Livres - Mangas / Manhwa / Manhua

Irène de Hideki Arai

Titre : Irène

Auteurs : Hideki Arai

Éditeur vf : Black Box (Boutique)

Année de parution vf : Depuis 2021

Nombre de tomes : 3 / 6 (en cours)

Histoire : Iwao Shishido, un Japonais quarantenaire et célibataire, part en voyage aux Philippines pour se trouver une femme. Là-bas, il fait la connaissance de Irene Gonzales et décide de l’épouser. Une fois de retour au Japon, la jeune Irene devra faire face à la pression exercée par la mère d’Iwao, au racisme des habitants de son petit village et à la misogynie de son propre mari.

Mon avis :

Tome 1

BlackBox signe avec Irène, le retour d’un auteur phare d’Akata et Casterman mais qui était resté confidentiel de part ses critiques sociales assez âpres et borderlines. Ici l’éditeur aux livres confidentiels, entendez par là qu’on les trouve surtout à la vente sur leur site internet (lien), nous offre de le retrouver avec un titre du milieu des années 90 qui semble encore furieusement d’actualité.

Sur un ton à nouveau entre amertume et causticité, l’auteur nous plonge en plein coeur du Japon, loin des grandes villes et des personnages un peu lisses qu’on connaît. Nous sommes en pleine campagne avec un héros de 40 ans, qui vit encore avec ses parents et bosse dans un pachinko. Célibataire, c’est un peu la misère pour lui même s’il semble se contenter de son sort au début, mais tout va changer quand il va enfin réaliser ses désirs.

J’ai aimé d’emblée le côté très âpre de ce récit. L’auteur n’hésite pas à aller à fond pour traiter de la misère sexuelle de son héros. Il montre la difficulté pour quelqu’un de brut comme lui de trouver quelqu’un à cet âge, dans la campagne japonaise, alors qu’il a à charge des parents sur le déclin. C’est sombre et parfois limite scabreux. Les blagues sur le sexe vont bon train, mais c’est un vulgaire qui correspond très bien à la rusticité du décor, au point d’en être même un peu émouvant, car on se sent en pleine observation d’un milieu social qu’on connaît peut-être trop peu.

Ainsi, l’auteur aborde des sujets peu vus d’habitude. Outre la misère sexuelle évoquée plus haut, il est aussi question du travail dans un pachinko, des relations avec ses collègues, d’être mère célibataire dans une petite ville, d’avoir des parents âgés dont l’un perd la tête tandis que l’autre est hyper intrusif. C’est vraiment riche et toujours doux-amer mais avec beaucoup beaucoup d’amertume.

J’ai aimé grâce à cela suivre un héros qui détonne. Pas d’ado ou de jeune adulte en proie à ses désirs, place à un homme mur, seul, avec ses désirs d’homme qu’il satisfait via la pornographie ou les rencontres d’un soir. C’est brutal, un peu scabreux, mais assez réaliste et on sent bien toute la pauvreté et la misère de cet homme dans le regard à la fois bienveillant et sans concession de l’auteur. C’est émouvant de le voir prendre ainsi soin de ses parents, tout comme c’est touchant de voir cette mère, âgée, supporter son mari qui perd complètement la tête.

Le titre se veut donc également fort émouvant dans la description de ces portraits d’adultes peu habituels. Du héros et de sa détresse liée à sa solitude, à la jeune mère célibataire pour qui ce n’est pas simple d’élever son fils et qui en plus reçoit des propositions douteuses, à ce couple de personnes âgées sur le déclin où malgré l’amour une forme de violence rythme leur quotidien. C’est la misère sociale mais portée par beaucoup d’humanité dans le propos qu’on sent fort doux de la part de l’auteur derrière les propos brutaux et parfois un peu scabreux.

Ainsi, ce premier tome m’a fait redécouvrir un auteur un peu tombé dans l’oubli dont l’univers rude me plaît. Il a un dessin qui correspond bien à la rudesse de cette société populaire et miséreuse qu’il décrit. Il a un ton qui invoque beaucoup de douceur et de sentiments pour mettre en scène ces pauvres hères. C’est vraiment beau, touchant et émouvant sous le vernis âpre, rude et un peu vulgaire dont il se dote.

(Merci à l’éditeur pour cette lecture et sa confiance.)

 >N’hésitez pas à lire aussi les avis de : Koiwai (sur Manganews), Vous ?

Pour vous le procurer, c’est par ici :

Tome 2

Après un premier tome très rural, critiquant âprement la misère sexuelle de son héros et sa pauvre vie de célibataire vivant chez ses parents sur le déclin, l’auteur creuse un peu plus le filon de la critique sociale, nous entraînant cette fois dans les mariages arrangés entre Japonais et Philippines.

Dans les mangas, on est habitués aux mariages arrangés, mais d’habitude entre Japonais. Cette fois, c’est la question plus sordide des mariages où un des conjoints achète l’autre à l’étranger dont il est question. Avec la même verbe satirique qu’on lui a connu précédemment Hideki Arai décortique le phénomène et ne nous épargne pas.

Ce tome est donc l’occasion de découvrir l’horreur d’un système bien rodé mais avec un humour grinçant. On suit pas à pas tout le processus qui va conduire Iwao à épouser et ramener sa femme Irène chez lui. C’est rude, c’est sordide, c’est horrible et pourtant il y a toujours quelque chose de drôle pour faire passer la pilule. L’auteur insiste sur le décalage entre les deux cultures : japonaise et philippine, entre les deux héros : le timide Iwao et l’extravertie Irène. Il nous présente dans le détail comment cela se déroule du point de vue d’un Japonais, toutes les étapes où l’homme est aidé par une agence peu scrupuleuse pour rencontrer et choisir sa future femme, les papiers à faire, la rencontre avec la famille, etc. Mais il y a également une vue de la misère de cet archipel, de leurs conditions de vie, de la façon dont est vécu cette nouvelle forme de traite négrière et c’est glaçant !

A la lecture, on se sent emporté par le flux, tout comme le héros. C’est saisissant. L’auteur joue énormément sur l’humour pour cela, mais également sur la langue et la puissance des mots. J’ai beaucoup aimé le travail fait là-dessus et l’évolution conduite par le personnage d’Irène, du début où on ne voit qu’un charabia informe, à la suite où on la voit apprendre bêtement la langue, à la fin où on nous traduit enfin sa langue à elle. C’est hyper impactant et cela participe à ce sentiment que le Japon est quand même un pays bien raciste, qui a du mal à considérer l’autre sur un pied d’égalité. La critique est rude. L’auteur ne nous épargne pas et son héros non plus. Tout le travail qu’il avait fait pour montrer quel pauvre bougre il était est quand même bien contrebalancer par la violence de ce qu’il fait subir à Irène parce que monsieur estime qu’il a le droit de lui imposer son désir. La question de la misère sexuelle est d’ailleurs remise une fois de plus sur le tapis par une nouvelle critique particulièrement rude où l’auteur aborde la méconnaissance des jeunes Japonais, la grande place du porno et ses déviances, ou encore la prostitution. Et on sent que malgré ses traits d’humour, c’est plutôt une dénonciation en règle qu’il fait, ce qui est libératoire pour le lecteur !

Ainsi, partie comme une satirique sociétale tragico-comique sur la vie à la campagne et la misère sexuelle, Irène s’élargit en critique plus vaste sur le racisme des Japonais, leur méconnaissance du sexe et l’exploitation sexuelle. C’est dur, c’est âpre, c’est violent mais que c’est émouvant et bien raconté.

(Merci à l’éditeur pour cette lecture et sa confiance.)

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Tome 3

La plongée dans les affres de l’âme japonaise se poursuit avec ce noir et grinçant vaudeville sur fond de mariage arrangé entre un Japonais et une Philippine. Le ton d’Hideki Arai est toujours aussi rude. La violence est toujours aussi palpable. Mais au milieu de tout cela peu à peu naît une petite lumière rendant la lecture moins insoutenable.

Pourtant, cela commence très mal avec un Iwao totalement égocentrique qui cherche à imposer son désir sans écouter son épouse. Mais peu à peu, il réalise l’impossibilité de cela et comprend que c’est en échangeant, en parlant avec elle, que peut-être il obtiendra ce qu’il souhaite : le bonheur.

Irène, cette pauvre Philippine qu’on a vendue, souhaite la même chose, mais elle aura un parcours encore plus chaotique. Le terrible portrait qui est fait de ce Japon raciste et refermé sur lui-même qui peine à accepter les étrangers vivant sur son sol et encore plus les mariages mixtes fait mal. L’auteur y va franchement et n’hésite pas à dénoncer les travers de son peuple.

On assiste ainsi à une flambée de haine, de soupçons de la pire espèce, de violence et de méchants ragots sur Irène et un peu Iwao, que ce soit de gens qu’ils croisent, des collègues de ce dernière ou de sa mère. Le dessin de l’auteur renforce d’ailleurs ce sentiment par un trait volontiers excessif qui met en exergue toute la fureur de cette vieille femme si exclusive. Ainsi, l’auteur dénonce également les relations quasi œdipienne des Japonais à leur mère et leur étrange rapport à l’autre sexe qui en découle, ce qui en fait une œuvre sociologique fort intéressante.

Cependant comme je le disais plus haut, au fil des chapitres, l’œuvre se veut plus lumineuse. Iwao et Irène trouve une sorte de terrain d’entente grâce à un dictionnaire leur permettant de communiquer et Iwao sentant qu’il est allé trop loin se contient. Irène, elle, a compris les sacrifices qu’elle a fait en choisissant cette relation mais elle a toujours espoir de trouver un jour le bonheur à son tour. Et nous lecteurs, nous nous disons que peut-être en dépit de ces circonstances sordides quelque chose peut naître de cette relation entre ce garçon si naïf et cette jeune fille si pure. On a envie d’y croire malgré tout.

Irène avec ces trois tomes sur six que vient de sortir BlackBox permet au lecteur de retrouver les écrits engagés et dérangeant d’Hideki Arai. Il n’est pas question de petit garçon luttant face aux injustices comme dans son grand Ki-Itchi. Il n’est pas question d’un vieillard sur le déclin et de son aide à domicile qui vit difficilement comme dans La vie devant toi. Non, cette fois il parle de détresse humaine dans ce qu’elle a de plus profond, de l’envie de trouver le bonheur et quelqu’un qui nous comprend même quand on ne correspond pas à la norme. Le chemin emprunté est brut, rude et violent mais l’espoir reste toujours de mise avec ces personnages tantôt attachants, tantôt lumineux. On a envie d’y croire !

(Merci à l’éditeur pour cette lecture et sa confiance.)

Pour vous le procurer, c’est par ici :

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8 commentaires sur “Irène de Hideki Arai

  1. Hummm et bien tu vois j’avais jugé le titre à la couverture sur ce coup, et il m’a l’air au final pas mal du tout. ( Je me rend compte aussi par la même occasion que j’avais zappé la sortie ). Petite question par contre concernant l’épaisseur des tomes, ils sont fin ou c’est correcte concernant le rapport qualité / prix ?

    Aimé par 1 personne

    1. Je peux te comprendre car c’est auteur un peu particulier vers lequel le public a parfois du mal à aller vu son côté excessif. Mais c’est extrêmement bien fichu.
      Les tomes font plus de 200 pages chacun dont autant de dire que là tu ne seras pas déçu. C’est du grand format qualitatif (j’aime l’absence de jaquette) avec un bon nombre de pages et pour le retour de l’auteur on est prêt à payer un peu plus, je trouve ^^

      Aimé par 1 personne

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