Livres - Mangas / Manhwa / Manhua

L’Oxalis et l’Or d’Eiichi Kitano

Titre : L’Oxalis et l’Or

Auteur : Eiichi Kitano

Éditeur vf : Glénat (seinen)

Année de parution vf : Depuis 2020

Nombre de tomes : 5 (en cours)

Histoire : 1849. L’Irlande est décimée par la Grande Famine, qui a coûté à Amelia et Conor leurs familles et leur ferme. Les deux adolescents errent dans la campagne et fouillent des cadavres pour subsister, avec un seul projet en tête: émigrer aux États-Unis d’Amérique et prendre part à la ruée vers l’or en Californie, qui vient de commencer. Après les épreuves qu’ils ont endurées, et surtout la mort terrible du jeune frère de Conor, ils pensent ne pouvoir trouver le bonheur qu’en devenant riches à millions et en se mettant ainsi à jamais à l’abri du besoin. Parviendront-ils à réaliser ce rêve américain, malgré les nombreux obstacles qui se mettent en travers de leur chemin ?!

 Mon avis :

Tome 1

J’ai toujours été de tout temps amatrice de récits historiques et encore plus quand je connais mal le sujet comme c’est le cas ici avec le thème de la ruée vers l’or des Irlandais fuyant la famine ravageant leur pays au XIXe siècle. Du coup, quand j’ai vu que Glénat proposait un manga sur ce thème, j’en ai été ravie. C’est une fois de plus la preuve qu’on peut écrire sur tout et n’importe quoi du moment qu’on sait comment le raconter.

L’Oxalis et l’Or est un seinen issu de l’Ultra Jump de Shueisha où Eiichi Kitano fait ses armes après deux courts titres plus orientés shonen parus dans la première moitié des années 2010. Sa série actuelle avance tranquillement à un rythme mensuel et propose actuellement 4 tomes au Japon sans être finie pour autant.

Dans ce seinen, le mangaka allie Histoire, drame et humour. Il s’est documenté sur la Grande famine de la patate qui a eu lieu en Irlande au milieu du XIXe siècle et qui a fait des ravages là-bas, poussant tout une partie de la population à accélérer son immigration vers les Etats-Unis où à la même époque on a découvert les premières mines d’or californiennes. C’est donc dans cette ambiance dramatique d’un côté et pleine d’espoir de l’autre que va évoluer notre héroïne, une jeune fermière affamée de 14 ans et son domestique.

J’ai trouvé le sujet vraiment très intéressant et bien traité par rapport à ce que j’en connaissais. L’auteur nous raconte bien comment la famine a eu lieu, ses conséquences et rend crédible les actions de l’héroïne aussi bien en Irlande que sur le bateau et ensuite aux Etats-Unis. Le récit de la traversée correspond aussi à ce que l’on en sait avec ses problèmes d’hygiène et de mortalité. Il en va de même avec la vie à New York quand on est immigré pauvre et Irlandais. Le phénomène des bandes est par exemple bien documenté et parfaitement retranscrit ici, rappelant l’excellent Gang of New York de Scorsese. Rien ne nous est épargné. Le monde dont il est question est très dur. On voit la misère la plus extrême, on entrevoit une forme de cannibalisme, on découvre la violence. Mais l’auteur laisse aussi une porte ouverte pour qu’on ait de l’espoir, grâce à cette opportunité qu’offre une nouvelle vie, ailleurs, dans un pays qui potentiellement permet de s’enrichir si on a de la chance. C’est le mythe de la ruée vers l’or.

Le problème dans tout ça, c’est que même si le récit est intéressant et bien documenté, la narration, elle, pêche. J’ai eu le sentiment que l’auteur ne trouvait jamais le juste ton pour raconter son histoire et ça m’a vraiment gênée. Il y a tout d’abord un humour incongru et inopportun qui surgit bien trop souvent à des moments où l’histoire se veut dramatique, ce qui casse tout. Et à l’inverse, il y a des moments où le drame est bien trop surjoué pour être crédible, du moins dans l’expression de celui-ci sur les visages des personnages. Du coup, ça rend l’histoire bien moins crédible et c’est fort dommage.

A cause de cela, je n’ai pas vraiment adhéré aux personnages. Je trouve la jeune Amelia un brin surfaite, pour ne pas dire, pas très crédible. Son entrain exagéré m’a tapé sur le système parfois tant il était en contradiction avec l’ambiance sombre de part ailleurs. Je comprends l’intention d’en faire ainsi un élément moteur, mais ça n’a pas fonctionné avec moi. Son fidèle valet, Conor, est totalement transparent. C’est le cliché du domestique par excellence et il n’apporte pas grand-chose. A la limite, les personnages secondaires croisés au passé toujours lourd et dramatique sont plus intéressants, que ce soit l’homme ayant perdu sa fille avec la famine alors qu’il comptait lui aussi émigrer avec elle, ou le jeune garçon qui a pris l’identité d’un autre pour repartir à zéro, voire même le chef de gang qui déteste les Irlandais à cause de leur affluence trop importante qui menace les siens. Ils sont, pour moi, mieux construits et plus creusés que l’héroïne, un comble.

C’est dommage parce que l’aventure est bien menée. Elle est racontée de manière prenante. On a envie de voir ce qu’il va advenir de l’héroïne, si elle va réussir à partir, puis si elle va survivre à la traversée, puis si elle va réussir à faire fortune aux Etats-Unis. Chaque étape est bien racontée et prenante. Le contenu est vraiment intéressant, c’est l’emballage qui pêche en quelque sorte.

Les dessins, eux, sont par contre tout a fait satisfaisants. Ils sont dans la veine de ce qu’on attend d’un seinen historique avec suffisamment de détails et de réalismes pour être crédibles. Dans leur tonalité et leur style, ils me rappellent un peu ceux de Taro Nogisaka (La Tour Fantôme, Le 3e Gédéon). Rien de particulièrement bluffant mais un travail de qualité qui permet de bien s’immerger dans l’univers et d’en ressentir toute l’âpreté et la misère.

Je pensais vivre un véritable coup de coeur avec ce titre, j’en ressors un brin déçue. Si l’univers est vraiment convaincant et rend à merveille ce que l’auteur cherche à exposer de notre histoire, je suis moins convaincue par l’enrobage narratif qui manque d’équilibre et de nuances. C’est un premier tome, on va donc dire que la série ne demande qu’à laisser épanouir son potentiel.

Tome 2

Une fois accepté le concept de l’histoire et surtout la drôle de narration de l’auteur qui aime glisser un humour un peu lourd aux pires des moments l’Oxalis et l’or offre vraiment une belle aventure.

J’ai préféré ce tome au précédent. Je l’ai trouvé plus lumineux, plus entraînant, propice à plus de rencontre et me faisant plus voyager. Le tome s’ouvre à New York, avec Bill the Butcher, un chef de gang important qui déteste les Irlandais et qu’on veut forcer à faire en quelque sorte la paix avec eux pour apparaître plus propre et propice à être élu à la tête de la ville. Avec Bill, nous découvrons une facette importante de ce voyage, celles de ces Américains amoureux de leur ville, de leur bout de terre, même si tout est totalement fou autour d’eux. C’est un amour irraisonné mais vraiment puissant. J’ai beaucoup aimé suivre l’aventure de ce personnage, une aventure avec de belles magouilles politiciennes mais aussi des émotions fortes ancrées en chacun et terriblement humaines,car l’humain est vraiment au centre de cette série.

La suite l’illustre également avec les belles et drôles de rencontres que font Amelia et Conor sur leur chemin pour rejoindre Baltimore pour ensuite aller en Californie dans leur quête d’une mine d’or. L’auteur s’amuse à mettre une autre figure connue sur leur passage, après celle de Bill the Butcher. C’est au tour de Manjiro/John Mung, un célèbre voyageur japonais, d’entrer en scène. On découvre avec lui un autre pan de l’Amérique, celui des baleiniers, ce métier célébré dans Moby Dick. Mais c’est aussi l’occasion de découvrir l’immensité du territoire américain et de mettre à l’épreuve la détermination de l’héroïne. Manjiro étant quelqu’un d’éminemment sympathique, on devine vite comment cela va finir. C’est d’ailleurs un des reproches à faire la série : c’est prévisible et porté sur le happy end malgré les difficultés qu’ils traversent.

L’autre rencontre qu’ils font ensuite est plus cocasse, ce n’est pas un personnage célèbre, ça change, mais plutôt un type lambda comme eux, qui devenir un compagnon de route et l’occasion de revenir sur le passé d’Amelia et Conor. Classique, ils avaient besoin d’autres personnages un peu plus récurrents autour d’eux pour ne pas avoir toujours la même dynamique répétitive. A voir comment cela sera utilisé par la suite.

Pour le reste, la narration est toujours un peu bancale. L’auteur ne peut pas s’empêcher de faire de l’humour. Ça doit sûrement lui plaire à lui, mais pour nous lecteurs français, du moins, ça tombe souvent à plat, ou bien c’est trop excessif, ou bien ce n’est pas le bon moment. Bref, ça casse le sérieux de l’intrigue et c’est bien dommage. Cela rend la lecture un peu fatigante et on a du mal à adhérer aux personnages puisque tout est excessif. Cela noie un propos pourtant intéressant et une aventure qui mérite d’être racontée. Cela fait perdre toute la richesse du travail de recherche de l’auteur qu’il nous livre d’ailleurs brièvement en fin de tome dans les bonus. Dommage.

Il faut donc arriver à mettre de côté cette narration poussive et maladroite, pour vraiment prendre plaisir à suivre l’aventure des deux héros, qui vraiment est belle et riche en enseignements, et offre un récit intéressant de cette période clé de l’Histoire des Etats-Unis qui n’avait pas encore été portée en image chez nous. Je croise les doigts que cela s’améliore par la suite.

Tome 3

Après deux tomes aux thématiques intéressantes mais à la narration poussive et maladroite, Eiichi Kitano semble avoir progressé et trouvé une meilleure voie pour avancer.

Amelia et Conor sont enfin bien sur les routes américaines à la poursuite de leur rêve de fortune après une traversée chaotique et une brutale découverte de la réception des Irlandais à New York. Cependant, ils n’ont pas laissé tous leurs malheurs derrière eux et encore bien des épreuves les attendent. Mais c’est avec courage et sourire qu’ils vont les surmonter.

Cet esprit toujours positif est vraiment la clé ici. Avec une certaine naïveté rafraichissante, l’auteur met en scène une Amelia toujours prête à avancer envers et contre tous mais en restant fidèle à elle-même et c’est ce qui m’a séduit ici. J’ai trouvé ses aventures bien plus intéressantes car on la voit se frotter à la réalité et faire des rencontre qui vont la faire avancer.

Dans un premier temps, il y a cette rencontre d’un couple endeuillé à Baltimore où elle révèle sa terrible honnêteté et sa grande capacité d’adaptation. Ce sont des chapitres qui se veulent poignants mais réconfortant car ils reposent sur l’idée que quand on veut on peut, malgré les souffrance, malgré la misère. On adhère ou pas à l’idée mais cela rend la lecture positive et pleine d’allant.

Cependant malgré cette envie de positiver, l’auteur n’oublie pas de mettre en scène la grande difficulté qu’il y avait à vivre à l’époque. L’âpreté des Etats-Unis sauvages n’est rien comparé à la misère que ces Irlandais ont vécu chez eux lors de la terrible famine qui les a accablés, et c’est très bien rendu ici, sans misérabilisme pourtant.

La seconde partie est plus fun et étrange de part la rencontre d’un homme atypique qui voyage pour dessiner / peindre les paysages qu’il fantasme de découvrir dans cette Amérique encore sauvage et non dénaturée. Il va secouer les puces de nos héros, les faisant se confronter à une réalité sur laquelle ils avaient un peu fermée les yeux. Il leur rappelle la dangerosité de leur voyage. Mais surtout cette rencontre pousse l’auteur à approfondir et expliquer mieux la relation Amelia – Conor où l’on peut trouver étrange la grande dépendance de cet homme puissant envers une frêle jeune fille. Alors que je ne m’y attendais pas, j’ai trouvé que c’était fait avec une certaine subtilité sous l’humour parfois un peu outrancier de la série.

D’ailleurs cet humour mal dosé était souvent ce que je reprochais à la série dans les deux premiers tomes, je n’ai pas du tout ressenti ça dans ce tome, comme si l’auteur était enfin parvenu à trouver le juste équilibre pour le distiller dans son récit, ça fait du bien.

Ainsi avec des aventures plus riches et plus rythmées, le voyage d’Amelia et Conor avance bien ici. L’auteur sait associer avec subtilité passé et présent pour pousser nos héros à avancer et à prendre conscience de toutes les implications de leur voyage. Un voyage qui se veut initiatique et dans lequel ils mûrissent à chaque étape.

Tome 4

A venir

Tome 5

J’avais laissé Amelia et Connor à leur aventure pour se rendre dans le Far West et y trouver la richesse. Je les retrouve en cours de chemin avec de nouveaux compagnons, se frottant à la réalité de l’Amérique profonde, celle loin des grandes villes. Oeuvre classique permettant au lecteur de parcourir ces grandes étendues, L’oxalis et l’or offre aussi un portrait historique intéressant de l’Amérique du XIXe siècle.

Dans ce tome qui se découpe en deux parties distinctes et se termine un peu rapidement pour laisser place à une histoire courte pas inintéressante mais frustrante, j’ai pris plaisir à retrouver notre duo. Eiichi Kitano revient longuement dans un premier temps sur le drame de l’esclavage. En se plaçant dans une plantation différente des autres où le maître traite ses esclaves avec humanité afin d’obtenir un havre paix, le mangaka détonne. Il ouvre de nouvelles perspectives aux lecteurs et insiste d’autant plus sur les horreurs que ces hommes et femmes subissent ailleurs mais également sur l’importance de la simple notion de liberté même quand on est traité humainement. En effet, il ne suffit que pendant une génération un homme les traite bien pour que ça résolve tout. L’esclavage a à être aboli et j’ai beaucoup voir cela dans l’oeuvre à travers le personnage de Ross, cet esclave en fuite, pour qui la liberté est si importante.

D’ailleurs à travers ce biais, l’auteur se permet de revenir également sur la relation qui noue Amelia et Connor, une relation de dépendance où peut-être chacun doit gagner sa liberté pour mieux s’épanouir. En cela, ça m’a plu que la seconde partie offre de voir Amelia sans lui, avec Isaiah, cet homme terriblement excentrique qui la bouscule. Avec lui, la voilà repartie sur les routes, plus précisément à Cincinnati d’où ils comptent bien poursuivre leur chemin vers l’ouest. C’est un duo détonnant aux côtés duquel nous poursuivons nos découvertes sur ce que ça signifiait d’être des pionniers et d’entreprendre un tel voyage. Le ton est léger, humoristique, mais le fond est sérieux, lui, que ce soit dans la recherche d’un nouveau camarade, des conditions pour rejoindre une caravane, dans la constitution du trousseau pour faire le voyage, ou quant à la façon de gagner rapidement des sous. L’auteur se sert vraiment habillement de détails historiques précis, rendant son décor vraiment réaliste par moment, comme lors de la confection des beaten biscuits. J’aime apprendre ainsi.

L’aventure est donc toujours au rendez-vous dans cet univers âpre et rude et l’auteur enrichit sans cesse sans univers, en nous faisant aller d’un lieu à l’autre, lieu reculé ou ville, en nous faisant faire de nouvelles rencontres, ingénieur, aventurier ou professeur. C’est vraiment riche et plaisant à lire malgré l’ambiance parfois pesante du contexte où cela se déroule. C’est un bon mélange.

Sortant de plus en plus discrètement au milieu des autres titres, L’oxalis et l’or a pourtant de bien belles qualités qui s’affirment au fil des tomes après des débuts un peu maladroits et criards. Son traitement fin et nuancé de l’esclavagisme dans ce tome m’a vraiment plu, tout comme la poursuite du voyage des héros et le flashback sur la vie de Connor, Amelia et leur ami Kyle, en Irlande. Une série qui gagne à être connue.

(Merci à Sanctuary et Glénat pour ces lectures.)

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© 2019 by Eiichi Kitano / © 2020, Éditions Glénat

6 commentaires sur “L’Oxalis et l’Or d’Eiichi Kitano

  1. Tu rejoins certains avis que j’ai pu lire sur ce problème de narration avec un humour qui tombe à plat et qui ne semble jamais à-propos. Si ça risque de me gêner un peu, je ne pense pas que ce soit rédhibitoire pour moi même si je pense que la personnalité d’Amelia risque de m’agacer…
    Je trouve intéressant dans tous les cas d’évoquer la Grande famine irlandaise dont je ne connais que les grandes lignes.
    Et c’est peut-être un peu idiot, mais le décalage de ton entre les couvertures VO et VF me perturbe un peu parce que l’esthétique semble renvoyer à des contenus assez différents, l’un sombre et l’autre presque enfantin…

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    1. Oui je crois qu’on est plusieurs à avoir noté ces défauts malheureusement…
      Pourtant comme tu dis le sujet est intéressant.
      Quant aux couvertures, il me semble que Glénat a repris fidèlement celles d’origine et donc que le décalage que tu ressens vient plus de l’auteur ^^!

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  2. C’est tellement dommage pour les protagonistes et l’humour… L’histoire avait l’air très intéressante, surtout que ce n’est pas un pan de l’Histoire très commun dans les lectures graphiques. Je garde le titre dans un côté de ma tête par curiosité, mais ça ne sera pas une priorité !

    Aimé par 1 personne

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