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Search and Destroy d’Atsushi Kaneko

Titre : Search and Destroy

Auteur : Atsushi Kaneko

Editeur vf : Delcourt-Tonkam

Année de parution vf : 2021

Nombre de tomes vf  : 3 (série terminée)

Résumé : A Hachisuka, ville qui pullule de robots, Doro, petit orphelin chapardeur, est pris en flagrant délit alors qu’il tente de cambrioler l’antre de créatures yakuzas… Une jeune fille, à première vue ni humaine ni créature, apparaît alors devant lui, les yeux injectés de colère. Dotée de quatre membres mécaniques qui cachent des armes surpuissantes, elle assaille sans hésiter Kick, le parrain du gang…

Mon avis :

Tome 1

En tant qu’amatrice de manga curieuse de la multiplicité de ce média, j’ai souvent entendu parler d’Atsushi Kaneko, dont les oeuvres un peu underground titillaient ma curiosité tout en m’effrayant par leur côté un fou. Je n’ai donc jamais eu le courage de lire Bambi, Soil ou encore Wet Moon, qui sont pourtant souvent plébiscités. Cependant, sa reprise de Dororo, titre assez mainstream d’Osamu Tezuka, m’a fait sortir de ma zone de confort. Je voulais vraiment voir ce que l’association des deux pouvait donner.

Dororo, comme je le disais la semaine dernière, est une sorte de revisite des Douze travaux d’Hercule à la sauce japonaise, avec un héros qui pourfend les démons pour récupérer les 48 parties de son corps qu’ils lui ont dérobé. C’est un shonen assez classique dans la forme, qui aime emprunter au bestiaire des créatures démoniaques japonais, tout en proposant un road-trip à l’époque Sengoku avec un duo improbable où Dororo joue le compagnon de route.

Sa revisite, Search and Destroy propose une toute autre vision de l’oeuvre. Là où j’avais trouvé celle d’origine un peu limitée, un peu enfantine et manquant de noirceur, c’est tout le contraire ici. L’auteur reprend l’idée de base de Tezuka avec un héros, ou plutôt une héroïne ici, à qui on a dérobé des parties de son corps et qui souhaite les récupérer, mais cette fois, c’est elle la narratrice. Cette orientation est annoncée dès le titre, tout comme l’ambiance sombre et psychédélique est annoncée dès la couverture. L’auteur revisite ainsi ce classique de Tezuka à la sauce cyberpunk post-apocalyptique et c’est juste hyper savoureux. L’élève a ici dépassé le maître !

D’emblée, nous nous retrouvons dans un univers qui n’a rien à envier à la Metropolis de Fritz Lang, ni à la Zalem de Gunnm. C’est un petit monde de privilégiés en opposition totale avec la misère des pauvres hères que côtoie l’héroïne qu’elle va attaquer et secouer. Tezuka le faisait déjà dans l’oeuvre d’origine mais ça n’avait clairement pas la même force évocatrice pour moi. La transposition dans un monde crade, pauvre, difficile, futuriste y joue pour beaucoup. C’est un imaginaire qui me parle bien plus et où je trouve les différences sociales encore plus criantes. On suit des personnages de sales vieux dégueulasses et privilégiés comme dans les polars sombres de K.Dick avec une ambiance empruntant un peu aux troquets de Star Wars mais en moins fun. C’est juste top !

L’héroïne arrive de nulle part avec son look improbable, son odeur pestilentielle, et elle vient secouer tout ce petit monde en venant les agresser sans qu’ils comprennent trop pourquoi et nous non plus au début, si on n’a pas les cartes de la série d’origine. C’est brutal, violent, inattendu et jouissif. Les personnages en contre-champs semblent aussi perdus que nous et l’effroi est parfaitement rendu par l’auteur, dans ce monde qui semble si bien réglé face à la misère de ceux qu’ils côtoient en bas de l’échelle sociale.

Les révélations et explications ne tombent que dans la seconde moitié du tome et sont parfaitement assénées avec un flashback très bien intégré à la narration principale. Là où le titre original souffrait de son format épisodique, ici nous sommes dans une vaste fresque s’appuyant sur les récits modernes auxquels nous sommes désormais habitués. C’est bien plus agréable à suivre.

Nous découvrons un monde où il semble y avoir eu une terrible guerre. Désormais les habitants sont partagés en deux catégories : les humains et les creechs, des robots autrefois faits pour servir les humains mais qui cherchent plutôt à les asservir désormais. Notre héroïne avec son corps rafistolé de partout semble être l’un d’entre eux, mais ce n’est pas du tout le cas. C’était une humaine à 100% mais à qui on a tout pris et qui maintenant est partie dans une folle quête de vengeance pour récupérer tous les éléments de son corps. J’ai trouvé l’univers et l’héroïne juste fascinants. L’univers n’a pourtant rien de fondamentalement original mais il est bien écrit, bien posé et bien mis en scène. L’auteur joue très bien de l’opposition entre les deux classes. Il a doté son héroïne d’un charisme fou également. Et ainsi, il a écrit un premier tome particulièrement efficace.

Son dessin très particulier et reconnaissable est adouci ici, sûrement pour tenter de plaire au plus grand nombre. On retrouve cependant son goût pour les noirs très profonds et pour les ambiances proches de certains comics indies américains mais aussi de cinéastes comme David Lynch. C’est sombre, c’est psychédélique, c’est étrange et pourtant ça résonne en nous et ça nous parle, car la mise en scène de cette misère et de cette violence viscérale nous est connue. J’ai adoré l’ambiance polar à l’ancienne dans certaines scènes. J’ai adoré la brutale violence des assauts de l’héroïne mise en scène une grande vivacité. J’ai été fasciné par l’ensemble des décors de SF, qui rappelle vraiment le travail sur certains grands films. Mais surtout, j’ai adoré le travail sur les regards et les expressions faciales qui les rendent tellement marquantes. C’est vraiment un style graphique que j’ai adoré découvrir, ici !

Ainsi, alors que le Dororo d’origine m’avait laissé un peu sur ma faim par un certain manque d’ambition de la part de l’auteur, ici en revanche, j’ai adoré. C’est sombre, c’est brutal, c’est violent, c’est percutant et l’univers est vraiment bien exploité. Après, ce n’est que le premier tome d’un triptyque et la machine est à peine lancée. Pour ceux ne connaissant pas l’univers originel, on ne découvre certains éléments déclencheurs qu’en toute fin de tome et l’histoire n’est vraiment lancée qu’à partir de là, mais je trouve cette mise en bouche déjà jouissive.

Lu dans le cadre du Osamu Tezuka Challenge de Papa Lecteur

>> N’hésitez pas à lire aussi les avis de : La pomme qui rougit, 17 number 17, Gohan, Vous ?

Tome 2

Notre Jeanne d’Ac du futur poursuit la reconquête de morceaux de son corps qui ont été si librement distribués en pot de vin. C’est encore une fois un récit pêchu, psychédélique et très cru que nous livre Atsushi Kaneko.

Dans cet univers dystopique post-apocalyptique, son héroïne poursuit sa quête après avoir dû se séparer de celui qui représentait la figure du père pour elle. Elle est plus seule que jamais malgré la présence du mystérieux Doro à ses côtés, alors que ses aventures prennent une tournure toujours plus sombre et tendue.

J’adore ce que Atsuko Kaneko a fait de l’univers original de Dororo. Elle en a vraiment gardé uniquement la substantifique moelle pour ensuite développer son univers sale, cadre, dégueulasse dopé à la SF dickienne. Nous découvrons dans ce tome la vraie place attribuée aux creech par les humains qui dirigent cette nouvelle Métropolis. Comme prévu, les magouilles sont partout, les politiques sont des salauds, le monde est sombre très sombre, et les gens différents et aux abois font des cibles parfaites pour se faire exploiter. La critique de notre capitalisme est évident ici, ainsi que le rôle que les politiques y jouent dans l’exploitation humaine.

Le récit du passé familial d’Hyaku, l’héroïne, n’a rien à envier au drame mis en place dans l’original par Tezuka. L’auteur y ajoute juste un costume SF, mais le reste s’inspire juste des pires tragédies humaines que l’homme a pu écrire avec ses luttes familiales meurtrières. Et l’héroïne se retrouve plongée au milieu de ces guerres de pouvoirs sans le savoir participant sans le savoir à l’écriture de ce nouveau récit œdipien.

En tant que lectrice, j’avoue trouver tout cela jouissif, car au-delà des références culturelles, littéraires et cinématographiques évidentes, Search and Destroy est un excellent divertissement. Le récit est sombre très sombre. L’auteur s’amuse à nous faire passer d’un décor à l’autre, passant du coeur politique de la capitale, à la misère d’une mine à l’extérieur, et terminant dans les plus sombres recoins où se terrent les âmes corrompues. C’est jouissif à suivre et le rythme ne mollit pas. Hyaku poursuit sa quête vengeresse récupérant d’autres parties de son corps, mais cela se complique au fur et à mesure, et l’auteur en profite pour ajouter une dimension psychologique plus importante, sur notre rapport à notre corps notamment et aux sentiments qui y sont liés. C’est puissant.

Tout cela est accompagné d’un dessin toujours très marqué par le milieu indie que j’aime beaucoup car il me change de mes habitudes. J’ai vraiment l’impression de me retrouver à la fois dans un film de David Lynch pour le côté psychédélique parfois et dans un bon vieux polar à l’ancienne avec l’ambiance très noire. Ce noir dégouline toujours autant des pages et nous amène des personnages aux morphologies de plus en plus déformées, comme un écho aux mutilations subies par l’héroïne. C’est très riche.

Alliant divertissement et réflexions profondes sur notre société capitaliste des apparences pétrie de corruption, Search and Destroy est volontiers provocateur mais toujours pertinent.

Lu aussi dans le cadre du Osamu Tezuka Challenge de Papa Lecteur

Tome 3 – Fin

Alors que la série d’origine n’a toujours pas été intégralement rééditée chez nous, ce revisite tire déjà sa révérence et quel final ! Il place direct la série dans les titres de SF les plus marquants que j’ai pu lire en ouvrages graphiques avec une mise en scène, un développement et des thématiques de grandes qualités.

La couverture annonçait un joli bouquet final, celui-ci a bien eu lieu. Le feu d’artifice réservé par l’auteur est au rendez-vous et nous explose littéralement à la figure pendant 300 pages non stop, le temps d’un final archi nerveux. J’ai adoré la mise en scène d’Atsushi Kaneko qui allie film noir et SF décomplexée. Dès les premières pages, elle nous envoie une claque avec sa science du découpage et cela ne se calme nullement après. Certaines compositions sont du pur génie, que ce soit quand l’héroïne se réapproprie son corps, quand son père prend la fuite ou encore quand un parallèle se fait entre son histoire et celle de Doro. Magistral !

Et l’histoire est à l’aune des dessins et de la mise en page, excellent ! J’ai adoré cette tragédie grecque futuriste qui revisite intelligemment le mythe d’œdipe avec un père qui anticipe toujours aussi froidement sa fin et un enfant toujours aussi meurtri pour les plans cachés de son paternel. C’est fascinant. De plus, l’auteur détourne également les codes que l’on connaît des robots dans la SF, présentant à la fois des robots qui suivent aveuglément les ordres des humains en respectant les lois de la robotique mais également d’autres qui se rêvent plutôt humains et vont mener une révolution entêtante. Fascinant !

Ainsi, la quête d’émancipation des deux héros qui se cherchent également une identité, se fait dans le chaos le plus total. L’auteur mélange allègrement les trames narratives des ultimes moments de la quête d’Hyaku, des révélations sur la nature et les origines de Doro, ainsi que de la révolution qui se met en branle contre le Maire et les humains de la ville par les Creech. C’est rythmé, dynamique, tendu et archi nerveux, digne des meilleurs polars et thrillers noirs, mais dans un chaos total où cette quête de vérité se fait entraîner dans un véritable tourbillon d’événements petits et grands. Totalement étourdissant.

J’ai vraiment été fascinée par le sens de la composition et de la narration de l’auteur qui manie ainsi une histoire vieille comme le monde pour la transposer dans un futur sombre et réaliste. C’est froid, c’est rude, c’est crédible mais surtout c’est fascinant. Les questionnements sur la nature de l’humanité qui sont au coeur de ce récit sont entêtant et ce n’est pas la postface finale qui va me démentir tant elle explique bien la nature du travail de l’auteur ici.

Alors que pour moi Search and Destroy avait des allures de série B, il s’est révélé un titre tout proprement excellent aussi bien de par sa composition soignée que de par sa richesse surprenante. J’ai adoré cette lecture et je pense désormais aller regarder de plus près les autres séries de l’auteur que j’ai souvent vu comparées au cinéma de Lynch.

Lu aussi dans le cadre du Osamu Tezuka Challenge de Papa Lecteur

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9 commentaires sur “Search and Destroy d’Atsushi Kaneko

  1. Content que tu aies sauté le pas! J’avais fait de même à la sortie du premier tome qui était du coup mon premier Kenako et comme toi je n’avais pas été déçu! Son style graphique « énervé » colle parfaitement au récit et c’est clairement une réappropriation de l’oeuvre que je trouve de qualité!

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