Titre : Vorrh de Brian Catling
Auteur : Vorrh de Brian Catling
Traduction : Nathalie Mège
Éditeur vf : Outrefleuve (Grand Format) / Pocket Imaginaire (Poche)
Années de parution vf : 2019-2022 / 2023-2024
Nombre de tomes vf : 3 (série terminée)
Histoire : La Vorrh est une forêt merveilleuse et effrayante. Tous ceux qui y pénètrent y trouvent soit la mort, soit l’oubli. Néanmoins, elle exerce une fascination quasi magnétique et un attrait irrésistible. On dit que le jardin d’Éden est dissimulé en son cœur. Personne ne l’a jamais explorée en entier, elle serait sans fin.
Pourtant, un homme a entrepris le périple. Un ancien soldat qui a tout abandonné pour suivre sa bien-aimée, Este. À sa mort, il a, suivant d’antiques rituels, emprisonné son esprit dans un arc et, écoutant ses murmures, s’est lancé sur la route…
Mon avis :
Tome 1
Je savais avant de commencer cette lecture qu’avec elle, ça passait ou ça cassait. Elle avait déjà clivé tellement de lecteurs qu’impossible de rester insensible. Cependant, j’ajouterais une catégorie aux classiques « J’aime / J’aime pas », celle des « J’ai compris / Je suis restée sur le carreau » et j’ai majoritairement fait partie de cette dernière sans arriver à me déterminer sur le ressenti final que j’avais sur cette expérience. Voici donc la chronique d’une lectrice en perdition, telle une victime de Puck du Songe d’une nuit d’été (Shakespeare) auquel il m’a plus d’une fois fait penser.
Il faut dire que l’introduction d’Alan Moore vendait du rêve, peut-être trop… Le monsieur après avoir pris tous les superlatifs de son dictionnaire avait grandement haussé mon niveau d’attente quant à la plume de Brian Catling, artiste sculpteur et cinéaste de son état en plus d’être écrivain, et je suis restée un peu sur ma faim. Il y a certes des passages brillants, ceux en général qui ont trait avec la matérialité charnelle qu’il veut donner à son oeuvre, mais il y a aussi bien trop de passages obscurs pour ne pas dire ampoulés et trop alambiqués sans que j’en ai vu l’utilité sur le moment. J’ai donc eu l’impression qu’on m’avait un peu survendu l’auteur et que « ça faisait bien » dans certains milieux d’aimer et que sinon je passerais pour une inculte au mieux, une aigrie au pire… Pourtant j’aurais aimé aimer, moi, l’amatrice de belles plumes.
Il y avait des promesses intéressantes avec cette mystérieuse Vorrh, une forêt merveilleuse et effrayante telle qu’elle est décrite par la 4e de couverture mais que j’ai trouvé fort peu présente pour ma part. Je m’attendais à ce qu’elle ait la première place dans l’histoire et ce ne fut pas le cas. Elle est longtemps l’objet de discussion, le sujet d’observation et bien trop peu le matériau d’exploration et de sensation que j’attendais. Les pages la mettant réellement en scène sont trop peu nombreuses. Je ne l’ai pas assez arpentée, je n’ai pas assez senti les frissons de ses dangers. C’est l’une de mes plus grandes frustrations.
L’autre promesse était de suivre d’étranges créatures démons, fantômes, cyclopes… Mais au final qui voit-on vraiment ? Surtout les humains qui rejettent et / ou craignent ce lieu singulier et un seul cyclope : Ismaël, qui est au coeur de l’histoire. Les autres, on en croise parfois, mais ils sont surtout là pour le décor pour le moment. Les vrais monstres, ce ne sont pas eux, ce sont les humains et ça, c’est bien fait. Même si je n’ai pas tout saisi, j’ai tremblé de l’expérience d’Ismaël dans cette étrange demeure où il est enfermé d’abord en sous-sol avec des professeurs – robots (?) puis à l’étage avec une condisciple qu’on avait peut-être pas bien préparer. Il y a une forme d’horreur, de body horror et de fantastique qui met très mal à l’aise, d’autant plus avec la plume de l’auteur qui se délecte de ces scènes malsaines comme s’il les absorbait. C’est très étrange et malaisant.
Cependant, en dehors du voyage d’Ismaël pour comprendre ses origines et d’un chasseur de Vorrh pour y survivre et en sortir (?) en suivant des murmures, je n’ai pas pipé grand-chose de l’histoire. L’auteur semble vouloir faire un lien entre cette forêt primitive et notre monde moderne – à quelle date ? je ne sais pas… je dirais fin XIXe mais sans preuve concrète même si ça fleure le steampunk et le freak show -. Il semble dénoncer aussi le colonialisme et ses violences sur les peuples et lieux d’origine, ce qui m’a rappelé le récent Killers of the Flower Moon, mais tout ça est bien flou et noyé sous tellement de pages incompréhensibles que j’ai lu pensant trouver la lumière sans jamais la trouver…
Je retiendrai quelques passages à la fois magiques et dérangeants comme lorsque le chasseur William se fabrique son arc à partir de sa bien-aimée Este, une sorcière décédée. L’auteur incarne littéralement la matière et lui fait prendre vie sous nos yeux. C’est saisissant ! Il fait de même lorsque son héros cyclope, Ismaël, a des relations sexuelles, là aussi il donne vie à la matière de la plus singulière des façons, au point qu’on a parfois l’impression de sentir entre nos mains cette chair qu’il se met à côtoyer de près avec passion. Mais c’est aussi brillant que malaisant.
Factuellement, c’est tantôt passionnant, tantôt longuet. On suit toute une flopée de personnages dont les histoires semblent déconnectées mais qui finissent par s’entrecroiser sans forcément qu’on mette quand même du sens sur l’ensemble. Ils vivent tous dans ou aux alentours de Vorrh dans une ville sud-africaine (?) où les tensions entre gens de la ville et créatures de la forêt devraient rappeler quelque chose. Comme on suit plein de personnages, certains en viennent à nous interpeler plus que d’autres. Ce fut le cas pour moi avec Ismaël et notre chasseur, mais également avec un certain photographe qui va côtoyer un institut rappelant le Bal des folles. Mais ça fait quand même patchwork ou cluedo géant et c’est perturbant. Il y a une forme d’addiction à poursuivre la lecture et tenter de faire s’emboîter ses pièces, c’est pourquoi je n’ai pas lâché l’affaire et ne la lâche pas au final.
J’ai le sentiment de vous livrer une chronique aussi incomplète que mes sentiments sur cette oeuvre, que j’ai l’impression d’avoir à peine effleurée. J’en ai trouvé certains passages brillants et d’autres artificiellement alambiqués. J’ai aimé suivre, même sans les comprendre, certains personnages en recherche d’eux-mêmes comme j’étais en recherche de l’histoire. J’ai cru cerner quelques thèmes profonds et puissants. Si quelqu’un a une grille de lecture, je suis preneuse, car si j’aurais aimé plus de lisibilité, moins de tournants alambiqués, plus de forêt et encore plus de créatures étranges. Je ne suis pas contre y replonger pour tenter encore de décoder M Brian Caitling mais j’ai besoin d’éclaircissements.
-> N’hésitez pas à lire aussi les avis de : Audrey, Amanda, Le Chroniqueur, CelineDanae, Gromovar, Just a Word, Livraisons Littéraires, Marie Juliette, Pages pluvieuses, Vous ?
Tome 2 : Les Ancêtres
Années 1920. À travers l’Europe, d’étranges créatures reviennent à la vie : ce sont les Ancêtres, les anges qui ont échoué à protéger l’Arbre de la Connaissance. Leur réveil aura des conséquences dramatiques.
En Afrique, la ville coloniale d’Essenwald est en déclin depuis que les ouvriers forestiers ont disparu dans la mystérieuse Vorrh, forêt mythique exploitée par les Européens. Une équipe de spécialistes se déploie pour les retrouver, néanmoins la forêt ne rendra pas si facilement ce qu’elle a pris.
Pendant ce temps, aux abords d’Essenwald, une femme retrouve un bébé enseveli, miraculeusement toujours en vie. Mais lorsqu’un prêtre tente de le baptiser, l’eau bénite se refuse à lui. L’enfant bâtarde et maudite grandit en marge, car elle possède un pouvoir immense destiné à accomplir de grandes choses…
Les tensions montent et le conflit approche, alors que l’ancien et le nouveau monde, les humains et les non-humains se préparent pour la confrontation finale.
Je me sentais un peu perdue à mon entrée dans la lecture de cet univers si étrange. J’ai lu le tome 1 un peu en somnambule et je m’attendais à vivre la même expérience ici. Quelle surprise j’ai eu d’une étrangeté toujours bien présente mais mieux maîtrisée, mieux distillée et d’un récit plus compréhensible et facile à suivre dans un sens.
Nous sommes toujours dans un pur Weird, qui emprunte aussi bien à Edgar Allan Poe que Stefan Platteau, mais aussi à la littérature horrifique. Quel plaisir ce fut donc de retrouver l’étrange Vorrh et sa mythologie dans une uchronie de notre univers où se mélangent un beau fantastique et des éléments de notre propre Histoire que l’auteur met au service de la sienne : psychiatrie, traumas de la guerre, volonté d’émancipation des femmes, questionnements sur la parentalité. J’ai beaucoup aimé être ainsi déstabilisée par ces mélanges, surtout au travers de la plume toujours hautement évocatrice de l’auteur, qui est à la fois poétique, gothique et horrifique.
J’ai aussi trouvé un vif plaisir à suivre les différentes aventures et temporalités de ce tome qui s’entremêlent au fil des chapitres. Chapitres courts, qui sont ainsi plaisant à lire, car on tourne vite les pages et on enchaîne rapidement. Je n’ai du coup pas eu ce sentiment de longueurs qui m’avait parfois gagnée autrefois. J’ai aimé suivre chacun des fils même si certains m’ont semblé plus clairs et donc plus passionnants à suivre que d’autres. J’ai aimé l’ambiance d’enquête qui se dégage peu à peu et se mêle à cette étrangeté qu’on cherche à percer pour comprendre ce qu’est et referme cette mystérieuse forêt. Nous sommes en plein dans une oeuvre revisitant le concept même de mythologie et c’est fascinant. J’ai aimé suivre l’apparition de ces êtres différents également issus de celle-ci. Et au milieu de tout ça, l’auteur nous offre parfois des descriptions qui frisent le body horror ce qui m’a fait frissonner juste ce qu’il faut.
Ce fut donc fort agréable cette fois de retrouver certains personnages du tome 1, poursuivant les intrigues développées, et d’en découvrir de nouveaux venant enrichir l’univers. J’ai particulièrement aimé les passages du Dr Schumann qui étudie et dialogue avec un Ancêtre, où se mélange fantastique, étrange et psychiatrie. J’ai aimé être séduite par la ligne scénaristique de Ghertrude qui est confrontée à une bien drôle de naissance et fait de sacrées découvertes sur elle-même. Il y a eu aussi la singulière Modesta dont les pouvoirs m’ont fascinée et horrifiée par ce qu’elle en fait. Vous voyez, ça bouge bien. A la limite au début, c’est Ismaël, qui m’avait pourtant fascinée autrefois, que j’ai trouvé un peu en-dessous, heureusement entre son expédition et le grand final qui l’autant, l’auteur a largement su relever le niveau ensuite.
Je me retrouve donc à clore cette lecture toute frissonnante : frissonnante d’anticipation de la suite ; frissonnante des horreurs lues ici ; frissonnante grâce à l’admiration que j’ai ressenti tout du long pour la plume de B. Catling. J’allais à reculons sur cette lecture, je m’y suis immergée les deux pieds devant et j’ai d’autant plus hâte de lire la conclusion que le but général de l’oeuvre, lui, continue de m’échapper et que je me laisse juste bercer par cette fresque si riche en influences et flirtant avec tant de codes et limites. Une lecture très atypique.
Oh mince.
On ressent parfaitement ta gêne et ton hésitation sur ce coup là !
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Je ne voulais rien cacher car ça ne sert à rien de faire croire qu’on a compris alors que non 😂
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Comme tu le sains, je partage ton avis sur le côté bien obscur de ce roman et cette impression de ne pas avoir compris grand-chose… La dénonciation du colonialisme m’a marquée comme certaines scènes vraiment malsaines, mais ce n’est hélas pas assez pour en faire une lecture plaisante.
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C’est tout à fait ça et en même temps je reste curieuse de savoir où l’auteur cherchait à nous amener. Mais je ne sais pas si je suis déjà prête à replonger 😅
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Je t’avoue que j’ai préféré déclarer forfait…
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Comme je l’ai déjà écrit, je ne suis pas certain de tenter l’expérience. Si c’est le cas, ce sera dans un moment où j’ai du temps et l’esprit libre. Ce qui est rare…
Merci pour ta sincérité et la qualité de cette analyse personnelle.
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Avec plaisir ! Ce n’était pas simple de raconter une lecture où on n’a rien compris, alors ravie si ça passe bien ^^!
J’ai aussi voulu attendre ce genre de moment où mon cerveau serait 100% dispo, ça n’a pas suffit et en même temps, je reste curieuse de la suite. Je suis peut-être maso…
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Peut-être, peut-être 😉. Mais je connais ce sentiment : quand on commence quelque chose, on a envie d’aller au bout, malgré les difficultés.
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Alors si ça peut te rassurer, ta chronique met parfaitement en valeur ton ressenti et j’adore ton image de notation !
J’avais encore envie de tenter l’aventure et cette expérience de lecture mais je t’avoue que de savoir que la forêt reste en second plan me refroidit fortement. Tout comme les intrigues indépendantes qui finissent parfois par se lier sans réel fil conducteur…
Je te remercie donc d’avoir pris la peine d’arriver au bout de cette lecture, qui t’aura laissé bien trop indécise et dans l’incompréhension malheureusement.
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Merci alors, si j’ai réussi, j’en suis ravie 😀
Comme toi, j’ai voulu tenter l’expérience avec tout ce qu’on en disait. Comme toi j’aurais voulu plus de forêt et plus de liant, alors effectivement, je ne suis pas sûre que ce soit une lecture pour toi, tu risques de passer à côté comme moi ^^!
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Ah ah, j’adore ta phrase sur l’introduction dithyrambique! C’est vrai que parfois, certaines préfaces ou 4e de couverture en font des tonnes, ce qui dessert généralement le roman en lui-même.
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C’était tellement gros, il fallait que j’en dise quelques mots. Je veux bien qu’on aime mais il faut raison garder un peu quand même car oui ça peut vite desservir un titre.
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Cette chronique… Magnifique ! J’ai l’impression de me lire, même si je ne me souviens plus trop de ce que j’avais raconté dans les miennes (qui datent un peu). Moi aussi, j’ai été dans le flou (et je pense que c’est un fait à accepter lol), tout en décelant des thématiques intéressantes et des passages passionnants. C’est comme si le côté un peu horreur nous embarquait et que l’on cherchait à comprendre pourquoi tout ceci est arrivé. Car il y a bien une explication… non ?
Avec le premier tome, j’avais eu un peu de mal (surtout avec la plume). Le deuxième tome m’avait déjà paru un chouia moins complexe, du moins je le trouvais moins alambiqué, mais c’est certainement parce que je m’étais faite au style et à l’histoire. La maison d’édition ne m’a pas proposé le tome 3 en SP, du coup je ne me suis pas ruée dessus à sa sortie, et… je ne sais pas si je la lirai un jour car, même si j’ai bien aimé le deuxième tome, cette lecture sera forcément un peu prise de tête.
Alors, la question est : est-ce que le troisième volet vaut le coup ou pas :p ? Est-ce que l’on obtient des réponses à nos questions ?
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Merci, merci xD
Je me rappelais effectivement ton avis sur le tome 2, c’est en partie ce qui m’avait aidée à me décider, avec le succès qu’on connait ^^!
Je ne regrette pas, c’était intéressant comme expérience de lecture, ça changeait et c’est chouette de se confronter aussi à ce genre de texte.
Du coup, je me tâte pour le tome 2, en me disant que j’y verrai peut-être un peu plus clair. Si je le reçois aussi en SP, je tenterai peut-être ^^
Mais comme toi, je me pose les mêmes questions.
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Je me tâte également pour le tome 3, mais je ne suis toujours pas décidée… J’ai peur d’être déçue, de constater que la grande fresque que j’imaginais en arrière-plan ne soit pas aussi bien construite, en fin de compte. Qu’il reste beaucoup de mystères, pour peu de réponses… À voir !
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J’ai toujours pas oser demander ou acheter le 2 non plus…
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Je dois reconnaitre déjà une chose, c’est que ces couvertures sont vraiment belles. J’adore cette végétation. 🥰 Dommage en revanche que la lecture n’est pas été aussi réussie, on sent vraiment que tu es resté à mi-chemin dans ce voyage.
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Oui j’adore les couvertures. Elles mont fait penser qu’on serait vraiment en plein coeur de cette forêt foisonnante et étrange, mais ce ne fut pas assez le cas ici comme tu l’as compris v.v
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Et oui, ça ne marche pas à tous les coups malheureusement. 😕
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Un avis très clair pour un livre qui l’est beaucoup moins ! Je suis allé relire ensuite le mien et il est presque parfaitement similaire comme quoi. Un livre à prendre comme une expérience littéraire mais avec un bon nombre de scènes à l’écriture fort dérangeante…
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C’est tout à fait ça : une expérience ! Impossible de le lire comme un autre livre donc ça ne sert à rien de s’y forcer.
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