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Soul Keeper de Tsutomu Takahashi

Titre : Soul Keeper

Auteur : Tsutomu Takahashi

Traduction : Takahashi Arnaud

Éditeur vf : Panini Manga

Années de parution vf : 2022-2023 (réédition)

Nombre de tomes : 8 (série terminée)

Histoire : Riyon est le fantôme d’une jeune fille indépendante et rebelle. Bien qu’elle soit sensée suivre des cours pour bonifier son âme en vue de sa prochaine réincarnation, elle préfère passer ses journées à jouer à Reversi. Afin de la ramener dans le droit chemin, le précepteur en chef de l’au-delà lui ordonne de descendre sur Terre et de devenir l’esprit protecteur d’une personne de son choix.
Sans le savoir, Riyon jette son dévolu sur le Premier ministre du Japon, un homme gravement malade, à qui il reste à peine plus de cinq cents jours à vivre…

Mon avis :

Tome 1

Tsutomu Takahashi est devenu un auteur assez bankable chez nous. Panini, en tout cas, l’a beaucoup porté il y a une quinzaine d’années et il revient en force en ce moment. Après la réédition, toujours en cours de Sidooh, avec laquelle personnellement je me régale, l’éditeur a décidé de republier Soul Keeper, une série postérieure en 8 tomes.

Dans les oeuvres de Tsutomu Takahashi il y a souvent une note fantastique et surtout une certaine violence qu’elle soit physique ou psychologique. Ici, il allie les deux avec une héroïne morte qui a été nommée esprit protecteur et dont l’âme doit descendre sur Terre pour accompagné un vivant dans le besoin. L’auteur propose ainsi sa version d’un célèbre mythe japonais : le shinigami, qu’on a déjà vu dans d’autres oeuvres comme Bleach, Death Note ou encore Yuyu Hakusho qui est peut-être le plus proche ici, sauf qu’au lieu de partir sur un shonen plein de nekketsu, il propose une oeuvre plus sérieuse et sociale.

Dans ce premier tome, l’auteur pose les bases de sa série et explique les mécanismes qui vont la régir. Nous faisons la connaissance sommaire d’une héroïne en devenir. Nous découvrons son caractère légèrement rebelle mais altruiste. Cependant, ce n’est pas vraiment elle qui accroche notre regard mais plutôt celui qu’elle va devoir protéger, qui ô surprise, se révèle être le Premier ministre japonais !

Avec l’efficacité légendaire qu’on lui connaît, l’auteur va donc nous faire entrer par les coulisses dans la tambouille politique de son propre pays. Il va, dès ce premier tome, dénoncer la solitude de ce rôle, son caractère pesant, les magouilles politiques ainsi que les pressions. Ce n’est pas joli joli mais si on reste sur cette ligne, ça promet d’être passionnant, l’héroïne a tout de même plus de 500 jours à passer à ses côtés, il y a de quoi raconter et j’espère que ce sera le cas.

Cette efficacité se retrouve également, comme toujours avec l’auteur, dans la composition de ses planches où tout coule de source. C’est fluide, archi fluide, à l’image de cette héroïne glissant d’un monde à l’auteur. Mais c’est aussi âpre et à tendance sombre et malsaine, comme dans ses autres oeuvres, quand on rentre dans la tête du Premier ministre ou encore quand on rencontre d’autres politiciens. Le malaise nous saisit alors pour ne pas nous quitter, c’est insidieux mais puissant.

Soul Keeper se présente donc comme une oeuvre au démarrage particulièrement efficace, avec une certes une héroïne qui s’efface derrière le propos mis en scène, mais avec une promesse sérieuse de dénonciation de la tambouille politique japonaise, ce qui pourrait s’avérer passionnant. J’ai hâte de voir si cela se vérifie.

> N’hésitez pas à lire aussi les avis de : Yoda Bor, Freelfe, Calypso, Rue des dames, Vous ?

Tome 2

Avec un premier tome fort accrocheur, Panini publie en même temps un deuxième tome où déjà l’histoire commence à se complexifier tout en gardant sa dimension politico-fantastique si séduisante.

Nous avions quitté Riyon, désormais esprit protecteur, du Premier ministre japonais, tandis que celui-ci se relevait pour à nouveau mener la bataille contre ses détracteurs voire ses ennemis au sein même de son parti. Leur rencontre et celle de l’univers dans lequel ils évoluent entre politique intérieure japonaise et folklore fantastique du shinigami avait été accrocheuse dès le premier tome. Elle prend une nouvelle dimension dans cette suite.

Contrairement à ce que je craignais, l’auteur n’abandonne pas Soichiro, le Premier ministre, premier client de Riyon, au contraire, l’histoire se centre sur lui de la meilleure des façons. En effet, Tsutomu Takahashi ouvre son histoire autour de lui, nous faisant découvrir l’ancien Premier ministre du Japon et son fils fort ambitieux qui aimerait bien se débarrasser de Soichiro. Pour cela, il se met à enquêter sur celui-ci et trouve de l’aide en un jeune garçon aux pouvoirs parapsy qui va faire le pendant maléfique de Riyon, celui qui va lui mettre des bâtons dans les roues.

S’engage ainsi dans cette suite une sorte de chassé-croisé, de duel à distance entre les deux clans, celui de Soichiro et Riyon qui a un beau regain d’énergie grâce à celle dernière et qui devient un Premier ministre bien plus incisif, et celui de Daiki Izumi et Kubo qui semblent tout deux bien sombres et dérangeants. Ces derniers renforcent du coup les deux éléments de la série, le fantastique grâce à Kubo qui mène de véritables attaques psychiques contre ses adversaires et le politique grâce à Daiki qui cherche la faille chez Soichiro. C’est surprenant et passionnant.

Graphiquement l’auteur nous fait encore plaisir avec des plongées dans le psyché de Soichiro, de son prédécesseur et d’autres juste fascinant. Ça virevolte de partout à l’aide de fumée et autres arabesques sombres. Le contrat est complètement rempli dans la vision proposée du fantastique propre à l’ambiance de ce récit. Il en va de même pour le côté politique où l’on sent très bien monter la tension d’un côté et la fascination de l’autre comme envers un gourou. Le travail sur les visages est saisissant comme souvent chez l’auteur. Kubo fait vraiment peur ainsi par moment.

Le seul reproche que j’aurais à faire à la série, c’est que je trouve que Riyon, l’héroïne, est peut-être le personnage qui a le moins d’importance pour le moment tellement elle est écrasée par la stature des personnages masculins qu’elle côtoie. Dommage.

Soul Keeper propose avec ces deux tomes une très belle entrée en matière pour une histoire qui nous plonge dans la tambouille politique japonaise dans les plus hautes sphères. Ça me surprend toujours de voir à quel point Tsutomu Takahashi est à l’aise dans des registres aussi divers quand on voit la variété de ses séries. Ici, il est très efficace dans ce mélange de fantastique traditionnel sur fond de Dieu de la mort et de politique, un milieu où les pires bassesses sont permises. Ça me passionne et me fascine.

Tome 3

Légère baisse de régime dans ce tome malgré des ambiances fantastiques et politiques toujours aussi réussies séparément, mais dont peut-être le mélange m’a moins séduite cette fois.

J’ai trouvé que l’auteur séparait peut-être un peu trop les deux éléments dans ce tome. Il fait en effet un gros focus sur Koji Kubo et sa rivalité avec Riyon, ainsi que ses méthodes, mais cela a un côté un peu décroché des chapitres précédents où tout s’imbriquait et ne faisait que monter en pression. Là, certes, j’ai été contente de voir plus Riyon, mais j’ai à nouveau eu l’impression d’un survol avec elle et de quelque chose de spectaculaire pour du spectaculaire avec Koji. Peut mieux faire.

Heureusement la seconde partie m’a bien réveillée. Dès qu’on retourne dans les méandres de la politique, ça me plaît. Même si à nouveau, c’est peut-être plus superficiel que dans les tomes précédents, l’auteur nous assène tout de même un beau moment bien fort de politique quand Kasuga affirme son désir de faire sortir le Japon du nucléaire. C’est puissant et d’actualité. J’aime le voir dans sa quête d’un Japon plus juste, plus propre, plus heureux. C’est idéaliste mais rafraîchissant.

Parce qu’à côté, le marasme est là. En effet, la dernière partie vient refaire un bon mélange entre tout ça avec une Riyon inquiète car Koji s’en prend à leurs proches pour arriver à ses fins. Politique et fantastique sont alors parfaitement liés pour faire monter le récit en tension et susciter la peur pour ce qui pourrait arriver à l’entourage de Kasuga et freiner ses ambitions.

Alors oui, c’est moins percutant que les premiers tomes mais ça reste passionnant à lire. J’aime voir les envolées politiques de Kasuga, tout comme les manigances fantastiques de nos esprits et mediums en coulisses me fascinent. C’est singulier et très immersif.

Tome 4

Tome très accès politique, Takahashi y oublie un peu l’aspect fantastique de son oeuvre qui m’a manqué.

Le mangaka nous offre encore et toujours une plongée cruelle et réaliste dans un sens de la vie politique japonaise et ses lobying. J’ai beaucoup aimé suivre le premier ministre de notre histoire dans sa croisade contre le nucléaire. C’est une position engagée de sa part et de celle de l’auteur, qu’ils sont bien tentés de poursuivre jusqu’au bout.

Cependant à suivre le premier ministre constituer son équipe, chercher des failles chez ses adversaires pour les faire tomber et mener une politique de coups de com’ pour retourner l’opinion publique en sa faveur, on est justement dans du pur politique. Or, moi, j’aimais l’aspect fantastique de l’histoire qui est en grande partie délaissé ici.

Ce dernier ne réapparaît qu’en de brèves occasions quand notre shiingami en herbe s’inquiète de la noirceur autour du premier ministre Kasuga, mais comme elle n’agit pas ou qu’on ne nous le montre pas, ça ne sert pas à grand-chose. Heureusement, j’ai espoir d’un retour à cela avec la réapparition dans les dernières pages de sa némésis qui a lui aussi des pouvoirs psy, mais ce sera pour un autre tome.

Bien que très bien écrit d’un point de vue politique, le tome m’a moins passionnée que les précédents car plus classique en quelque sorte avec ce schéma du politique rebelle qui va tenter de monter un coup pour renverser l’establishment. J’attendais plus de l’oeuvre avec sa dimension fantastique, point de démarrage, qui est malheureusement passée à l’as ici mais j’ai espoir d’un retour prochain.

Tome 5

Avec ce tome charnière, Takahashi parvient enfin à renouer les deux parties de son intrigues, même si le fantastique reste un brin trop ténu pour moi, cela reste cependant vraiment fort et percutant à lire.

Sachant qu’il lui reste peu de temps à vivre, le premier ministre japonais est vraiment décidé à utiliser ses jours au mieux et à tout faire pour laisser sa trace sur l’avenir, afin que celui-ci soit meilleur. Série coup de poing dont l’auteur se sert pour une diatribe contre le nucléaire, il utilise à merveille cette figure d’homme public qu’il a créée.

Même si on le sait, c’est très exagéré avec beaucoup d’esbroufe et de pathos, c’est tout de même archi jouissif de suivre cette figure d’homme politique courageux et acteur de son destin, qui prend les choses littéralement en main pour faire changer les choses. J’attendais avec impatience sa visite de Fukushima mais je ne pensais tout de même pas le voir aller aussi loin. J’ai donc été moi aussi captive du charisme du héros et scotchée devant ses actions. Mais cela en dit long sur le désespoir que ressentent certains japonais.

L’auteur, avec cette fiction, pointe leur crainte du futur, ou du moins celle de certains, et tente ainsi de réveiller les autres par une action coup de poing. Il a des mots et des actes très fort. Son discours sur les populations qui oublient les drames ci-tôt ceux-ci passés est tellement vrai. Une peur en efface une autre et ce peu importe la gradation des dangers de celles-ci. Mais ici, l’auteur à travers son héros ne veut que ça en reste là. Même si c’est totalement improbable et irréaliste, j’ai aimé voir cet homme asséner une terrible leçon à son peuple en s’irradiant lui-même afin de leur en montrer les effets et qu’ils aient longtemps sous les yeux ces derniers pour ne pas oublier. C’est extrêmement radical mais ça correspond bien à l’urgence (et à l’auteur). J’ai hâte d’en voir les prochains effets.

Pour le lecteur, c’est en effet une mesure assez racoleuse mais qui permet également, enfin, de rattacher l’histoire à sa dimension fantastique bien trop éclipsée jusqu’à présent. On est fascinée tout du long de la visite de la centrale pour le rôle de bouclier que manifeste Riyon. C’est sombre, limite glauque et cela matérialise à merveille ce danger impalpable sinon que sont les radiations. De plus, ça redonne tout son sens à l’héroïne abandonnée depuis quelques temps et le titre retrouve tout son sens également. Le premier ministre n’est pas le seul gardien des âmes de ses prochains, c’est également le rôle de Riyon et leur duo est à la fois touchant et efficace ici. Enfin, cet acte n’est pas sans conséquence, même s’il sort un peu ça de derrière son chapeau, l’auteur relate que les actions de Riyon et ses liens avec Kasuga ont des conséquences dans le monde des esprits et qu’il va falloir passer à la caisse. Leur ennemi, lui, n’est pas non plus sans réaction face à cette percée de Kasuga. Nul doute que le prochain tome amorcera un final bien plus sous tension où chaque acteur prendra sa part.

Fable sombre et radicale contre le nucléaire et pour une politique plus active, Soul Keeper surprend vraiment par sa dimension actuelle engagée. J’aime le discours percutant de l’auteur pour une fois. Bien que toujours aussi excessif, il se canalise mieux ici, je trouve. Les propos sont donc juste, les actions du Premier ministre ont un sens. Il y a juste cette dimension fantastique que j’ai l’impression de voir rentrée au forceps parce que c’est ainsi qu’il a démarré et qu’il ne veut pas la laisser de côté. Mais était-elle nécessaire au final en dehors de la date limite qu’elle donnait à Kasuga ? Je m’interroge.

Tome 6

Moi qui me plaignais de ne pas avoir eu assez de fantastique ces derniers temps, celui-ci revient en force dans ce nouveau tome grâce à un focus pesant sur Kubo.

Le premier ministre est vraiment le personnage central de l’histoire, celui qui nous accroche et fascine avec ses actions coups de poing, mais il n’est pas le seul. J’ai beaucoup aimé dans ce tome qu’il partage à nouveau la vedette avec Kubo, ce jeune détenteur de pouvoirs parapsy qui cherche à l’éliminer et à semer le chaos. L’ensemble est fort classique mais vient bien nous percuter. Le récit des origines et du passé de ce jeune homme à qui les pouvoirs ont tellement pris est sombre et déchirant. J’aime ce genre d’histoire tragique avec la création de famille secondaire et de nouveaux achoppements qui viennent encore tout bouleverser.

Cependant, il faut bien reconnaître qu’à côté du récit de ce passé, dans le présent, on fait un peu de surplace. On reste, politiquement, sur un statu quo par rapport à ce qu’a fait la premier ministre à Fukushima. C’est plus le passage à l’action de Kubo qui fait bouger les lignes que notre cher politicien qui se contente d’un passage sur un plateau télé. Cependant ses coéquipiers, eux, tout comme sa famille sont en danger avec Kubo et c’est cette dynamique qui va prévaloir. La politique, elle, passe un peu au second plan derrière le projet de vengeance de ce dernier. C’est dommage.

Ainsi l’équilibre entre politique, récit anti-nuclaire et fantastique se fait étrangement ici. J’aime le message de l’auteur. J’aime son ton provocateur. J’aime l’histoire imaginée pour Kubo. Mais l’ensemble s’assemble mal et quelque chose ne sonne pas juste entre ces deux parties, notamment parce qu’on cherche les raisons de la haine de Kubo et son terrible plan.

Fascinant, Soul Keeper le reste de tome en tome. Takahashi a toujours autant de talent pour mettre en scène des ambiances sombres et étranges, parfois implacables. Cependant, il y a aussi plusieurs points qui s’assemblent mal et me dérangent alors que l’histoire, elle, est prenante et fascinante et qu’on a un vrai travail sur les antagonistes que sont le Premier ministre et Kubo. Un titre donc maladroit mais prometteur.

Tome 7

Avec cet avant-dernier tome de sa fresque fantastique, Takahashi revient aux sources de son oeuvre : la noirceur de l’âme humaine et les matérialisations qu’il en fait sont aussi bluffantes que malaisantes. Un très bon opus !

La série aura oscillé depuis le début entre fantastique et politique, donnant l’impression de ne pas toujours savoir trouver sa place. En fait, l’auteur a juste envie de jouer sur les deux tableaux et peut-être un peu de mal à allier les deux, il alterne donc. Une alternance salutaire ici car j’ai pris un réel plaisir à voir Shion combattre son alter ego négatif dans cette lutte des esprits.

L’histoire en elle-même ne dit pas grand-chose, le scénario est assez pauvre. On a un jeune aigri par la vie qui en veut à la Terre entière et veut faire payer les autres. Il s’en prend donc aux grandes figures devant lui. Et Shion, elle, est un peu un ange gardien qui veut le ramener sur le droit chemin et cherche donc à le sauver à tout prix. Rien de bien original.

Cependant la mise en scène de Tsutomu Takahashi fait toute la différence. Sa représentation des noirceurs de l’âme des héros avec cette matérialisation de lutte à travers des jets de force noire spirituelle est saisissant et captivant. C’est beau et sombrement déroutant et dérangeant mais vraiment j’adore l’allure qu’il donne à cette lutte. Ce côté gluant et adipeux, tel du pétrole qui s’attache aux personnages et qu’ils se jettent les uns aux autres est impressionnant. Cela change des nuages toxiques habituels et de leur côté évaporé. Là on sent une vraie matérialité dans ce mal être ainsi matérialisé, prenant vie sous une forme conforme à ce que ça fait à sa victime : ça lui colle à la peau et l’englue. J’adore.

Le combat entre Shion et Kubo est vain mais prenant à suivre. On se plaît à suivre leurs échanges, à les voir échanger des attaques, et à découvrir les conséquences de tout cela sur le monde réel. Certes, le côté politique m’a manqué ici avec ce focus sur eux, mais j’ai apprécié, même brièvement, qu’on revienne vers le Premier ministre et son engagement anti-nucléaire qui est devenu pour moi le thème phare de la série. J’ai aimé la façon dont dans les dernières pages réel et irréel se mélangent pour nous compliquer la tâche avec des rebondissements lourds de sens qui donnent un sentiment d’inéluctabilité. La fin est proche mais comment vont-ils s’en sortir ?

Série très sombre, normal pour du Takahashi vous me direz, mais quand même, Soul Keeper est certes inégal et maladroit dans sa narration, mais l’auteur a parfois de belles trouvailles et fulgurances scénaristiques comme la matérialisation des âmes en déshérence de nos protagonistes. C’est ainsi malaisant d’assister à leurs échanges au sommet mais également très prenant et percutant. Une belle envolée lyrique sombre et poisseuse dont je serai curieuse de connaître le dénouement dans le prochain tome.

Tome 8 – Fin

Série très sombre, longtemps un peu bancale où l’auteur peinait à trouver son chemin, elle a fini par elle aussi, comme ses personnages, réussir à s’extraire de la mélasse dans laquelle elle était engluée pour nous offrir un final plein de réflexion sur la vie, la politique, notre rapport au futur.

Peut-être l’oeuvre la plus politique de Tsutomu Takahashi que j’ai pu lire, Soul Keeper semble enfin nous offrir quelques clés dans ce final richement mis en scène par l’auteur où il laisse éclater son talent graphique de noircisseur de pages mais également sa colère froide envers des pays pour qui le futur compte bien peu au final. Une vraie lecture coup de poing.

J’ai beaucoup aimé toute la diégèse autour de la politique, des hommes politiques, de la nation et de notre rapport de citoyens, de femmes et d’hommes, à tout cela. On découvre dans ce final combien Kubo représente toute notre défiance et notre colère envers la politique et les politiques, leur inaction, leurs mauvais choix, leur petite tambouille électoraliste, leur absence d’ambition pour le futur et j’en passe. Cela a littéralement rongé le personne et transformé en ce sombre médium qu’on connaît qui commet des ravages bouffés par cette noire colère. Ce fut vraiment très intense de décortiquer cela et de s’y confronter.

La réponse de l’auteur, c’est Kasuga, le premier ministre, cet homme autrefois comme les autres à qui les reproches sont faits, mais qui en apprenant que ses jours étaient comptés a changé du tout au tout et est enfin entré en action comme le peuple l’attendait, du moins la partie du peuple s’intéressant au futur de la planète et de ses enfants. Dans cet ultime opus, il a dégagé une classe folle, encore plus que précédemment et le trait hyper léché de l’auteur y contribue bien. Sa présence est happante, hypnotique, on ne peut que le suivre du regard et boire ses paroles. Mais celles-ci gagnent en profondeur en plus au fur et à mesure que le compte-à-rebours s’accélère et l’émotion nous gagne, comme lui. Il contient cependant tout cela avec force, malgré les drames personnels qu’il vient de vivre, car c’est pour le futur qu’il travaille.

L’auteur demande quand même quelque chose de conséquent à ces hommes et femmes en charge du pouvoir de la nation. Cela laisse songeur. Il a beau dire aux collaborateurs de Kasuga qu’il attend d’eux le même engagement, il me met mal à l’aise dans cet absolutisme qu’il exige dans leur engagement, comme si c’était à eux de tout faire et pas nous tous ensemble. Les politiques ont un rôle, certes, mais nous tout autant et parfois je trouve que c’est dit un peu trop timidement dans l’oeuvre.

En tout cas, la dramaturgie de cette fin est splendide, portée par des planches qui étreignent le coeur quand les deux antagonistes se livrent un dernier duel par l’entremise de Riyon, véritable ange gardien de leurs âmes à tous deux. J’ai été emportée par la beauté et la noirceur des pages. La mise en scène de ce combat aux dimensions mystiques fut fantastique. Cette mélasse poisseuse face aux rayons de la lumière de l’âme bienveillante fut entêtante et percutante. Et l’auteur a su montrer au final un grand talent de metteur en scène aussi bien dans la lutte que dans le deuil et l’abnégation. Son héroïne était fascinante dans ses combats, son héros classe lorsqu’il devait prendre la parole et agir, mais Tsutomu Takahashi n’a pas oublié non plus l’émotion brute dans les scènes banales du quotidien et nous a offert un dernier repas où l’émotion était à son comble avec fort peu de choses.

J’ai longtemps oscillé sur cette oeuvre, ne sachant qu’en penser, ne sachant où l’auteur voulait en venir. On est bien loin de ce que j’imaginais en débutant ma lecture mais j’en suis ravie. Ce final a su donner toute sa couleur à l’oeuvre et nous offrir un vrai beau message contestataire et d’espoir sur la politique, le futur et l’écologie. Cet artiste du noir et de la noirceur, nous a fait cadeau d’un final riche en couleur et émotion où j’ai été marquée par les destins de ses héros. Une très belle oeuvre humaniste.

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8 commentaires sur “Soul Keeper de Tsutomu Takahashi

  1. J’avais lu le premier tome il y a à peu près un siècle et j’avais bien apprécié même si je n’ai pas pris la peine de continuer. Je suis contente de savoir que le titre ressort et qu’il est maintenant terminé, ça me donnerait presque envie de le poursuivre !

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  2. J’avais beaucoup aimé ce manga il y a quelques années et je suis content de voir qu’il ressort et plaise à plusieurs personnes. Je suis d’accord avec ton ressenti par rapport à l’héroïne un peu trop en retrait. C’est impressionnant de voir Tsutomu Takahashi maitriser ses récits peu importe les thématiques.

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    1. Ravie aussi qu’il ressorte vu que j’étais passé à côté. Je le trouve effectivement d’une grande maîtrise. J’aime son trait qui tranche dans le vif et qu’il met au service d’histoires qui font de même ^^

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      1. Son trait peut faire croire à un mangaka viriliste qui met l’accent à fonds dans l’action et la violence mais l’aspect sombre de son dessin est toujours lié à un fonds et à un propos intéressant^^

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