Livres - Mangas / Manhwa / Manhua

Soloist in a Cage de Moriya Shiro

Titre : Soloist in a Cage

Auteur : Moriya Shiro

Traduction : Djamel Rabahi

Éditeur vf : Ki-Oon (seinen)

Année de parution vf :  2023

Nombre de tomes vf : 3 (série terminée)

Résumé : La Cité-prison est un immense ghetto où sont rassemblés des criminels de tous horizons. Une fois entré, aucun espoir d’en sortir… Chloé, sept ans, et son petit frère Locke, encore nourrisson, sont nés dans cette enceinte et n’ont jamais quitté leur chambre. Depuis la disparition de leurs parents, prendre soin de son cadet est devenu la raison de vivre de la fillette ; elle le dorlote, le rassure et danse pour garder une lueur d’espoir dans leur foyer. Les seules ressources à disposition viennent d’un voisin inconnu, qui dépose des provisions devant leur porte…
Leur bienfaiteur n’est autre que Ross Sandberg, chef d’un groupe de mercenaires craint de tous. Quand Chloé découvre qu’il prépare une évasion, elle prend une décision folle : pour assurer l’avenir de son frère, elle suit l’homme et escalade les murs à sa suite, le bébé sur le dos ! Mais les robots de surveillance la repèrent vite… Locke tombe, et Chloé est rattrapée de justesse par Ross, qui parvient à l’emmener à l’extérieur. Il lui promet de la protéger et de lui transmettre son savoir, afin qu’un jour Chloé puisse revenir chercher son frère…

Mon avis :

Tome 1

Sur le marché français, il y a des éditeurs qui sortent un peu tout et n’importe quoi et il y a ceux qui ont une vraie ligne éditoriale. Ki-Oon appartient à ces derniers et avec Soloist in a cage, il nous livre un titre de science-fiction à la fois très pulp et engagé qui leur va bien où on retrouve leur goût pour le punk et les thématiques familiale.

Shiro Moriya, l’autrice de cette courte série en 3 tomes, débute ici avec ce titre. Elle offre pourtant une oeuvre saisissante, aboutie et pleine de références qui frappe les esprits. Avec un dessin étouffant, angoissant et stressant, elle nous plonge dans un univers carcéral XXL où la violence est omniprésente mais ne parvient pas à cacher notre humanité enfouie au plus profond de nous.

Avec des allures de Leiji Matsumoto (Galaxy Express, Albator, Queen Esmeralda) mais aussi d’Atsushi Kaneko (Search and Destroy), elle a imaginé un monde où les criminels sont enfermés depuis 80 ans dans une véritable cité prison entourée d’un haut mur. Tiens, ça devrait vous rappeler quelque chose. Derrière, c’est un monde sans foi ni loi où la population continue pourtant de s’accroître à cause des enfants qui naissent. Nous allons à la rencontre de deux de ceux-ci : Chloé et son petit frère, encore bébé, Locke, qui ne sont jamais sortis de leur appartement même alors que leurs parents les ont abandonnés à leur sort. Ils survivent grâce à l’aide de leurs voisins, un trio de malfrats qui préparent leur évasion. Mais alors qu’un espoir était sur le point de naître, un grain de sable grippe l’engrenage.

J’ai beaucoup aimé le ton sombre et désespéré de l’oeuvre. C’est noir, très noir. La cité prison est effrayante et pour s’en sortir ses habitants sont prêts à tout. Cependant même au milieu de toute cette horreur, tous ces criminels, on retrouve des hommes et des femmes qui ont gardé âme et visage humains. J’ai ainsi été bouleversée par le personnage de Chloé, ce petit bout de femme tellement attachée à son frère qu’elle est prête à tout pour lui. Etant moi-même très très proche de ma jeune soeur, j’ai été à l’unisson avec ses sentiments, que ce soit son désespoir, son envie de se raccrocher à lui et se refermer sur lui, ou ensuite son désir plus fort que tout de le retrouver, ce qui la pousse aux pires extrémités. C’était puissant et juste ! J’ai beaucoup aimé que l’autrice ne tombe pas dans la facilité. Chloé n’est pas un ange et ceux qui l’aideront dans sa mission non plus. Le colonel Ross est ainsi une superbe figure à la fois paternelle et intraitable, qui a à coeur de l’aider mais d’une façon à la fois tendre et cruelle. On n’est pas au pays des bisounours.

La plongée dans cet univers carcéral est sans concession. C’est étouffant. On sent parfaitement à travers le côté très crayonné des pages, où les décors sont incroyablement rendus, toute l’horreur et la frayeur qu’il y a à vivre là-bas. L’autrice a vraiment un trait saisissant pour cela, me rappelant les grands noms que j’ai cité plus haut. Quand elle nous fait nous balader dans les rues et ruelles de cette ville, c’est la mort aux trousses. Quand on croise des habitants, c’est la peur collée à la peau. Mais quand Chloé entre en action pour se venger c’est aussi terriblement sombre et sans concession, percutant, vif et tranchant, sanglant. J’ai aimé que celle-ci soit à la fois la lumière et l’ombre de l’histoire. Elle est magistrale quand elle se bat pour récupérer son frère en utilisant ce qui faisait la magie de leur relation au début : la danse, mais en la rendant mortelle, ce qui la déchire. L’autrice nous percute vraiment et je me rappellerai longtemps son sens de la mise en scène avec une Chloé toute dégoulinante de sang et de larme après avoir accompli un acte dans sa vengeance.

Sa quête est vraiment un excellent moteur pour explorer l’âme humaine et les méandres de ce lieu terrible. L’autrice nous offre ainsi de nombreux tableaux intriqués, de la rencontre avec cette fratrie improbable, à l’exploit de s’échapper puis de revenir, en passant par les dessous des gangs et de la mafia locale, jusqu’à la rencontre avec l’une des sectes du secteur, qui nous plongera peut-être encore plus dans l’ambivalence de ce monde dans le tome suivant. Tout est prenant et percutant. Pour autant, l’émotion n’est pas oubliée. Elle est là dans la relation que Chloé a avec son frère bien entendu, c’est celle qui m’a le plus touchée, mais elle est également présente dans la drôle de relation père-fille qu’elle va nouer avec les hommes qu’elle va croiser, de Ross en passant par Kerry. L’autrice offre là un mélange fort singulier mais qui ne peut qu’émouvoir et interroger.

Thriller d’anticipation glaçant d’une noirceur profonde mais d’une lumière aveuglante, Soloist in a cage offre un très beau spectacle, celui d’une soeur prête à tout pour sauver son jeune frère quitte à se contorsionner pour cela et à risquer son âme. C’est sombre, c’est terrible, c’est angoissant mais c’est également beau et puissant avec des dessins à couper le souffle et une héroïne marquante. Si Shiro Moriya tient le choc lors des deux prochains tomes, elle aura écrit là une oeuvre à faire date !

> N’hésitez pas à lire aussi l’avis de : L’Etagère imaginaire, Les voyages de Ly, Last Eve, Vous ?

(Merci à Kioon pour ce voyage dans la noirceur de l’âme humaine)

Tome 2

Après un premier tome choc qui percutait le lecteur par la noirceur de ce que vivait cette jeune héroïne au coeur tendre dans un univers dystopique terrible, ce deuxième volet continue de surprendre en nous entraînant dans une voie médiane remplie d’émotions âpres.

Le premier volume était un peu tout feu tout flamme avec cette jeune soeur prête à tout pour sauver son petit frère qu’elle aime tant. La suite est différente, plus calme, mais peut-être encore plus étouffante car si dans le premier tome il y a un espoir d’évasion assez évident, celui-ci l’est moins ici. Shiro Moriya bâtit ainsi un univers dystopique claustrophobique entre ombre et lumière des plus saisissants où cette dernière a vraiment du mal à percer la première tant ce que vivent les personnages est dur.

A la recherche de son frère disparu il y a des années, Chloé pénètre à nouveau dans la Cité-prison, mais dans un endroit bien particulier où la violence règne tout autant mais où en plus une forme de mysticisme pousse les adultes à encore plus d’abjections. En effet, un étrange gourou dirige ce petit monde entre promesse d’enfants à dévorer, de femmes à trousser et d’arche sur laquelle monter pour s’évader. C’est totalement antinomique mais tout cela se tient et nous glace d’effroi par la même occasion. 

Chloé se retrouve à chercher au milieu de cela son frère mais suite à une rencontre impromptue où elle est souvent par un petit garçon déguisé en renard, elle va faire une pause salutaire. Moment de calme au milieu de toute cette agitation, la rencontre avec Leo et sa famille va marquer un tournant pour elle. Elle va pouvoir connaître ce qu’est la vie de famille et tisser des liens avec ces jeunes garçons en quête eux aussi d’une certaine normalité, qu’ils trouvent dans un foyer avec une figure féminine (on passera sur ce que ça peut vouloir dire du modèle familial que nous impose à nouveau l’auteur…).

Mais qu’on se le dise bien, on est dans un univers dystopique et cette pause n’est qu’une pause, le monde autour reste tout aussi cruel. J’ai donc aimé découvrir ce que cache cette façade apaisante : le cerveau derrière ce foyer, le projet mené en secret, le travail des enfants, leurs ambitions pour le futur et bien sûr le frein que représentent ces adultes rendus totalement fou par l’enfermement et la poigne mystique de leur chef. C’est effrayant, c’est dérangeant, c’est perturbant, mais bon sang que c’est prenant à lire. Des émotions très fortes nous gagnent au fur et à mesure. On se plaît à découvrir l’attachement que Chloé se met à ressentir pour eux, à la voir se mêler à leur quête et ressentir elle aussi l’espoir, même si son monde est et restera très noir.

L’auteur ne nous prend pas pour des idiots. Il est parti sur une histoire sombre, elle le restera. Il offrira des touches de lumière, elles ne feront jamais oublier la noirceur qu’il y a eue. C’est vraiment un univers plein de contrastes où l’âme humaine est scrutée dans son ensemble entre creux et bosses, dans toutes ses aspérités. Alors peut-être ce tome est-il plus doux au premier abords mais il cache à nouveau de terribles moments d’une dureté qui saisit. Peut-être est-il moins percutant graphiquement mais la danse macabre de Chloé de poursuit et notre âme est encore une fois mise à contribution. Quelle sombre pureté !

Tome 3 – Fin

Certaines séries ont le don le nous surprendre. En partant d’un constat extrêmement sombre, Soloist in a cage nous a conduit vers une épopée humaine lumineuse, à la conclusion certes trop rapide mais émouvante.

C’est le cadre très sombre et presque désespéré du récit qui m’a attiré, son décor en huis clos dans cette prison à ciel ouvert et la transposition dans une fiction des enfants victimes de la guerre et des crimes de leurs parents. L’auteur conserve tout cela dans cet ultime opus et nous conduit plus loin encore mais il le fait de manière peut-être trop abrupte, trop rapide, qui donne l’impression que plusieurs éléments tombent du ciel et qu’on doit les accepter ainsi, c’est dommage. Cette précipitation nuit un peu à la richesse et à la force du récit.

J’ai beaucoup aimé suivre l’épopée tragique de Chloé, partie à la recherche de ce frère perdu. Une Chloé, qui, embourbée trop tôt dans des histoires et responsabilités d’adultes se retrouver à porter et partager leurs crimes alors que rien ne l’y prédestinait. Sa confrontation avec la pureté de ce groupe d’enfants ne souhaitant qu’une chose, fuir ce lieu de tous les vices et toutes les souffrances, est donc d’autant plus puissante. Elle souhaite les rejoindre mais se sent exclue en même temps et ce tiraillement sera au coeur de ce dernier opus.

J’ai beaucoup aimé l’esprit d’aventure de celui-ci avec sa touche à la Jules Verne quand nos jeunes héros décident de fuir de lieu à l’aide d’une de leurs inventions et n’écoutant que leur courage. C’est beau et émouvant, avec un vrai souffle. Cette atmosphère d’aventure enfantine parcoure toute l’oeuvre mais se concentre ici dans ces ultimes pages et c’est bien aussi d’avoir un tel moment et de tels bons sentiments. Ça fait du bien dans un cadre aussi pensant.

Car ce dernier tome a quelque chose d’assez cinématographique avec une accélération du rythme certaine où le plan des enfants se concrétise, la résistance armée aussi, ainsi que l’intervention d’un jeune pasteur mégalo qui vient pimenter tout ça pour le rendre encore plus explosif. Combats, fuites et frayeurs sont au rendez-vous, tandis qu’une vraie crise de foi touche Chloé et son frère. C’est rapide mais haletant, palpitant, rude et émouvant. L’auteur excelle à nouveau dans le récit graphique de cette transition de l’enfermement vers la liberté. La transe meurtrière de Chloé trouve son achèvement ici, de même que son besoin de rédemption. C’est superbement mis en scène avec ce trait très dansant et ces zooms réussis sur les visages et émotions des personnages. C’est donc 100% réussi.

Mes seuls regrets : cette précipitation permanente pour clore l’intrigue avec ce 3e tome, ainsi que ces nombreuses grosses ficelles justement pour résoudre vite et donc facilement l’intrigue. Cela simplifie trop l’oeuvre et c’est dommage, cela pourrait faire oublier sa richesse thématique derrière cette intrigue trop raccourcie.

Soloist in a cage fut cependant une riche et belle expérience qui nous a plongés dans un univers dystopique rude et sombre où la lumière peine à pénétrer mais finit par parvenir à nous avec émotion grâce à de jeunes héros touchants. Alors oui, le final souffre d’une trop grande précipitation mais qu’il ne fasse pas oublier ce bel effort de traiter des conséquences des actes des parents sur leurs enfants, de la figure de l’enfant soldat, ou encore du besoin de rédemption. C’est ce qui a compté ici et ce que l’auteur a réussi à nous transmettre avec une beauté toute sombre dans ses dessins entêtants. J’espère que nous aurons l’occasion de le retrouver dans d’autres oeuvres de cette qualité.

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8 commentaires sur “Soloist in a Cage de Moriya Shiro

  1. Il me tentait beaucoup mais les dessins m’avaient quelque peu rebutée. À la lecture de ton avis, je trouve qu’ils conviennent parfaitement à cette ambiance sombre et violente où persistent néanmoins des lumières d’humanité. Proche de mon frère, la relation de l’héroïne avec ce dernier devrait beaucoup me parler et ce qu’elle fait pour lui me toucher. Merci pour ce convaincant avis qui dépeint une œuvre forte avec des personnages et surtout une héroïne à la personnalité nuancée.

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  2. Je partage ton coup de coeur, c’est une très belle lecture et c’est un titre qui mérite clairement d’être défendu. Je suis parfaitement d’accord avec ce que tu dit concernant la maison d’édition Ki-oon et leur ligne éditorial. En tout cas pour moi, et même si je n’ai lu que le premier tome, c’est une pépite.

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