Livres - Mangas / Manhwa / Manhua

Ayako d’Osamu Tezuka

Titre : Ayako

Auteur : Osamu Tezuka

Année de parution vo : 1972-1974

Nombre de tomes vo : 2 tomes (1e édition) / 3 tomes (2e édition) *série terminée*

Résumé du tome 1 : Après-guerre au japon, L’occupant américain impose sa volonté au vaincu. Jusqu’a présent, la famille Tengé faisait loi à Yodoyama. Jiro Tengé, prisonnier de guerre, vient d’être rapatrié. Il est devenu agent secret au service des forces US. Il retrouve alors sa famille dont les liens se sont dénaturés, mais aussi une nouvelle petite soeur, Ayako, subissant le fardeau de la décadence de ses proches….

Mes avis :

Tome 1

Paru il y a quelques année chez Akata dans son édition en 3 tomes puis dans une grosse intégrale, cette série de Tezuka est désormais indisponible et/ou difficilement trouvable en France à un prix raisonnable. Je me suis donc tournée vers le marché américain, où elle est aussi sortie au format intégral chez Vertical Comics, pour pouvoir enfin la découvrir. Ça faisait des années que j’en avais envie mais le sujet de l’inceste me refroidissait. Cependant un excellent article paru dans un numéro hors-série des Editions H sur Osamu Tezuka m’a convaincue lui donner sa chance.

Ayako est un titre de Tezuka dans la lignée de l’Histoire des 3 Adolf que j’ai lu cette année qui a un petit côté polar bien appréciable. Le mangaka y brosse le portrait du Japon après la guerre tandis qu’ils vivent sous le joug des Américains. On découvre comment une famille de propriétaires terriens subit les nouvelles lois qui vont bousculer son quotidien. Un quotidien qui a de quoi choquer la lectrice occidentale du XXIe siècle que je suis, puisque le patriarche y est tout puissant et règne en semant la terreur chez son entourage. C’est un vrai despote et un pervers qui viole sa belle-fille avec qui il a eu une petite fille, le tout avec le consentement de son fils qui a échangé sa femme contre la promesse d’hériter seul de toutes les terres de la famille.

C’est dans ce contexte que revient l’un des fils de la famille, Jiro, qui a vécu dans un camp de prisonnier de guerre américain au lieu de mourir comme son père l’aurait souhaité. Jiro, qui a dû collaborer avec les Américains pour survivre, va rester à leur botte et se retrouver mêlé à des affaires bien troubles en ces temps où les Américains contrôlent tout au Japon et où en réaction les communistes émergent dans ce pays.

Osamu Tezuka, avec ce titre, est en plein dans la critique du Japon d’après guerre. Il utilise une famille clivante pour marquer les esprits mais dans ce premier tome, ce sont surtout les actes du fils prodigue qui revient à la maison qu’il met en avant. Cela lui permet d’évoquer une histoire vraie : l’affaire du meurtre du PDG des chemins de fer japonais à qui on avait demandé le licenciement sec de 95 000 employés, ce qu’il avait refusé. Il en profite aussi pour parler de l’émergence des communistes au Japon, de la lutte des classes, des problèmes liés à la reconstruction, etc.

Ce contexte historique est très fort dans le premier tome, rendant peut-être la lecture un peu lourde, même si c’est passionnant de suivre les aventures du troublé Jiro. L’histoire de leur famille si atypique passe un peu au second-plan et j’aurais aimé en voir un peu plus à ce sujet.

Tome 2

Dans le deuxième tome, Tezuka adopte un ton beaucoup plus intimiste. Il s’éloigne un temps de la grande Histoire pour s’intéresser à celle de la lente décadence de la famille Tengé déjà amorcée dans le précédent tome.

Ainsi on ne rencontre que très peu Jiro, si ce n’est pour voir au détour d’un chapitre qu’il a réussi en se reconvertissant dans l’économie souterraine en tirant profit de la Guerre de Corée. Tezuka n’oublie donc pas de continuer à nous conter l’évolution de la société japonaise d’après guerre. Il nous montre les nouvelles sources de profits que certains peuvent trouver mais cela est bien plus léger que dans le premier tome.

Il préfère ici se resserrer sur le drame qui se joue au sein de la famille Tengé. Ayako a été enfermée, payant pour un crime qu’elle n’a jamais commis, pendant que les autres continuent à mener leur vie. On assiste ainsi à la lente déchéance du patriarche dans un premier temps, suite à un AVC ; puis à la folie du fils aîné qui est tellement obsédé par son héritage qu’il va commettre un crime dont il n’arrive pas à se remettre et qui va le faire sombrer dans l’alcoolisme ; et enfin, à la décadence du plus jeune fils, qui va finir par céder aux traditions immorales de sa famille, se laissant entraîner au début malgré dans une relation contre nature mais s’y complaisant bien ensuite, ayant lui aussi sombré dans une certaine forme de folie.

Le portrait que le mangaka brosse de cette famille sur le déclin est sans concession. C’est d’une violence froide que j’ai rarement lue. On sent une vraie dégénérescence progressive dans cette famille qui ne parvient pas à évoluer avec son temps et s’enferme dans ses traditions et sa culture d’un autre temps. Seules les femmes tirent leur épingle du jeu, en apparaissant comme des femmes fortes malgré leur condition, que ce soit la mère « Iba » qui tient tête à son fils aîné, la mère d’Ayako « Sue » qui se dresse contre son mari après toutes ces années, ou encore la soeur « Naoko » qui semble avoir trouvé son bonheur ailleurs malgré son exclusion de la famille. Pour le reste, le portrait des hommes de la famille est bien triste et montre tout le pessimisme de l’auteur concernant cette vieille société japonaise rétrograde.

Tome 3

Dans ce dernier tome, Osamu Tezuka réunit enfin les deux pans de son histoire pour nous donner la conclusion tragique qu’on attend dans ce genre de drame familial.

Ça fait maintenant plus de 20 ans qu’Ayako est enfermée. Le monde a bien changé autour d’elle. Le Japon n’est plus le même qu’au sortir de la guerre et même dans les campagnes les temps changent. La famille Tengé se fait elle aussi rattraper par ce changement et c’est l’occasion pour l’auteur, à travers elle, de nous parler des changements économiques qui s’opèrent au Japon : développement des moyens de transports, diminution des superficies de terres cultivable, développement d’une économie souterraine en fort lien avec les hommes politiques, développement des villes, etc.

Les membres de la famille sont partagés face à ces évolutions, il y a ceux qui y participent : Jiro et Naoko, qui ont quitté le giron familial, et il y a ceux qui résistent encore et s’attachent à leurs traditions : Shiro, Ichiro et Iba. On ne saurait à les voir dire quel est vraiment l’opinion du mangaka puisque aucun n’a l’air vraiment heureux et épanoui. Jiro vit encore dans le passé et continue à envoyer de l’argent à Ayako pour soulager sa conscience. Naoko a bien changé physiquement mais n’a pas oublié son premier amour ni son désir de vengeance. Ichiro sombre de plus en plus dans l’alcool. Shiro est peut-être le seul à avoir encore un peu de niaque dans l’histoire mais il n’arrive pas à quitter la demeure familiale pour s’émanciper. Reste Ayako, qui seule, va profiter de cette situation pour enfin se voir libérée de son enfermement prolongé.

C’est toute la force de ce dernier tome, voir Ayako enfin libre et libérée. Tezuka lui a donné toutes les conditions pour qu’elle puisse enfin s’épanouir mais il n’oublie de montrer que sa longue captivité l’a profondément marquée. Ayako reste donc un personnage qui interpelle le lecteur. Elle a la naïveté d’un enfant, le corps et les désirs d’une femme, et les traumatismes d’une prisonnière. C’est donc troublant de la voir évoluer. Certains de ses comportements et surtout certaines des réactions en face de ceux qui la côtoient sont révoltants pour nous lecteurs. J’ai vraiment eu du mal avec ce personnage auquel je n’ai pas réussi à vraiment m’attacher comme j’ai pu le faire pour Shiro, Jiro ou Iba. J’ai l’impression qu’avec ses dernières années d’enfermement, elle a perdu tout l’esprit et l’intelligence qu’elle avait avant pour devenir cette femme dérangée et dérangeante qu’on voit dans les derniers chapitres.

La conclusion de l’histoire est par contre parfaitement trouvée. Elle a un côté très dramatique qui convient parfaitement au titre. L’espèce de huis clos dans laquelle elle se déroule est glaçant. Son côté ouvert pourrait en déranger certains, ce ne fut pas mon cas. J’ai par contre lu que celle-ci avait été modifiée par l’auteur qui avait publié une fin beaucoup plus conventionnelle au début.

En tout cas, j’ai été prise par la lecture de cette saga du début à la fin. J’ai énormément aimé voir évoluer la famille Tengé sous le regard de Tezuka et le Japon d’après guerre par la même occasion. C’est le genre de titres pour adultes que j’aime chez lui. Il y a une pointe de polar, du drame et de la critique sociale. La narration est fluide. Le dessin est daté mais la mise en page est bourrée de bonnes idées et est très dynamique. Pour moi, Ayako fait parti de ses meilleurs titres et il faut le lire !

Ma note : 15 / 20

Bonus :

Pour ceux souhaitant en apprendre plus sur Tezuka et avoir une analyse de ses oeuvres, son style, etc. Je vous invite à lire le numéro qui lui est consacré dans la revue Manga, 10 000 images des Editions H et qui s’intitule : Osamu Tezuka, dissection d’un mythe, disponible ici.

J’ai relu la revue en parallèle de ma lecture d’Ayako et elle est vraiment très éclairante. Certains articles sont peut-être un peu redondants et d’autres moins intéressants que d’autres, mais on apprend plein de choses. Un article est consacré en soit à Ayako et le coin des chroniques sur les titres parus en France donne très envie et m’a fait regretter de ne pas avoir acheté certains titres à l’époque ^^

5 commentaires sur “Ayako d’Osamu Tezuka

  1. Je l’avais lu il y a quelques années, enfin peut-être seulement le tome 1. J’avoue que je m’étais arrêtée au côté un peu glauque qui m’avait estomaquée, mais c’est la même chose avec L’Histoire des 3 Adolf que j’ai au boulot, le premier m’a suffit !

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  2. Je comprends pourquoi tu as choisi de présenter ce titre pour le TTL sur le thème de la maltraitance. Cette série semble révoltante, dure et passionnante à la fois notamment pour le contexte historique exploité et mis en parallèle avec le déclin d’une famille dont je n’aimerais pas faire partie… De ce que tu en dis, je vais avoir du mal à la trouver, mais si par miracle, ma bibliothèque mettait la main dessus ou que je trouvais l’intégrale d’occasion, je me plongerai dans cette histoire sans hésiter. Merci de présenter régulièrement des titres que l’on ne trouve pas partout !

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    1. Quand j’ai écris cette chronique, Delcourt-Tonkam ne l’avait pas encore réédité. Maintenant, le titre est beaucoup plus accessible, je pense et je vois bien l’intégrale qui a été sortie dans les bibliothèques, c’est presque conçu pour elles ^^
      Merci pour ton compliment, j’avoue que j’aime bien les titres un peu différents (*la fille qui aime surtout ce qui ne se vend pas xD*)

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