Livres - Mangas / Manhwa / Manhua

Entre les lignes de Tomoko Yamashita

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Titre : Entre les lignes

Auteur : Tomoko Yamashita

Éditeur vf : Kana Life (Big)

Années de parution vf : Depuis 2021

Nombre de tomes vf : 9 / 11 (en cours)

Résumé : À 15 ans, Asa perd ses parents dans un accident de voiture. Elle est recueillie par sa tante Makio, 35 ans, autrice de romans pour adolescentes. Elle vit plutôt en recluse, car elle n’est pas à l’aise en société. L’arrivée d’Asa va bouleverser la vie des deux femmes.

Mon avis :

Tome 1

Grâce à sa collection Life, décidément Kana nous permet de découvrir ou redécouvrir des autrices qui manquaient dans le paysage français. C’est donc avec bonheur que j’ai accueilli Tomoko Yamashita avec sa dernière oeuvre en cours : Entre les lignes.

Tomoko Yamashita est une mangaka japonaise qui se promène avec aisance entre les différents sous-genre du manga : josei, seinen, shojo et yaoi/boy’s love. Ayant débuté en 2005 chez l’éditeur Media Works avec Comic DanDan: Otoko x Otoko, elle a ensuite été publiée dans de nombreux magazines et a désormais des dizaines de titres à son actif (voir sa bibliographie), dont The Night Beyond the Tricornered Window qui a été adapté en anime et qu’on peut retrouver sur Crunchyroll. Plusieurs de ses titres ont aussi été traduits dans des pays autour de nous, comme Dining Bar Akira aux Etats-Unis, Predestina en Espagne ou Her bientôt en Italie. C’est donc une autrice avec une certaine aura.

Kana n’a cependant pas choisi son titre le plus abordable. Entre les lignes, sa dernière série en cours, qui compte 7 tomes au Japon, met en scène une jeune adolescente qui vient de perdre ses parents et qui a été recueillie par une tante qu’elle connait à peine. Entre elles, une cohabitation singulière va se mettre en place.

J’ai dit que le titre n’était pas le plus abordable et je le répète. Ce n’est pas seulement à cause du sujet qui est un peu écrasant, mais surtout à cause de la narration toute en nuances et non-dit de l’autrice. En effet, ces deux héroïnes sont des taiseuses. Il y a donc de nombreuses pages où le verbe est absent et où le dessin le remplace. Cependant malgré la force du trait et de l’expression graphique de l’autrice, il vaut avouer que cela n’a pas vocation à plaire à tous. C’est assez enfermant, avec des planches assez vides où la force vient du moindre petit détail, mais un détail et une façon de raconter typiquement japonaise, qui repose donc beaucoup sur l’intériorité, ce qui ne plaira pas à tout le monde.

Heureusement l’autrice ne nous plonge pas directement dans cette drôle de relation que la tante et sa nièce vont tisser après le décès des parents de cette dernière. Elle offre d’abord un premier chapitre se déroulant dans le futur où on les voit installées dans leur petit quotidien à deux où elles n’ont plus besoin de mots pour se comprendre. Celle permet une lente et douce transition vers les premiers moments passés où elles vont se rencontrer et apprendre à vivre ensemble, des moments complexes.

Ce jour-là, quand elle m’a arrachée au destin solitaire qui m’attendait, elle avait le regard d’un loup séparé de sa meute.

La tante d’Asa, Makio est une jeune femme singulière, qui vit seule dans sa bulle et a du mal dans ses relations aux autres, hommes et femmes, proches et inconnus. C’est une grande introvertie, passionnée par ce qu’elle fait : elle est écrivaine. J’ai beaucoup aimé ce personnage un peu atypique que l’on découvre peu à peu avec ses manies et son drôle de caractère, mais je crains qu’elle ne plaise pas à tout le monde. Moi, je me suis un peu retrouvée en elle par certains côtés et elle m’a touchée, que ce soit dans sa vie de tous les jours, son rapport aux autres (famille, amie, ancien amoureux), mais surtout la façon totalement désintéressée où elle a décidé de prendre Asa à sa charge. Quant à Asa, c’est une enfant très calme, mais qui a l’air intelligente et foncièrement gentille même si elle est fort discrète pour l’instant. Elle va devoir apprendre à vivre avec le drame qu’elle vient de vivre.

La force du titre, au-delà de montrer la relation qui va peu à peu se tisser entre les deux femmes, est de nous parler de deuil avec beaucoup de simplicité, de subtilité et sans trop de pathos. Je reproche souvent à une certaine littérature de se montrer trop larmoyante, trop mélodramatique, exagérant des sentiments qui pour certains sont très intimes et entrés, et qu’ils n’aiment pas forcément partager à grand renfort de larmes bruyantes devant tout le monde. Ici, j’ai donc été touchée par la pudeur des sentiments des personnages et la place que l’autrice accorde à chacune pour faire son deuil à sa façon. Elle trouve les mots juste pour laisser à chacune l’espace dont elle a besoin pour trouver sa propre voie dans ce moment douloureux et si singulier. Le fait de proposer de recourir à l’écriture m’a plu, c’est une originalité bienvenue vu le contexte, et cela promet peut-être de jolis échanges entre ces deux handicapées de la parole.

Ce que tu éprouves n’appartient qu’à toi et personne n’a le droit de te faire des reproches. […] Ce serait peut-être une bonne idée de te mettre à tenir un journal. Tu y rapporterais ce qu’on te dit ou, au contraire, ce qu’on ne te dit pas. Tu y noterais aussi ce que tu ressens à cet instant, ou bien ce que tu ne ressens pas.

Ainsi, la parole n’étant l’élément phare de la narration d’Entre les lignes, le dessin occupe une place d’autant plus importante. Le titre venant du Feel Young, un magazine où a notamment évolué Mari Okazaki, que j’adore, je m’attendais à une narration épurée, mais peut-être pas autant qu’ici. Le style de Tomoko Yamashita est vraiment très sobre ici, c’est assez perturbant au début. Je ne peux pas dire que son trait m’a semblé profondément beau comme chez Mari Okazaki mais il dégage une émotion brute qui me touche. J’ai beaucoup aimé la puissance et la force des regards des héroïnes, les jeux d’échanges de regards à la place des paroles. Et surtout, je suis assez fan de la place que prend la nourriture (bien appétissante, soi dit à passant) dans leur relation.

Singulier, Entre les lignes, le fut assurément. C’est une lecture qui m’a interpelée. Je n’ai pas eu le coup de coeur attendu, mais le titre m’a émue et intriguée. J’ai aimé la simplicité et la pudeur dont a su faire preuve l’autrice. J’ai aimé son choix d’héroïnes atypiques, peu bavardes et maladroites dans leurs relations à l’autre. Je trouve vraiment l’histoire très prometteuse dans ce qu’elle va proposer dans le récit d’un deuil, mais aussi d’une nouvelle vie à deux et d’une vie d’adulte différente de la norme. C’est une bien belle surprise douce-amère.

>> N’hésitez pas à lire aussi les avis de : La pomme qui rougit, Les instants volés à la vie, Le songe d’une nuit d’été, Vous ?

Tome 2

Après un premier tome singulier mais dont l’émotion toute en retenue m’avait conquise, Tomoko Yamashita rempile avec une suite encore plus belle et émouvante peut-être. Elle traite du deuil et du foyer familial avec beaucoup d’honnêteté et de franchise, mettant en scène des sujets souvent tabou, le tout en trouvant le ton juste.

Elle ouvre ce tome par un moment que je crois n’avoir jamais vu représenté ailleurs, celui où l’on vide une maison après un décès. Cela peut paraître anodin mais c’est pourtant une phase clé dans l’histoire. On y découvre les deux héroïnes devant faire face à cette nouvelle réalité qu’elle avait un peu évacuée et qui les frappe en pleine figure. Celle dont on entend le plus la voix, c’est Makio, la tante, et entendre ses pensées de femme d’âge mûre face à ce qu’elle trouve dans cette maison où le temps s’est arrêté, saisit à la gorge où une boule d’émotion se forme. C’est fou comme tous ces petits riens ont de l’importance.

Le moment où cela éclate au visage d’Asa, la jeune fille qui a perdu ses parents, c’est plutôt le jour de la remise des diplômes. La collégienne s’était coupée du monde avec le décès de ses parents et l’emménagement avec sa tante, et ce retour brutal à la réalité est particulièrement violent pour elle. L’autrice capture avec honnêteté la maladresse et la lâcheté des gens qui ne voient que leur nombril et oublient la sensibilité des gens à fleur de peau comme Asa qui viennent de tout perdre. J’ai été particulièrement choquée par la maladresse du corps enseignant, les mots qu’ils osent dire à Asa et leur attitude. C’est révoltant.

Heureusement, elle commence à construire une belle relation avec sa tante malgré toutes les difficultés qu’elles ont chacune de part et d’autre. Ainsi, Makio est de bon conseil pour Asa car elle a un regard extérieur et plus mature sur la chose. Cependant, cette relation réveille bien des blessures en elle et elle ne parvient pas toujours à gérer celle-ci pouvant se montrer trop froide avec une ado qui a tant besoin d’amour. L’équilibre est donc difficile à trouver et l’autrice une fois de plus capture cela avec beaucoup de sincérité et de sobriété.

Je suis épatée par le discours très honnête de celle-ci. Elle n’hésite pas à croquer ce qu’il y a de plus sombre chez l’être humain, ses maladresses, son égocentrisme, ses difficultés relationnelles. C’est superbe ! J’adore voir évoluer Asa mais encore plus Makio, que ce soit quand l’autrice parle de sa relation passée avec Shingo, quand elle la montre avec ses amies ou quand elle aborde le trauma lié à sa famille, c’est terriblement puissant. Makio porte vaillamment de sacrées casseroles. Du coup, c’est d’autant plus beau de la voir progressivement s’ouvrir à Asa, faire entrer celle-ci dans sa vie et se préoccuper d’elle, chose qui lui est si peu naturelle.

Avec justesse et émotion, Tomoko Yamashita aborde des questions rarement vues dans les mangas en France avec cette jeune héroïne endeuillée et sa tante « handicapée sociale ». C’est souvent déchirant, souvent émouvant mais toujours très humain et cru. La sobriété du dessin va bien avec la force du propos. Peut-être que ce ne sera pas vendeur mais personnellement j’adore la façon dont sont traitées ces questions avec émotion et humanité sans verser dans le pathos. Une excellente découverte confirmée ici !

Tome 3

Derrière un aspect peut-être froid et inaccessible rendant le titre moins facile d’accès que les autres de la collection Life, Entre les lignes est pourtant l’un de ceux qui au fil des tomes me prend de plus en plus aux tripes.

La narration de Tomoko Yamashita n’a pourtant rien d’aisée. Elle met une sorte de barrière entre le lecteur et ses personnages presque tout du long, nous faisant sentir spectateur et analyste surtout de ce qui se passe. Les planches peuvent sembler froides à cause de leur grande sobriété, pour ne pas dire à cause de la quasi absence de décor, c’est très intimiste. Et pourtant, il se dégage vraiment quelque chose de sincère et profond.

Ce thème du deuil et de la reconstruction qui accompagne tout le titre est d’une grande subtilité et sincérité. J’aime le choix de ces personnages cabossés avant même le drame, de ces personnages complexes et très humain. Cela n’a rien de simple mais ça rend son titre encore plus puissant.

Dans ce troisième volume, j’ai fondu pour cette double narration mettant en scène la tante et la nièce. Chacun est très différente de l’autre. Chacune a un rapport particulier à l’autre et aux autres en général. Chacune vit dans sa bulle également et tente d’affronter la situation comme elle peut. Donc chacune commet des erreurs. L’autrice a un regard sans concession sur elles. Elle nous montre les difficultés pour l’aînée de vivre de en société alors que le contact lui pèse, et comme je la comprends. Elle analyse également les difficultés pour la plus jeune de faire son deuil tout en traversant l’adolescence cet âge où on se cherche. Leur cohabitation ne peut-on qu’être explosive.

Pourtant l’autrice évite les écueils et clichés du genre. Pas de dispute et crise d’adolescence classique, non mais plutôt l’étalage douloureux et poignants de leur peine forçant l’autre à se rendre compte que ça ne va pas et que même si c’est dur il faut faire des concessions et être attentifs. J’ai aimé voir Asa ado au lycée avec ses amies, tenter de trouver sa place dans ce nouvel environnement, tenter de déterminer ce qu’elle veut être indépendamment des influences très fortes qu’elle ressent de sa mère décédée et de ses amies et modèles. Tout comme j’ai aimé voir sa tante oser dire qu’elle n’y arrive pas, qu’elle se trompe parfois, que c’est dur pour elle la vie à deux, etc. C’est vraiment puissant et bouleversant.

Porté par une narration graphique en plus très sobre mais forte en message. Le trait fin et incisif de l’autrice comble le vide des pages pour appuyer encore plus la solitude et le mal être de chacun, remplissant les pages quand leurs coeurs se remplissent au contact l’un de l’autre ou des ami(e)s qui viennent les épauler. Peu à peu au milieu de cette solitude à deux, les connaissances d’un jour viennent l’air de rien combler leur manque, les épauler dans cette épreuve et soulager leurs peines. C’est inattendu et superbe !

Entre les lignes, en vf, porte donc très bien son titre puisque c’est aussi bien entre les lignes des dessins qu’entre les lignes des paroles échangées ou non que tout se passe dans ce titre et que le lecteur se retrouve bouleversé par cette histoire de vie poignante entre deux femmes devant apprendre à vivre ensemble et à surmonter leur perte, l’une en pleine adolescence et l’autre en pleine découverte de la maternité. Puissant !

Tome 4

Quatre tomes, quatre coups de coeur ! Le dessin ne paie pas de mine contrairement au poétique And, et pourtant Entre les lignes dégage quelque chose qui me touche profondément. Il y a une justesse, une finesse dans l’expression des émotions humaines qui me va droit au coeur et en fait probablement ma série préférée de la collection Life de l’éditeur.

Partie comme une série sur le deuil d’une adolescente, au fil des tomes le titre est devenu bien plus que ça. Le duo qu’Asa forme avec sa tante a quelque chose de magique dans sa sobriété et sa complexité. Ensemble et séparément, elles abordent tout un tas de question sur l’existence et les relations à soi et aux autres qui me vont droit au coeur et qui m’émeuvent. J’adore le travail de l’autrice sur l’intériorité de chacun et la complexité des émotions.

Ainsi quand Makio, qui est mon personnage préféré ici, parle de sa relation à sa mère, c’est bouleversant. Elle sait faire la part des choses entre son regard présent qui s’est construit à partir de celui qu’elle portait sur elle autrefois, son évolution et sa position d’adulte désormais. Elle en fait de même vis-à-vis de sa soeur disparue, qui est une grande source de traumatisme pour elle, et pourtant elle n’impose jamais sa vision à sa nièce, lui offrant plutôt un discours ouvert pour qu’elle se fasse sa propre opinion, son propre regard. J’adore !

La façon dont Tomoko Yamashita nous peint cette adulte remplie de nuances est magnifique. Elle nous montre ainsi qu’on a le droit d’être différent de la norme que nous impose la société, que ce soit dans le choix de la vie qu’on mène au quotidien, de notre travail, de notre vie amoureuse ou de son absence, et de nos relations aux autres en général. Ça fait un bien fou. Et quand Makio conseille à sa façon, Emiri, l’amie d’Asa, qui cherche sa place, ça fait mouche. C’est hyper sensible et hyper ouvert, pile ce qu’il faudrait proposer à chaque adolescent pour qu’il trouve lui-même sa voie sans avoir le sentiment d’être obligé de suivre ou de sortir d’un schéma préétabli.

Alors ça donne une lecture très intense, très intime, qui fait réfléchir à beaucoup de choses sur soi et les autres, sur qui on est, ce qu’on peut, les erreurs qu’on peut commettre, ce qu’on attend des autres, etc. Mais c’est vraiment épanouissant et très émouvant. Chaque parole, chaque interaction semble pesée par l’autrice même si ça se lit ou plutôt se dévore comme un bonbon sucré avec douceur et légèreté le plus souvent. Cependant, l’ensemble est vraiment très profond.

Dans ce tome, j’ai aimé voir Asa réfléchir à ses relations avec ses amies au lycée et à ce que les apparences nous font croire sur les autres. J’ai aimé voir sa confrontation avec sa tante sur le côté bordélique de celle-ci qui vient de son inaptitude à gérer certaines situations stressantes pour elle. J’ai adoré voir Makio évoquer sa soeur et sa mère, tellement que l’émotion m’a prise à la gorge, et ce fut à nouveau le cas quand elle se confronte à ses sentiments pour Kasamachi dans les ultimes pages. Quels beaux personnages.

Chaque lecture d’Entre les lignes m’envoie un vrai uppercut ! C’est un vrai concentré d’émotions à l’état brut et en même temps un très beau décorticage tout sauf conventionnel de celles-ci qui nous apprend qu’on a le droit d’être différent et qu’il faut que les autres apprennent à l’accepter. C’est beau, émouvant et poétique, et ça sonne juste ! Coup de coeur ❤

Tome 5

Encore un uppercut en plein coeur avec ce nouveau tome d’Entre les lignes où Tomoko Yamashita décrypte avec tellement de justesse et d’ouverture d’esprit la complexité de l’âme humaine chez ses personnages auxquels je me suis tellement attachée.

La perte de quelqu’un n’est jamais facile. Comprendre l’autre quand il est vivant ne l’est pas plus, mais c’est encore plus compliqué quand il est mort et qu’on ne peut plus échanger avec lui. C’est ce que l’autrice nous explique ici avec beaucoup de subtilité et de douceur.

Dans ce tome, elle revient longuement sur la mère d’Asa, personnage central. Détestée par sa soeur et je ne sais pas trop par sa fille, elle reste insaisissable dans la mort. L’autrice nous montre combien chacun peut avoir un point de vue différent sur quelqu’un et combien son absence est dure quand on a des questions à lui poser. C’était poignant. J’ai beaucoup les introspections de ce tome autour d’elle. J’ai aimé voire Makio écouter mais rester sur ses positions parce qu’après tout c’est ainsi qu’elle l’avait connue. Mais j’ai aimé qu’elle laisse leur vision aux autres sans imposer la sienne. J’ai aimé également entendre sa voix et me rendre compte que sa vie n’était pas telle que je le croyais. C’était subtil et saisissant, montrant qu’il y a un monde entre ce qu’on montre aux autres et ce qu’on vit.

Tous ces sentiments se nouent et se dénouent ainsi autour de la question de la parentalité et l’autrice interroge sur les différentes forme qu’elle peut prendre. Il y a celle des parents directs, ceux qui nous élèvent, et qui ne peuvent être remplacés ensuite quand ils disparaissent même par quelqu’un de très aimant qui fait de son mieux. Ce n’est pas la même relation. Il y a ensuite la question de la démonstration des sentiments. Est-ce que parce qu’on est réservé ou mal à l’aise / maladroit avec nos émotions et celles des autres, cela veut dire qu’on ne peut rien transmettre, rien échanger, rien donner ? Makio nous montre bien que non même si c’est forcément plus compliqué vu les normes de notre société. Mais c’est passionnant à suivre et à analyser pour nous lecteurs.

Nous continuons ainsi à suivre deux femmes dans le cheminement de leur deuil et ça n’a rien de facile. Makio apprend ce que c’est que d’être avec les autres et pas juste avec elle-même et j’adore cette femme en qui je me reconnais tant. Asa, elle, est à fleur de peau, entre crise d’adolescence et rébellion contre l’autorité « parentale », recherche d’elle-même et acceptation de la mort de ses parents, ce qu’elle n’avait pas fait jusqu’à présent. C’est un vrai tourbillon d’émotions et bien que douloureux, c’est aussi très réconfortant car on voit combien il y a de gens autour d’elles pour les épauler. Les amies d’Asa s’inquiètent pour elle quand elles voient que ça ne va pas. Les amis adultes de Makio s’inquiètent également pour les deux femmes et chacune va recevoir de l’aide de leur part, ce qui est vraiment touchant à voir.

Enfin, il y a un très joli travail, que je reconnais depuis le début et qui me touche, sur la puissance de l’écriture. A travers le journal de la mère d’Asa, se pose ici la question de la part de nous et de la part de vérité qu’on met dans nos écrits, écrits que l’on souhaite transmettre pas écrits pour soi, ce qui a son importance. Peut-on croire alors que ce n’est pas un mensonge destiné à celui qui nous lit ? Peut-on croire l’authenticité de ce qu’on lit et les sentiments qu’on y perçoit ? Avec la perte de sa mère, c’est encore plus tortueux pour Asa. Puis, Makio vient en remettre une couche avec ses romans où l’on perçoit tout la finesse des émotions qu’elle n’arrive pas à exprimer de sa propre voix et quand Asa le comprend, ça la déchire encore plus et nous lecteurs également. C’est superbe !

Tomoko Yamashita est vraiment une autrice actuelle qui me touche. Elle décortique l’âme humaine et ses émotions avec beaucoup de finesse et de justesse, sans jamais porter de jugement et en offrant une vision très large et bienveillante qui fait un bien fou. Pourtant, elle traite de sujets sensibles sur lesquels elle ne reste pas en surface mais qu’elle ose fouiller et tant pis si ça fait mal. Ainsi quand elle parle de parentalité, de relations aux autres, de relations à ses parents ou de deuil est-elle âpre mais toujours juste et c’est ce qui me touche. Entre les lignes est une grande oeuvre de société.

Tome 6

A l’image de sa jeune héroïne, Asa, qui se cherche, que ce tome fut confus et parfois plein de colère et d’incompréhension. C’est la première fois que j’ai du mal non pas à entrer mais à suivre l’histoire de bout en bout.

Nous approchons de l’anniversaire de la mort des parents d’Asa et au lycée, c’est aussi la période où celle-ci voit ses amies changer, se rapprocher des garçons, prendre une place plus importante dans le groupe ou trouver un semblant de voie. Elle se sent bien en décalage mais peine à mettre des mots dessus et ce n’est pas sa tante, qui a tant de mal avec la vie en société, qui va l’aider, tant elle se montre cryptique. Pas simple du coup pour le lecteur de suivre cela.

Pourtant, l’émotion persiste à être là. Comment ne pas être touchée par cette ado perdue dont la colère et la frustration semblent monter monter ? J’ai aimé assister à cela et la façon dont l’autrice le met en scène est à la fois original et pertinent au vu des thématiques de l’oeuvre. J’ai aimé cette confusion. J’ai aimé cette héroïne qui ne comprend pas tout. C’est juste compliqué du coup pour le lecteur de suivre parfois.

Cependant, quand une autrice cite l’un de mes films préférés (Premier Contact) pour parler de la complexité du langage et de la communication, comment ne pas adorer ? J’ai beaucoup aimé les thèmes de ce tome. C’était chouette de voir Makio parler d’asexualité, de développer un peu aussi sa propre vision du couple et de suivre la meilleure amie d’Asa et le début de sa romance lesbienne. L’autrice nous ouvre vraiment nos horizons et offre une histoire sans complexe pleine de diversité car à chaque fois cela semble normal ce qui se passe et ça fait un bien fou. J’aime qu’on normalise des sentiments qui sont trop souvent marginalisés alors qu’ils ne devraient pas l’être.

Le thème de l’écriture reste aussi au centre de cette histoire et j’apprécie de voir une autrice parler de ce qu’elle doit connaître : la difficulté d’écrire, le manque d’inspiration, les échanges difficiles au sujet de nos écrits avec les autres, le fait qu’on ne fasse pas toujours un bon professeur d’écriture même si on est écrivain. Ce sont des développements pertinents traités ici avec finesse et toujours beaucoup d’ouverture d’esprit et donc d’absence de jugement. C’est agréable et appréciable.

Ainsi, même si je n’ai pas été aussi touchée et emballée que par les précédents tomes, j’aime voir nos héroïnes continuer d’évoluer et se poser des questions sur elles-mêmes, leur vie, leur perception de la société, les gens qui les entourent, etc. Tomoko Yamashita nous offre vraiment un tranche de vie complexe plein de réflexions importantes sur nous et les autres, le tout avec une grande ouverture d’esprit et beaucoup de bienveillance pour mettre en scène une belle diversité, ce que j’adore !

Tome 7

Récit de vie toujours aussi fin et émouvant, Entre les lignes aborde avec justesse la construction de jeunes gens qui se cherchent à l’adolescence mais également à l’âge adulte et propose des réflexions très pertinente sur soi et les autres.

Alors qu’est publié également en parallèle chez nous, The night beyond the tricornered window de la même autrice, je me dis que celle-ci est vraiment une bien fine psychologue et ceux malgré les traductions un peu bancales de ses oeuvres qui rendent parfois ses propos difficilement intelligibles. Elle plonge dans les marasmes de nos âmes, nous poussant à nous questionner et à nous voir nous et les autres bien plus en profondeur qu’on le fait habituellement.

Dans ce tome, c’est Asa qui a la part belle. Petit regret pour ma part de ne pas à nouveau m’attarder sur Makio, sa tante, que j’aime tant et dans laquelle je me reconnais. Mais ce fut d’une belle richesse. Asa est une adolescente et en plus une fille qui vient de perdre ses parents. Elle a donc mille questions tandis qu’elle grandit avec cela. Elle cherche à se construire, à comprendre quel genre de personne elle est ou aimerait être pour elle, mais aussi pour les autres, elle avance donc à tâtons, que ce soit dans son quotidien au lycée, à la maison, avec ses amis ou avec sa tante, mais également dans sa tête.

J’adore cette grande intériorité du titre. Ici, on voit notre jeune héroïne revenir sur les personnes qu’étaient ses parents. Depuis le début, elle se questionne beaucoup sur sa mère, normal c’était le personnage central de sa famille mais également celle qui la lie à Makio qui l’a recueillie. Mais quid de son père ? Enfin, elle réalise qu’elle n’a pas beaucoup pensé à lui depuis sa disparition et se demande pourquoi. J’ai beaucoup aimé ce virage. L’autrice traite avec beaucoup de finesse la question de la place du père dans le foyer japonais et l’image du père qui travaille et n’est pas souvent là à la maison, ce qui le rend absent de la construction de l’enfant mais également de la cellule familiale bien trop souvent portée uniquement par les femmes. Ici, cela se couple en plus de l’image d’un homme assez effacé, assez discret, écrasé peut-être par la présence de sa femme lors des interactions avec d’autres gens, mais cela m’a de suite touchée. Même si elle n’en dévoile pas trop, j’ai été émue par la figure de cet homme effacé par sa femme tellement plus lumineuse que lui. J’espère que l’autrice reviendra vers lui.

Quant à la construction d’Asa, même si ça veut dire délaisser un peu Makio et ses amis, alors que je croyais qu’ils seraient plus présents au vu de la couverture…, j’ai aimé car cela nous a fait passer pas mal de temps au lycée et le lycée vu par Tomoko Yamashita n’a pas grand chose à voir avec le lycée des histoires lycéennes habituelles. Ici, elle nous montre comment se construisent ces jeunes gens, comment ils interagissent la manière la plus banale et naturelle qui soit, et comment ils aimeraient qu’on les perçoive. Asa ainsi va se produire lors d’un concert de musique pop avec son club et cela la travaille beaucoup, faisant remonter des souvenirs. Son amie Chiyo, elle, va devoir surmonter le sentiment d’injustice et de sexisme d’un incident lors d’un concours crucial pour elle. Et le restant de leurs ami(e)s va continuer à observer ces jeunes filles et tenter de les épauler à leur façon avec simplicité. Ça fleure bon la jeunesse !

Titre qui aurait pu être sombre, Entre les lignes est en fait très lumineux. Il touche à nos zones d’ombre pour mieux nous en extirper et nous faire voir la lumière qu’elles contiennent. J’ai encore une fois adoré ce tome où on voit l’héroïne grandir petit à petit tout en se cherchant et se construisant, en un mélange d’individu issu d’une cellule familiale, et d’individu original. C’est subtil, c’est beau, c’est sobre. J’aime beaucoup la finesse psychologique de Tomoko Yamashita.

Tome 8

Entre les lignes, ce sont celles du temps comme de la vie, celles des apparences et de notre compréhension plus profondes, des lignes qui en tout cas me touchent énormément à chaque tome que je lis.

J’ai encore vécu un moment plein d’émotion en retrouvant Makio, Asa and Co dans ces nouveaux chapitres et en décortiquant avec elles le trouble de leurs émotions. Ça n’a l’air de rien quand on découvre leur quotidien, c’est quelque chose de très simple, presque banal, avec des échanges familiaux et amicaux qu’on peut penser connaître, mais quand on y prête attention, c’est beaucoup plus profond que cela. C’est justement pour cela que ça me touche autant.

Quand Asa commence à interroger ses proches, ce n’est pas sans raison. Telle une philosophe, son expérience de la vie et de la mort, rendent son regard bien plus affûté. Le malaise qu’elle ressent, elle le projette sur les autres mais pas pour stagner et y plonger, mais plutôt pour en sortir et cela provoque des réactions inattendues.

Le tome se décompense ainsi en deux parties. La première nous offre une révélation toute en douceur d’Emiri, la meilleure amie d’Asa sur sa sexualité. Et alors que beaucoup d’auteur se seraient limité à ce coming-out, Tomoko Yamashita va plus loin elle, elle n’interroge pas sur notre sexualité mais sur celui/celle qu’on aimerait être, ne se limitant pas à nos désirs de couple ou non. J’ai beaucoup aimé. J’ai aimé cela très fin et très sincère en plus d’être moderne. Il y a tellement de gens qui ne se reconnaissent pas dans les schémas traditionnels du couple et a fortiori du couple hétérosexuel, que ça fait un bien fou d’aborder ces thèmes ici, de cette façon et avec autant de sensibilité.

La seconde partie m’a semblé toute aussi juste et sensible et continue de développer ce thème qui semble central pour Asa, normal à cet âge essentiel où on se construit, même si ce n’est pas le seul. Asa part à la recherche d’information sur son père et sur les relations père-enfant plus généralement. C’est avec brio que l’autrice met ainsi cette enquête en scène avec une narration au format interrogatoire amusante mais aussi très personnelle, en se resserrant sur le visage des interrogés. J’ai été touchée par cette enquête, par le besoin d’Asa de comprendre qui était son père et ses sentiments envers elle, ainsi que les siens propres. Elle en a besoin pour avancer et se construire, mais cela pourrait arriver à n’importe qui à n’importe quel moment de sa vie. C’est universel et chacun peut s’y reconnaître, en preuve les réponses de ses camarades et des adultes qu’elle interroge.

Tomoko Yamashita fait ainsi preuve de psychologue dans ce nouveau tome et me touche énormément. Il y a une sensibilité folle et tellement de bienveillance dans le choix de chaque sujet et son traitement. Elle n’hésite pas à montrer chaque réponse, juste ou maladroite, ne porte aucun jugement, et explore de nombreuses pistes. C’est une merveille !

Entre les lignes, c’est presque un manga de développement personnel pour moi désormais. Je me retrouve énormément dans chacune des héroïnes, partageant leurs interrogations et réflexions à différents âges de ma propre vie, pourtant dans un contexte très différent, c’est la preuve de la justesse de l’autrice. Je suis donc fort peinée de son non-succès en France et du manque de curiosité et d’ouverture d’esprit des lecteurs de manga mais aussi des lecteurs tout courts car nous avons-là un vrai chef d’oeuvre d’émotion.

Tome 9

Entre les lignes est vraiment une oeuvre singulière dans le panel de ce que sort Kana. Oeuvre à la fois sociale et philosophique, elle pousse sans cesse à la réflexion tout en restant très humaine.

Ce nouveau tome ne déroge pas à la règle. Nous continuons avec bonheur à suivre les échanges entre Makio et une Asa de plus en plus à l’aise dans cette nouvelle vie singulière de part le caractère de sa tante. Ça donne lieu à une ambiance un peu particulière, presque intellectuelle, mais passionnante. Il faut juste accepter cette lenteur et ce côté un peu morose avec un humour pince sans rire qui ne plaira pas à certain mais fait appel à beaucoup de nostalgie et mélancolie.

Au coeur de leurs nouveaux échanges les questions du talent, du courage et de la création, mais aussi des désirs et envies. Tout se mélange et s’imbrique dans les échanges de ces deux femmes, décidément, de plus en plus à l’aise ensemble, ce qui leur permet d’oser des discussions qu’elles évitaient un peu avant. C’est beau de les voir si bien ensemble, en confiance. Ensuite, avec une Makio si cérébrale et déconnecté de ce qu’on attend habituellement des codes sociaux, cela offre des échanges profonds, qui viennent parfois nous heurter et assurément nous poussent à réfléchir. Ainsi je ne suis pas forcément d’accord avec elle en tout point mais j’ai aimé qu’elle m’ait donné matière à. En plus, j’ai senti qu’elle aussi s’ouvrait et qu’elle donnait accès, peut-être, à un certain passé trouble qui l’a marqué. J’espère que ce sera exploité.

La question de la création m’a aussi passionné ici. L’autrice ose montrer une consoeur en panne d’inspiration, qui se cherche, essaie, échoue, se relève, essaie encore, échange avec des collègues… C’est très intéressant de plonger dans un tel processus de création, loin des sentiers battus, qui montre une certaine réalité pas simple où on comprend bien que ça n’a rien de facile d’écrire un roman et que parfois, malgré toutes nos envies, ça ne vient pas. La mise en scène de la mangaka est en cela éclairante, pleine de métaphore, avec à nouveau une économie du trait et de la mise en page qui vient me percuter à chaque fois. J’adore cette fausse simplicité, ce faux vide.

Alors oui, parfois ce tome fut un peu confus, un peu longuet, un peu alambiqué, mais qu’est-ce que j’aime ce duo. Il me touche, m’émeut et s’embarque toujours dans des voies inattendues et des conversations philosophiques que je ne pensais pas aimer mais qui me font réfléchir. J’aime la façon dont Tomoko Yamashita parle de création littéraire, de recherche de soi et de relation. C’est juste beau.

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©Tomoko Yamashita 2017 / © Kana (Dargaud-Lombard s.a.) 2021

8 commentaires sur “Entre les lignes de Tomoko Yamashita

  1. Ce manga semble synthétiser la plupart des caractéristiques de la littérature japonaise, avec cette pudeur des sentiments, une intériorité qui se passe de mots mais une écriture, et ici un dessin, qui traduit ce que l’on ne dit. Bref, tout ce que j’aime, car comme toi, je n’accroche pas à cette tendance occidentale au verbiage, tout sauf émouvant et puissant.
    Quant à la personnalité des deux héroïnes, j’avoue déjà m’identifier et serais curieuse de découvrir la naissance et le développement d’une relation forcée par le destin, mais peut-être source d’un futur épanouissement…

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  2. Un très bel avis pour ce manga 🙂 C’est vrai que, le titre en français ne me parlait pas… et pourtant ! Perso, j’ai accroché à la thématique du deuil, on ne s’en étonnera pas me connaissant un peu ^^. J’ai adoré les dessins et l’histoire, je serai au RDV avec la suite.

    Et… merci pour le lien 🙏💖

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  3. J’attendais avec impatience le titre jusqu’au moment où j’ai lu la « preview » distribué par Kana ce qui m’a un peu refroidis. Le manga le tente toujours, surtout quand je lis de beaux avis comme le tiens, je pense attendre quelques tomes avant de tester mais je le garde l’oeil^^

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