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Les Reines d’Emmanuelle Pirotte

Titre : Les Reines

Auteur : Emmanuelle Pirotte

Éditeur : Le Cherche Midi

Année de parution : 2022

Nombre de pages  : 519

Histoire : Sur les ruines de nos civilisations, un nouveau monde s’est bâti. L’humanité a renoncé au progrès matériel et retiré au sexe masculin ses anciens privilèges. Les royaumes sont désormais gouvernés par des femmes, autant de Reines que l’épreuve du pouvoir révèle parfois autoritaires et souvent rivales.
Dans ce monde aux immenses espaces sauvages, des groupes de nomades, artisans, chasseurs et comédiens se croisent sur les vestiges des routes d’autrefois. Parmi ces communautés, celle des Britannia, où les jeunes Milo et Faith brûlent d’un désir réciproque et néanmoins interdit. Leur attirance va provoquer le bannissement de Milo. Commence alors pour le jeune homme une longue errance à travers les terres du Nord ; mais si Milo espère retrouver Faith, il n’imagine pas combien son voyage obéit aux lois de la destinée – ce grand compas qui, toujours, nous entraîne vers nos origines.
Sous la surface agitée de l’épopée, Emmanuelle Pirotte installe le décor et les enjeux de la tragédie antique. Jalousies, tensions amoureuses, filiations cachées, prophéties et vœux de vengeance électrisent les personnages qui se donnent à toutes les passions. Et l’on retrouve enfin, loin des potions prudentes et morales, la plus aberrante et la plus formidable des littératures.

Mon avis :  

Cela fait plusieurs années, en fait depuis que j’ai lu et été subjuguée tour à tour par La trilogie de l’héritage de N.K. Jemisin et Circé puis Le chant d’Achille de Madeline Miller, que je cherche leur relève, c’est-à-dire un titre dont la mythologie et la tragédie m’emportera. Je ne sais pas comment Babelio sélectionne ses candidats pour les romans qu’ils ont à offrir, mais avec moi ils ont fait mouche quand ils m’ont mis face aux Reines d’Emmanuelle Pirotte. Enfin, j’avais le nouveau récit mythologique tragique que j’attendais !

Cette autrice et historienne belge n’en est pas à son premier coup d’essai, elle a déjà publié plusieurs romans se déroulant dans des cadres historiques, mais jamais dans des univers aussi fictif que celui-ci. C’était la première fois qu’elle se frottait à la fois à un cadre mythologique et à un récit d’anticipation. Un essai vraiment réussi pour ma part, qui m’a totalement convaincue et seulement, peut-être, laissée cruellement sur ma faim dans les ultimes pages au final abrupte.

Comme l’avait fait autrefois N.K. Jemisin dans La Terre Fracturée, j’ai été surprise ici de l’univers imaginé par l’autrice, où elle dévoie une Terre futuriste qui a vécu une catastrophe pour la faire régresser et revenir en arrière, avec ce qu’elle appelle une Renaissance où cette fois les femmes prennent le pouvoir dans la plupart des institutions sociétales, mais avec des formats rappelant énormément ceux de l’Antiquité et des premiers temps du Moyen Âge. Un sacré écart avec ce qu’on peut imaginer d’une Terre future.

L’histoire démarre dans un camp tzigane, avec deux jeunes enfants : Milo et Faith. Le premier à peine plus âgé que la première, s’occupe d’elle depuis toujours et ils ont une relation très fusionnelle. Faith vit dont très mal que, comme le veut la coutume de son clan, on la marie de force à un autre homme qu’elle ne désire pas. Esprit rebelle, elle finit par se retourner contre le pauvre Milo qui n’avait rien demander, et provoque son exil. De là, leur destin tragique n’aura de cesse de nous tourmenter.

J’ai beaucoup aimé la tonalité tragique du récit qui s’empare de nous dès les premières pages et ne nous lâche pas. Nous sommes avec l’histoire d’un amour impossible comme dans les plus grandes tragédies du théâtre et l’autrice en joue énormément. Jamais la vie de nos héros ne sera tranquille. Dans ce nouveau monde, cette nouvelle terre, où les clans sont partout, le plus souvent dirigés par des femmes, nos héros seront sans cesse sur les routes, se rapprochant et s’éloignant sans le savoir, faisant des rencontres signifiantes pour les aider ou les enfoncer au contraire, mais souvent tout n’est que drame.

J’ai eu beaucoup de mal avec la personnalité égoïste et trop entière de Faith. Même venant d’un camp tzigane, non atteint par cette nouvelle toute puissance féminine, elle vit comme telle et n’en fait qu’à sa tête, ne pensant toujours qu’à son propre plaisir. Elle est une superbe représentante de Catherine des Hauts de Hurlevent, capricieuse, égoïste, fougueuse et fascinante du coup. J’ai été beaucoup plus touchée par le discret Milo, qui se retrouve malgré lui entraîner dans les drames qu’elle provoque et n’aura pas une vie facile. 

Avec eux, nous allons partir sur les routes et découvrir l’état de ce nouveau monde, monde fortement inspiré à la fois des tragédies antiques, mais aussi de la mythologie et l’histoire celte. On apprend ainsi que la première femme à avoir pris le pouvoir depuis cette nouvelle ère s’appelait Lagharta. Avec Milo, on découvre la place désormais occupée par les hommes, réduits en esclavage, soumis aux femmes, violés impunément par certaines et durement punis s’ils commettent quoi que ce soit contre elles. Avec Faith, c’est une vie itinérante, celle d’une actrice, d’une saltimbanque, qu’on va découvrir, tandis qu’elle va séduire sans le vouloir une puissance et vieillissante Reine.

Des personnages marquants se retrouveront sur leur route, qui vont participer à la mythologie de cette histoire. Je pense en premier lieu, bien sûr, à Edda, cette reine qui va tenter de capturer la fougue de Faith avant que ça se retourne contre elle. Je pense aussi à Alba, la sibylle dont on entend régulièrement la voix en écho de notre histoire et qui est la mère cachée de Milo, dont l’identité secrète rappelle les plus belles pièce de Shakespeare, mais aussi sa compagne qui malgré les années de séparation, ne peut s’empêcher de continuer à penser à elle et à la servir malgré elle. Il y a également Novak, homme se sentant femme, persécuté pour cela, mais qui ne cède rien et vit sa vie comme il l’entend, aimant hommes et femmes selon ses désirs. Tous témoins des amours saphiques, des amours bisexuels ou pansexuels, qui peuplent ce si beau texte. 

Tous ensemble, dans une toile riche et complexe qui parcoure plus de 500 pages, vivent des aventures très intimes : quête de l’être aimé, esclavage dans de dures conditions, spectacles pour tenter de s’affirmer, découverte de la maternité à travers une drôle de grossesse, lutte à bâton moucheté contre une reine toute puissante jalouse, quête d’une mère absente. Les éléments dramatiques sont partout et peut-être que le choix de cette plume fermée où on entend essentiellement les pensées des personnages et non leur voix a aussi conféré une ambiance très particulière, immersive et intime au récit, mais étrange, nous empêchant d’en sortir.

J’ai été soufflée par la pureté, mais aussi la dureté et le souffle de certaines pages. Quand l’autrice nous plonge dans les nouvelles coutumes claniques de ces personnages, c’est saisissant. Il y a une réelle brutalité dans ce nouveau monde pourtant dirigé par des femmes. L’autrice se plaît ainsi à nous montrer, qu’homme comme femme, quand l’un des deux est dominant, qu’il n’y a pas d’égalité, il y a bien souvent violence et brutalité. Il ne faut donc pas croire, selon elle, que celle-ci n’est que masculine, les femmes peuvent aussi l’exercer. Et l’exercice de style auquel elle se livre pour nous le montrer est saisissant, car bien souvent en lisant les scènes décrites, on imagine les mots des femmes dits par les hommes et vice versa, et c’est glaçant !

Cependant, c’est plus l’histoire de ce couple maudit qui va me rester en tête. Couple dont le héros, Milo, est la figure du héros tragique à qui il n’arrive que des problèmes malheureusement et qui a beau avoir un comportement héroïque, sauvant et aidant les plus faibles, se battant vaillamment (ah, la scène dans l’arène, quel bijou !), aimant au-delà de lui-même, n’a pas le bonheur espéré. On a mal de le voir sans cesse piétiné ainsi. Alors qu’à l’inverse, j’ai bien peu d’empathie pour la capricieuse Faith dont seul le destin final sera parvenu à me toucher, celui-ci transcendant l’enfant capricieuse pour la transformer en mère combattante et vaillante. D’où ma grande frustration de voir l’histoire s’arrêter sur ce point. Il y aurait encore tellement à dire et à faire pour ce couple, pour ces royaumes, pour ces destinées. Cette vaste fresque de femmes et d’hommes d’un autre temps, d’une autre culture et d’autres moeurs aurait mérité une fin moins abrupte. Milo et Faith accomplissent chacun leur destinée mais quelques pages de plus pour le compter n’aurait pas été de trop.

Avec un beau souffle épique à l’ancienne, Emmanuelle Pirotte m’a totalement emportée dans ce récit inspiré des tragédies grecques et Shakespearienne. Avec des personnages âpres mais entiers, pas toujours faciles à aimer, elle m’a déstabilisée avec leurs destinées dramatiques où la place des hommes et des femmes inversées m’a frappée. J’ai aimé cette démonstration que tant qu’il n’y aura pas d’égalité, il n’y aura pas d’équilibre entre les deux et toujours un dominé / dominant et donc des drames. L’inspiration qu’elle a puisé dans la littérature, la dramaturgie et l’imaginaire, ont donné une sauveur toute particulière à ce récit, qui fut pour moi, enfin, un beau successeur à ceux de N.K. Jemisin et Madeline Miller dans le même genre (même si un petit cran en-dessous, soyons honnête).

(Merci à Babelio et au Cherche Midi pour cette lecture !)

> N’hésitez pas à lire aussi les avis de : Sur mes brisées, Ma voix au chapitre, Unamed Bookshelf, Vous ?

5 commentaires sur “Les Reines d’Emmanuelle Pirotte

  1. Tu sais déjà ce que je pense de cet élogieux et étayé avis et le relire une fois de plus me donne envie de craquer rapidement pour cette œuvre singulière mais qui semble des plus captivante à découvrir mais bien davantage à parcourir.

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