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Le Monstre d’Einstein de Ryu Miyanaga

Titre : Le Monstre d’Einstein

Auteur : Ryu Miyanaga

Éditeur vf : Casterman (Sakka)

Année de parution vf : 2022

Nombre de tomes vf : 3 (série terminée)

Histoire : Dans son petit village de pêcheurs perdu sur une côté désolée, Lerew rêve plus volontiers de ravir le coeur de Mary que de partir en mer avec son père. Mais les filets remontent de plus en plus vides, il faut donc se risquer à sortir dans des eaux de plus en plus périlleuses pour les équipages et leurs embarcations. Après un accident qui le laisse plus mort que vif, Lerew est sauvé par un sorcier à la réputation sinistre… L’existence du garçon est bouleversée à jamais : le voici projeté dans un périple qui pourrait aussi bien être une renaissance qu’une malédiction.

Mon avis :

Amatrice de fantastique, la promesse d’un conte fantastique m’a de suite attirée dans cette nouvelle courte série de Casterman à la couverture aux allures de conte horrifique à la Promised Neverland. Bien que la lecture se soit révélée plus classique, le dépaysement a totalement opéré et j’ai beaucoup aimé l’aventure humaine proposée. 

Ryu Miyanaga est une toute jeune recrue de Square Enix (FullMetal Alchemist) qui a déjà réalisée trois séries toutes remarquées pour les dessins à l’allure gothique et merveilleuse dans le sens le plus sombre du terme. Le Monstre d’Einstein qu’on nous propose ici, et qui n’a rien à voir avec le célèbre génie, est sa première parution chez nous. 

Ce premier tome fort copieux aux allures de tome double avec sa pagination de près de 300 pages offre une plongée surprenante dans l’univers de l’autrice. Dès les premières pages, le ton est donné par ce dessin atypique où tout est gonflé, enflé, un peu pour souligner et surjouer ce qui sera ensuite énoncé. Cela lui donne d’emblée une teinte à part car cela est contrebalancé par la richesse et les détails des décors, ainsi que la finesse des extrémités de chacun, rappelant un peu le trait de Tove Jansson sur les Moomins. C’est ainsi avec cette influence nordique que j’ai poursuivi cette lecture aux allures de conte européen.

L’autrice nous entraîne dans un univers sombre et merveilleux fait de méconnaissance de l’autre et de peur de l’inconnu transcrit sous forme de superstition, avec bien sûr un héros à contre-courant dont la joie de vivre et l’entrain font plaisir à voir. Elle met en scène un duo détonnant comme il est bon d’en inventer dans ces cas-là. Celui-ci est composé d’un jeune pêcheur qui subira un métamorphose surprenante et d’un garçon-sorcier méprisé pour sa nature atypique et méconnue.

Avec eux, l’autrice nous entraîne classiquement dans une fable sur la différence. Pour cela, elle s’inspire librement de l’histoire de Mary Shelley mais sans en maîtriser vraiment les fondamentaux ou alors avec le désir de s’en éloigner drastiquement. En effet le duo se compose également d’une créature et d’un savant fou mais dont la relation n’a rien à voir avec le roman original. On est ici sur quelque chose de bien plus doux et cela va s’en ressentir sur l’histoire.

Celle-ci ressemble à nombre d’aventures fantastiques qu’on propose au jeune public depuis The Ancient Magus Bride ou l’Enfant et le mauditLe duo est d’abord mis au ban de la société puis essaie de survivre en entreprenant un voyage de part le monde. On suit ainsi leur quotidien fait de rencontres au gré de leur pérégrinations. Heureusement viennent se greffer des questions sur la peur de l’autre et un décor gothique fort séduisant fait de résurrection, vampirisme, sorcellerie et médecine. 

J’ai beaucoup aimé l’ambiance dégagée par les dessins. Ils tranchent avec ce qu’on voit habituellement. Ils ont un charme bien à eux. Je les ai plusieurs fois vu comparer à ceux de Posuka Demizu, mais je les trouve différents, pour ne pas dire plus aboutis. Les visages par exemples sont plus fins, plus réguliers et plus beaux à mes yeux. J’adore la touche folklorique et gothique qui s’en dégage dans les détails et motifs. J’adore la richesse des décors. Bref, c’est un trait dont la touche « merveilleuse » (dans le sens du genre littéraire) me parle.

Quoique un peu classique dans l’histoire qu’elle chercher à nous raconter, cette courte série en 3 tomes, offre un décor et une ambiance vraiment séduisante dès les premières pages. Associant critique de la superstition, voyage initiatique et quête de soi, elle propose une aventure sur fond de tranche de vie et de magie gothique assez plaisante qui ne demande qu’à être nourrie.

 >N’hésitez pas à lire aussi les avis de : Catz, Branchés culture, Le suricate, Vous ?

Tome 2

Ce conte aux allures gothiques est décidément un enchantement. En plus de dessins racés et poétiques, Ryu Miyanaga propose une histoire sombre et mélancolique qui déchire et réchauffe le coeur en même temps.

Le Doc et sa créature sont partis voguer à travers le monde sur leur coque de noix. On aurait pu craindre un récit lassant et répétitif, c’est tout le contraire que nous avons. Un peu à la mode d’Ulysse quand il entreprend son voyage de retour, nos deux héros font régulièrement des rencontres marquantes qui vont leur proposer de riches rencontres humaines. Cependant pour que cela ne soit pas trop lourd, l’autrice alterne chapitres courts et humoristiques avec chapitres plus longs et conséquents, une riche idée !

Au rayon humoristique, nous avons tout d’abord une gentille scénette montrant combien Doc ne supporte pas l’alcool contrairement à ce qu’il croit, puis un peu plus tard, un chapitre montrant combien il est inconstant et a sans cesse besoin de divertissements. Un petit cache cache improvisé fait donc parfaitement l’affaire et nous permet de découvrir avec saveur les différents recoins de leur moyen de transport ô combien rocambolesque. Car même si ces chapitres sont des prétextes à souffler un peu entre deux moments plus denses, ils apportent quand même un vrai plaisir avec la grande imagination visuelle dont sait faire preuve l’artiste.

Cependant, il faut reconnaître que c’est vraiment sur les temps plus longs qu’elle laisse libre court à toute son imagination et sa maestria graphique, ce dont on lui est reconnaissant. Car vraiment l’univers singulier de Ryu Miyanaga est plein de charme. J’en adore la rondeur enfantine qui vient trancher avec la profondeur des émotions en jeu, ça me rappelle un peu le style de l’artiste pop Takashi Murakami, et c’est superbe ! C’est à la fois sombre et doux, riche et pétillant, mais surtout ça regorge de petits détails savoureux presque en mode Easter Eggs. 

Ainsi, l’autrice nous offre une histoire centrale poignante dans ce tome, celle d’un autre duo comprenant une Sorcière et un humain. En mode un peu Petite Sirène inversé, nous découvrons un jeune humain qui va échouer sur l’île d’une sorcière. Celle-ci va le sauver et ils vont commencer à vivre ensemble, des sentiments vont alors se développer des deux côtés. J’ai beaucoup aimé la narration rapportée à l’aide du journal intime de Macau, c’était plein de charme et de douceur nostalgique. J’ai été touchée par le lent rapprochement tranquille de ces deux êtres et le discours de l’autrice sur l’ouverture à l’autre et les différences qui au final comptent si peu par rapport à nos sentiments intimes. Mais elle n’a pas non plus un discours 100% Bisounours, puisque tragiquement la réalité se rappelle à eux. C’est donc une histoire à la fois douce et poignante, pleine d’amour mais d’amertume aussi, un joli conte gothique à la fin tragique et douce-amère une nouvelle fois, une chose que j’adore car cela véhicule plein d’émotions !

Il y avait déjà énormément de richesse dans cette première longue histoire sur cette île perdue au bout du monde, il y en aura tout autant dans la seconde consacrée cette fois au passé d’Einstein et se déroulant sous de toutes autres latitudes, cette fois dans un village dans le Grand Nord créé autour d’une Sorcière. L’autrice s’amuse ainsi à passer d’un extrême à l’autre dans tous les sens du terme, du chaud au froid, de la solitude à deux à la vie en famille. C’est charmant.

On connaît peu Doc et c’est l’occasion ici de découvrir un peu ce qu’il a vécu avant et qui il a pu rencontrer. C’est surtout l’occasion d’aller à la rencontre d’une famille de Sorcières cette fois, nous qui étions habitués à les voir seules. J’ai beaucoup cette amorce d’histoire qui va se poursuivre dans le prochain tome. On est à nouveau pris par les sentiments avec ce Doc terriblement solitaire et sur ses gardes, qui n’a plus l’envie de vivre. La mère et la fille qui vont lui venir en aide sont pleines de chaleur humaine et donnent envie de se faire aussi cocooner pour elles. Leur petit village d’inspiration Inuit a l’air charmant et plein de vie. On sent d’avance qu’on va avoir une belle leçon de vie encore une fois.

Voyage qui peut sembler anecdotique, cette revisite gothique de l’Odyssée d’Homère est pleine d’émotions. On prend des directs en plein coeur aux côtés de nos héros et des rencontres fantastiques qu’ils font avec ces Sorcières à travers le monde. L’oeuvre a une portée universelle avec ce discours de tolérance porté par une autrice qui sait transposer ses histoires dans des mondes aux valeurs encore sombres avec des créatures qui doivent apprendre à se montrer plus tolérantes. Alors conte, oui, mais pas conte léger à la Disney. Nous sommes ici aux racines mêmes des contes, dans un univers sombre, avec de vraies morales à en tirer et j’adore ça !

(Merci à Casterman et Sanctuary pour ces lectures)

Tome 3 – Fin

J’ai vraiment beaucoup trop aimé cette courte série fantastique qui s’apparente à un mélange de contes cruels et d’univers burtonnien avec un trait tout en rondeur naïf et sombre à la fois où on a l’impression de vivre dans des cils plumeteux. Sombrement magique !

Cet ultime chapitre m’a pourtant perdue au début car je ne me rappelais plus trop du précédent et que je me demandais bien ce que nous racontait notre héros dont je me rappelais seulement le voyage avec Fran en mode Ulysse qui aimerait rentrer chez lui et fait plein de rencontres. Cependant, j’ai très vite raccroché et la suite fut un très beau bouleversement, sombre et émouvant comme Ryu Miyanaga a su en écrire précédemment.

Cette histoire de perte et recherche d’un être cher fut superbe à suivre. L’autrice pourtant ne nous épargne pas et nous offre ici des chapitres très durs où la mort est brutale et sans concession et où les humains sont capables des pires trahisons. Elle nous propose une figure de la sorcière malmenée et capable des pires atrocités une fois blessée et désireuse de se venger, mais là où certains en feraient une figure malveillante, c’est au contraire une figure très humaine qui en ressort. Trahie par les villageois qu’elle aidait depuis longtemps, notre sorcière fait s’abattre sa colère méritée sur eux et plus que la violence de l’événement, c’est son désarroi face à cette perte brutale et inattendue qui émeut.

J’ai beaucoup aimé le jeu en miroir du bien et du mal, des gentils et des méchants, dans cette saga. L’autrice s’attache à nous montrer que les apparences sont trompeuses et qu’il faut se méfier de nos premières impressions. Comment ainsi ne pas être touchée par l’histoire d’Einstein, exclu et marginalisé qui va trouver le bonheur grâce à sa rencontre avec Fran malgré son apparence effrayante. Comment ne pas être bouleversée par la famille de Filo et son destin tragique. L’autrice a vraiment imaginé une belle et sombre histoire, piochant dans des éléments connus de nos folklore et l’enrichissant de sa touche à elle, tellement personnelle qu’elle virevolte entre les pages. C’est plein d’une noirceur émouvante, associée à une psychologie assez fine et un discours sur le deuil, la perte, l’entraide, l’amour très pertinent.

Ses dessins furent vraiment ce qui m’a le plus enchantée en dehors de l’histoire. J’ai adoré le travail de l’autrice pour rendre ce trait enfantin plein de détails sombrement mature au final. Il y a de belles références au travail de Tim Burton évidemment mais également de Tova Jansonn (Les Moomins). Les décors comme les personnages et l’expression de leurs sentiments à vifs fascinent. C’est parfois difficilement lisible mais toujours enchanteur. Les dessins volent à travers les pages et la représentation toute en duvet des cils des personnages a quelque chose de fascinant et entêtant, on n’arrive plus à les lâcher.

Conclusion sombrement émouvante, j’ai décidément beaucoup trop aimé cette courte série qui a su revisiter le thème des contes cruels avec une touche très personnelle de la part d’une Ryu Miyanaga qui pioche dans des influences multiples et souvent très occidentales. J’ai été fascinée par sa patte graphique. J’ai été émue par son histoire. Je la relirai volontiers dans une autre histoire fantastique.

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4 commentaires sur “Le Monstre d’Einstein de Ryu Miyanaga

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