Livres - Mangas / Manhwa / Manhua

Cocon de Machiko Kyo

Titre : Cocon

Auteur : Machiko Kyo

Éditeur vf : IMHO

Année de parution vf : 2024

Nombre de pages vf : 208

Histoire : Cocon dépeint la lutte pour la survie d’un groupe directement inspiré de l’escadron Himeyuri composé de jeunes filles enrôlées comme infirmières à Okinawa pendant la Seconde Guerre mondiale. Ces jeunes filles voient leur quotidien d’écolières, déjà chamboulé par la guerre, complètement anéanti lorsque leur travail en tant qu’infirmières commence. L’histoire est centrée sur le personnage de San, entre l’horreur de son quotidien et l’apaisement que lui procurent ses souvenirs des jours de paix relative. Cocon fait partie de ses œuvres qui ne cherchent pas à décrire la Seconde Guerre Mondiale mais le ressenti de ceux qui l’ont vécu. La douceur du trait et des aquarelles de Machiko Kyô ne font que révéler davantage l’horreur de la guerre avec une terrible authenticité.

Mon avis :

Je dis souvent que les récits de guerre, ce n’est pas mon truc. Et pourtant, quand c’est écrit avec autant de force, de finesse et de poésie ici, je ne peux que réviser mon avis.

Les éditions IMHO porte à notre connaissance un oneshot qui pourrait sembler fragile et anecdotique mais qui révèle tout le traumatisme de cette guerre passé encore de nos jours sur les Japonais. Car c’est une oeuvre de commande que nous avons à l’origine, celle d’un tantô (responsable éditorial) originaire d’Okinawa qui a demandé à son jeune poulain de s’intéresser à ce contexte qui lui est si familier. Machiko Kyo, encore jeune mangaka alors malgré de jolis débuts d’abord sur son blog avec des mangas à la page, puis avec des oneshots traitant de sa jeunesse, décide de prendre le sujet à bras le corps, et elle le fait avec grande émotion.

Nous avons déjà un titre en France qui parle très bien de cette guerre dans les îles : Peleliu, et ici on retrouve un peu un petit quelque chose de la façon de faire de son auteur. A nouveau, l’autrice se sert de l’imaginaire pour évoquer et camoufler quand même un peu toute la violence de ce moment. Sa métaphore à elle : le cocon du ver à soie qui est cultivé sur l’île. Le groupe de collégiennes que nous suivons va ainsi tenter de survivre et se protéger en restant à l’intérieur de ce cocon et on comprend parce qu’il y aurait de quoi devenir fou rien qu’avec ce qui en filtre.

A l’aide de chapitres courts et toujours poignants et émouvants, Machiko Kyo, à l’aide des témoignages qu’elle a recueillis, nous plonge dans l’horreur de ce moment. Elle débute avec légèreté alors que les filles vont encore à l’école tandis que les bombardements ont à peine commencé, puis très vite nous plonge dans un quotidien bien plus brutal et sordide fait de chairs mutilées, d’esprits battant la campagne, de corps dépérissant et de toutes les violences de la guerre que vous pouvez imaginer. C’est brutal, c’est cru.

Nos héroïnes, bien courageuses, se retrouvent ballottées au milieu de tout ça. Elles trouvent ensemble des stratégies pour survivre aussi bien physiquement que psychiquement. Elles sont en plein coeur de l’horreur et l’autrice nous montre sans phare l’embrigadement psychologique qu’elles ont subi pour participer à cela par amour de l’Empereur. C’est terrible. On a mal pour elles en permanence. On a peur pour elles également et on est bouleversés par ce qui leur arrive tour à tour, à chacune. 

Il n’y a aucune fioriture ici. Le récit est sobre bien que porté par l’onirisme imaginé par l’autrice pour aider ses héroïnes à survivre à coup de cocons de protection et de déshumanisation des hommes en créatures blanches et sans visage pour parvenir à ne pas en avoir peur. Le dessin est d’ailleurs assez épuré, presque maladroit et enfantin. Il respire la jeunesse et offre un décalage qui apporte la lumière nécessaire pour supporter également toutes les horreurs qu’on voit, faites de chair et de sang. C’est l’âme humaine qui est capturée ici, dans sa manière d’essayer de s’échapper mais aussi parfois par la réalité qui la rattrape. Et c’est magnifique. 

Seule la fin, un peu trop rapide, un peu trop facile, un peu trop positive m’a dérangée. J’ai trouvé le dernier chapitre maladroit après ce qui avait été vécu. Je veux bien qu’il faille survivre mais après avoir été si fin dans la plongée psychologique de l’horreur de cette guerre, la relève est trop brutale pour sonner juste à mes yeux, même si je vois bien que notre héroïne n’oubliera jamais.

On m’avait prévenu que Cocon serait une lecture bouleversante, je ne m’imaginais pas, sous le trait enfantin de Machiko Kyo, que cela serait aussi cru, aussi puissant, aussi rude. L’autrice manie la poésie de l’imaginaire avec une superbe maîtrise pour nous plonger dans les affres de cette guerre vécue au plus près des jeunes habitantes d’Okinawa et c’est superbement, sombrement, réussi. Il faut lire ce genre d’oeuvre pour réaliser ce que c’était, ce qu’on a demandé à de jeunes personnes et imaginer le traumatisme que cette génération a subi puis caché profondément en elle. Il faut leur rendre hommage.

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13 commentaires sur “Cocon de Machiko Kyo

  1. Merci pour ton avis.
    Comme tu le dis, sous un trait enfantin c’est violent.
    Un peu comme « Peleliu » que j’avais adoré, mais aussi « dans un recoin de ce monde » ; des mangas avec un trait fin, léger, insouciant, mais qui vont nous faire vivre le pire de la guerre et le pire de ce que l’homme peut faire.
    Sans oublier ce triste vécu qu’on dû endurer ces enfants, elles ont tout supporter, certaines ont craqué en se suicidant collectivement, d’autres ont été tuée prises pour des ennemies ; pourtant elles étaient persuadées de participer à l’effort de guerre, à la victoire ! Juste de la chair à canon.
    Leurs conditions de vies sont horribles, et elles endurent tout.

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  2. Dans certaines scènes d’action, le trait m’a un peu fait songer à du « Hugo Pratt ».

    Je ne savais pas que c’était une oeuvre « de commande », par contre j’avais été étonné de voir que Cocon était paru en Espagne avant qu’un éditeur français ne s’en saisisse à son tour. Endoctrinement de cette jeunesse féminine: oui, au point de choisir parfois le suicide collectif plutôt que la reddition (à cause de la crainte inspirée par les Américains!?).

    Un manga à la fois « poétisé » et réaliste que j’ai moi aussi bien aimé, en l’ayant lu à l’occasion du challenge « Mars au féminin ».

    (s) ta d loi du cine, « squatter » chez dasola

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    1. Etant d’une inculture crasse, je n’ai pas fait le rapprochement avec Hugo Pratt côté dessin, du coup ça m’intrigue 😉
      Clairement un titre à mettre entre toutes les mains pour réaliser l’horreur de ces moments et lutter encore de nos jours contre toute forme d’endoctrinement et de peur.

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  3. Sans doute ma lecture préférée depuis le début de l’année! J’ai bien aimé la fin mais ton avis me fait réaliser qu’il manque peut être un petit quelque chose à la résolution, après je trouve qu’elle laisse la place au lecteur pour imaginer la résilience de la jeune fille avec le poids de la perte de l’horreur de la guerre

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    1. Tu as raison, je me suis dit aussi après coup que l’héroïne faisait preuve d’une belle résilience et qu’il lui fallait bien ça pour avancer, mais je n’aurais pas été contre quelques pages en plus pour montrer son cheminement afin que ce soit moins abrupte.
      ça reste comme tu dis, cependant, une lecture particulièrement marquante ❤

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      1. Oui je te rejoins, j’aime le fait que le récit ne s’embarrasse pas trop d’éléments superflues mais une ou deux pages de plus n’aurait pas été de trop avec le recul
        Je suis d’accord c’est une lecture particulièrement marquante!

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