Livres - Mangas / Manhwa / Manhua

Le Goût des retrouvailles de Nozo Itoi

annonce-gout-retrouvailles

Titre : Le Goût des retrouvailles

Auteur : Nozo Itoi

Editeur vf : Akata (L)

Années de parution vf : 2021-2022

Nombre de tomes vf : 3 (série terminée)

Résumé : Rutsubo, à neuf ans seulement, porte déjà un regard cynique sur les adultes. Elevée par ses grands-parents, elle n’a jamais pardonné à son père de l’avoir abandonnée dès la naissance. Sa mère, quant à elle, est décédé lors de l’accouchement. Elle ne comprend pas ce qu’elle fait dans ce monde… Et le temps d’un été, pourtant, c’est auprès de son père qu’elle va vivre. Ce dernier, plutôt tombeur de femmes, devra adapter son quotidien pour accueillir chez lui cette fillette qu’il n’a jamais connue. La communication s’annonce compliquée car Rutsubo, elle, n’a jamais parlé. Entre non-dits, souffrances et secrets de famille, la cohabitation ne sera pas aisée…

retrouvailles-vo

Mon avis :

Tome 1

Avec sa couverture fort estivale, invitant au voyage et me faisant penser à la Grèce, Akata m’a de suite intriguée avec ce nouveau titre d’une autrice que je ne connaissais pas. Le côté josei de son trait, le regard mélancolique de la jeune héroïne et plus lointain et nonchalant de l’homme qui l’accompagne m’ont de suite attirée.

Publié entre 2017 et 2018 dans le Be Love de Kodansha, la série complète en 3 tomes est loin d’être la première de l’autrice. Nozo Itoi a publié de nombreux titres dans les années 2010 dans des genres aussi variés que le seinen, le shojo, le josei ou le boys love mais elle oscille à chaque fois entre la comédie et le tranche de vie avec une pointe de drame, des ingrédients que l’on retrouve aussi ici dans le titre choisi par l’éditeur français pour nous faire découvrir l’autrice. Le titre a pourtant un certain atypisme.

Nozo Itoi nous conte la rencontre entre un père et sa fille, jusque là tout va bien, sauf qu’ils se rencontrent pour la première fois alors que Rutsubo à 9 ans et que celle-ci ne parle pas. Dur dur alors de devoir passer un été à deux, surtout avec un père qui ne sait pas ce que c’est d’être père.

Si j’ai beaucoup aimé le sujet de ce joli josei, j’ai été un peu déstabilisée face à la façon dont cette histoire nous est contée. Je m’attendais à avoir un gros coup coeur mais finalement même si ce fut une belle lecture, j’ai vraiment peiné à m’attacher aux personnages pendant longtemps. L’autrice met une distance entre nous et eux à cause de leur côté très atypique et c’est alors difficile de s’identifier et de ressentir les mêmes émotions qu’eux.

Pourtant, l’histoire de Rutsubo est bouleversante. Elle a perdu sa mère à la naissance, son père ne s’est jamais préoccupé d’elle depuis et elle a été élevée par des gens qui ne voulaient pas d’elle. Pas simple de se construire. On comprend qu’elle ait préféré se taire. Cependant, Rutsubo est loin d’être faible, c’est une force de la nature. Elle est aussi très intelligente et surtout elle a les souvenirs d’elle dans le ventre de sa mère et de ses premiers jours. Cela lui confère un regard très adulte sur son père, ce qui va rendre leur relation bien particulière.

Celle-ci est au coeur de la saga comme le suggère le titre. Le temps d’un été, ils vont donc apprendre à se connaitre, apprendre à être père pour l’un, apprendre à être fille pour l’autre. Ce ne sera pas simple. Shima, le père de Rutsubo, est un drôle de bonhomme. Il vit dans son monde, à son rythme, avec ses valeurs qui ne sont pas toujours les nôtres, mais c’est quelqu’un de bon au fond. On apprend à découvrir cet original au fil des pages et si, comme avec Rutsubo, le lien ne se fait pas de suite, il se crée petit à petit, tout comme il se crée entre eux.

Ainsi, même si j’ai eu du mal au début entre cette petite qui ne parle pas et fait tout le temps la tête et ce père Don Juan qui semble avoir besoin de charmer tout le monde, petit à petit je me suis attachée à eux. J’ai aimé les voir tâtonner dans leur relation, pour leur premier repas, leur première sortie, leur première épreuve. Tout se fait difficilement, avec hésitation et non sans heurt, ce qui est tout à fait normal, mais chacun y met du sien au final et il est possible qu’ils nouent une très belle relation. J’ai vraiment apprécié de voir Shima chercher de l’aide dans son entourage mais aussi rester lui-même malgré tout. J’ai apprécié de voir Rutsubo s’ouvrir à l’amie d’enfance de Shima qui lui permet de voir son père autrement. C’est une bien belle histoire où la complexité de chaque émotion est parfaitement rendue.

En plus, l’autrice a vraiment un trait doux, rond et plein de poésie qui transporte le lecteur. Ses planches sont très claires et pleine de pureté. L’absence de parole de son héroïne la pousse à devoir être particulièrement expressive, ce en quoi elle réussit très bien. Chaque personnage a vraiment un look très fort : des gros sourcils et cheveux bouclés de Rutsubo, à la barbichette et au regard lointain de Shima, en passant par le look un peu européen, espagnol de leur colocataire, ou encore la douce rondeur féminine d’Himeko, l’amie d’enfance. J’aime énormément.

Sans être le coup de foudre attendu, Le goût des retrouvailles fut tout de même une très belle lecture avec un gros potentiel pour m’émouvoir si l’autrice parvient à briser le mur du silence qu’ont érigeait les personnages autour d’eux. L’atypisme des personnages, leur mystère, mais aussi leur fragilité promettent une très belle histoire que l’autrice saura très bien porter avec son dessin doux et poétique, j’en suis sûre. C’est donc un début très encourageant !

>> N’hésitez pas à lire aussi les avis de : Les instants volés à la vie, La pomme qui rougit, Vous ?

Tome 2

Quand a commencé cette courte série, tandis que je tergiversais encore, je vous avais parlé d’un début fort encourageant. Je peux désormais vous dire que cela se confirme fort fort fort. J’ai adoré ce deuxième volume qui a frôle le coup de coeur !

Avec beaucoup de subtilité, Nozo Itoi revient sur les dynamiques familiales complexes de ses personnages pour un récit éminemment touchant et sensible. Ce que je prenais pas de l’étrangeté et de la froideur est en fait l’écriture de personnages tout en nuances, garnis de multiples couches qui les rendent vraiment différents de ceux à qui on est habitué et c’est ce qui rend ce titre si beau et émouvant.

J’ai été profondément touchée dans ce tome par la tendre et complexe relation qui commence tout juste à se tisser entre ce père et sa fille. J’ai adoré l’astuce dont fait preuve l’autrice en prenant son temps pour le mettre en scène et nous le raconter. Elle use pour cela de scènes à la tension scénaristique éculée mais qui ici prennent une teinte toute différente. De l’arrivée inopinée de la grand-mère à la disparition malencontreuse en forêt, tout cela n’est que prétexte à nous faire découvrir ce que cache les masques de nos héros.

En effet, le père et la fille sont deux faces d’une même pièce, une pièce ancienne et compliquée, très différente de celles simples et modernes que l’on connait habituellement. On se plaît à en apprendre plus sur le passé de cet homme à l’éternel sourire. On se plaît à voir les ressemblances qu’il existe entre son histoire d’enfant et celle de sa fille. L’autrice nous guide pas à pas en cela, sans jamais rien forcer. Elle montre les maladresses et erreurs de chacun, mais aussi ses craintes et ses aspirations, le tout avec beaucoup de bienveillance. On en vient ainsi à aimer cet homme à femme qui désirait tant une petite fille, et on s’attendrit devant les épreuves que celle-ci lui fait passer.

L’autrice croque comme rarement je l’ai lu les relations compliqués des enfants avec leurs parents. C’est plein de pudeur et de sous-entendus que le lecteur décryptera facilement mais qui donneront un shot d’émotions. J’ai ainsi apprécié de voir en fin de tome se mêler également l’histoire du colocataire forcé de Rutsubo : Masaharu, dont les parents ont aussi une histoire pas piquée des ronces. Et il en va de même pour la courte histoire indépendante qui clôt ce tome et qui raconte une histoire farfelue entre un père dans le troisième âge et une jeune femme se disant la réincarnation de son épouse disparue. Avec l’autrice, c’est toujours étrange et saugrenu mais parfaitement juste bizarrement. Ses histoires farfelues trouvent écho en nous, révélant des failles de notre société moderne.

J’ai ainsi frôle le coup de coeur avec cette suite toujours aussi émouvante d’un tranche de vie différent de ce que j’ai pu lire sur le thème des dynamiques familiales. Dans la veine cependant de ce qu’Akata a aimé proposé avec Goodnight I love you de John Tarachine ou Autour d’elles de Shino Torino, Le goût des retrouvailles sort des sentiers battus et ose proposer une histoire familiale mature et pleine d’imperfections entre un père et une fille qui se découvrent sur le tard. On est fan !

Tome 3

Après un début un peu difficile où les personnalités si particulière des personnages m’avaient laissée perplexe, au fil des chapitres et des tomes, j’ai été totalement conquise par cette charmante histoire et ce jusqu’à ce beau dénouement que nous propose Nozo Itoi.

Elle conte à merveille la difficulté de certaines personnes à aimer leur prochain. Ce n’est pas inné effectivement d’aimer les autres contrairement à ce qu’on veut nous faire croire et le récit de la construction de cette relation père-fille entre Shima et Rutsubo est particulièrement parlante pour cela, tout comme la découverte que l’on fait du passé des parents de Rutsubo dans cet ultime volume. Avec ces sujets tout sauf facile, la mangaka s’en sort à merveille, mettant beaucoup d’émotion dans sa narration et son dessin pour nous livrer un dernier tome répondant à toutes mes attentes.

J’avais peur d’une résolution facile mais ce n’est pas ce qu’on a eu. La construction, déconstruction de la relation entre un père et sa fille est rude mais parfaite ici. J’ai beaucoup aimé ce retour également sur la personne qu’est Shima, cet homme qui ne parvenait pas à aimer et que la mère de Rutsubo a aimé envers et contre tout, parce qu’il avait un jour répondu à ses attentes au bon moment, et qui a tout fait pour combler ce manque. J’avoue que c’est une intrigue assez étrange pour ne pas dire saugrenue, car ce genre de désir est totalement contre-intuitif, du moins pour moi, mais la façon dont cela fut racontée m’a beaucoup plu. J’ai trouvé que l’autrice mettait énormément de coeur, de doigté et de subtilité pour raconter cette situation tout sauf « normale ». C’était ainsi d’autant plus poignant de découvrir cet homme qui redécouvrait son passé et se redécouvrait lui-même pour ainsi pouvoir être le père que sa fille attendait.

C’est vraiment un récit singulier que Nozo Itoi qui propose ici mais un récit passionnant sur ce qu’il dit de l’être humain. Après bien sûr, tout comme la mangaka elle-même le dit, j’aurais aimé plus de chapitres pour voir conter également les histoires de certains personnages, comme la meilleure amie lesbienne de Shima, mais en soi, j’ai trouvé que l’ensemble de l’histoire se prêtait bien à ses trois tomes. J’ai donc été totalement satisfaite de l’évolution de l’intrigue et des personnages.

Avec Le goût des retrouvailles, Akata a encore su proposer ici une histoire atypique qui rompt avec les codes habituels de nos sociétés et ça fait un bien fou de voir ainsi nos horizons s’ouvrir vers plus de tolérance et de diversité. Comme toujours, les histoires de famille et d’enfants me touchent tout particulièrement et cela s’est vérifié ici. L’autrice a eu une sensibilité toute particulière qui m’a émue et touchée dans le portrait de cet homme atypique et de cette enfant en quête d’un vrai père. C’était poignant et charmant avec un dessin vraiment original où la mode semble tenir une belle place, ce qui n’est pas pour me déplaire. J’espère donc que l’éditeur suivra cette autrice et qu’on la retrouvera.

planches-gout-retrouvailles

©2017 Nozo Itoi / © 2021 Editions Akata

12 commentaires sur “Le Goût des retrouvailles de Nozo Itoi

Laisser un commentaire