Livres - Mangas / Manhwa / Manhua

Une Vie dans les marges de Yoshihiro Tatsumi

FotorCreated1-1024x768

Titre : Une vie dans les marges

Auteur : Yoshihiro Tatsumi

Éditeur vf : Cornélius

Année de parution vf : 2011

Nombre de pages  : 452 (x 2 tomes)

Résumé : Acteur incontournable d’une époque fondatrice du manga, Yoshihiro Tatsumi offre, avec « Une vie dans les marges », un témoignage exceptionnel sur les milieux éditoriaux et le Japon de l’immédiate après-guerre. Fresque autobiographique, roman social et document historique, ce livre-somme est un chef-d’oeuvre capable de toucher le passionné comme le néophyte.
Pour l’amateur de bande dessinée, il donne à voir de l’intérieur la manière dont le manga s’est construit dans ces années-là, passant en peu de temps de l’âge d’or à l’âge industriel. Il invite dans cette évocation les figures mythiques de ce domaine et nous les montre telles qu’elles étaient avant que l’histoire ne les statufient.
Pour le profane, « Une vie dans les marges » dresse un tableau unique du Japon des années d’après-guerre et de ses classes populaires luttant pour la survie quotidienne. De l’essor économique des années 1950 jusqu’aux crises des années 1960, Tatsumi dépeint avec force un pays et une société en pleine mutation.
Oeuvre de longue haleine dont la réalisation s’est étalée sur plus de dix ans, « Une vie dans les marges » est d’ores et déjà un ouvrage de référence récompensé au Japon et aux États-Unis par les prix les plus prestigieux.

une-vie-dans-les-marges

Mon avis :

Tome 1

Il est de ces titres dont on attend beaucoup parler mais qui font justement un peu peur à cause de cela, Une vie dans les marges en est l’exemple parfait pour moi. Oeuvre biographique de Yoshihiro Tatsumi, elle revient sur les débuts de sa carrière de mangaka et la vie au Japon dans l’après-guerre, des sujets intéressants mais que j’avais peur de voir traités de manière trop dramatiques et misérabilistes. Grossière erreur de ma part !

Pour faire court, Yoshihiro Tatsumi est un mangaka né à Osaka en 1935 qui fut l’un des pionniers du style gekiga, un style de manga mature en opposition, ou réaction c’est selon, à celui plus enfantin de Tezuka, le roi du manga alors.

——————

Dans Une vie dans les marges, oeuvre de commande de son éditeur, il revient sur ses jeunes années et ses débuts avec une grande honnêteté et sans dramaturgie. J’avais un peu peur avant de commencer de tomber sur quelque chose de très technique et un peu abscon, ce n’est absolument pas le cas et cela, on le doit aussi bien à l’éditeur japonais qu’à l’éditeur français. En effet, les éditions Cornélius proposent ici un objet très haut de gamme. Pour accompagner le lecteur, dès la première page, il offre une préface de Mitsuhiro Asakawa, éditeur de Tatsumi et historien du gekiga, qui permet de contextualiser cette oeuvre. Puis tout au long de la lecture, le texte est accompagné de notes explicatives et de biographies des auteurs cités que l’on peut trouver en fin de volume. D’habitude, j’ai du mal avec ce procédé mais ici, nous n’avons pas une surabondance d’informations qui alourdirait le texte et on peut en plus y accéder facilement grâce aux doubles signets accrochés au volume lors de sa fabrication. C’est vraiment le luxe !

Le livre, lui, se présente comme un bon gros pavé, que j’ai dû lire en plusieurs fois tant il était conséquent, mais un bon gros pavé de grande qualité, que l’on pourra conserver longtemps. Je n’ai jamais vu une jaquette avec un papier au épais, la reliure en dur est top, j’ai beaucoup aimé retrouver des signets et un tranche fils. Le papier est d’une belle blancheur et épaisseur sur lequel les noirs ressortent à merveille. C’est du très très bel ouvrage, qui justifie amplement son prix un peu élevé (plus de 30€ le tome ici).

Tatsumi-UneVieDansLesMarges-5-900x675

——————

Une vie dans les marges est donc un titre que tout amateur de manga désireux d’en savoir plus sur l’histoire de ce médium devrait lire. C’est une vraie mine d’or pour en apprendre plus sur l’histoire du manga dans les années 50-60, savoir quelle forme avait ces lectures juste après la guerre, qui en étaient les acteurs, comment on les réalisait, etc. C’est très différent par rapport à aujourd’hui, alors c’est d’autant plus riches en informations pour le lecteur peu informé comme moi. En plus, on apprend tout ça en lisant en quelques sortes les mémoires de l’un de ces acteurs, ce qui rend la source encore plus fiable.

J’ai beaucoup aimé découvrir d’abord la vie du jeune Hiroshi (nom que l’auteur se donne ici) et de son frère aîné Okimasa juste au sortir de la guerre, alors qu’ils avaient une dizaine d’années. Nous découvrons leur quotidien simple dans la ville d’Osaka, ville où s’est fait connaître Tezuka pendant ses études. Ce sont des garçons d’une famille banale, dont le père vend des produits de première nécessité tel un colporteur, pendant que leur mère s’occupe de la maison. Leur quotidien ne fait pas rêver et pourtant les deux frères très vite se passionnent pour la BD ou plutôt le manga.

A leur côté, nous assistons à la passion naissante des jeunes japonais pour ce média et ses acteurs, et nous voyons comment cette fièvre s’est emparée de tout un peuple, leur donnant à eux aussi une vraie soif créatrice. Mais ce n’est pas un parcours tranquille et nous allons suivre les très très nombreux pas nécessaires pour arriver là où ils arriveront l’un et l’autre. C’est fascinant, de voir comment à partir de petits dessins sur carte postale, puis planche à 4 cases, récits un peu plus long correspondant à nos chapitres de 20-30 pages et enfin récits autonomes mais encore sous forme de oneshot, leur parcours fut long et parsemé de difficultés mais aussi de belles rencontres. On les voit grandir et mûrir à nos côtés, passant par tout plein de stades et d’étapes.

En parallèle, l’auteur nous brosse l’histoire de ce Japon d’après-guerre occupé par les Américains. On découvre la culture occidentale qu’ils y ont apporté et le mélange avec les arts japonais toujours bien présents. L’auteur insiste beaucoup sur certaines grandes dates et certains grands événements, souvent autour du sport et de la culture, notamment du cinéma, média qu’il affectionne énormément depuis toujours et qui sera une vraie source d’inspiration pour lui, quand il voudra donner une autre tournure à ses récits, ce que nous découvrirons probablement plus dans le second tome.

——————

Le titre est long à lire. Il fourmille de détails, d’anecdotes, de pensées sur la création d’une histoire sous forme de manga mais aussi de récits du quotidien dans une famille japonaise banale. Ce n’est pas un livre que j’ai réussi à lire d’une traite. J’ai préféré lire quelques chapitres, me reposer, laisser maturer et y revenir ensuite pour lire encore quelques autres, un peu par période de sa vie.

Alors qu’il y parle beaucoup de la narration dans les mangas de l’époque et du rôle majeur de Tezuka, j’ai trouvé que dans cette biographie l’auteur était bien timide, proposant quelque chose très classique, pas désagréable à lire, mais très lisse et formaté, sans la moindre folie. Ce n’est pas un titre qui se veut innovant, ni qui cherche à nous surprendre pas des compositions de folie, nous restons avec des cases toutes sages, pouvant ainsi plaire au plus grand public possible, habitué ou non aux manga. Il souhaite avant tout raconter son parcours et ça s’arrête là.

Pour autant, j’ai aimé retrouver à plusieurs reprise les documents d’archive ou copies de ceux-ci glissés dans les pages, cela enrichissait encore plus le texte que je lisais et surtout cela m’a vraiment donné envie d’en apprendre encore plus sur toute cette période fourmillante où l’industrie du manga était encore bien artisanale par rapport à celle qu’on connait actuellement.

Le dessin est également un autre petit bémol. Bien que maîtrisé, il est plutôt banal et sans réel attrait. J’ai beaucoup de mal avec les longs visages des personnages, leur nez patate et leurs yeux globuleux, mais heureusement l’ensemble est très expressif et clairement ce n’est pas pour le dessin qu’on lit ce type d’ouvrage.

——————

En conclusion, j’ai vraiment beaucoup aimé lire ce premier tome d’Une vie dans les marges, non pour l’oeuvre graphique, mais pour l’oeuvre historique qu’il est. C’est un travail documenté, raconté par l’un des acteurs phares de cette époque, alors que le manga tel qu’on le connait en est encore à ses frémissements. C’est simple et pourtant passionnant, ça fourmille d’informations et l’éditeur français nous accompagne à merveille dans cette découverte. Il ne me tarde qu’une chose, c’est de lire le tome 2, qui devrait plus s’ancrer sur la naissance du gekiga, style de manga que l’auteur va contribuer à créer et populariser.

> N’hésitez pas à lire aussi les avis de : Céline, Sin City, Chepakoilire, Vous ?

Tome 2

Ce manga autobiographique à mots couvert de Yoshihiro Tatsumi a vraiment une place à part dans ma mangathèque tant il est intéressant d’un point de vue histoire du manga mais aussi tant l’objet est beau. J’aime vraiment beaucoup ce que proposent les éditions Cornélius.

Après un premier tome fort copieux nous contant les jeunes années du futur mangaka, ses débuts, ses rencontres, on plonge un peu plus dans son quotidien d’auteur publié dans ce second tome tout aussi copieux. C’est riche très riche, au point même qu’il est parfois difficile pour le lecteur profane comme moi de suivre, car en dehors de quelques très grands noms, je ne connais pas grand-monde parmi ces auteurs hommes des années 50-60. Alors c’est intéressant de découvrir toute cette émulation, ces rivalités, mais c’est aussi un peu vain dans le sens où j’ai eu du mal à m’intéresser à la vie artistique de la plupart, ne les connaissant pas et ne retenant pas leur nom du coup…

En revanche, tout ce que ça dit sur le mouvement littéraire auquel ils appartiennent, sur sa vivacité, sur ses transformations, ça j’ai adoré. J’ai beaucoup aimé découvrir comment était le marché du manga juste après la guerre. Même si je n’ai peut-être pas tout compris, j’ai trouvé intéressant de le voir passé du marché du prêt à celui du magazine en kiosque. J’ai aimé suivre le destin de certains éditeurs, certaines revues. C’était passionnant de voir les auteurs en pleine émulation mais aussi dans un quotidien de course au rendu pour que leurs supports d’édition survive. L’auteur n’hésite pas à nous montrer que tous les mangakas n’étaient pas dans une volonté d’innovation mais qu’il y avait aussi un besoin de vivre et se nourrir auquel il fallait répondre. Ce n’est donc pas un manga tendre et idéaliste, mais plutôt le portrait fidèle et sans concession d’une époque.

Le revers cependant, c’est qu’on est totalement enfermé dans le microcosme du héros, voire dans ses lieux de création dont il sort peu ou alors juste dans le voisinage immédiat, comme le titre le dit : « une vie dans les marges ». On passe donc à côté de bien des évolutions de la société qui se produisent au même moment. On ne parle essentiellement que de la relation du Japon aux Etats-Unis et de l’avenir de la dynastie, c’est tout. C’est un peu maigre.

De la même façon, on ne voit la naissance et le déclin du gekiga, courant visant à différencier les mangas adultes de ceux destinés aux enfants qui avaient pignon sur rue avant, qu’à travers le regard biaisé de l’auteur, du coup ça ne rend pas bien l’ampleur du phénomène. On a une vision très restreinte et pas toujours très claire du mouvement, ce qui n’aide pas à cerner ce qu’il a fait, ce qu’il a apporté au monde du manga, notamment d’un point de vue graphique. On voit fort peu la différence avec les autres titres extérieurs à ce courant, ce qui aurait été intéressant. En revanche, j’ai aimé découvrir qu’il y avait eu un mouvement social contre le manga à l’époque, trouvant certains titres trop violents. Ça rappelle ce qu’on a pu vivre en France dans les années 90.

Ce titre de Yoshihiro Tatsumi vaut surtout pour son côté historique et autobiographique, quant à l’Histoire du manga, pour qui voudrait une historie de sa vie mais également un portrait du Japon des années 50-60, cela manquera peut-être un peu de substance malgré les 800 pages sur lequel il court. Pareil, pour qui voudra une oeuvre innovante ou marquante graphiquement, je ne suis pas sûre que ce soit l’oeuvre la plus représentative de l’auteur. C’est même très conventionnel et un peu fade de ce côté. Alors oui, c’est passionnant mais peut-être un peu trop académique.

> N’hésitez pas à lire aussi les avis de : Sin City, Vous ?

Ce diaporama nécessite JavaScript.

15 commentaires sur “Une Vie dans les marges de Yoshihiro Tatsumi

  1. Une vie dans les Marge Simpson !

    Plus sérieusement, c’est déjà un titre qui me faisait de l’oeil pour son côté témoignage sur une époque et sur l’histoire du manga. Il est dispo dans une médiathèque où je dois refaire un abonnement, mais je sais pas quand j’aurai le temps d’y passer 😅

    Aimé par 1 personne

  2. Au début, j’ai pensé que ce n’était pas vraiment pour moi parce que je ne lis pas beaucoup d’autobiographies, mais le fait qu’on dépasse la simple biographie pour offrir une immersion dans l’histoire du manga dans un contexte historique bien présent rend les choses bien plus tentantes. Et puis, si tu dis bel objet-livre…

    Aimé par 1 personne

    1. Oui, j’en avais acheté plusieurs traînant sur mes étagères et j’ai profité de la pause des sorties cet été pour lire ça. C’était enrichissant, mais va falloir que j’en trouve des nouveaux maintenant vu que j’ai presque épuisé mon stock ><

      Aimé par 1 personne

      1. J’aime aussi beaucoup et j’aimerais bien petit à petit m’acheter plusieurs des titres de Cornélius >< Mais j'avoue que parfois le dessin daté me fait peur et que j'ai peur de ne pas aimer sauf si comme ici l'histoire dépasse cela.

        J’aime

      2. Non non ba est sur ma wishlist.
        Concernant Kitaro, du coup, tu me perds un peu. C’est une série à épisodes à suivre ou indépendants ? Mic Mac est donc une bonne porte d’entrée c’est ça mais ce n’est pas forcément « le tome 1 » ?
        En tout cas merci beaucoup pour tes conseils que je vais m’empresser de noter sur ma liste au Père Noël 😀

        J’aime

      3. Cool pour NonNonBâ 👌
        Pour Kitaro, il y a la série principale qui est une histoire plus ou moins suivie mais constituée de chapitres indépendants. Mic Mac aux enfers est une histoire indépendante de Kitaro, publié en un gros OS. Elle peut se lire sans avoir lu la série originale et c’est pour ça que je la qualifié de bonne porte d’entrée car dense et complète.

        Avec plaisir, j’espère qu’il va te gater

        Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire