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Autant en emporte la brume d’Hanamura Eiko

Titre : Autant en emporte la brume

Auteur : Hanamura Eiko

Éditeur vf : Akata (Héritages)

Année de parution vf : 2023

Nombre de pages : 418

Histoire : Natsuko est une enfant heureuse. Grâce à son père, travaillant pour l’industrie du lait, elle vit loin du besoin et de la misère. Mais quand un jour, à l’occasion d’un voyage à Hokkaido, elle rencontre une mystérieuse jeune fille dans la brume, elle pourrait bien découvrir certains secrets de famille dont elle ignorait tout. Quel impact aura cette rencontre sur sa vie ? Quels sont les drames qui ont bousculé le passé de sa mère ? Au fil des jours, des mois qui passent, Natsuko devra grandir bien plus vite qu’elle ne l’aurait cru…

Mon avis :

Depuis son annonce, la collection « Héritages » d’Akata m’enchante. Elle permet de découvrir d’anciens titres importants dans l’histoire du manga qu’on n’aurait peut-être pas eu grâce à eux, notamment les titres féminins, quand on voit la propension à nous offrir ceux des auteurs mais l’absence de ceux d’autrices comme Moto Hagio ou Eiko Hanamura avant eux ! Alors merci.

Avec ce nouveau volume, je peux enfin découvrir le travail d’Eiko Hanamura, artiste morte il y a peu, qui a su imposer sa marque dans le monde du manga en dépit de son sexe. En effet, c’est à elle que nous devons une certaine esthétique qui a pullulé depuis dans le manga destiné à tous les publics : les yeux yeux étoilées avec plein de cils. Amatrice de mode, comme bien de ses successeuses, en plus de proposer de riches et variées histoires, c’est un style graphique qu’elle a su imposer, comme le rappelait la foire d’art contemporain où une galerie vendait des illustrations de l’autrice du 20 au 22 octobre dernier, au Carrousel du Louvre . Et moi, j’aime les autrices qui imposent ainsi leur patte !

Pour nous la faire découvrir, Akata a peut-être choisi son titre le plus emblématique, à savoir l’un de ses plus longs et le premier à avoir été adapté aussi bien à la télé qu’en roman, une rareté à l’époque pour une femme et pour une histoire dramatique comme celle-ci ! C’est donc un titre très important et vraiment représentatif de son travail que l’éditeur nous présente à grand renfort de témoignages édifiants en fin de tome, un éclairage fort utile. On remerciera Akata pour ce beau travail éditorial, qui va de ces bonus, en passant par une couverture (sous la jaquette) couleur et des pages couleurs aux couleurs des héroïnes de l’histoire.

C’est donc un bel objet d’étude que nous avons entre les mains, représentatif d’une époque et précurseur sur d’autres points. On retrouve dans Autant en emporte la brume une belle ambiance so années 60, avec ces allures d’Enka (chansons populaires japonaises dramatiques, pendant du Fado portugais), mais également un véritable témoignage sur les modes féminines de l’époque à travers les tenues et coiffures multiples des héroïnes, ce qui est charmant. Mais le manga est plus que cela, il offre aussi des thématiques peu voire pas vues dans les titres proposés aux filles pour l’époque. En effet, on parle de kidnapping, d’adoption, de famille reconstituée, de dépression, de tentative de suicide, de mal être et j’en passe. Bien des autrices s’en inspireront ensuite et cela fera même le lie des années 70, avec un style très identifiable chez celles parvenues jusqu’à nous comme Moto Hagio, Keiko Takemiya ou Riyoko Ikeda. J’ai donc aimé découvrir en quelque sorte celle qui avait inspirée mes autrices préférées d’autrefois.

Cependant si je dois me prononcer d’un point de vu plus terre à terre sur l’histoire et la forme que prend cette oeuvre tandis que nous la découvrons près de 60 ans plus tard, je ne peux pas non plus crier au chef d’oeuvre. C’est un titre pétri de défauts formels à l’heure actuelle. La fille de l’autrice nous explique que sa mère a souvent répondu à des commandes et qu’elle était une cheville ouvrière pour son éditeur. Cela se ressent malheureusement ici en dépit de tout ce qu’on peut trouver de louable et précurseur.

En effet, j’ai trouvé, à mon goût, que la narration souffrait très vite d’un trop plein de mélodrame qui a pesé sur celle-ci. Je ne suis pas non plus convaincue par le développement de la psychologie des personnages que je trouve très superficielle et manichéenne finalement, reflet également d’une certaine conception de la femme au Japon, malgré un certain vent de modernité avec quelques portraits de femmes indépendantes. La narration est également maladroite, l’autrice ayant tendance à nonobster les transitions, ce qui donne des changements abrupts. Tout cela rend vraiment la narration datée, plus que n’ont pu l’être des titres parus juste quelques années après, ce qui est peut-être la marque de la césure qu’elle va apporter dans le genre pour celles qui vont suivre. Ici, elle est encore de l’ancien monde, les autres seront dans le nouveau monde.

Je n’ai cependant pas bouder mon plaisir dans cette histoire aux allures de conte familial dramatique comme dans les films d’Audrey Hepburn. J’ai été rapidement touchée par l’histoire, certes totalement exagérée et improbable, de Yuko, une belle femme de chef d’entreprise mariée sans amour, qui regrette son passé et va être confronté à un drame de celui-ci, qui va également bouleverser la vie de sa fille Natsuko. Le récit des épreuves de cette première était touchant, l’autrice osant aborder les questions de la pauvreté, du poids de la famille, du mal être et de la dépression avec elle. J’ai plus de réserve avec les autres personnages où j’ai trouvé la valse des sentiments fatigante à la fin même si justifiée. L’autrice a vraiment su peindre une riche fresque familiale à la Dallas, pleine de secrets, de mélodrames, de révélations, de rebondissements et de bouleversements. On ne s’ennuie pas. Seul le final est peut-être un peu trop abrupte venant casser un rythme qu’on venait de trouver et qu’il aurait été bon de prolonger encore quelques pages.

Alors récapitulons : j’ai aimé le portrait d’une époque en plein changement que fut ce titre. La passion de l’autrice pour la mode m’a parlé. J’ai beaucoup aimé qu’elle ait eu son style et qu’elle ait fait des émules. J’ai trouvé audacieux qu’elle ose traiter de sujets plus sombres et complexes qu’auparavant. Cependant, lu, en 2023, je trouve la narration pleine de maladresses et de trous, et le travail sur la psychologie des personnages un peu rapide et léger. Ses successeuses, même pas 10 ans plus tard, ont fait bien mieux. Ce qui m’amène à dire que l’autrice est encore prisonnière de son époque dans ce titre même si elle insufflera ensuite un vent de fraîcheur sur la prochaine génération.

Autant en emporte la brume est donc un texte fort intéressant pour l’histoire du manga et du shojo manga en particulier, mis en lumière par le travail éditorial d’Akata. J’ai beaucoup aimé sa valeur patrimoniale. En tant qu’objet de lecture cependant, le plaisir fut moindre avec une histoire trop mélodramatique et remplie de maladresses narratives pour moi. Je trouve l’histoire assez anecdotique en elle-même par rapport à ce que le style et les thèmes de l’autrice apporteront plus tard aux autres. Je remercie cependant Akata pour la découverte de ce jalon et j’espère qu’il y en aura d’autres !

 >N’hésitez pas à lire aussi les avis de : Vous ?

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15 commentaires sur “Autant en emporte la brume d’Hanamura Eiko

  1. Ben oui, les « shôjo manga » de cette époque sont devenus illisibles de nos jours. Et il ne faut jamais prendre la communication d’Akata pour argent comptant. Non, l’autrice n’avait pas une expo au Carrousel du Louvre, c’était une foire d’art contemporain où une galerie vendait des illustrations de l’autrice et rien de plus…

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  2. Un grand merci pour ton avis. Je n’arrête pas de tourner autour en librairie mais vu le prix, je voulais être certaine de mon choix. Or, en te lisant, je pense que ce titre coche toutes les cas pour un emprunt plutôt qu’un achat.
    Je fuis l’abus de mélodrame, les revirements de sentiments et j’ai besoin de personnages nuancés pour m’immerger dans un récit, même s’il faut prendre en compte le contexte social et culturel du Japon de l’époque. Néanmoins, certains des thèmes abordés sont intéressants… Me reste à faire une suggestion d’achat à ma médiathèque 🙂

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  3. Personnellement j’ai beaucoup aimé Autant en emporte la brume malgré un aspect un peu ampoulé dans l’écriture et l’émotion. Le manga a un aspect lyrique et exagéré qui m’a autant plu qu’un peu fatigué (j’ai lu le tome en 3 fois). J’ai trouvé le dessin charmant tout comme l’histoire malgré son aspect prévisible.
    Je pense qu’à l’époque les choses évoluaient beaucoup en quelques années seulement dans le manga féminin ce qui explique l’aspect un peu vieillot de l’oeuvre comparé à d’autres mangas parus quelques années après (mais je me trompe peut-être)
    Je ne serais pas contre lire un ou deux autres titres de l’autrice par curiosité

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    1. C’est pourquoi je pense que ça dépend vraiment de notre rapport au mélodrame. J’ai déjà beaucoup de mal, souvent, avec don écriture actuelle, alors ancienne…
      Je trouve en revanche comme toi l’aventure graphique incroyable et j’aime ce côté laboratoire très vif ou tout va vite. Ça me donne aussi envie de la retrouver sur d’autres textes mais je ne suis pas sûre que ce soit dans les tuyaux 😅

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      1. Ah oui je vois bien, ça doit beaucoup jouer dans le ressenti. Personnellement j’aime bien le mélodrame mais ça dépends du ton de l’oeuvre. (faut pas que ça soit trop appuyé).
        Oui je suis d’accord avec toi, l’oeuvre a un aspect laboratoire qui est plaisant. Je ne sais pas du tout quels sont les plans de Akata sur le long terme, ils ont tellement de boulot pour la collection Héritage et je ne sais pas si le succès va suivre sur le long terme ^^

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      2. C’est aussi une de mes craintes car il faut avouer que les anciens titres ne se vendent probablement pas tant que ça, mais après ça dépend tellement de leurs attentes et du contrat aussi. Alors on va croiser les doigts !

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