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Welcome back, Alice de Shûzô Oshimi

Titre : Welcome back, Alice

Auteur : Shûzô Oshimi

Traduction : Thibaud Desbief

Éditeur vf : Pika

Année de parution vf : Depuis 2024

Nombre de tomes vf : 2 / 7 (en cours)

Histoire : Yôhei, Kei et Yui, en première année de collège, se connaissent depuis leur plus jeune âge. Avec le temps, Yôhei a développé des sentiments envers Yui qui ressent, elle, une forte attirance pour le beau Kei. Une situation qui va mettre leur amitié à rude épreuve juste avant les vacances d’été. Mais voilà qu’à la suite de la mutation professionnelle de son père, Kei quitte brusquement Tokyo pour Hokkaido, mettant un terme à ce déroutant triangle amoureux.
Quelques années plus tard, c’est la rentrée au lycée. Yôhei, toujours aussi attiré par la ravissante Yui, est pourtant troublé par une nouvelle élève, très entreprenante, qui n’est autre que… Kei.

Mon avis :

 Tome 1

Comme beaucoup d’amateur de seinen, je pense, j’ai toujours eu une certaine fascination perturbante pour les travaux de Shuzo Oshimi. A la sortie de chaque nouvelle série, je m’interroge donc sur ce qu’il a pu imaginer pour nous mettre mal à l’aise. Et s’il n’atteint pas encore le niveau des Liens du sang, son titre qui me fait le plus frissonner, Welcome back Alice commence très fort.

Remercions déjà Pika qui nous fait le plaisir de sortir cette série déjà terminée au Japon. Les 7 tomes la composant vont ainsi pouvoir sortir à un bon rythme je l’espère, ce qui est parfait vu le type de narration étouffante et stressante mais addictive de l’auteur. Après Happiness sur les vampires, c’est donc le deuxième titre de l’auteur chez eux.

Oshimi, c’est pour moi, l’un des auteurs qui aime le plus trifouiller l’âme humaine, mais pas pour nous la rendre belle et supportable, pour nous en montrer toute la noirceur et la complexité. Dans ce nouveau texte, il s’intéresse à des choses connues : le désir adolescent et la quête d’identité à travers le genre, mais il le fait à travers son propre prisme, ce qui lui donne une saveur toute particulière. Il faut vraiment aimer l’auteur, je pense, pour apprécier ce genre de démarche qui met très mal à l’aise et vient nous percuter sans chercher jamais à nous cajoler. C’est étrange, dérangeant, ça gratte et ça perturbe, mais c’est addictif.

L’histoire débute ainsi autour d’un trio de collégien en proie à des désirs enchâssés : Yohei est amoureux de Mitani, qui est amoureuse de Kei, qui semble s’intéresser de près à Yohei. Kei se montre assez dérangeant dans ses discussions conseils à Yohei et il semble également bien perturber Mitani. Mais on n’a pas le temps de voir la situation se décanter qu’il change d’école. On retrouve le trio 3 ans plus tard au lycée, sauf qu’il y a eu du changement : Kei rejette désormais son genre masculin et s’habille en fille.

Le personnage de Kei est vraiment central dans cette histoire, Oshimi nous le fait bien comprendre d’entrée de jeu, en lui donnant cette allure énigmatique qu’il aime tant et qui rappelle celle de son héroïne dans Les fleurs du mal par exemple. Mais c’est difficile d’apprécier et d’appréhender Kei. Le mangaka nous fait bien sentir qu’il est étrange, perturbé. Il y a une scène magique où bien qu’il soit le persécuteur, son regard nous montre toute sa tristesse et son mal être. Cependant, il reste l’auteur d’acte assez abject et on ne peut qu’avoir beaucoup de mal avec lui. Certes, on peut comprendre ses difficultés à se trouver, mais utiliser cela pour légitimer son comportement agressif ? Non. Je m’interroge donc sur ce que l’auteur cherche à nous montrer avec lui et sans voulant porter de jugement à l’emporte-pièce, pour le moment je n’aime pas la façon dont il interroge et présente les gens en quête d’identité comme lui.

Du coup, c’est le volet adolescent qui m’a plus plu. J’ai aimé qu’on aborde crûment les questions de désirs, avec un héros : Yohei, certes très falot et pas des plus intéressants à suivre, mais qui représente bien la majorité des ado perdus dans leurs désirs. Cela m’a fait sourire de voir la façon dont Oshimi s’en servait comme représentant du désir masculin et de son expression la plus charnelle à travers ses fantasmes et ses épisodes masturbatoires. On reste cependant assez en surface dans ce premier tome, se contentant de regards plein de désir sur certaines parties du corps de celle qu’il pense aimer, et l’auteur ne creuse pas encore la définition et la différence entre désir et amour, se contentant de mélanger les deux. C’est encore à travailler.

C’est donc un premier tome efficace que nous livre l’auteur, dans lequel on retrouve son dessin et découpage incisif mais restant assez timide et modéré par rapport aux envolées graphiques qu’il a pu faire dans Happiness par exemple. Certes Kei est dérangeant, on nous le fait sentir, mais le dessin est assez conventionnel et n’a pas la force d’une représentation de la mère dans Les Liens du sang, pour le moment. Je reste donc sur ma faim.

Comme tous les Oshimi, Welcome Back Alice est une série qui se veut percutante et dérangeante, mais dans ce premier tome, l’auteur pose tout juste les bases et n’en dit pas assez pour voir la direction qu’il va prendre. Va-t-il se contenter des clichés énoncés pour le moment ou creuser un peu plus, un peu plus finement les questions de désirs et de genre qu’il aborde ? J’attends de voir car si j’ai été saisie dans un premier temps, une fois le souffle retombé, je me suis sentie un peu lésée et mal à l’aise face à tant de raccourcis.

 >N’hésitez pas à lire aussi les avis de : Floriane, Vous ?

Tome 2

Se lancer dans une série d’Oshimi, c’est toujours une expérience particulière et souvent ça passe ou ça casse. Je suis entre les deux avec Welcome back, Alice qui peine à pleinement me convaincre, voire me dérange même, mais me titille aussi sur certains points.

Le retour de Kei auprès de ces amis, en mode agitateur qui va venir secouer des sentiments enfouis, est clairement le moteur de l’histoire et cela réussi très bien. Il nous hérisse le poil. Il nous dérange. Il nous met mal à l’aise. C’est lui qui crée toute l’atmosphère de malaise de la série et quand on suit Oshimi, en général, on aime ça. De plus, ça nous pousse à nous questionner sur la notion de désir à l’adolescence, ce qu’on met derrière le mot « amour » mais aussi « relation amoureuse » et Oshimi y va frontalement, sans concession, secouant pas mal son second héros : Yohei.

Le problème, c’est qu’il manque également de nuance ce faisant. Avec quelqu’un comme Kei qui revient avec une autre identité de genre, il y a quelque à travailler qui ici n’est pas fait, ce qui est fort dommage et m’interpelle sur ce que cherche à faire l’auteur et son rapport avec les personnes en souffrance dans leur genre de naissance. Ici, j’ai l’impression que c’est presque moqué avec le côté excessif et perturbant, voire nocif, de Kei, et je trouve que ça ne devrait pas être le cas. Ça me dérange. De la même façon, pour interroger sur les notions d’amour et de couple, il va parfois trop loin et on assiste à une scène s’apparentant à un viol ou pas loin quand Kei masturbe contre son gré Yohei, même si on cherche à nous faire croire ensuite qu’il y a pris une forme de plaisir. Ça interroge vraiment sur le message d’Oshimi et je trouve celui-ci bien trop flou à ce stade.

Mais en même temps, je ne peux m’empêcher d’être fascinée par cette histoire adolescente qui se déroule devant moi où il suffit d’une personne un peu borderline pour faire bouger les lignes, et faire en sorte qu’une fille populaire, un peu en mal d’amour, s’intéresse au gentil looser du coin qu’elle connaît depuis toujours mais n’avait pas bien observé avant. Cela en dit long sur la représentation des amours adolescents, peut-être plus basés sur les apparences qu’une réelle compréhension de l’autre. Il y a aussi une forme de fascination dans la représentation de ce désir brut qui échappe à ces personnages, de même que les sentiments qu’ils y associent. Enfin, l’atmosphère pesante, étouffante, malsaine de ce Kei manipulateur, dont on peine à comprendre le désir réel, fascine. On a envie de le suivre pour le percer à jour et comprendre où l’auteur cherche à nous emmener avec ce drôle de trio. Ça reste donc fascinant et passionnant à suivre, même s’il y a également une grande économie narrative avec un dessin assez pauvre, des cases assez vides et une mise en scène des plus simples.

Pas le meilleur des titres d’Oshimi parvenu chez nous, Welcome back Alice est une lecture qui fascine autant qu’elle dérange mais où j’aurais aimé un message plus clair de la part de l’auteur dont les intentions sont forts floues. Je peine à m’attacher à ces personnages tant les situations dérangeantes s’accumulent de toutes parts. C’est aussi très classique dans le fond pour évoquer l’adolescence même si c’est plus cru que d’habitude. Je n’ai pas la même fascination que devant des titres comme Happiness, Les Fleurs du mal ou Les liens du sang.

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3 commentaires sur “Welcome back, Alice de Shûzô Oshimi

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