Livres - Fantasy / Fantastique

Le Dieu dans l’ombre de Megan Lindholm alias Robin Hobb

Titre : Le Dieu dans l’ombre

Auteur : Megan Lindholm alias Robin Hobb

Éditeur vf : Actu SF

Année de parution vo : 1991

Nombre de pages : 548

Histoire : Evelyn a 25 ans. Un séjour imprévu dans sa belle-famille avec son mari et son fils de cinq ans tourne au cauchemar absolu. Une créature surgie de son enfance l’entraîne alors dans un voyage hallucinant, sensuel et totalement imprévisible, vers les forêts primaires de l’Alaska. Compagnon fantasmatique ou incarnation de Pan, le grand faune lui-même… Qui est le Dieu dans l’ombre ?

Mon avis :

De Robin Hobb, alias Megan Lindholm, j’ai surtout lu son immense saga L’Assassin royal et ses multiples ramifications, et quand j’ai essayé d’aller vers un texte autre, différent, plus ancien avec Alien Earth, je n’ai pas été conquise par l’expérience. J’avais donc quelques appréhensions avec Le Dieu dans l’ombre, texte fantastique singulier qui semble pas mal cliver les lecteurs. Mais c’était bien me tromper car ce fut une lecture coup de coeur et coup de poing !

Publié en 1991 par l’autrice aux États-Unis, sous le titre de Cloven Hooves, celui date de quelques années avant qu’elle débute la saga qui l’a rendue si célèbre, pourtant on y retrouve déjà les qualités d’écriture qu’elle développera plus tard avec ses différents héros et univers. Comme avec Fitz, elle a pris une héroïne qui ne semble pas facile à aimer au premier abord pour la rendre terriblement émouvante. Comme avec le Soldat Chamane, elle nous offre de superbes pages de nature writing. Et comme avec ses dragons, elle revient à la racine du mythe du Faune, ici, le tout sans concession. Je suis fan !

J’ai adoré ma lecture, pourtant elle ne fut pas simple. J’ai eu le sentiment d’assister pendant plus de 300 pages à la déconstruction d’une femme, d’une mère et d’une épouse, ce qui m’a bouleversée. Nous sommes ici dans un texte qui fait très roman américain. Comme dans du Steinbeck ou du Kerouac, l’autrice nous emmène en plein coeur de l’Amérique, une Amérique des années 70 où les traditions patriarcales sont encore très fortes. Evelyn, notre héroïne, se retrouve obligée d’aller vivre avec son fils et son mari, chez les parents de ce dernier, bien loin de leur demeure en Alaska. Ce retour dans le giron familial de monsieur va sonner comme un lent couperet pour elle. L’air de rien, insidieusement, nous allons voir sa vie basculer et ce sera terriblement poignant. L’autrice met parfaitement en scène, avec une grande justesse et subtilité, l’aliénation de la femme en tant que mère et épouse, faisant disparaître son individualité. C’est terrible. L’air de rien, la famille de son mari et ce dernier, sans s’en rendre compte, la font disparaître. Ils l’enterrent sous leurs normes et leurs préjugés faisant disparaître violemment ce qui faisait d’elle une personne unique, montant, montant jusqu’à un point d’orgue qui fut tragique à vivre ! Il fallait toute la force et la beauté de la plume de Robin Hobb pour nous y prendre au piège et nous faire tressaillir de fureur, de rage et de tristesse.

En parallèle de ce drame humain inéluctable auquel on assiste de manière insidieuse et presque naturelle, – Je sais d’ailleurs que certains lecteurs y sont restés hermétiques voire sont passés à côté, alors que bon sang, c’est d’une violence !l’autrice va mettre au jour un refuge pour notre héroïne : la nature. Très proche de celle-ci depuis toujours, elle y a trouvé le moyen d’exprimer la liberté dont on la bridait dans la réalité et ce depuis enfant, car une fille « ne doit pas être ainsi »… C’est ainsi que petit à petit, insidieusement là aussi, Evelyn va être à nouveau attiré par ce lieu hors du temps, hors des normes, hors des traditions où elle pourra être elle-même, elle qui l’aime tant et qui aurait aimé être botaniste. Par ce biais que l’autrice va introduire une magique mais âpre dimension fantastique à son récit, mélange de mythologie romaine et de fascination pour la nature. Les pages qui en sont les porteuses ont un charme sombre et envoûtant. J’ai beaucoup aimé ressentir l’humidité, le souffle, les odeurs et les bruits de la nature à travers sa plume, mais aussi sa brutalité, sa solitude, sa bestialité. Ce fut étrange et singulier à la fois.

La consolation qu’Evelyn gagne ici trouve sa matérialité en une créature peu mise en avant dans la littérature à cause de sa nature bestiale et érotique : le faune. Au début, j’ai eu quelques difficultés avec l’évocation très crue de celle-ci et ses caractéristiques, notamment son appétit pour le sexe et les représentations du sexe entre une humaine et celui-ci. Mais petit à petit, Robin Hobb a tissé tout autre chose avec cette créature qu’elle dépeint telle qu’elle l’est dans la mythologie et non telle qu’on l’a transformée pour la rendre plus consensuelle. Le Faune, qu’Evelyn a nommé Pan, est à la fois celui qui la sauve et la fait chuter. Elle va vivre quelque chose de très intense et fondateur avec lui, qui nous emmènera aux portes de la frontière entre réalité et fantastique, nous laissant longtemps dans le flou de ce qu’elle va vivre avec lui. Mais la répétition en miroir, dans cette nature, d’un schéma déjà vu avec ce qu’elle a connu dans la société humaine fait beaucoup réfléchir et remue également. Evelyn ne peut-elle être résumée qu’à son rôle d’épouse et de mère ? Une mère est-elle toujours subalterne des choix des mâles de son entourage pour élever son enfant ? Doit-elle revivre sans cesse le même instant tragique de la séparation, non pas voulue par l’enfant mais souhaitée par l’adulte avec parfois les répercussions tragiques qu’on connaît ? Robin Hobb ne nous donne pas de réponse mais nous laisse au contraire chercher les nôtres et sa conclusion abrupte m’a laissée toute chose…

Roman intime, roman puissant, Le Dieu dans l’ombre est avant tout un récit très humain et très féministe où l’autrice déjà interrogeait sur le rapport de la société patriarcale aux femmes, ce qu’elle reprendra dans Les aventuriers de la mer, sur celui de la mère à son enfant, ce qu’elle reprendra également dans l’Assassin Royal ou les Cités des Anciens. Elle fait cela dans un texte puissant où se confondent critique société, fantastique et nature writing dans un mélange entêtant, âpre et douloureux. J’ai été bouleversée par le récit si dur de l’aliénation de cette femme qui peine tellement à s’affirmer comme telle dans ce monde d’homme. Un très grand texte !

> N’hésitez pas à lire aussi les avis bien plus pointus de : Light and smellLe Chroniqueur, Boudicca, Aelinel, Celinedanae, Blackwolf, Gromovar, Les pipelettes, Rat des villes, Erine, Dream Dream, Rose, Vous ?

 

 

12 commentaires sur “Le Dieu dans l’ombre de Megan Lindholm alias Robin Hobb

  1. Comme tu le sais, je partage ton avis sur ce roman coup de poing dont tu mets si bien en avant les atouts et la puissance. Cette aliénation de l’héroïne est tellement poignante qu’en te lisant, je revis ce sentiment d’injustice et d’horreur qui m’a accompagnée durant ma lecture…

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  2. J’avais hâte de lire ton avis sur ce roman, il me fait envie et en même temps je crains de ne pas apprécier, à cause de cette dimension patriarcale que tu soulignes. Et vu la date d’écriture, je crains aussi que ça soit trop daté.
    Mais d’après ce que tu dis, ça vaut le coup quand même, je le laisse dans ma WL 😉

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    1. Disons que ce n’est pas une lecture doudou mais vraiment une lecture qui gratte et fait rager. On n’est pas dans une apologie du patriarcat mais bien dans une critique qui monte, qui monte. C’est puissant.
      Donc oui, ça vaut 100% le coup !

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    1. Alléchante est bien le mot. J’adore la plume de Robin Hobb et j’ai un peu acheté le titre à reculons mais Aurey a bien eu raison de me pousser à lire cette merveille.
      J’espère que tu auras l’occasion toi aussi de vibrer avec elle.

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  3. J’ai très envie de découvrir ce texte mais je vais d’abord terminer « L’assassin royal » et ses ramifications (j’en suis au dernier tiers des « Aventuriers de la mer ») ^^ En tout cas, tu donnes bien de lire « Le dieu dans l’ombre » !

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    1. Une chose à la fois, je comprends.
      J’ai très envie de relire l’Assassin Royal et ses ramifications comme tu dis. J’avais commencé avec le premier cycle l’an dernier, il faudrait que je continue. C’est une si belle autrice ❤
      Ravie de te donner envie !

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    1. C’était clairement le titre de l’autrice que j’appréhendais le plus et c’est celui qui m’a mis la plus grosse claque je te souhaite vraiment de le découvrir pour toi aussi ressentir la puissance de la plume de l’autrice sur ce sujet.

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