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La Règle de Trois de Fumiya Hayashi

Titre : La Règle de Trois

Auteur : Fumiya Hayashi

Traduction : Anaïs Koechlin

Éditeur vf : Casterman – Sakka

Année de parution vf : 2024

Nombre de tomes vf : 2 (série terminée)

Histoire : « Nous trois, ça aurait dû durer pour toujours. »
Kôtarô et Tôru, voisins et amis d’enfance, sont autrefois tombés amoureux de la même jeune femme : Tôko. Tous trois ont formé un étrange triangle doux-amer, jusqu’à la disparition soudaine de Tôru.
Aujourd’hui, malgré toutes les années, malgré son mariage en apparence paisible avec Tôko, Kôtarô reste hanté par les regrets et rongé par la culpabilité.
Une rencontre comme un coup de tonnerre va brutalement ramener le couple dans le passé, à l’époque lumineuse où la vie s’écrivait à trois.

Mon avis :

 Tome 1

Autrice que nous n’avions pas encore eu la chance de découvrir, Fumiya Hayashi, nous arrive d’un coup avec deux titres chez deux éditeurs : La règle de trois chez Sakka et Vies d’ensemble chez Naban le mois prochain. Une belle façon d’aller à la rencontre de sa plume belle et sensible.

C’est une jeune autrice, qui est l’un des derniers talents repérés dans le magazine japonais Comic Beam, qui m’a surprise avec son trait et ses tonalités très proches du shojo au sens large (josei et boys love compris) et qui démontre ainsi combien les limites sont poreuses entre les genres, ce que j’adore !

Son premier récit à parvenir chez nous La règle de trois est un diptyque qui n’est en fait que sa deuxième oeuvre pour l’éditeur après un récit court qu’elle a publié l’année précédente, et pourtant elle y fait déjà preuve d’une belle maîtrise. Dans ce récit doux-amer, elle nous offre une narration sensible, pleine de nuances et de complexité, sur les thèmes des triangles amoureux, de l’éloignement et du deuil, qui sont allés droit à mon coeur de manière totalement inattendue.

Il y a certes un bel habillage avec ces couvertures où la tristesse mélancolique de l’âge adulte semble faire écho à la joie nostalgique de la jeunesse, mais les premières pages, elles, semblaient des plus classiques, sans relief particulier quant à cette relation qui s’était nouée autrefois entre deux garçons très différents, devenus amis, et tombant amoureux en grandissant de la même fille, qui en a naturellement rejeté un des deux en choisissant l’autre, mais ce qui n’avait pas découragé le premier, permettant de former ce fameux trio souligné par le titre. Quelque chose d’assez neutre finalement. Ce n’est que dans le ton qu’on sentait que quelque chose d’autre allait venir donner du relief à l’histoire et c’est effectivement venu avec une belle force tranquille.

La patte de Fumiya Hayashi, ç’a été de parvenir à nous retourner une histoire banale de triangle amoureux sur fond d’amis d’enfance, en un récit bien plus psychologique venant analyser nos choix de vie, de couple, etc. Là où on s’attend à quelque chose de doux et tranquille, derrière cette apparente douceur, il y a quelque chose de bien plus profond et complexe qui vient toucher à l’intimité des personnages qu’ils tentent de cacher derrière un masque de normalité. L’autrice vient gratter des choses dérangeantes, cachées, camouflées, des secrets et des doutes qui peuvent ronger tout un chacun et qu’on garde, garde, au fil des années sans rien dire. Mais ici, le destin en a décidé autrement et elle va explorer cela avec beaucoup de doigté.

J’avais peur au début de tomber sur un récit banal et je ne comprenais pas les éloges que j’avais lus sur le titre. C’était certes émouvant de découvrir le calme Kotaro se rappeler son enfance dorée avec le feu follet Toru, mais il me manquait quelque chose. L’autrice a su être brillante dans l’assurance tranquille dont elle a fait preuve pour instiller patiemment doute et mystère, frôlant même le fantastique le temps d’une page quand le doute était à son comble, avant de nous faire retomber dans les mystères banals de la réalité. Mais la force est restée, l’émotion aussi et à partir de là, c’était inéluctable que cela change. Le rythme avait beau être doux, tranquille, peu à peu le doute s’est instillé par tous les pores de l’histoire et j’ai trouvé ce récit des différentes générations magnifiques, poignants, plein de retenue et de pudeur. Son travail sur les sentiments est assez incroyable, alors que ça peut passer pour quelque chose de banal. Elle me rappelle vraiment l’aura de ces romans japonais sensible que j’aime tant.

Graphiquement, le trait est assez simple, épuré même et c’est pour cela qu’il a si bien fonctionné sur moi. En se débarrassant du superflu, elle a pu se concentrer sur l’essentiel : l’émotion ou plutôt les émotions et leur fine complexité et variation. L’air de rien, il y a un vrai beau travail sur les angles de vue, les cadrages, les rapprochements et mises à distance, les choix des lieux et bien sûr, les fameux regards miroirs de l’âme. J’ai beaucoup aimé. Ce n’est pas flagrant au premier abord, c’est plus fin que ça et c’est justement ce qui en fait la richesse.

Très belle rencontre que celle de Fumiya Hayashi, une autrice qui transcende les lignes éditoriales pour offrir un texte universel où la force des sentiments est puissante derrière sa simplicité apparente. Aimer, on en est tous capable, mais cela laisse des marques et l’autrice vient investiguer avec force dans les interstices laissés par une relation inachevée par le passé. C’est beau, émouvant, déchirant, plein de finesse et de pudeur, la recette d’une belle justesse sous un trait épuré pour mieux laisser parler ce sentiments complexes. Je suis curieuse se connaître le dénouement et je prépare les mouchoirs. Le coup de coeur n’était pas bien loin.

Tome 2

Avec un second tome confirmant tous mes pressentiments et la beauté que j’imaginais derrière cette alliance de sentiments, de nostalgie et de photographie, le coup de coeur est là !

Fumiya Hayashi sera donc bien pour moi une autrice à suivre car pour décrire avec autant de finesse et de retenue la complexité de l’âme humaine, il faut un certain talent. Comme dans son premier tome, l’épuré des dessins n’a fait que sublimer la profondeur et la justesse des sentiments amoureux et amicaux des personnages pour m’aller en plein coeur. Et j’ai totalement succomber à l’histoire de ce triangle amoureux à travers le temps comme rarement.

Avec une narration en mode matriochka, elle nous avait déjà dévoilé les sentiments du premier d’entre eux, Kotaro, pour mieux faire la liaison entre les tomes 1 et 2 avec ceux de Toko et conclure par ceux de Toru. C’était élégant. J’ai beaucoup aimé sa façon d’utiliser la nouvelle génération pour faire la lumière sur les sentiments de ces anciens adolescents devenus adultes que cela ronge toujours. Souvent, les auteurs ne se donnent pas autant de mal pour décrire la complexité qui entoure ces relations à plusieurs. Il y a peut-être unique Ichigo Takano que j’avais trouvé fort juste et émouvante dans Orange avec la même problématique, mais c’est la seule, et ici l’autrice va encore plus loin.

Utilisant la passion de ce héros absent : la photo, elle y transporte et transcende les sentiments de cet ancien trio d’amis-amoureux, où Toru était amoureux de Toko, qui était amoureuse de Kotaro, qui était ami avec Toru et manquait trop de confiance en lui pour accepter pleinement les sentiments de la jeune femme. Cette faiblesse est toujours là et le ronge toujours, montrant que même 20 ans plus tard, même adulte, on reste parfois des enfants dans nos sentiments avec les mêmes fragilités. Chez Toru, c’est une autre faiblesse qui l’a rongé jusqu’au bout, la peur du temps qui passe et change les choses, et ne supportant pas cela, il a pris une décision radicale, montrant que derrière ce visage jovial de garçon qui semble sûr de lui, il y avait quelqu’un de particulièrement sensible.

C’est justement cette sensibilité qui a pénétré l’oeuvre de bout en bout, dans ses choix de narration, dans ses choix de personnages, dans ses choix d’atmosphère et ambiance, qui m’a profondément touchée. J’ai aimé la sensibilité dont l’autrice a fait preuve pour évoquer les amitiés, la vie de couple, les relations à la nature et au temps. Mêlant passé et présent, passé du trio et passé du fils de Toru, elle a ainsi fait un portrait plein d’émotion et de pudeur de ces hommes et femmes, montrant que la vie n’est pas si simple, les amours et les amitiés non plus, tout est question de bien être, d’équilibre, et ce n’est pas simple de trouver sa réponse.

Il y aurait encore énormément à dire sur la manière dont elle a précautionneusement raconté son histoire pour garder le plus de mystère mais aussi faire monter l’émotion, sur son utilisation de la photo comme révélateur de l’âme, ou encore sur la beauté de la relation Kotaro-Toru, puis Kotaro-Toko et le rôle plein de tendresse du fils de Toru face à ces adultes, anciens amis de son père. Tout est magnifique, dans le cadre mélancolique et nostalgique de la fameuse « ville natale », ici magnifiée par le regard d’artiste de Toru qui s’attarde sur cette nature changeante représentant ces changements qui le bouleverse. J’ai rarement autant aimé la simplicité et les tranches de vie avec triangle amoureux.

De manière inattendue, comme un flash d’appareil photo prenant sur le vif, j’ai été cueillie par cette romance amicale douce amère, pleine de nostalgie et de regrets qui au final n’en sont pas. J’ai découvert ici une autrice qui décortique à merveille l’âme humaine pour dévoiler un récit poignant et plein de pudeur, sur un thème vu et revu mais débarrassé ici de tout son superflu pour n’en garder que l’émotion pure. Merveilleux ❤

> N’hésitez pas à lire aussi l’avis de : Les voyages de Ly, Vous ?

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17 commentaires sur “La Règle de Trois de Fumiya Hayashi

  1. Houuuu, ça sent la pépite absolue ! Pour tout te dire, rien que la couverture m’attirait, on sent immédiatement la poésie et l’émotion qui s’en dégagent, ce que ton avis confirme pleinement…

    Aimé par 1 personne

      1. Je t’avoue que j’ai tendance à rechercher justement des titres assez courts pour ma part 😂 Les séries de mangas me semblent toujours interminables et je n’ai pas toujours les moyens d’acheter tous les tomes…

        Aimé par 1 personne

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