Livres - Mangas / Manhwa / Manhua

Wombs de Yumiko Shirai

Titre : Wombs

Auteur : Yumiko Shirai

Editeur vf : Akata (L)

Année de parution vf : 2021-2022

Nombre de tomes : 5 (série terminée)

Histoire : Quelque part, dans l’univers… Les Firsts se sont installés sur la planète Jasperia et l’ont terraformée. Ils ont cru pouvoir y vivre en paix. Mais à l’arrivée des Seconds, une terrible guerre est enclenchée.
Vingt ans plus tard, et tandis que le conflit n’a pas faibli, Mana Oga est choisie pour intégrer une section spéciale de l’armée : « les forces spéciales de transfert ». Cette unité d’élite est composée exclusivement de femmes, dont l’utérus a été implanté avec des fœtus parasites. Ces dernières développent alors une capacité unique, la téléportation, conférant à leur armée un avantage stratégique notable.
Arrachée de son quotidien, Oga va devoir s’entraîner, se former puis prendre part à une guerre dont elle ignore tous les enjeux et implications…

Mon avis :

Tome 1

Akata poursuit son intention de réintroduire en France de la SF féminine écrite par des autrices aux univers solides et plein d’imagination. Après Nos temps contraires de Gin Toriko qui fut un coup de coeur, place à Wombs de Yumiko Shirai qui fut tout autant si ce n’est plus une lecture coup de poing !

Nous avons découvert la plume et les pinceaux de Yumiko Shirai en 2017 avec Rafnas chez Komikku mais les particularités du titre lui ont empêché de rencontrer le succès. Il aura donc fallu attendre 2021 pour retrouver cette autrice pourtant multiprimée, qui a notamment reçu le Grand Prix Japonais de la Science-Fiction en 2016.

Wombs est pourtant une série antérieure à Rafnas, publiée dès 2009 au Japon, dans le magazine seinen Ikki, elle comptabilisa 5 tomes. Elle met en scène un futur où l’humanité est partie coloniser une lointaine planète, Jasperia. La première génération en a profité pour la terraformer malgré un milieu plutôt hostile malheureusement à l’arrivée des Seconds une terrible guerre s’enclenche et continue encore 20 ans plus tard. Mana Oga, une jeune femme on ne peut plus banale, est arrachée à sa vie à la campagne pour intégrer une section spéciale de l’armée : « les forces spéciales de transfert ». Cette unité d’élite est composée exclusivement de femmes, dont l’utérus a été implanté avec des fœtus parasites. Ces dernières développent alors une capacité unique, la téléportation, conférant à leur armée un avantage stratégique notable.

Avec Wombs nous sommes en plein dans ce que l’on appelle la SF militaire et bon sang que son autrice maîtrise le sujet. Elle nous plonge tête la première, sans le moindre filet de sécurité, dans un univers sombre, complexe et désespéré où l’existence de ce pan de l’humanité que nous suivons ne tient qu’à un fil. Au début, on ne comprend pas bien ce qui se passe et les éclaircissements ne viennent que tout doucement au fil des pages mais même à la fin du tome 1, il reste encore de très très nombreuses questions sur ce qui se passe, ce qui rend la lecture très mystérieuse et addictive.

Le choix, classique certes, de suivre l’histoire caméra à l’épaule en se mettant dans les pas d’une jeune recrue qui intègre cette fameuse unité d’élite féminine est judicieux. Elle sera le parfait porte-parole du lecteur, puisque comme lui, elle ignore tout de ce qui se passe vraiment. L’univers très militaire dans lequel elle évolue en faisant ses classes nous permet d’en apprendre plus sur ces femmes et ce qui leur arrive dans un premier temps. On voit en parallèle quelques vétéranes mais le mystère reste assez opaque autour de ce qu’elles font et savent. Nous n’assistons pour le moment qu’aux premiers temps de leur entraînement, aux sélections pour savoir si elles deviendront des porteuses ou non, et aux tous premiers instants de leurs formations une fois « enceintes » et les missions basiques qui vont en découler.

La guerre est aux portes mais reste encore bien discrète. On ne fait qu’entrevoir le conflit pourtant à l’origine de la vie bien sombre qu’elles vivent. L’autrice ne distille des informations à ce sujet qu’avec parcimonie, aussi bien sur les raisons que sur les belligérants, et encore ce qu’on aperçoit, on n’est pas sûr de bien comprendre. Est-ce que l’humanité est en guerre contre un autre pan de l’humanité ? Contre les créatures d’apparence mécanique qu’on aperçoit ? Contre les Nimbas dont on attend si souvent parler sans savoir à quoi ils ressemblent ? La recherche de réponses et d’indices rend la lecture particulièrement addictive.

D’ailleurs le monde hostile dans lequel elles évoluent est également assez fascinant. C’est un monde envahi par de gigantesques plantes ressemblants à des arbres, laissant voir d’immenses forêts a priori dangereuses dans lesquelles on ne veut pas trop pénétrer. Pourtant des pans entiers de la planète ont été terraformés et ressemblent à notre Terre, étrange. Les Nimbas, créatures (?) originaires de la planète, sont celles dont on ensemence les femmes pour leur conférer leurs capacités spéciales, mais on ne sait pas à quoi ils ressemblent au final et ce qu’il advient d’eux une fois qu’on les retire des femmes. Même les créatures qui semblent les attaquer posent plus de questions que n’apportent de réponses. Et tout cela se fait dans un univers charnel et visqueux aux influences biomécaniques assez évidentes. J’invite d’ailleurs les curieux à écouter le podcast de l’émission de La Méthode scientifique à ce sujet : lien.

Les thématiques autour de la guerre, de ce qu’on est prêt à faire pour gagner, de l’instrumentalisation des populations, des corps des soldats, des kamikazes et bien sûr l’utérus comme une arme, font échos à bien des périodes sombres de notre histoire mondiale. Qui dit kamikazes, dit seconde guerre mondiale. Qui dit instrumentalisation de l’utérus, dit URSS et J.O. Qui dit instrumentalisation des populations, dit l’ensemble ds guerres qu’on a vécus, etc. C’est une très belle utilisation et réorientation de ces thèmes à la sauce SF futuriste.

Le trait de l’autrice a le grain parfait pour ce genre d’histoire un peu sombre et sale. Il est fin et âpre à la fois, avec un côté crayeux parfaitement adaptés. Les gris sont omniprésents. Les designs de l’ensemble des composants de l’histoire sont très bien pensés pour rester en mémoire, des tenues militaires des femmes « enceintes » qui rappellent dramatiquement celles de notre époque, nous faisant dire que ça pourrait nous arriver, aux créatures biomécaniques à pattes qui filent les jetons, en passant par ces paysages hostiles en mode forêts vierges. C’est étrange donc parfaitement immersif pour l’univers voulu.

J’ai été soufflée par la qualité de ce premier tome, aussi bien pour l’univers imaginé, pour les dessins qui lui font prendre forme que pour la narration qui nous guide tranquillement pour nous plonger dans la noirceur étrange et dérangeante de ce que vivent ces femmes sans le vouloir et le comprendre. Terriblement déroutant !

Tome 2

Très emballée lors de la lecture du tome 1, il restait cependant de nombreuses zones d’ombres, qui malheureusement m’ont un peu fait trébuchée lors de la lecture de ce tome.

Depuis le début, Yumiko Shirai a imaginé un univers de SF militaire très réussi. Il n’y a rien à redire dessus. L’idée de ce monde hostile où une partie de la population humaine, les First, sont en conflits à la fois avec l’autre partie, les Seconds (la seconde génération) et les créatures autochtones, contre lesquelles elles luttent en utilisant le propre embryon de celle-ci introduite en elles, est fascinant.

L’autrice reprendre d’ailleurs cette dynamique en l’enrichissant ici, s’attardant sur la relation entre l’héroïne et l’embryon qu’elle porte en elle. Pour le moment, la doxa c’est de ne pas considérer celui-ci comme un être vivant avec lequel échanger, mais plutôt comme un outil à utiliser. Sauf que l’héroïne, comme une autre de ces prédécesseures, ne semble pas penser pareil. Revient alors la question de la « rencontre du 3e type » et de cette hostile quasi innée des humains envers les « autres ».

Politiquement, le titre est aussi très solide avec une belle tension entre les différentes générations d’humains, qui repose à la fois sur le fossé générationnel, les modes de vie qui sont différents, l’un à terre, l’autre dans l’espace, et leur différence de technologie et de rapport à celle-ci. C’est assez passionnant à suivre.

Le gros souci du titre, c’est que toutes ces qualités, il faut quand même bien bien les chercher car la série est assez avares en révélations et avancées. Elle a un rythme très très lent. Elle repose beaucoup sur le quotidien terre à terre des héroïnes qui vivent quasiment en huis clos. Il ne se passe donc pas grand-chose et l’ensemble est encore très très flou. Franchement, j’ai du mal à saisir pour les First et les Second en sont encore à s’opposer. Je ne comprends pas cette volonté d’affronter les autochtones sans chercher à communiquer entre eux. Quel est le but de tout ça et où va-t-on ? Je n’en sais fichtrement rien. C’est assez déstabilisant et ça peut potentiellement devenir frustrant à la longue.

Ainsi, Wombs a beau avoir un univers plein de promesses, si celles-ci ne se concrétisent pas au bout d’un moment, son aura de mystère et ses questions sur la morale, l’enfantement, la communication, la relation à l’autre… ne suffiront pas à maintenir mon intérêt. Décidément, pour les mangakas c’est dur d’écrire un vrai bon récit de SF qui tient la route et n’est pas juste de la poudre aux yeux ^^!

Tome 3

Arrivée à mi-parcours, je continue à trouver la lecture de Wombs prenante mais terriblement floue donc très frustrante… Dans ce tome, on a l’impression d’avancer quant à la connaissance de ce qui se passe face aux Nibas mais il est encore très compliqué d’avoir un plan clair devant nos yeux dans tous les sens du terme.

En effet, ce tome se concentre à fond sur les plans des militaires pour établir de nouveaux points autour de la nouvelle capitales des Seconds au sein de la forêt de Nibas pour pouvoir les attaquer. Concrètement, c’est à peu près tout ce que j’ai compris, car ça va tellement loin dans l’irréel que je n’arrivais pas du tout à me figurer ce que représentait ce plan où chacune évolue et quel était son rapport avec la réalité. Il faut dire que le trait assez confus de l’autrice n’aide en rien. Certes les planches dépaysent totalement mais elles perdent aussi surtout.

C’est dommage parce que les manoeuvres en sous-main des grands pontes masculins qui se servent des femmes pour leurs plans secrets me plaisent bien. C’est retors à souhait et c’est une belle critique. Les manipulations scientifiques et génétiques font également froid dans le dos et intriguent. Ils interrogent encore sur les liens avec les premiers habitants de ce monde et leurs capacités, leur mode de vie, leur réalité…

Sur un autre plan, j’ai été séduite par le destin de Mana, qui est au coeur de ce qui se passe. Son lien profond avec son village natal, ses habitants et son amour de jeunesse fait chaud au coeur et émeut, de même que celui qu’elle semble tisser avec celui qu’elle porte et avec ses coéquipières. Cependant son rôle et son potentiel restent bien flou pour moi, comme le reste du récit.

Je me retrouve donc une fois de plus à avoir apprécié ma lecture mais avec le sentiment de ne pas avoir compris le quart de ce voulait transmettre l’autrice. Alors oui, j’aime suivre de la SF militaire avec tout ce que cela implique, j’aime le côté légèrement féministe aussi, je me suis attachée aux héroïnes, mais j’ai besoin de dessins et d’un récit plus clairs. J’espère que des réponses arriveront l’an prochain dans les deux derniers tomes.

Tome 4

Moi qui attendais des réponses, celles qui arrivent continuent à me laisser dans un flou quasi total et je suis totalement obligée de me laisser porter par l’histoire tant je n’y comprends pas grand-chose. C’est une drôle de sensation.

En effet, dans ce nouveau tome, même si on en apprend plus sur les Seconds et leurs manoeuvres panhumaines eugéniques et manipulatrices pour ne pas dire castratrices, leur conflit avec l’organisation militaire qu’on suit reste très complexe et hautement flou. On comprend bien qu’on est face à une lutte de pouvoir, une opposition de vision de la vie et d’idéaux au sens large, mais la mise en scène dans la réalité est totalement incompréhensible. Je peine vraiment à visualiser les manoeuvres des uns et des autres sur le terrain. Je suis totalement perdue. Pour moi, ils affrontaient les habitants de cette planète à la base et là, c’est un mélange entre ceux-ci et les Seconds qui semblent profiter de la pagaille pour tenter de venir imposer leur modèle de vie en capturant leurs rivaux. Quel foutoir !

Alors heureusement, tout cela donne une SF militaire assez jouissive et entraînante à suivre. L’autrice dénonce encore et toujours la façon dont les hommes méprisent les femmes même quand elles se rendent aussi utiles qu’ici. Les femmes ont beau avoir un rôle clé, il semble que ce soit toujours les hommes qui détiennent le pouvoir et ça me fait grincer des temps. On assiste un peu plus à la campagne militaire sur le terrain désormais, avec de vraies interventions de nos héroïnes où on les voit transporter ou sauver des troupes. Là où ça reste très compliqué, c’est sur ce fameux plan abstrait où telles dans une dimension qu’elles seules voient elles préparent les schémas de déplacement à l’aide de drôles d’illusions que je peine à comprendre.

En écrivant, on pourrait croire que j’y vois clair dans ce que je lis, mais pourtant même en saisissant ces éléments et en les mettant côte à côte lors de la lecture, celle-ci n’en reste pas moins très opaque pour moi et ça commence à sérieusement me frustrer. Autant en roman, ce genre d’univers passe parce que c’est mon propre imaginaire qui est sollicité et non celui de quelqu’un d’autre et parce que les auteurs sont quand même obligés d’écrire plus et de livrer plus d’éléments pour faire vivre leur récit. Ici, j’ai un sentiment de trop peu de ce côté-là, comme si l’autrice se reposait trop sur les mystères de son univers. Ça me donne pas mal de craintes sur le volume final.

Entre révélations nouvelles sur les autochtones, conflits avec les Seconds de plus en plus prégnants, l’histoire se carapate et les héroïnes occupent enfin la place centrale dans la vie militaire de ce conflit, comme on l’attendait. Cependant, le récit et sa mise en scène restent particulièrement flou, au point de faire craindre un effet pétard mouillé pour le prochain et dernier tome. J’espère vraiment être surprise et me tromper car malgré tout, je trouve que l’univers a quelque chose de fascinant dans son étrangeté et sa noirceur.

Tome 5 – Fin

Jusqu’au bout Wombs m’aura partagée entre la puissance de ce qu’il cherche à raconter sur la condition féminine, la guerre et les enfants pris dans le conflit, et le côté très brouillon voire franchement opaque de sa narration qui rend la lecture fort résistante.

J’ai en effet envie de retenir les beaux et surtout puissants messages de Yumiko Shirai qui nous parle de maternité comme je l’ai rarement lu même dans un texte de SF. Cependant, je suis très parasitée par la mise en scène élaborée pour arriver jusque là. En effet, j’ai trop souvent eu l’impression de naviguer en eaux troubles et de ne pas bien comprendre l’ensemble des enjeux de ce conflit multiple entre humains avec d’un côté les Premiers, de l’autre les Seconds, et entre humains et autochtones avec ces Nibas qu’on ne découvre que dans les ultimes pages. Je ne sais pas si c’est volontaire mais il y a franchement eu des chapitres entiers où je ne comprenais rien à ce qui se passait et où je lisais en pilote automatique. Même après, après plus éclaircissements et révélations, je pense qu’il y a encore beaucoup de choses qui m’échappent au niveau des transfert, des points dans le plan, des rapports conflictuels humains-Nibas, etc, et c’est très frustrant. Je n’aime pas être dans le flou.

En revanche, oui les propos sur la guerre m’ont marquée et je les ai trouvés très forts. Cette dénonciation de l’instrumentalisation des gens, des corps, que ce soit des femmes ou des enfants ici, prend aux tripes. Quand on voit les manipulations imaginées par l’autrice pour utiliser le corps de ces femmes soldates mais également des civiles pour les pousser à s’engager, ou encore des autochtones perçus également comme des armes bien pratiques et déshumanisés, ça fait froid dans le dos et comme en prime cela repose sur des mécanismes passés ayant bien eu lieu dans notre histoire, cela glace encore plus. Terrifiant. J’ai donc aimé ce message dénonciateur mais également ce message de révolte des femmes et enfants qui vont lutter contre ceux qui les ont asservis et leur ont fait du mal. C’était puissant, un peu comme dans The Handmaids Tails et cette littérature féminine revendicatrice que j’apprécie.

Une fois le tome refermé, c’est donc l’émotion qui me gagne, celle de ces femmes qui ont tant souffert, celle de ces femmes qui se sont unis pour se révolter et se libérer, celle de ces enfants privés de leur enfance, leur mère, leur droit ua bonheur, comme nos propres enfants soldats qui existent toujours bel et bien à l’époque où on vit, mais également enfants victimes, tel qu’on peut le voir de nos jours en Ukraine. Le parallèle est puissant.

Ainsi sous la couche de ce contexte géopolitique extrêmement flou qui m’a beaucoup frustrée tant j’aurais aimé mieux le saisir et mieux me le figurer, ce qui est le comble dans un ouvrage graphique quand même, reste une histoire extrêmement puissante sur l’instrumentalisation des corps et des êtres qu’il est bon de dénoncer. Ce genre de récit au souffle contestataire fait un bien fou. Il prend aux tripes, serre le coeur et ne laisse pas indifférent. Rendez-vous prochainement avec le spin-off en 2 tomes : Wombs Cradle !

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©2010 Yumiko Shirai / SHOGAKUKAN – © 2021 Akata Editions

14 commentaires sur “Wombs de Yumiko Shirai

  1. Il fait partie des titres que j’avais dans le viseur pour cette année, ton retour me conforte dans l’idée de démarrer la série! Je vais prendre ça cette semaine si je le trouve!

    Aimé par 2 personnes

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