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Mauvaise Herbe de Keigo Shinzo

Titre : Mauvaise Herbe

Auteur : Keigo Shinzo

Editeur vf : Le Lézard Noir

Année de parution vf : 2020 – 2021

Nombre de tomes vf : 4 (série terminée)

Histoire : Au cours d’une descente de police dans une maison close miteuse maquillée en salon de massage, le lieutenant Yamada rencontre Shiori, une lycéenne fugueuse qui lui rappelle sa propre fille aujourd’hui décédée. À peine raccompagnée chez elle par la police, Shiori disparaît de nouveau, fuyant les coups de sa mère abusive. Yamada part à sa recherche, mais la jeune fille désemparée trouve refuge chez un inconnu à la bienveillance plus qu’équivoque. À travers ce drame abordant de nombreuses questions contemporaines, Keigo Shinzô explore la sombre sordide de la société japonaise contemporaine.

Mon avis :

Tome 1

Malgré ma bonne première impression de sa précédente oeuvre Tokyo alien bros., je n’avais pas poussé plus avant la découverte de la bibliographie de Keigo Shinzo. Cependant quand le Lézard noir, encore eux, a annoncé la licence de son dernier titre en date, j’ai eu terriblement envie d’y revenir.

Mauvaise Herbe est une chronique sociétale qui fait mal. L’auteur nous y raconte le chemin fait dans la vie par une lycéenne maltraitée par sa mère, qui n’arrête pas de fuguer pour lui échapper et qui tombe sur des types terriblement louches. Jusqu’au jour où un flic, qui a perdu sa fille de manière tragique, va s’intéresser à elle et tout faire pour l’aider.

J’avais vraiment peur en commençant ce titre de tomber sur quelque chose avec bien trop de pathos mais j’ai trouvé le ton de Keigo Shinzo très juste. Il raconte froidement une certaine réalité au Japon qui fait mal, celle des maisons closes clandestines déguisées en salon de massage et celle des jeunes filles à la dérive dont des prédateurs sexuels profites impunément. C’est terrible.

Vraiment cette histoire m’a fait froid dans le dos. J’ai eu beaucoup de peine pour cette gosse que la vie a si mal traitée. C’est une enfant blessée qui ne sait pas comment s’en sortir. Personne ne lui a appris à demander de l’aide. Personne ne lui tend la main. C’est tragique. Heureusement qu’elle croise la route de ce gentil flic. Celui-ci vit avec d’énormes regrets après la perte de sa fille et la ressemblance entre elles le pousse à vouloir l’aider. On va donc le suivre se démener pour ça et ça fait un bien fou dans ce monde pourri. En plus, j’ai trouvé attendrissant que l’auteur les fasse se réunir autour de leur amour commun pour un chat de gouttière qu’ils nourrissent chacun d’eux, ce qui fait un pont entre ces deux âmes blessées et ouvre enfin une porte sur un peu de lumière. Le récit de la rencontre de ces deux personnages atypiques est très touchant.

Graphiquement, je n’ai pas grand-chose à dire, le trait rond du mangaka crée un décalage assez malaisant entre ce qu’il raconte et l’aspect enfantin de celui-ci, alors ça aide à se mettre dans l’ambiance étrangement. Il capte à merveille les jeux de regards des personnages et les mets très bien en scène. Il sait parfaitement maitriser le rythme de sa narration à travers eux. C’est simple mais efficace.

Sans être un coup de coeur, Mauvaise Herbe m’a vraiment remuée. C’est une lecture qui frappe de plein fouet et ne laisse pas indifférent. On a mal pour les personnages et on a vraiment envie de leur venir en aide tant la réalité de leur vie fait mal. C’est un portrait sévère mais juste d’une réalité qu’on cache trop. Vraiment à lire !

Tome 2

Deuxième tome qui confirme tout le bien que je pensais déjà du début de la série. C’est dur, c’est âpre mais ça sonne juste malheureusement. J’ai encore une fois été très touchée par les deux héros de cette histoire et leurs parcours de vie respectifs et croisés. C’est donc avec une petite boule dans la gorge que j’ai suivi la suite de leurs aventures.

Shiori vit désormais chez le lieutenant Yamada qui l’a recueillie mais ce n’est pas terminé ni facile pour autant. Lui, voit en elle sa fille qu’il a perdu trop tôt de manière dramatique. Elle a du mal à faire confiance à un adulte après ce qu’elle a vécu avec sa mère. En plus, rien n’est officiel dans leur relation actuelle, c’est juste un sauvetage de dernière minute.

C’est donc toujours sur le fil qu’on les voit évoluer. J’ai eu beaucoup de peine pour chacun d’eux. J’ai beaucoup aimé la mise en scène de la relation qui se noue entre eux. Une relation étrange où chacun vit à côté de l’autre sans vraiment interagir en profondeur. On les sent donc lointains. Et pourtant, en même temps, on assiste à des moments où quelque chose se crée entre eux, qui pourrait être ce qu’on attend d’une relation père-fille. L’auteur écrit donc avec justesse sur la difficulté à créer des liens avec un(e) inconnu(e) notamment dans les situations d’adoption comme ici.

Il évoque également la complexité pour un parent de faire le deuil de son enfant à travers le récit de la perte de la fille du héros. Un récit simple et concis mais marquant, qui en dit long sur une autre forme de maltraitance : la négligence. C’est extrêmement triste, surtout quand l’adulte responsable se rend compte a posteriori de son erreur et de ses conséquences. Cependant, l’auteur ne reste pas sur cette note sombre et apporte de la lumière avec la relation que Yamada tente de nouer avec Shiori.

De plus, il continue à sonner très juste dans tout ce qui a trait à la maltraitance. Il évoque, chiffres à l’appui, la situation dramatique des adolescents en danger au Japon. Ça fait froid dans le dos. Il met en scène de manière très juste la débrouille qui peu se mettre en place. Il évoque également le harcèlement scolaire à cause de rumeurs nocives qui peuvent détruire et isoler quelqu’un. Tout cela est très dur et l’on comprend parfaitement la colère de l’héroïne, qui éclate en fin de tome.

Keigo Shinzo est donc un très beau chroniqueurs des drames contemporains de notre société. Entre ce père qui n’arrive pas à faire son deuil et cette enfant terriblement malmenée par sa mère et abandonnée par les adultes, on ne peut qu’être touché. Entre ombre et lumière, ce titre est une très belle chronique sociétale.

Tome 3

Un tome coup de coeur pour une histoire vraiment puissante à la mise en scène classique mais vraiment percutante. J’ai été toute retournée par l’un des chapitres de l’histoire !

Alors que l’univers était globalement assez sombre quand même dans les deux premiers tomes, j’ai trouvé celui-ci lumineux à l’image de sa couverture, du moins dans un premier temps. Shiori fait heureusement une belle rencontre après avoir fugué de chez monsieur Yamada, une rencontre qui va changer sa vie et lui faire remonter un temps la pente.

J’ai beaucoup aimé le ton employé ici. Il y a vraiment un côté tranche de vie réaliste. La critique de ces pauvres enfants se sentant obliger de fuir leur foyer est forte. Mais l’espoir qu’une belle et bonne rencontre puisse les aider à s’en sortir et leur redonner confiance est là. L’auteur montre quand même très bien la fragilité de cela. Les obstacles à l’épanouissement de Shiori n’ont pas disparu. Elle a toujours une peur profonde et ancrée de sa mère. Elle subit toujours les moqueries des petites racailles de son établissement. Mais sa passion pour le dessin met du baume au coeur, tout comme l’amitié qu’elle commence à nouer avec les membres du club qu’elle rejoint, ainsi que la relation de plus en plus chaleureuse qu’elle entretient avec monsieur Yamada qu’elle vient à considérer comme son père.

C’est pourquoi le final est d’autant plus brutal des deux côtés quand la réalité les rattrape. Le chapitre retraçant l’histoire de la mère de Shiori m’a pris à la gorge. C’était déchirant de voir la détresse et le basculement de cette femme que rien ne prédisposait à ça. Et l’histoire qui se déroule en parallèle montrant les affaires sur lesquelles travaille M Yamada ne peuvent que faire craindre le pire. Suis-je la seule à ne pas avoir compris les ultimes pages et l’affaire ainsi que la personne mentionnée ? (mémoire de poisson rouge…)

Mauvaise Herbe confirme avec ce superbe tome la force et l’âpreté de cette série qui en font une lecture vraiment marquante, qui saisit aux tripes et qui fait réfléchir. On ne peut pas rester indifférent aux destins de ces personnages que l’auteur croque vraiment avec justesse et humanité.

Tome 4

Chronique sociale poignante, Mauvaise Herbe nous offre le tome parfait pour clore ce genre d’histoire, merci à Keigo Shinzo.

L’auteur ne tombe pas dans la facilité à l’heure de mettre en terme à son histoire. Il montre que dans des cas comme celui-ci, il y a des conséquences aux actes de chacun. Oui, le lieutenant Yamada a fait un acte d’un grand coeur mais on ne peut pas accueillir comme ça chez soi un adolescent qui a fugué de chez lui. Oui, Shiori est partie de chez elle parce que sa mère la maltraitait, mais sans l’avoir dénoncée officiellement, elle ne peut pas faire ça vu qu’elle est encore mineure. C’est terrible mais il est juste de montrer qu’ils ne vivent pas au pays des bisounours et l’auteur l’a très bien compris.

Il nous offre cependant un dernier acte plein de douceur et de chaleur humaine avant que la réalité ne les rattrape. C’est un peu artificiel quand on connait le contexte, mais on voit véritablement une Shiori heureuse dans sa nouvelle vie avec le lieutenant Yamada. Elle a enfin un foyer aimant où s’épanouir et osé être elle-même, ce qui l’aide à se trouver. Pour Yamada, Shiori est celle qui va l’aider à tourner la page sur sa fille décédée et à l’aide d’une dernière scène bouleversante, qui m’a mise complètement en vrac, il va enfin s’en libérer. C’était magnifique !

Cependant comme je le disais la réalité et là, et les choix passés de Shiori la rattrapent. Son accointance avec un serial-killer qui s’en prenait aux gens qui vont mal va faire remonter la police jusqu’à elle et jusqu’à Yamada. C’était logique, dur mais normal et j’ai aimé cela, parce que pour moi l’auteur a osé aller au bout de son propos. Il dénonce ainsi une réalité normative qui se fracasse face à une réalité concrète. Oui, on n’a pas le droit d’héberger un(e) fugueur(-se) mineur(e), mais qu’est-ce qu’on propose concrètement pour les aider quand ça ne va pas chez eux ? Le système est-il assez réactif, assez protecteur, ne protège-t-il pas trop les parents avant les enfants ? L’auteur pose de vraies questions de société pertinentes au Japon.

L’auteur pointe aussi du doigt une société trop portée sur le sensationnel, qui préfère se délecter de la chute d’un homme bien en l’accusant de tout et n’importe quoi plutôt que de chercher la vérité. C’est terrible de voir ces hommes et femmes de tout âge et tout milieu pointer du doigt Yamada, mal considérer Shiori, juste sur base de ragot colporté à droite à gauche. C’est rude mais réel une fois de plus.

Heureusement, Mauvaise Herbe n’est pas qu’un titre qui fait mal et qui dénonce, c’est aussi un titre plein d’apaisement qui offre une deuxième chance. Ainsi, l’auteur va-t-il proposer un final lumineux où tous les gens positifs, parce qu’il y en a eu heureusement, qui ont croisé l’héroïne auront eu un vrai impact sur elle, pour l’aider à échapper au terrible schéma dans lequel elle était enfermée. Et les dernières pages muettes résument tout, tout ce que Yamada a su apporter à Shiori et tout ce que Shiori a su apporter à Yamada. C’était magique !

Pour conclure, je ne suis pas une adepte des récits de société. J’avoue ne pas aimer lire de choses trop dures parce que je trouve que la réalité l’est assez. Mais ici, c’est fait avec tellement de justesse, de positivité et de lumière sous la noirceur que je n’ai pu que me sentir profondément touchée par l’histoire de cette enfant maltraitée et de son sauveur. Merci à Keigo Shinzo.

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