Livres - Mangas / Manhwa / Manhua

Ookami Rise de Yû Itô

Titre : Ookami Rise

Auteur : Yû Itô / Yuu Itoh

Éditeur vf : Panini (seinen)

Années de parution vf : 2021-2022

Nombre de tomes vf : 5 (série terminée)

Résumé : Dans un futur proche, l’État du Japon a disparu. L’île est désormais scindée en deux. Le nord est administré par la Russie et le sud par la Chine. La frontière entre les deux pays est délimitée par une zone tampon, démilitarisée et vidée de ses habitants. C’est là, dans cette zone interdite, que les Wolang ont trouvé refuge. Ces 49 fugitifs sont le résultat d’expérimentations ratées de l’armée chinoise, qui souhaitait les transformer en armes bactériologiques afin de les utiliser contre son voisin russe. Pris en tenaille par la Chine qui souhaite effacer les traces de ses expériences, et la Russie qui essaie de les capturer pour les étudier, les Wolang devront se battre pour leur survie.

Mon avis :

Tome 1

Ookami Rise est le nouveau titre poussé par Panini en cette rentrée littéraire, qui depuis sa reprise en main, choisit vraiment bien ses séries, celle-ci en est une fois de plus la preuve.

Ecrit par Yû Itô, une mangaka qui bosse chez Shueisha, pour le magazine Ultra Jump en l’occurrence ici, Ookami Rise comptabilisera 5 tomes. Le lecteur français se lance donc en sachant directement dans quoi il s’embarque, ce que j’apprécie, car les titres inutilement rallongés ont trop tendance à baisser en qualité au fil des tomes. Ici, j’ai l’espoir que ce ne sera pas le cas. 

Avec ce titre, Yû Itô, qui a surtout écrit des seinen depuis qu’elle a commencé dans les années 2000, nous offre un scénario à la base fort solide. Elle élabore ici une intrigue dans un monde futuriste où le Japon a été conquis et partagé en deux par la Russie et la Chine. Le pays désormais occupé, la population est reléguée au titre de 36e ethnie, les Wa, et les opposants aux nouveaux régimes totalitaires en place, sont rapidement placés dans des camps de redressement où ils se mettent à intéresser de mystérieux scientifiques…

Nous ne savons rien de cela quand nous démarrons la lecture. L’autrice nous plonge plutôt à l’aveugle dans un conflit sanglant qui semble opposer des militaires et des créatures canines autrefois humaines. Ça taille et canarde de partout sans qu’on en comprenne bien les enjeux, ce qui est fort immersif et efficace pour donner envie d’en apprendre plus. L’autrice nous immerge ainsi dans une SF militaire crue et violente où la pitié n’a pas lieu d’être, seul le plus fort et implacable l’emporte. Comment en est-on arrivé là ? C’est ce que la mangaka va se plaire à nous raconter dans les chapitres qui suivront avec une sorte de plongée de plus en plus profonde et lointaine dans cet univers dépaysant et complexe où SF et folklore se mélangent à merveille.

J’ai beaucoup aimé le ton froid et incisif dont elle fait preuve. Elle plante rapidement un décor dur et cruel, mais le rend peu à peu humain au fil des rencontres. On découvre ainsi des personnages terribles de premier abord mais qui vont révéler des situations et passés bien plus complexes dans chaque camp. Les premiers chapitres racontés depuis notre présent nous font découvrir rapidement ces derniers au fil de leurs combats mais par la suite la plongée dans leur passé permet de mieux appréhender l’ensemble et d’avoir une vision globale bien plus riche

On découvre ainsi un univers diablement bien écrit, classique pour qui a déjà lu de la SF militaire ou juste de la SF à base d’expérimentation sur les êtres humains et les animaux, mais parfaitement exploité ici. C’est solide, très solide, ce qu’on découvre au fil des chapitres et de la plongée dans la complexité de ce nouveau Japon. L’autrice s’inspire à merveille d’un futur hypothétique où les développements concernant l’attitude de la Russie et de la Chine sont malheureusement parfaitement crédibles, ce qui ajoute du poids au récit. Elle s’inspire aussi d’expériences scientifiques qui ne nous surprendraient pas quand on se réfère à ce qui a été fait par le passé. C’est ce qui surprend et prend à la gorge ici. Et en plus, elle mélange ça avec une touche de folklore typiquement japonais parfaitement réussie !

Elle imagine ainsi un récit particulièrement sombre et immersif à lire où peut-être le seul défaut notable vient du manque de lisibilité des dessins par moment, car elle souhaite tellement rendre la violence de ce qui se passe qu’elle en oublie que le lecteur doit comprendre ce qui se passe… En revanche, son dessin se prête à merveille à ce type de récit avec un armement et des tenues militaires parfaitement designer ou encore des créatures, qui filent vraiment des frissons dans le dos. 

Ookami Rise n’est donc pas un pétard mouillé. C’est bel et bien un excellent titre de SF militaire qui débarque chez nous, sa réputation n’est pas usurpée. Tout y est très bien fait et l’immersion promise est au rendez-vous grâce à une narration et un sujet parfaitement maîtrisés, ce qui donne l’espoir d’une suite du même acabit. J’espère juste que 5 tomes suffiront à tout raconter tant l’univers est prometteur. Pour ma part, je suis conquise !

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Tome 2

Yu Ito continue de nous proposer une série à l’univers puissant et marquant, dégageant une force peu commune, où l’injustice est prégnante et la lutte pour la liberté essentielle.

Dans ce nouveau tome où la narration est à nouveau un peu fouillis et déstabilisante, nous repartons dans le présent avec les affrontements entre humains armés et Wolang. L’auteur s’ingénie à nous faire suivre plusieurs lignes parallèles de l’intrigue mais en ne leur conférant parfois pas assez de pages pour qu’on en saisisse bien les enjeux et surtout pas assez de pages pour rendre le tout compréhensible. Les premiers chapitres sont donc un peu brouillon.

Heureusement au milieu de tout ça, on comprend qu’il y a eu une grande avancée pour les Wolang. Une des militaires femmes, Emi, contaminée par leur sang a survécu, ce qui n’était jamais arrivé. Alors pour la survie de leur espèce, ils sont prêts à tout pour la protéger. Cela intensifie encore les combats avec les troupes chinoises chargées de les éliminées car celle-ci aussi aimerait récupérer Emi pour en faire une cobaye.

J’ai beaucoup aimé à nouveau le mélange entre cette grande violence des affrontements, parfaitement rendu par le trait très crayeux de l’auteur, où chaque coup est parfaitement rendu sous son crayon, c’est sale et ça se sent. Cela se marie très bien avec les magouilles en sous-main des militaires que l’auteur nous dévoile en relatant des bribes des origines de ce qui a donné les Wolang et c’est fascinant. Ce n’est que quelques brèves pages mais c’est exactement le genre de SF avec virus mutant venant de l’espace que j’adore !

Enfin, le mangaka ajoute une belle touche d’humanité à cela avec à nouveau l’histoire du trio d’amis : Ken, Akira et Isaku, qui bien que discrets semblent au coeur de tout ça. On voit Isaku graviter autour de Ken. On voit Akira tenter de sauver Emi. On voit Ken tenter de protéger tout le monde avec son grand coeur. Mais cela ne suffit pas, ce présent est bien trop flou, on repart donc une nouvelle fois en arrière aux sources de tout cela et là, frustration, l’auteur nous coupe à un moment charnière et poignant où les amis sont terriblement en danger. On aimerait vraiment avoir le fin mot de cette histoire.

A nouveau dans un univers de SF militaire politique sombre, marqué par l’ostracisme, Yu Ito développe son histoire entre trois amis que la vie, la politique et sûrement les expériences ont séparé. Chacun mène désormais sa vie en poursuivant les idéaux du groupe mais les tensions sont telles que le lecteur a besoin de savoir ce qui s’est passé. Un mystère parfaitement géré qui donne envie de se jeter sur la suite, en espérant qu’on y retrouvera la même puissance évocatrice qu’ici !

Tome 3

Arrivée à mi-parcours, Yû Ito continue de proposer une histoire solide et sombre où l’inspiration des tensions et conflits mondiaux est parfaitement digérée au profit d’une belle histoire dramatique avec trois amis au coeur de cette sombre situation.

Elle continue de revenir à l’aide de flashbacks maîtrisés sur le passé de nos héros et ce moment charnière qui a vu exploser leur trio. Pour cela, le récit de leur vie dans ce camp en bordure de la zone de conflit est nécessaire mais vraiment terrible. L’autrice prend pour exemple ce qu’on a connu de pire dans notre histoire, ce qui rend la situation de ces pauvres jeunes encore plus terrible. L’ambiance délétère est encore plus forte dans ce tome où le conflit se rapproche et où l’élite prend peur et préfère s’enfuir, laissant ces pauvres bougres seuls face à leur destin. C’est assez terrible de les voir mourir littéralement de fin, de les voir perdre espoir et de voir la violence en rendre certains fous. Le rendu est excellent mais c’est rude à lire surtout avec des enfants comme témoins.

Cependant, le récit de ce moment sera totalement formateur pour nos héros puisque l’on découvre que c’est poussé dans leurs retranchements que tout se déclenche, c’est-à-dire la métamorphose de chacun : Ken en Wolang, Isaku en psychopathe  et Akira en guerrier vengeur. Tout est ici en germe pour la suite et cette suite nous allons très vite la vivre en parallèle, ce qui accentue la force de ce à quoi on assiste, sa rudesse mais aussi la beauté de certains liens. On comprend ce qui a uni les trois garçons qui ont vécu l’horreur ensemble, qui se sont sauvés les uns les autres. On comprend aussi un peu pourquoi certains cherchent à les manipuler, les récupérer dans les hautes sphères, même si ça reste encore assez flou de ce côté-là.

Enfin, le récit se veut bourré d’émotion. Les questions sur l’humanité de chacun sont clairement posées. On aime le rapprochement entre Ken et Emi où celle-ci fait tout pour réveiller l’homme en lui. On aime le basculement d’Isaku qui montre qu’on peut avoir une gueule d’ange et un coeur de démon. On aime la rage bouillonnante d’Akira qui prend coeur au sein même de l’altruisme qui pourtant le définit. C’est douloureusement complexe et à fleur de peau. Maintenant, l’armée passe à l’action des deux côtés et il va être temps de solder tout ça !

Avec ce tome charnière qui achève de faire la césure entre passé et présent, l’autrice achève de poser les bases relationnelles et psychologiques de son récit. C’était beau et douloureux, déchirant et nécessaire. J’ai adoré la noirceur et l’humanité dont elle y fait preuve. J’ai adoré la dure complexité des relations des personnages entre eux. J’attends juste que tout cela se dénoue dans les deux derniers tomes et qu’on ait notamment quelque chose de plus clair côté politico-militaire.

Tome 4

Vraiment quel excellent titre de SF politico-militaire sur fond d’expérimentation humaine et de transformation de l’homme en machine. L’auteur nous régale d’un discours vengeur et provocant qui laisse des traces.

Le final est amorcé, l’ultime bataille lancée et les dernières révélations tombent. Après avoir longuement découvert le passé des trois garçons dans le camp où ils avaient été envoyés, c’est au tour du moment où tout bascule pour Ken et Maeda de nous être conté et avec quelle force ! Je suis fan de ce récit dénonçant les horreurs de la guerre, la folie scientifique et militaire de certains individus et les horribles expérimentations auxquelles cela conduit. Ça fait froid dans le dos car cela repose sur des mécanismes connus pour avoir existé. Le discours contestataire de l’auteur a donc toute sa raison d’être.

De la même façon, j’aime ce qu’il dit de la géopolitique de cette zone qui peut tellement être transplantée ailleurs. Cette façon d’utiliser les peuplades fragiles, marginales, rejetées pour mieux en faire des armes de guerre à bas coût rappelle tellement ce qu’il se passe actuellement dans notre monde. C’est pour cela que ce récit est si percutant et s’immisce tellement sous notre peau : il est crédible dans ce qu’il raconte, il s’appuie sur une réalité.

Alors quand s’ajoute à cela le talent de narrateur de Yu Ito, on a une histoire vive, percutante et insidieuse qui fait mal. L’affrontement des trois garçons, des trois anciens amis est ravageur. Il y a tellement d’émotions et de non-dits en jeu, de quiproquos et de malentendus également. Il ne peut en ressortir qu’une narration qui prend aux tripes et des scènes qui nous percutent de plein fouet, que cela soit quand Isaku et Akira s’affrontent ou quand Akira et Ken se retrouvent et se livrent un duel sans merci.

Pourtant, au milieu de cela, il y a de l’espoir. L’espoir d’individus capables de passer au-delà des apparences, au-delà des rejets de l’autre qu’on cherche à leur inculquer, c’est ce que représente pour moi Emi, par exemple, dans sa relation à Ken, mais aussi Isaku, dont l’amour pour ses amis est indéfectible. C’est donc beau à voir qu’au milieu de toute cette violence, cette douleur, il y a des gens qui se battent pour leurs idéaux et pas des idéaux utopiques comme « la fin de la guerre », mais juste des idéaux plus modestes consistants à aider comme ils peuvent ceux qui comptent pour eux. Ça me touche.

Dans un contexte géopolitique complexe et réaliste, Ookami Rise nous fait le portrait d’une société militaire à la dérive qui a de grande ressemblance avec ce que nous avons connu par le passé et connaissons à présent. Cela rend le récit de Yu Ito percutant et déchirant. Avec brio, ce mangaka conte une histoire tragique où des expérimentations ont déchiré des familles de coeur, où le sang a déformé des sentiments. Il est a espéré que le dernier tome apportera un peu d’espoir à ce marasme pour que les idéaux portés par certains trouvent un débouché heureux.

Tome 5 – Fin

Sympathique série de SF sur fond de politique, expérimentation scientifique et ségrégation raciale, Ookami Rise arrive à son terme dans un ultime volume en mode affrontement du boss final qui va peut-être un peu vite mais reste efficace et percutant.

Depuis le début, le devenir de ces garçons qui ont servi de cobayes m’intéressent énormément de même que leur relation amicale malmenée par la vie. J’ai été ravie de le voir au centre de ce dernier volume même si cela aurait pu être mieux fait, mieux raconté, avec une intrigue moins précipitée et des grosses ficelles plus fines. Cependant, l’émotion fut là et le plaisir de les voir se retrouver pour lutter contre l’injustice aussi.

Les grosses ficelles utilisées par Yu Ito concernent malheureusement tout ce qui avait pour but de rendre le récit un tant soit peu réaliste. En effet, quand il nous parle du rôle du sang dans les changements des Wolang, il va trop vite et il manque des étapes pour que ça corresponde même juste à ses dires. C’est dommage. Quand il met en scène également les conséquences politiques de tous les événements qui viennent de se produire, il le fait de manière bien trop rapide et discrète au final, pour que ça ait la portée que ça devrait avoir. C’est simple tout ce qui est scientifique, politique et sociétal passe totalement en coulisses, éclipsés par les relations des héros et c’est bien dommage, car c’est aussi pour ce décor qu’on suivait l’histoire.

Heureusement émotionnellement, le mangaka est au rendez-vous. Il nous offre enfin la réconciliation attendue entre Ken et Akira, ce qui permet d’avoir un très beau final avec ces deux camarades unis pour lutter contre le scientifique qui a fait basculer leur vie. Le basculement de celui-ci dans la folie fut aussi très efficace pour offrir de belles scènes de lutte et de violence où nos héros devaient en démordre pour vaincre. Certes, le dessin de Yu Ito est encore un peu grossier parfois mais ça déchiquetait bien et le sang giclait bien, tout comme les coups pleuvaient de manière très fluide et impactante dans un style proche des ambiances gores de loups-garous. C’était bien fichu et prenant à suivre.

L’osmose qui naît entre les différents individus de camps différents au cours de ce combat final est exactement aussi ce qu’on attend dans le final d’une telle oeuvre. On prend plaisir à voir certains ouvrir les yeux, d’autres donner tout ce qu’ils ont pour leurs idéaux et bien sûr se battre à corps perdu et se sauver les uns les autres dans des actions désespérées où les armes prévues sont rarement celles qui sont utiles au final. Pour ce qui est de la mise en scène d’une telle lutte, l’auteur a tout compris. Il aurait juste été souhaitable que son oeuvre ne se limite pas à ça comme c’est un peu le cas. Car au final, on retiendra surtout ce combat qui aura permis aux amis de se retrouver, aux ennemis d’hier de se comprendre, aux injustices d’être dénoncées discrètement en coulisse et aux anciens prisonniers de gagner leur liberté.

Oeuvre avec un sacré potentiel, Ookami Rise ne fait pas l’effet d’un pétard mouillé mais paradoxalement elle aurait bien mérité plusieurs tomes supplémentaires en cours de route pour vraiment développer son background scientifico-politique afin de le rendre plus percutant encore. La dénonciation qui y est faite des états militaires et de leur utilisation des sciences à leur profit était vraiment très intéressante mais un peu légère au final. J’ai aimé le virage plus personnel pris mais j’aurais aimé qu’il s’équilibre mieux avec cet autre aspect de l’histoire pour en faire une oeuvre totale. Là, j’ai l’impression qu’on m’a flouée de la moitié du scénario… Je suivrais cependant l’évolution de l’auteur qui a déjà démontré ici un beau potentiel.

(Merci à Sanctuary et Panini pour ces lectures.)

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