Livres - Mangas / Manhwa / Manhua

L’Oiseau d’or de Kainis de Kazuki Hata

Titre : L’Oiseau d’or de Kainis

Auteur : Kazuki Hata

Traduction : Hana Kanehisa

Éditeur vf : Glénat (shojo+)

Années de parution vf : 2022-2023

Nombre de tomes : 4 (série terminée)

Histoire : Début du XIXe siècle, à l’Est de Gloucestershire, Lea a grandi au milieu de livres « inaccessibles pour son cerveau féminin » et se passionne pour l’écriture, un art réservé à la gent masculine. C’est donc sous l’identité fictive d’Alain Wedgwood, qu’elle va débarquer à Londres pour faire publier ses ouvrages, découvrir le monde littéraire et se faire de nouveaux amis. Que va-t-elle pouvoir découvrir sous sa nouvelle apparence ?

Mon avis :

Tome 1

Il est assez cocasse quand on connaît la politique de l’éditeur de reclassement des oeuvres de femmes dans des collections traditionnellement à direction des hommes selon la classification japonaise, de le voir éditer comme ici une oeuvre sur une jeune femme devant se travestir en homme pour pouvoir faire publier son livre. Passé ce petit commentaire cocasse, je dois dire que j’ai été ravie de plonger dans cette Angleterre du début XIXe aux côtés d’écrivains et aspirants écrivains. C’est un univers que me parle totalement !

Cela me permet de faire la connaissance de Kazuki Hata qui officie depuis une dizaine d’année au Japon et qui est à la fois autrice de seinen et de josei qui ont pour beaucoup une dimension historique. Ça tombe bien, j’adore l’Histoire ! La couverture cependant ne rend pas justice à la beauté de son trait à l’intérieur. Je vois l’intention de rappeler l’intérieur des livres anciens mais c’est un peu tristounet, je trouve. A l’inverse, à l’intérieur elle a un trait très chatoyant, lumineux et plein d’énergie où elle dessine des personnages doux et rayonnants à la fois, dans un joli décor anglais du XIXe.

A l’intérieur le ton est donc bien plus enjoué que ne le laisse croire la tête toute triste et sérieuse de l’héroïne. Celle-ci, Lea, est passionnée de littérature et rêve de faire publier ses écrits. Sauf que début XIXe c’est presque inimaginable pour une femme. Seule solution, comme bien d’autres écrivaines l’ont fait et le feront, utiliser un prête nom masculin. C’est un franc succès et son livre est publié, mais ce n’est que le début de ses aventures.

J‘ai forcément beaucoup aimé le contexte de l’histoire. L’héroïne qui adore la littérature, écrit et se déguise en garçon m’a fait penser à une Jo March. Elle est fille de pasteur et pourtant elle ose défier son père et la tradition par passion et conviction. J’ai aimé suivre ses aventures certes assez rocambolesques où on la voit se grimer en homme avec l’aide de sa domestique pour monter à la capitale. C’est totalement irréaliste bien sûr mais la vague de liberté que ça souffle fait un bien fou !

L’autrice a très bien croqué cette période que j’aime temps. J’ai retrouvé les belles tenues de l’époque, le côté enchanteur de la campagne à la Rousseau, la fascination pour la grande ville. La mangaka s’inspire en plus de dynamiques connues puisque des grandes autrices comme les soeurs Brontë publieront sous un nom masculin. Elle glisse d’ailleurs dans son récit des auteurs connus comme Keats en changeant juste un tout petit peu son nom. Elle joue ainsi sur une ambiance familière mais légèrement différente de la réalité. On retrouve cependant avec fidélité les mécanismes de la publication d’alors qui sont rapidement présentés et la vie que peuvent avoir ces auteurs.

Il est inspirant de suivre une histoire avec une femme qui va contre les traditions pour mener sa vie comme elle l’entend même si pour le début c’est dans le costume d’un homme. La dynamique que ça insuffle au récit est très positive. On suit avec entrain ses voyages, ses travestissements, ses rencontres. On s’amuse de ses interactions avec les hommes qu’elle rencontre et de l’amitié qu’elle noue rapidement avec Keats son confrère écrivain. On aime aussi découvrir la vie d’artiste à travers ses yeux et le parallèle qu’elle fait entre vie de femme et vie d’homme à l’époque, pointant bien ce qui entrave les premières.

Cependant l’autrice va peut-être un peu trop vite justement et survole pas mal de choses dans ce premier tome sur 4 que compte l’histoire. J’espère que pas mal de choses seront approfondies et qu’on ne tombera pas dans un récit romantique car pour moi ce qui est intéressant c’est son désir de reconnaissance en tant que femme écrivain.

Je suis cependant plus que ravie de ma découverte. Le titre recoupe plusieurs éléments que j’adore entre cette héroïne entreprenante, la passion pour la littérature, le domaine de la publication littéraire, la vie d’artiste/écrivain ou encore la description des vies sir différentes des hommes et des femmes dans cette Angleterre du XIXe que je chéris tant dans mes lectures. Le titre est plein de vie, plein de trouvailles et vraiment entraînant à lire. Son seul défaut est peut-être d’aller un peu vite, ce qui donne parfois un sentiment de superficialité sur des sujets qui demandent plus de profondeur, et induit la peur de tomber dans un récit romantique alors qu’on veut un récit d’écrivaillon.

> N’hésitez pas à lire aussi les avis de : Les voyages de Ly, Vous ?

Tome 2

Avec ce concept qui ne pouvait que me plaire, d’une jeune femme devant se déguiser en homme pour pouvoir être publiée au XIXe, Kizuki Hata a su écrire une histoire convaincante qui continue de me plaire énormément.

Dans ce deuxième volume sur quatre, Lea/Allan continue sa vie d’écrivain(e) à Londres sous couvert de son déguisement mais désormais elle n’est plus la seule à savoir, son voisin Myles a aussi découvert le pot-aux-roses même s’il ne lui a rien dit. J’ai trouvé fort intéressant de jouer sur ce non-dit tout au long de ce tome. L’autrice permet ainsi aux personnages et à travers eux aux lecteurs de s’interroger encore plus en profondeur sur ce que cela fait d’être une femme écrivaine au XIXe siècle. La rencontre, de plus, avec une femme qui assume pleinement d’écrire sous pseudonyme masculin pour y parvenir va corser les choses et introduire vraiment de belles valeurs féministes qui vont pousser nos héros à la réflexion.

Ce n’est cependant pas le seul charme de ce tome, l’autrice nous y parle également de l’aristocratie et des lois qui la régissent que certains aimeraient également changer. A l’aide du passé de Myles qu’elle va nous révéler ici, elle va porter à notre attention ces nobles qui sous couvert d’argent et de puissance maltraitent les plus pauvres, mais aussi le désir de certains de voir changer les choses et notamment cette règle de primogéniture mâle. J’ai beaucoup apprécié l’astuce avec laquelle l’autrice nous raconte tout cela, elle utilise à merveille le cadre de son projet : l’écriture de romans, pour utiliser ceux des héros comme miroir de leurs sentiments et/ou aspirations.

D’ailleurs l’écriture reste un sujet fort intéressant ici. On aime les quelques informations qui se glissent sur le processus de celle-ci, processus différent pour chaque écrivain, chaque texte aussi parfois. J’ai aimé découvrir que Lea avait besoin de modèle et parfois même de se mettre littéralement dans la peau du personnage, et qu’elle agissait à l’instinct, alors que Myles, lui, a une méthode beaucoup plus pragmatique faite de fragments à rassembler ensuite. J’ai apprécié également qu’on parle de l’importance de l’inspiration puisée dans sa vie personnelle, c’est le moteur de tant d’histoires devenues des classiques. Enfin j’ai aimé bien sûr qu’on parle du fait que c’était très dur pour une femme d’être publiée sous son vrai nom et que le passage par un pseudonyme était obligatoire. C’était une réalité autrefois et ça l’est encore parfois dans certains milieux ou du moins jusqu’il y a peu. Je pense à certaines femmes mangakas qui ont caché leur sexe féminin pour publier dans des magazines de shonen…

Enfin, au-delà de tous ces traits assez sociaux, ce tome est également une belle histoire, celle de deux écrivains désormais amis, qui se soutiennent et se dévoilent l’un à l’autre, l’un étant quand même plus honnête que l’autre avouons-le, mais j’apprécie vraiment la relation Allan-Myles et j’espère continuer de la voir évoluer.

Comme je l’avais pressenti déjà dans le tome 1, L’oiseau de Kainis est vraiment une excellente lecture historique avec des réflexions pertinentes et intéressantes sur l’écriture et le féminisme, s’y ajoute en plus une touche sociétale cette fois, le tout dans le cadre charmant de cette amitié Allan-Myles. C’est vraiment une bonne pioche dans cette collection « shojo+ » !

Tome 3

Chaque couverture annonce vraiment la couleur. Après s’être interroger sur sa vie de femme, puis avoir vécu comme un homme, vient la question de sa relation avec Myles dans ce nouveau tome et cela se révèle très riche.

J’aime beaucoup la façon dont Kazuki Hata déroule son récit avec cette facilité qui lui est propre. Elle raconte une histoire fortement inspirée de la vie campagnarde des écrivaines anglaises du XIXe qu’on connaît bien tout en lui introduisant une belle modernité avec des questionnements sur le genre et notre société genrée très intéressants. Nous avons donc à la fois une belle histoire et des questions intimes fortes.

On prend aussi bien plaisir à suivre Allan-Lea quand elle rentre chez elle et retrouve sa vie de femme au sein de sa famille, qu’à voir arriver Myles qui va introduire l’élément perturbateur nécessaire à une nouvelle évolution. En effet, celui-ci sait qu’elle est une femme et a trouvé qu’il était temps de le lui avouer. La réaction de Lea est très intéressante puisqu’elle questionne sur les relations amicales entre hommes et femmes et la notion de genre. J’ai beaucoup aimé voir celle-ci craindre de voir les choses changer, qu’il la traite « comme une fille » et être soulagée de tomber sur un homme qui justement ne fait pas cela.

La camaraderie entre Allan et Myles est vraiment un des atouts de la série. On aime les voir sur un pied d’égalité bien que l’un fut une femme, surtout à cette époque. D’ailleurs, l’autrice ne se gêne pas pour dénoncer leur condition, comme le terrible traumatisme que peut être une maternité non désirée et imposée. On comprend alors les peurs de Lea/Allan vis-à-vis des sentiments de Myles pour elle. Elle, ne souhaite que son amitié, et non son amour dont elle ne sait que faire. C’est triste pour lui, car il n’a pas l’attitude qu’elle lui reproche et la voit vraiment comme une partenaire à égalité avec lui, mais c’est réaliste et je trouverais intéressant que Lea soit une femme asexuelle, mais je crains que l’autrice emprunte une autre voie.

Toujours dans ce décor historique anglais réaliste, L’oiseau de Kainis s’éloigne un peu des considérations littéraires mais pour parler encore mieux de questionnements de genres très pertinents sur la condition féminine et les relations amicales et amoureuses hommes-femmes. J’aime beaucoup la facilité de l’autrice de nous conter tout cela en contexte et je suis curieuse de voir ce que nous réserve le prochain et dernier tome.

Tome 4 – Fin

La fan de romances se déroulant dans l’Angleterre du XIXe et de littérature anglaise de cette époque tout simplement a vraiment été séduite par cette courte série de la collection « shojo + » de Glénat où il a été question du statut de la femme et des processus de création. Une série inspirante !

Il est déjà l’heure de quitter Myles et Lea/Alan et ce tome me fait vraiment regretter cela. C’est avec le coeur gros et beaucoup d’affection pour eux que je leur dis au revoir, alors que je n’aurais pas été contre poursuivre cette aventure qui n’a pas été sans me rappeler, dans l’ambiance, mes chères Quatre filles du Dr March avec Jo et ses entreprises pour être publiée.

Dans ce dernier tome, Alan/Lea s’interroge énormément sur son statut de femme d’un côté et sur ses sentiments parmi lesquels elle a tant de mal à y voir clair, de l’autre. C’est avec tendresse, douceur et beaucoup de subtilité mais aussi de bienveillance que Kazuki Hata a parlé de tout cela. Avec simplicité mais originalité, il nous permet de plonger dans l’esprit de son héroïne pour qui sa condition féminine est un vrai frein même si elle a beau l’explorer dans ce tome pour être sûre des idées qu’elle s’était forgée à ce sujet. Ce n’est pas violent et pourtant, ça fait mal de voir combien elle souffre de sa condition et préfère à cause de cela endosser les allures et l’identité d’un homme, sauf auprès de ceux qui la connaissent le mieux. Cela en dit long.

J’ai trouvé très judicieux de la voir tenter de revivre sa première journée dans Londres en tant qu’Alan, mais dans la peau de Lea cette fois pour voir ce que cela change et cela change tout, elle a raison. Il n’y a pas d’exagération de la part de l’auteur, c’est véridique. Au XIXe siècle et encore maintenant, on ne traite pas les hommes et les femmes de la même façon dans l’espace public et chacun s’oblige inconsciemment, souvent, à rentrer dans le rôle que la société a défini pour lui. C’est une réalité. Alors ici, c’est encore plus visible car plus d’un siècle de lutte est passé depuis mais tout de même, il ne faut pas minimiser cela et j’ai beaucoup aimé la façon à la fois douce et frontale avec laquelle c’est traité ici.

Mais au-delà de cette question du statut de la femme, il est également beaucoup question de sentiments dans ce tome et j’ai adoré là aussi la façon dont c’est traité avec subtilité et une certaine profondeur. L’auteur en effet s’attarde longtemps sur le décryptage et la compréhension de ses sentiments qui semblent si complexes et nouveaux pour l’héroïne, voire qui sont une grande inconnue. J’ai même cru un instant que nous allions flirter avec l’aromantisme avec elle, raté, mais ce n’est pas passé loin et j’ai aimé la simplicité avec laquelle elle entreprend cette quête d’elle-même et de ce qu’elle éprouve, expérimentant, testant, cherchant à mettre des mots dessus et à les transmettre. Pour cela, j’ai beaucoup aimé le rôle joué par Mister D. et son compagnon, qui forment un couple juste adorable et très bien écrit ici, que ce soit dans la simplicité de leur rencontre, les difficultés qu’ils ont rencontré, ou la beauté de ce qu’ils sont devenus. L’auteur a vraiment quelque chose pour mettre en scène avec simplicité ces couples tranquilles qui sont comme des évidences.

Bien sûr tout n’est pas parfait. On pourrait dire que Myles est un peu trop parfait dans cette histoire avec son acceptation de ce caler sur le rythme et les désirs de Lea/Allan sans jamais rien demander. Ou encore que l’auteur va peut-être un peu trop vite quand il traite de la situation familiale de celui-ci, avec sa fuite pour renoncer à sa place d’aîné à cause de la pression familiale. L’auteur déploie bien tous les éléments de l’intrigue et explicite les sentiments de chacun mais c’est très rapide, peut-être un peu trop pour moi.

Charmante série en 4 tomes à l’ambiance me rappelant des titres chers à mon enfance, L’oiseau d’or de Kainis a présenté avec brio et justesse la situation des femmes voulant être écrivaine au XIXe siècle en Angleterre. Certes l’auteur va vite, certes il use de nombreux poncifs, mais il fait superbement vivre son histoire et initie de très belles réflexions pleines de nuances sur le place de la femme, sa vision d’elle-même ou encore son rapport à la création. J’ai adoré pour cela !

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© Editions Glénat 2022

 

16 commentaires sur “L’Oiseau d’or de Kainis de Kazuki Hata

  1. Merci pour la découverte car, comme toi, ce premier tome regroupe pas mal d’éléments que j’apprécie et même si certains aspects semblent survolés, tu as l’air d’avoir passé un excellent moment avec cette lecutre.

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    1. Je ne suis pas surprise que le titre t’attire, il y a effectivement des éléments qu’on aime tous les deux sur les autrices. Après, forcément quand on donne peu d’espace à l’autrice, elle ne peut pas trop développer, ça se comprend ^^!

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  2. Les thématiques et l’ambiance font en effet envie ! J’attendrais peut-être ton avis sur la suite avant de me décider, si cela manque d’approfondissement sur le long terme je préfère passer mon tour.

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  3. Merci pour ton retour! L’héroïne à l’air captivante! L’histoire de ce manga me tente bien mais je ne suis pas sur de craquer malgré ton retour très positif. Pourquoi pas dans quelques mois ou en occasion. Quel dommage que Glénat n’ai pas conservé les couvertures originales que je trouve bien plus attirantes pour les yeux!

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    1. Oui c’est dommage ces retouches des couvertures originales souvent pour moins bien…
      Je suis contente que mon avis te convainque et j’espère que tu auras l’occasion de découvrir cette héroïne charmante et entraînante. ☺️

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      1. Surtout que les couvertures originales sont presque toujours mieux que les françaises retouchées..
        Merci pour ton avis 🙂 Mine de rien il y a pas mal de (court) shojo intéressant qui sortent!

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