane Torikai de tout ça…

Le tome s’ouvre quand même sur la terrible agression dont Misuzu a été victime. Par un sursaut de je ne sais quoi, son « amie » lui vient en aide, mais est-ce vraiment le cas ? Ne fait-elle pas ça à nouveau pour couvrir Hayafuji ? J’ai été frappée par ses excuses cependant, je pensais que ça allait dans le bon sens, mais après la façon dont elle couvre Reina m’a fait douter. Quelle ambiguïté. Ça montre bien combien s’est difficile d’être dans une relation aussi toxique.

En revanche, pitié ne trouvez pas d’excuses à Hayafuji. C’est trop facile de lui inventer un passé d’enfant ayant assisté aux violences de son père sur sa mère. C’est trop facile de justifier encore un acte de violence envers les femmes en disant que c’est parce que lui-même a été traumatisé. J’ai vraiment beaucoup de mal avec ce discours qui semble dédouaner les hommes, leur trouver des excuses pour atténuer leurs horreurs. Non toutes les personnages qui ont été témoins ou victimes de violences ne le deviennent pas, c’est faux ! Et il serait bon de le dire pour une fois.

Cela prouve bien l’ambiguïté du discours de l’autrice. D’ailleurs, elle tient à nouveau des propos qui m’ont dérangé sur les victimes, les faisant passer trop souvent pour des faibles, soit des êtres ayant renoncé à être forts par peur de la suite, soit des êtres qui de toute façon restent faibles même quand ils se rebellent. Là aussi, il n’y a pas de fatalité. Non, les hommes ne sont pas systématiquement plus forts que les femmes. C’est complètement archaïque de penser ainsi !

Akane Torikai m’a ainsi plus d’une fois révoltée dans ses propos. Je ne sais pas si c’est ce qu’elle pense ou si elle les insère juste pour nous faire réagir, mais ça me dérange. J’attends donc le dernier tome pour juger de cet aspect et ce sera probablement ce qui fera pencher la balance pour que je recommande ou non ce titre.

En ce qui concerne le reste, j’ai été touchée par l’après agression et le parcours de Misuzu. C’est extrêmement dur de la voir prendre ainsi sur elle, déclarer qu’elle est juste tombée, reprendre le boulot au contact des autres après ce qu’elle vient de vivre. Mais c’est beau de la voir se relever, s’affirmer, tenter d’aller de l’avant. J’ai juste du mal avec sa relation avec Nizuma. C’était vraiment mon ancre dans la série, ce qui me faisait tenir et aimer celle-ci, car j’y voyais un espoir pour elle. Je peux comprendre qu’elle doute après ce qu’elle vient de vivre mais c’est dommage de faire reposer ça sur lui.

Il faut dire quand même que l’autrice nous sort l’artillerie lourde niveau drama autour de Nizuma. Misato, qui vient également une situation terrible (quand je dis qu’il y a trop de drama…) cherche également en lui une bouée de sauvetage alors que Nizuma ne le souhaite pas. C’est terrible de la voir s’accrocher ainsi et tout foutre en l’air entre lui et Misuzu surtout avec le dernier coup de pute qu’elle fait dans les dernières pages. Je veux bien qu’elle se sente mal dans sa vie mais j’en ai un peu mare de ce genre de personnage de « méchant » ultra cliché. Cela manque cruellement de nuance et c’est surtout vu et revu, en fait.

A un tome de la fin, malgré les émotions fortes que le titre suscite en moi, en révolte et rejet, En proie au silence peine à me convaincre. L’écriture d’Akane Torikai manque trop de sensibilité pour moi, elle est trop ambigüe dans son propos envers les hommes comme les femmes, elle contient également trop de clichés pour apporter des tensions dramatiques. Bref, elle ne me touche pas et m’irrite au contraire. Cependant les réactions qu’elle suscite me donnent quand même envie d’aller jusqu’au bout pour voir justement quel sera le message final et s’il ne me fera pas voir le titre autrement. On garde espoir.

Tome 8

La série dérangeante d’Akane Torikai m’aura laissé perplexe de bout en bout, avec de beaux développements autour de la professeure victime mais des réflexions moralement perturbantes pour moi autour du bourreau de celle-ci. Je ressors donc assez mitigée de la lecture de cette saga sur certains points, mais elle aura eu le mérite de me chambouler et de me faire réfléchir et n’est-ce pas ce qu’on attend d’une oeuvre sociétale.

La reconstruction est définitivement au coeur de ce volume à la narration si particulière. En effet, l’autrice nous surprend avec un récit fait tel un journal relatant des événements passés et archivés. J’ai aimé ce ton qui permettait de prendre un joli recul sur des événements hautement émotionnels et charnières.

Moralement cependant, je ne peux pas être d’accord sur tout. Je trouve dérangeant et glissant que l’autrice tente de pardonner au bourreau de toute cette histoire, le faisant passer lui aussi pour une victime. Clairement rien n’explique son attitude dans ce qu’elle relate, il n’a pas été lui-même victime d’abus, c’est juste un homme qui a mal tourné sans que rien ne le justifie. Alors que sa femme lui pardonne, je ne comprends pas… Je pense voir où veut en venir l’autrice, découvrant ces femmes courages qui décident malgré tout d’aimer quelqu’un qui a commis un crime et de faire leur vie avec eux envers et malgré tout, mais moi ça m’est impensable. Ainsi, je ne vois rien de bien dans l’attitude de la femme de Hayafuji, en dehors du fait qu’elle compte tout faire pour son enfant qu’elle a décidé d’avoir et d’aimer envers et contre tout, malgré les peurs de son entourage bien rétrograde dans sa vision de la femme jeune, bonne à marier, mais qui doit être sans enfant pour ça… Ce qu’Akane Torikai dit de manière sous-jacente de la société japonaise actuelle fait encore froid dans le dos.

Tout cependant pas noir, j’ai adoré l’évolution de Misuzu. Cette femme complètement brisée au début, à la vision des hommes si sombre après ce qu’elle avait vécu, a bien changé au contact de Nizuma. Grâce à lui, elle s’est à nouveau ouvert au monde et aux relations sentimentales et a trouvé son but dans la vie. Chaque moment où elle apparait et parle dans ce tome est lumineux. C’est touchant et poétique, ce que l’autrice met parfaitement en avant grâce à une narration très sobre fait de cadrages la mettant au centre de tout. J’ai adoré ! Alors oui, il y a des moments surréalistes comme ce qu’il se passe dans leur lycée lors que la fameuse photo est diffusée, comme lorsque l’institution est au courant mais que Misuzu n’est en rien inquiétée, comme lorsque Misato voit sa souffrance résolue bien facilement (l’autrice n’aurait-elle pas oublié ses problèmes chez elle ?)… Mais ça n’empêche que c’est superbe de voir l’évolution que connait cette femme.

L’ultime chapitre où l’on voit ce que chacun devient après l’agitation passée m’a beaucoup émue. On voit une femme victime d’abus parvenant après bien des difficultés à s’en remettre et à avancer dans la vie. L’autrice montre bien que ça n’a rien de facile, qu’aller témoigner n’est pas simple et que parfois les questions posées peuvent être maladroites et que la victime peut hésiter à y aller. C’est tout à fait normal. Mais au bout du chemin, si c’est pour découvrir une femme enfin apaisée, qui arrive désormais à s’affirmer et à aimer à son tour, on a tout gagné.

Ainsi l’oeuvre de reconstruction d’Akane Torikai est bien arrivée à son bout. Elle a su décrire avec un certain réalisme et une attention certaine le cheminement d’une victime vers une vie nouvelle, plus belle. De ce point de vue là, c’est parfaitement réussi et j’ai adoré suivre l’évolution de Misuzu et Nakajima. Je serai plus mitigée voir critique concernant Hayafuji, le bourreau et sa compagne, dont le traitement là me gêne beaucoup aux entournures… Mais tout ne peut pas être parfait et le portrait de la société japonaise autour des questions des relations hommes-femmes est tout de même assez saisissant pour rester en mémoire. Une oeuvre percutante et intéressante à lire sur un sujet qu’on voit trop peu sous cet angle-là.

©Akata 2020 / ©Akane Torikai, Kodansha Ltd.

11 commentaires sur “En proie au silence d’Akane Torikai

    1. Beaucoup de gens ne l’ont pas ressenti comme moi, alors peut-être que ça passera mieux chez toi. J’avoue que j’ai du mal avec la sensibilité du titre même si je soutiens tout ce qu’il dénonce et dont il faut parler, c’est juste la manière de le faire qui passe mal chez moi ^^!

      J’aime

  1. Ta chronique du tome 4 me rassure quelque peu ! Je ne compte pas le lire tout de suite puisque je l’emprunte à la médiathèque (donc, le temps qu’il arrive …) mais heureusement qu’on entrevoit un peu d’espoir. En revanche, voir Hayafuji sur la couverture me dégoûte.

    Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire