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Destination Terra… de Keiko Takemiya

Titre : Destination Terra…

Auteur : Keiko Takemiya

Éditeur vf : Naban

Années de parution vf : 2021-2022

Nombre de tomes vf  : 3 (série terminée)

Résumé : Dans un futur où toutes les ressources naturelles de la Terre ont été épuisées, une colonie interstellaire a été créée pour permettre aux humains de continuer à survivre l’espace. Cette nouvelle société, dominée par des ordinateurs qui contrôlent l’intégralité des comportements humains, se débarrasse sans hésitation de tous ceux qui ne répondent pas aux critères établis. Parmi ces humains persécutés se trouvent les « Mu », dotés de pouvoirs télépathiques, obligés de vivre cachés. C’est en reconnaissant un jeune garçon comme leur guide que ces habitants vont tenter de renverser ce système injuste et de retourner enfin sur Terra !

Mon avis :

Tome 1

Précédé d’une solide réputation, j’attendais ce titre de pieds fermes, d’autant plus que j’avais été très déçue d’avoir manqué sa sortie aux Etats-Unis et je ne pensais pas le voir arriver un jour chez nous en France. Vous imaginez, un titre de SF des années 70 écrit en plus par une femme ! Il a fallu toute l’audace de Naban pour le voir arriver chez nous et je les en remercie. J’espère maintenant qu’il aura le succès qu’il mérite pour faire un beau pied de nez à ceux qui refuse de sortir des titres vintage quand ce sont des femmes qui les écrivent sous prétexte que ça ne se vendrait pas. Coucou, ça ne se vent pas forcément mieux quand ce sont des hommes aux manettes et pourtant vous les éditez… Passons.

Née en 1950, Keiko Takemiya est célèbre au Japon pour être l’une des membres du Groupe de l’an 24, ces autrices qui ont révolutionné le shojo à l’époque mais pas que. Son plus grand succès est Kaze to ki no uta (La chanson du vent et des arbres) et avec lui, elle a marqué les lecteurs de shojo lors de sa sortie, devenant même un classique du manga qui est à l’origine du sous-genre qu’on appelle le shonen-ai. Au Japon, son travail a été reconnu à plusieurs reprise par des prix prestigieux ainsi que par l’adaptation de Destination Terra en 1980 en film d’animation et en série animée en 2007. En 1980, la mangaka remporte le Prix Shogakukan dans la catégorie shonen pour Destination Terra et Kaze to ki no uta. En 1991, elle reçoit le Prix du ministre de l’Éducation de l’Association des auteurs de bande dessinée japonais. En 2014, elle reçoit la médaille au ruban pourpre pour sa contribution dans le domaine du manga. Il était tant que cette grande autrice arrive chez nous et je suis ravie que ce soit avec une série de SF, moi qui affectionne tant le genre.

Destination Terra, shonen composé de 3 tomes bien épais écrits entre 1977 et 1980, se place dans la lignée des récits de SF de l’époque que l’on retrouve aussi bien en BD, romans, qu’au cinéma. Les fans des histoires de cette époque-là seront ravis d’en découvrir ici une nouvelle. Pour le lecteur actuel, cela fleure bon le passé et une certaine forme de classicisme, mais pour l’époque c’était très novateur et c’est justement pour ça que tant s’en sont inspirés depuis.

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Ce premier tome, lui, s’est révélé être une lecture copieuse, limpide dans ses enjeux au fil des chapitres, mais avec un cadre important à découvrir et une narration parfois un lente, comme ça se faisait à l’époque, qui peut perdre certains lecteurs surtout dans un tome de près de 400 pages. Cependant, les prouesses graphiques de l’autrice confèrent beaucoup de force à ce récit classique et l’univers SF parfaitement maîtrisé fait plaisir à découvrir.

L’histoire démarre dans un univers où les Hommes ont quitté la Terre pour coloniser d’autres planètes. L’espèce humaine s’est désormais installées sur plusieurs bases et seule une partie de son élite triée sur le volet peut retourner sur Terre pour ne pas l’abimer à nouveau. Tout irait donc très bien si l’espèce humaine n’avait pas divergé et créé une autre espèce, les Mu, qui détiennent des pouvoirs psychiques ce qui les a fait exclure et pourchasser par la plus « vieille » partie de l’humanité. De plus, pour pouvoir appartenir à cette élite, il faut non seulement ne pas être reconnu comme divergeant, c’est une évidence, mais également réussir à passer un fameux test à ses 14 ans avec les meilleurs résultats. Or quand notre héros est sur le point de le passer, il se cabre, refusant d’oublier les souvenirs qui sont systématiquement enlevés à ce moment-là. Il est ainsi repéré par les rebelles Mu qui vont l’embarquer dans leur camp où il va faire de sacrées découvertes.

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Keiko Takemiya nous offre ici sa vision de la dystopie avec une société parfaite sur le papier, où les bébés sont crées artificiellement avant d’être confiés à des couples choisis, qui n’ont à s’en occupé que jusqu’à 14 ans, puisqu’ensuite ils passent ce test qui les rend « adulte ». La société a beau être très codifiée en enlevant certains souvenirs et certaines pensées à ses habitants, elle en fait de parfaits petits citoyens obéissants. Et c’est bien là le problème. Cette société semble dirigée par des intelligences artificielles secrètes qui régentent tout. On se demande bien pourquoi et qui peut être derrière.

Les Mu, eux, sont le peuple de rebelles, celui dont les membres grâce à leurs pouvoirs psychiques savent ce qu’il se passe et refuse d’accepter de vivre dans cette société aseptisée. Même si les hommes ont commis des erreurs et ont fait du mal à la Terre, ils veulent repartir de zéro et refonder une société humaine classique.

Les deux camps sont dirigés par des entités mystérieuses auxquelles les héros de chacune des parties de l’histoire vont se frotter sans le vouloir. Ainsi, malgré un rythme assez lent, nous sommes dans un récit plein d’aventure et surtout plein de réflexions sur le devenir de l’humanité, la procréation assisté, la notion de couple et de famille, la notion de société, etc. On découvre un titre de plus en plus riche au fil des chapitres.

L’autrice prend le temps pour dévoiler son univers et ses héros. La couverture est trompeuse, montrant un héros qui n’en sera pas un, et quand on pense avoir trouvé le bon, on se rend compte 1/ qu’il n’est pas seul, 2/ que c’est plus compliqué que ça. C’est assez fascinant. En revanche, les seconds couteaux sont très effacés. C’est plus la société qui est mise en scène que vraiment des individualités. On a tendance à passer rapidement sur l’un ou sur l’autre à de rares exceptions et un dessin parfois un peu trop similaire et passe-partout pour l’époque n’aide pas à les distinguer et/ou retenir. Mais pour le premier tome de ce récit d’aventure initiatique sur fond de space opera, ce n’est pas trop gênant, on retient bien ceux qui comptent et c’est l’essentiel. En revanche, à part Blue Soldier au début, ils manquent un peu de charisme pour moi pour le moment, faisant trop jeunots. Oui, je sais, on est dans un shonen ^^!

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Contrairement à la narration pour laquelle je suis donc un peu mi-figue mi-raisin, les dessins so années 70 de Keiko Takemiya, eux, m’ont totalement séduite.

J’ai adoré sa représentation des vaisseaux, des villes et lieux futuristes, des personnages aussi qui sont dans le futur mais nous ressemblent encore beaucoup. J’avais vraiment l’impression d’être dans les décors d’une de ces vieilles séries de SF que j’aimais regarder petite. Mais au-delà de ça, j’ai été frappée par la puissance évocatrice de ses planches et son sens du découpage.

Comme avec Riyoko Ikeda, l’autrice joue à fond la carte de la dramaturgie, poussant les sentiments à outrance jusqu’à la rupture littérale de leur personnage à travers les cases et les pages. J’ai adoré la profondeur des noirs, la violence des ruptures, la poésie des volutes. Alors que nous sommes dans un shonen, nous avons tous les codes des shojos vintage que j’aime mais en un peu plus épuré. Très bon mélange.

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La lecture de ce premier tome fut donc prenante, dans tous les sens du terme. J’ai adoré plonger dans cet univers tellement novateur, pour l’époque, et rassurant, pour la moi présente, grâce à tout ce qu’on a pris chez lui ensuite. J’ai adoré découvrir cette société dystopique complexe, mystérieuse et bien sûr déchirée. J’ai surtout était frappée par les compositions graphiques de l’autrice et je suis fan de son trait vintage et tout ce qu’il apporte. J’attends juste que tout ça soit approfondi et notamment qu’elle donne plus de puissance à ses personnages, peut-être avec de nouveaux drames et des interactions entre eux, car ils sont un peu fades et archétypaux pour le moment. Une très très belle découverte pour laquelle je remercie encore Naban tant je n’y croyais plus.

>> N’hésitez pas à lire aussi les avis de : Songe d’une nuit d’été, Vagabond, Esprit Otaku, Vous ?

Et si vous voulez rire en lisant l’avis de quelqu’un qui n’a pas accroché direction le blog de L’Apprenti Otaku.

Tome 2

Après un premier tome lent et compliqué, je pensais retrouver la série avec un plaisir moins douloureux mais force m’est de reconnaitre que si c’est toujours passionnant, c’est toujours aussi flou et alambiqué également. Alors avis aux migraineux, prenez votre mal en patience lol

Replonger dans Destination Terra sans avoir relu le premier tome est un moment assez compliqué. Il m’a fallu un petit temps d’adapter pour me rappeler des enjeux et des personnages, mais une fois cela fait la narration plus linéaire de ce tome m’a simplifié les choses. Nous suivons Jomy/Shin qui dirige désormais les Mu avec Physis mais la tranquillité de leur vie sur Nazca est perturbée par les humains qui ne comptent pas en rester là et envoient Keith Anyan enquêter sur ce qui se passe.

Ce tome m’a donc semblé être une longue longue opposition entre Mu et Terrien, si on peut dire vu qu’ils n’habitent plus sur la Terre, par l’intermédiaire de Capitaine Shin et de Keith, le tout saupoudré de complications quand une nouvelle génération meurtrière de Mu née, à l’image de Tony, du ventre d’une mère et non d’un bocal. C’est passionnant parce que ce sont deux psychés, deux façons de vivre, deux conceptions de la vie qui s’opposent, mais cela reste très brumeux et le rythme est toujours aussi compliqué à apprécier…

La couche de mystère que l’autrice s’amuse à plaquer sur son histoire ne fait que nous embrouiller et retarder les événements, ce qui rend la lecture longuette. C’est dommage parce que le décor SF est de toute beauté, des thèmes d’eugénisme et procréation artificielle, au rôle des robots manipulant les humains, à la recherche de la vraie Terra. Toutes les scènes montrant l’intérieur des vaisseaux, les batailles dans l’espace mais aussi les bombardements de planètes sont à couper le souffle. Je regrette donc vraiment que ce ne soit pas porté par une histoire plus dynamique car la petite aura à la Star Trek ne suffit à faire oublier son manque de souffle.

Les compositions de Keiko Takemiiya sont toujours le gros point fort de cette oeuvre, avec ses planches tellement bien pensée pour refléter ce qu’il se passe à l’intérieur de la tête des personnages, mais aussi la violence des enjeux politiques qui déchirent ces deux peuples. Elle met beaucoup d’imagination et de puissance dans les métaphores qu’elle met en scène pour décrire ce qui se passe et la violence de ces affrontements à tous les niveaux, créant des pages fascinantes à regarder.

Destination Terra continue de me plaire de part l’exercice de découvrir une vieille oeuvre culte de la SF japonaise. Cependant la forme rend la chance assez ardue tout de même. Les problèmes de narration persistent malgré un récit plus linéaire. Il me manque toujours le souffle que j’attends de ce genre de récit et la répétition dans les thèmes et rencontres se fait sentir. A un tome de la fin, je serais bien en peine de vous dire comment cela va se terminer tellement j’ai l’impression que l’autrice a dit peu de choses depuis le début…

Tome 3

Comme je le disais déjà précédemment, cette série est un régal d’un point de vue narration visuel mais à l’inverse je trouve l’histoire terriblement banale pour ne pas dire un peu vide quand on voit le nombre de pages sur lequel elle s’étale. Je ressors donc un peu frustrée et mitigée de cette lecture vendue comme culte.

J’ai vraiment eu le sentiment à plusieurs reprise sur cette série et a fortiori sur ce tome d’être face à beaucoup de circonvolution pour pas grand-chose. Sur 3 tomes, Keiko Takemiya raconte peu de chose, elle brasse sans cesse le thème de cette société raciste et élitisme où l’eugénisme a été poussée à son extrême. Elle répète sans cesse l’opposition entre les humains normaux et les Mu qui se transcrit par l’opposition entre Keith Anyan et Tomy/Jony, le chef des Mu. C’est très classique.

Pour qui a déjà lu de la SF et en lit depuis un petit bout de temps, il n’y aura rien de révolutionnaire ici, c’est même l’inverse. Le thème de l’humanité contre les robots / IA qui cherchent à les contrôler comme Mother ici avec les humains, c’est du vu et revu. C’était peut-être voire sûrement original ou du moins dans l’air du temps à l’époque de sa sortie au Japon, mais ça ne l’est plus du tout actuellement, et l’autrice n’ajoute aucune petite touche qui pourrait le faire sortir du lot à l’heure actuelle. C’est même assez plat dans les révélations auxquelles on assiste dans cet ultime volume.

La SF militaire est heureusement plus intéressante à suivre et surtout à voir. J’ai beaucoup aimé les trouvailles graphiques de l’autrice pour décrire cette guerre qui prend de l’ampleur dans cet ultime volume entre humains normaux et Mu avec les pouvoirs de ces derniers qui en font de véritables armes humaines. C’est très beau graphiquement parlant de voir ces bombes humaines se déplacer aussi fluidement et intensément pendant le conflit et se livrer à des batailles meurtrières. Je suis fan du trait très fluide et électrique de l’autrice.

Les amateurs de la série seront heureux, eux, de voir tous les secrets de celle-ci résolus. On découvre ce que veut et projette de faire Mother, qui est Phylis, on voit Keith monter les échelons et la guerre monter avec des pertes et gains des deux côtés, mais une peur de plus en plus forte et des morts qui font mal. Même si l’amatrice de SF que je suis qui en lit surtout roman trouve cela fort léger en manga, au moins cela a le mérite d’exister et cela donnera peut-être envie à des lecteurs de se lancer dans le genre ensuite.

Mais fondamentalement, je retiendrai plus la série pour sa superbe narration graphique très riche, loin de la banalité de la plupart des titres à présent, car l’autrice faisait preuve d’une vraie recherche pour exprimer les composantes psychologiques complexes de ses personnages en parallèle des conflits et guerre qui avaient lieu. Keiko Takemiya est vraiment une déesse pour exprimer les sentiments compliqués des personnages et tout ce avec quoi ils se débattent. Au milieu de cette guerre, ses dessins fluides virevoltent et dansent en plein drame avec une dimension mélo presque mélodique, ce qui est sublime à voir.

Cependant, la magnifique expérience graphique induite par cette mangaka culte n’aura pas suffit à en faire pour moi une bonne lecture. J’ai trouvé l’histoire vraiment banale, passe-partout et surtout bien trop longue pour ce qu’elle raconte : une banale IA qui manipule l’humanité à sa guise et une humanité divisée qui va finalement être obligée de revenir sur ses erreurs mais ne le désirait pas forcément, donc j’en vois peu l’intérêt. Je suis légèrement passée à côté de l’histoire. Je pense que j’aurais préféré découvrir le travail de l’autrice sur un genre moins exigeant que cela de la science-fiction, du moins sur un genre dont moi-même j’attends moins, car ici je sens cruellement le manque de fond dont l’histoire souffre… Je salue cependant l’initiative de Naban qui a ainsi répondu à un vide éditorial français qui demandait à être comblé et j’espère qu’ils reproposeront d’autres titres vintage écrits par des femmes.

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17 commentaires sur “Destination Terra… de Keiko Takemiya

  1. Je suis ravi de voir que je suis mentionné et que j’ai droit à un petit mot rien que pour moi, un grand merci !

    Et tu vois, comme je l’ai dit, toutes les thématiques sont ultra limpides mais en lisant ton explication, ça me confirme que j’ai vraiment rien compris à l’intrigue 🤣

    Mais je n’irai pas relire pour vérifier par moi-même tes dires, une fois pas deux 😆

    Aimé par 2 personnes

  2. J’ai vraiment adoré ce premier tome que j’ai dévoré d’une traite! Les aspects un peu « vieillots » du titre ont été pour moi un vrai plus tant je trouve qu’ils ajoutent du charme à l’œuvre.
    J’ai hâte de voir comment les personnages vont évoluer dans les prochains tomes 🙂

    Aimé par 1 personne

      1. Je crois que tu n’es pas la seule, j’ai lu d’autres avis semblables sur la narration du coup je m’y attendais et ça a eu un effet bénéfique sur ma lecture^^
        J’ai aussi confiance en l’autrice pour les prochains tomes^^

        Aimé par 1 personne

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