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Si nous étions adultes… de Takako Shimura

Titre : Si nous étions adultes…

Auteur : Takako Shimura

Traduction : Jordan Sinnes

Éditeur vf : Akata (L)

Année de parution vf : Depuis 2021

Nombre de tomes vf : 8 (en cours)

Histoire : Ayano est professeure d’école primaire. Un soir, après une longue journée de rencontres avec les parents des élèves, elle décide de faire un détour avant de rentrer chez elle. Dans le petit bar-restaurant qu’elle aime fréquenter, elle rencontre Akari. Entre elles, le courant passe très vite… Sous l’effet de l’alcool, les deux femmes finissent par s’embrasser. Mais Ayano n’est pas aussi libre qu’elle le laisse paraître…

Mon avis :

Tome 1

Après avoir raté le coche lors de la sortie des Fleurs Bleues, je me rattrape, comme d’autres lecteurs je l’espère, grâce à Akata qui nous propose à nouveau des titres de la singulière Takako Shimura. Après Comme un adieu qui fut une lecture d’abord étrange puis coup de poing, je me relance dans une nouvelle aventure avec Si nous étions adultes… un josei au démarrage aussi compliqué, étrange et malaisant que son prédécesseur.

Pour cette autrice qui avait disparu de nos radars, Akata a fait le choix de la relancer à la fois avec son titre court Comme un adieu, dont nous venons d’avoir la conclusion, et avec Si nous étions adultes… qu’ils publiaient en parallèle en numérique chapitre par chapitre, ce qu’ils poursuivent en plus de la sortie en reliée désormais. C’est le dernier titre en cours de l’autrice mais on aimerait bien la découvrir ensuite dans ses titres plus anciens si les actuels fonctionnent car elle a vraiment un style étrange et percutant bien à elle.

Sa nouvelle histoire commence par un rythme lent et entêtant, une narration douce et tranquille mais qui assène des vérités qui font mal. Nous faisons la rencontre de deux héroïnes atypiques : une femme mariée, Ayano, qui pour la première fois succombe au charme d’une autre femme et une femme lesbienne, Akari, qui ne fait que tomber dans des relations compliquées, par exemple avec des femmes mariées ou qui vont le devenir. Avec elle, nous avons le portrait de la vie difficile d’une femme lesbienne au Japon et ce n’est pas la rencontre des deux qui va améliorer les choses.

Akari et Ayano se rencontrent un soir dans un bar, alors que la première veut décompresser un peu de son boulot d’instit et de sa vie de femme mariée. Le problème, c’est qu’à aucun moment elle n’en parle à Ayano et que les deux se sentent irrémédiablement attirée l’une par l’autre, et se lancent dans quelque chose de nouveau. Mais très vite le statut marital d’Ayano va venir compliquer les choses sans que leurs sentiments ne puissent être étouffés. L’autrice ose donc nous conter une histoire d’adultère, une histoire de quête de soi.

Entre les mains de Takako Shimura, l’étrangeté de son titre, le thème central de l’adultère, deviennent tout de même un récit qui se veut naturel et nonchalant. Nous suivons avec curiosité et non sans émotion nos deux héroïnes en quête d’elles-mêmes mais un peu à la dérive quand même. Elles cherchent à savoir qui elles sont vraiment et ce qu’elles veulent vraiment. La franchise des deux femmes surprend, notamment chez Ayano, la femme mariée, SPOILER : qui en parle même à son mari. C’est étrange, singulier, ça interpelle. On ne sait pas vraiment sur quel pied danser. Faut-il les apprécier ou les juger ? S’émouvoir de leur quête ou leur reprocher ce qu’il se passe ?

J’ai trouvé ce portrait d’adultes dans la trentaine, de leur vie tranquille et de leurs sentiments de désœuvrement assez réaliste. Il y est question de l’emploi alimentaire vs emploi plaisir/passion, des enfants, du mariage et de la pression que fait ressentir la société japonaise à ces sujets. L’autrice ose vraiment mettre le doigt sur ce qui pose question et ce qui pose problème même encore à l’heure actuelle alors qu’on pensait que la société avait évolué. Ce malaise des personnages, c’est celui d’une génération, qui se reconnaîtra certainement dans ce que relate Takako Shimura.

A côté de ça, son beau dessin est doux avec un travail sur les regards qui attrapent et happent le lecteur par leur profondeur et leur richesse. La froideur apparente d’Ayano devient un masque derrière lequel elle se cache, tout comme la naïveté qu’elle déploie. L’assurance d’Akari est également une façade pour cacher ses souffrances et ses doutes. Ce sont deux très belles femmes sous le trait de la mangaka, mais deux femmes fragiles quand on regarde dans leurs yeux. Et le découpage très sobre propre au josei qu’on retrouve dans le style de la mangaka ne fait que renforcer chaque émotion.

Au final, à nouveau comme dans Comme un adieu, ce premier tome est étrange et ne permet pas vraiment de savoir vers où va nous mener l’autrice, mais ayant adoré la conclusion de sa précédente série, je lui fais confiance. Le voyage risque d’être rude et complexe mais je suis sûre qu’il me touchera. Déjà, j’aime énormément le ton de vérité qui se dégage du titre. Ça me fait d’autant plus regretter d’avoir manqué son tout premier titre chez nous, auquel il est fait référence en couverture du dernier chapitre, et j’aimerais beaucoup voir Wandering Son (Infos) dont les thématiques à fleur de peau ont aussi l’air superbes.

 >N’hésitez pas à lire aussi les avis de : Les instants volés à la vie, Vous ?

Tome 2

Décidément comme avec son titre précédent disponible chez Akata, Takako Shimura nous offre une oeuvre vraiment singulière et difficile à cerner mais avec un travail pointu sur la psychologie de ses personnages qui me séduit assez.

Si nous étions adultes… porte très bien son nom avec ses personnages qui se caractérisent par leur absence de certitude sur leurs sentiments et désirs, et qui avancent à tâtons dans leur vie. C’est encore plus saisissant dans ce tome où du coup j’ai eu un sentiment assez ambivalent moi aussi vis-à-vis des personnages, ne sachant si je les appréciais ou s’ils m’agaçaient. C’est pour moi la preuve d’une belle écriture très humaine car l’autrice rend à merveille leurs multiples facettes, même celles pas très reluisante.

Alors que le premier tome se concentrait sur la rencontre qui allait bouleverser la vie d’Ayano, le second lui s’intéresse plus à son mariage et sa vie de famille au sens large. C’est un choix osé et intéressant car le lecteur s’attendait peut-être un peu trop facilement à voir l’intrigue prendre un tournant plus romantique surtout au vu des aveux de l’héroïne. Cependant l’autrice ose montrer que ce n’est pas si simple, surtout dans une société aussi patriarcale et contraignante vis-à-vis des femmes que la société japonaise. J’ai été frappée par les interactions entre Ayano et son mari, Wararu. Ce dernier me perturbe beaucoup. A la fois, il accepte l’aventure de sa femme et en même temps refuse de se séparer d’elle. Sa famille fait d’ailleurs peser sur elle le poids de ce qui a eu lieu, ça je veux bien, mais en profite pour la culpabiliser et la coincer dans un mariage sans avenir. C’est terrible.

Il est alors étrange de voir Ayano continuer à approfondir sa recherche sur ces sentiments naissants pour une autre femme, alors qu’elle est de plus en plus coincée dans ce mariage et cette relation familiale, allant même jusqu’à emménager chez ses beaux-parents. Pour autant, elle va voir Akari, répond à ses appels et à ses demandes de la voir, laissant entendre qu’elle est bien accrochée. Elle repense même à son probable premier amour, se rendant compte avec le recul de ce qui a vraiment eu lieu. Et dans le cadre pro, elle ouvre de plus en plus les yeux sur les relations saphiques qu’entretiennent peut-être des élèves de son école. Ainsi, c’est cette ambivalence entre un quotidien de plus en plus oppressant et contraignant dans une relation maritale non souhaitée et cette liberté de penser dans laquelle elle s’épanouit et réalise ses sentiments homosexuels, qui me perturbe.

Mais l’autrice est vraiment forte pour nous faire comprendre toute la complexité de ce moment, tout comme j’ai énormément aimé qu’elle ajoute à son histoire un personnage tel qu’Eri, la soeur de Wataru qui vit isolée chez ses parents et passe par des phases dépressives extrêmement lourde. Elle semble être une hikikomori mais est loin des clichés habituels et l’autrice met beaucoup de finesse dans sa description et celle de ses symptômes au quotidien et de sa façon d’appréhender la vie. J’y ai vu beaucoup de bienveillance et en même temps un regard lucide, ce qui m’a fait reconsidérer mon avis sur la mère de Wataru que j’ai finalement trouvé très ouverte et sensible à sa façon toute japonaise où il ne faut pas faire de vague.

Ce n’est donc pas avec ce deuxième tome que je peux encore vraiment me prononcer sur cette étrange série. Elle continue à m’interpeller, me perturber et m’émouvoir, ce qui est déjà pas mal. Mais elle me met aussi très mal à l’aise dans sa description d’une certaine société japonaise et j’ai du mal à comprendre certains de ses choix qui me prennent à contre-pied. Cependant, elle met une telle finesse dans l’écriture de la psychologie de ses personnages où elle se refuse à la facilité que ça me plaît quand même beaucoup.

Tome 3

J’ai beau trouver le propos général de la série totalement flou et n’avoir aucune idée de là où nous emmène l’autrice, je ne peux que saluer l’émotion et la pudeur qu’elle met dans ce récit humain très complexe où chacun se cache derrière un masque dont il cherche à se débarrasser avec difficulté.

Takako Shimura nous offre ainsi dans ce nouveau tome plusieurs portraits à nouveau singulier qu’on se plaît à suivre. Il y a bien sûr les deux femmes phares de la série mais également le mari de l’une d’elle, la soeur de ce dernier, sa mère et même les petits filles de la classe de l’une d’elle. Tous ont quelque chose d’intéressant à raconter et l’autrice leur laisse la parole, ce qui est très beau.

J’ai toujours autant de mal à cerner l’histoire d’Ayano et Akari tant elle correspond à une façon de vivre que je trouve très japonaise dans la pudeur des sentiments non-exprimés et réprimés, mais aussi dans la dimension familiale de la vie d’Ayano qui se sent obligée d’accepter le refus de son mari de divorcer et de vivre avec sa belle famille par dessus le marché. Ainsi, on la voit de plus en plus s’effacer derrière lui. C’est flagrant dans ce tome où après avoir emménager près d’eux sans le savoir, Akari se retrouve à nouer une drôle d’amitié avec le mari ! L’autrice nous embarque ainsi dans une valse des sentiments qui sont une première dans un manga pour moi, avec ce triangle amoureux totalement contre-intuitif.

Cependant, je ne peux m’empêcher d’être touchée par la sensibilité qui est mise dans l’écriture des personnages et qui transparaît à chaque page. C’est notamment le cas avec Akari, qui est au coeur de ce tome, et qui nous raconte ses expériences passées avec émotion, que ce soit son amour à sens unique avec sa professeure ou ses expériences ratées avec ses ex-. J’aime la voir se relancer dans sa passion : la coiffure. J’aime la voir interagir avec les clients. C’est amusant de la voir aussi nouer des relations amicales avec le mari et la belle-soeur d’Ayano. Ça colle bien entre eux. J’aime train train quotidien qui s’installe entre eux même s’il est fait de beaucoup de non-dits, il me semble quand même y voir une authenticité dans le plaisir qu’ils prennent à se côtoyer.

La mangaka a cependant d’autres choses à dire que cette relation triangulaire qui s’en lise. J’aime beaucoup qu’elle aborde de manière sous-jacente la vie de la belle-soeur d’Ayano : Eri, qui vit enfermée chez elle très souvent parce qu’elle souffre de troubles psy probablement. C’est beau de la voir sortir, s’ouvrir, tenter de nouvelles expériences avec les autres, que ce soit les petits du quartier avec qui elle prépare une fête, ou Akari avec qui elle discute ce qui lui donne des idées. Je trouve ce personnage touchant et j’aimerais qu’on en montre plus de son genre dans les mangas, tout comme sa mère qui sous ses dehors de belle-mère envahissante est top avec sa fille, la comprenant parfaitement et n’en faisant pas trop.

Il y a aussi les petites de la classe d’Ayano, qui sortent ensemble en cachette. Et oh mon dieu, que ça fait du bien de montrer des petites d’une dizaine d’année qui peuvent être lesbiennes et s’aimer. On a tellement l’impression que c’est tabou de montrer des enfants avec de tels sentiments que leur pureté me met du baume au coeur. Bien sûr, tout n’est pas rose pour elle et elles se cachent dans cette société où l’homosexualité est encore pointée du doigt, mais elles ont trouvé quelqu’un de compréhensif en Ayano, qui s’est faite leur alliée.

Tout cela est comptée avec beaucoup de sensibilité par une autrice dont on sent que les questions d’intimités la touchent et qu’elle a envie de transmettre ses sentiments dessus. Elle nous offre ainsi une oeuvre multicolore où on retrouve aussi bien une lesbienne adulte assumée, qu’une encore dans le placard, un homme marié amoureux mais malheureux, une jeune femme qui a peur du monde extérieur et vit enfermée chez elle, une mère courage un peu à l’ancienne qui fait de son mieux pour ses enfants mais qui n’a rien de détestable, ou encore des jeunes enfants encore purs mais confrontés à une société qui pourrait les rejeter. Chacun a un mal être mais chacun est lumineux à sa façon. Tous ont des choses à nous apprendre et l’autrice leur offre un bel espace de parole. Je me demande juste où tout ça va nous mener car pour l’instant nous sommes dans une espèce de tranche de vie qui ne dit pas son nom avec leur vie au boulot, dans leur quartier, à la maison. Et je ne vois pas trop la direction finale que ça pourra avoir…

Je suis cependant émue par la finesse du trait et du travail psychologique fait par Takako Shimura sur ses personnages et les situations compliquées qu’ils vivent. J’aime l’espoir qu’elle nous fait ressentir derrière. C’est émouvant et lumineux à la fois même avec ces personnages torturés par la vie.

Tome 4

Takako Shimura est décidément une autrice qui aime gratter là où ça dérange. Si les premiers tomes m’ont parfois mis mal à l’aise à cause de cela, la voie commence à s’éclaircir ici et je trouve l’analyse sociologique de ces couples bancals de plus en plus fascinante.

Le thème de la série n’a rien de facile au premier abord : l’adultère et la séparation, mais il est traité ici avec beaucoup de justesse. La mangaka prend en effet son temps depuis le premier tome pour en aborder toutes les nuances. Il y a d’abord eu la tromperie et la découverte de possibles sentiments lesbiens, puis l’aveu et l’empêchement de se séparer, la tentative de réconciliation et de vivre comme si de rien n’était, et maintenant l’acceptation et l’évolution car ce n’est pas possible de rester avec un tel statu quo. J’aime.

L’autrice ne reste jamais sur une vision enfermante. Elle propose au contraire de suivre les réflexions parfois douloureuses de ses héros. Si j’ai eu beaucoup de mal avec Ayano au début, je trouve son personnage de plus en plus intéressant. On voit vraiment le cheminement de cette petite épouse japonaise typique, discrète et soumise, qui tente de se sortir de l’enfermement qu’elle subit à cause du mariage et de la façon dont la société japonaise voit les femmes. Sous ses durs doux et affables, elle lutte pour s’affirmer et c’est très intéressant, car c’est fait sans cris, sans drame, mais juste avec force et courage, sans rien lâcher. On la voit donc réfléchir sur elle-même, prendre sa décision, avancer et prendre conseil pour cela, avant de l’annoncer et d’avancer sans se retourner. Bravo à elle !

Pourtant cela n’a rien de simple et on nous le fait bien comprendre à travers son histoire mais également celle de ses jeunes élèves, qui tout comme elle, on du mal à vivre pleinement leur relation. J’ai aimé qu’avec son regard assez scrutateur et analysateur, Takako Shimura nous montre les réactions des gens autour d’Ayano. On voit combien le mari est perdu, trop habitué à être dans un moule transmis par sa mère et la société. Il ne sait penser et agir par lui-même. On voit combien c’est inimaginable pour sa mère et tout ce qu’elle tente pour faire revenir Ayano sur sa décision. Mais il y a aussi une jeune génération plus ouverte, comme Eri, la belle-soeur, qui ne semble pas réprouver cela et aimerait peut-être elle aussi réussir à sortir de ce carcan. Il y a aussi cette collègue qui va la conseiller et cette avocate qu’elle va aller voir. Elle n’est donc pas seule.

Mais il reste qu’on sent bien la pression de la société face à ce qu’elle considère comme une déviance, une femme qui souhaite divorcer parce qu’elle a eu une aventure et a des sentiments pour une autre femme. Sans aller aussi loin, on sent qu’il en va de même pour les deux petites élèves d’Ayano dont on commence à nous raconter l’histoire en parallèle. Leur rapprochement n’a pas été du goût d’une autre de leurs amies qui aurait aimé bénéficier de la même attention et est jalouse de ne pouvoir avoir l’une des deux rien que pour elle. On dirait que l’autrice nous raconter ainsi une autre romance dans la romance, telle une seconde mise en abyme, ce qui est charmant et touchant à la fois.

En tout cas, ce tome pose de nouvelles bases à l’histoire et fait sensiblement bouger celle-ci. Akari y est un peu en retrait car c’est d’abord l’histoire d’Ayano qui doit se libérer de ses chaînes qui nous est conté, mais c’est passionnant de voir son cheminement tranquille, sans vague, mais réfléchi et efficace pour en sortir et redevenir libre. J’aime beaucoup cet instantané de la société japonaise et cette analyse portée par l’autrice.

Tome 5

Qu’elles sont difficiles décidément ces relations amoureuses ! Tatako Shimura continue de nous plonger dans une valse complexe de sentiments partagés et contrariés avec des personnages terriblement humains et émouvants qu’on peut à la fois aimer et détester.

Nos jeunes trentenaires continuent d’évoluer de manière bien maladroite et confuse, ne disant jamais vraiment les choses et jouant avec ces non-dits justement.  C’est très touchant et percutant à lire. On aime prendre partie et porter notre regard sur ce qui se passe alors que c’est au final tellement plein de nuances et de questionnements.

J’aime beaucoup la façon dont l’autrice montre combien c’est compliqué de se connaître et ensuite d’exprimer ce qu’on ressent à la fois à cause de nos peurs et à cause de pressions familiales ou sociétales. Elle capture à merveille toute cette complexité. Ainsi, j’ai pu à la fois être touchée par nos héroïnes et agacées par elles, avoir de la peine et ressentir de la colère.

Mon rayon de soleil dans l’histoire, c’est Eri, cette hikikomori qui commence enfin à ressortir de chez elle et qui fait une rencontre. Si je déplore que cela vire en « je me fais belle pour plaire », j’ai aimé le réalisme de cette histoire avec une Eri très timide et fragile, et un homme qui sous ses dehors gentils profite de l’intérêt qu’elle lui porte pour remplir son propre ego.

Du côté d’Akari et Ayano, c’est toujours le flou le plus complet. Chacune montre de l’intérêt envers l’autre, semble faire un pas vers l’autre mais rien ne se passe à cause de ce mariage qui pèse sur leur relation. Le rôle que jouent les famille d’Ayano et Wataru dans ce statu quo agace autant qu’on le comprend. Quand on ne connaît pas la situation ou qu’on ne la comprend pas, pas étonnant qu’on cherche à aider son enfant, dans le cas de la mère de Wataru ou qu’on veuille pousser son enfant au dialogue, dans le cas des parents d’Ayano. Ça montre aussi le poids et la place des parents dans les relations de couple au Japon.

L’autrice prend donc son temps pour décrire ces bouleversements et elle le fait avec une belle justesse et finesse. Ayano revient sur ses sentiments amoureux passés, sur ce qui l’a poussée à épouser Wataru, elle ose lui dire non et s’affirmer, s’avançant vers Akari, ce qui est plusieurs fois bouleversant. On sent combien cette transition n’a rien de facile et les efforts qu’elle demande. Je ne pense pas que cela tienne seulement à la société japonaise. J’ai été très touchée pour ma part et ai senti une belle dose d’authenticité.

Si nous étions adulte… reste une lecture difficile, qui sous une douceur apparente couplée à une narration lente et des personnages qui se veulent tranquilles, est en fait une lecture bouleversante qui fait appel à beaucoup d’intériorité et décrypte avec beaucoup de réalisme les questionnement de ces êtres adultes et pourtant en pleine métamorphose. Non, ce n’est pas facile d’être honnête avec soi quand cela implique un tel changement de vie. Alors bravo à Takako Shimano de le raconter et mettre en scène avec autant de doigté. J’espère juste entendre un peu plus la voix de Wataru également dans les prochains tomes.

Tome 6

Takako Shimura poursuit à un rythme tout tranquille mais non moins riche en tension, son tranche de vie sur la vie d’adultes qui se cherchent dans leur vie sentimentale.

C’est avec le sentiment d’avoir ici, étrangement, un titre qui me parle, alors que je n’ai jamais vécu ces situations en tant que telle, que j’ai tourné et tourné les pages avec un côté addictif. L’âge des personnages doit certainement jouer ainsi que leur statut : mariés, en couples, actifs, prof… Pour une fois, j’ai un titre dans lequel je peux me retrouver et il n’y en a pas tant que ça mine de rien, alors ça fait du bien de suivre un peu des adultes dans leur quotidien.

La force de l’autrice est là, bien que comme le dit Wataru, cela a parfois des allures de soap, l’histoire est tout de même assez réaliste et elle prend plaisir à décrire ce quotidien tranquille. Passé la rupture inévitable du couple d’Ayano, ce sont des pages très terre à terre qu’on nous propose mettant en scène la nouvelle vie de tous les jours des filles, à leur boulot, avec leurs amis ou leur famille. Rien de superflu, juste l’essentiel et c’est très bien ainsi, cela donne la proximité qui manquait parfois au milieu de tout ce drame sentimental au début.

Pourtant l’autrice n’oublie pas de nous décrire la complexité des émotions de chacune. Le divorce n’est pas la fin de tout, ni le happy end attendu, ce n’est pas si simple. J’aime ce choix de l’autrice de ne pas tomber ainsi dans la facilité et de montrer encore le chemin à parcourir pour se reconstruire et découvrir une nouvelle vie. C’est d’ailleurs chouette de ne pas laisser tomber Wataru et sa soeur Eri et de continuer à les suivre, même si pour le coup leur offrir à eux aussi des relations adultères est un peu too much pour moi, il faudrait changer un peu de registre maintenant. Cependant, je dois avouer que la mangaka excelle quand il s’agit de capturer leur lente hésitation et la façon dont ils sombrent tout de même.

C’est donc avec une certaine nonchalance que j’ai continué à suivre la valse des sentiments de nos héroïnes et de leur proche dans ce quotidien adulte, de plus en plus proche de nous, grâce à une écriture semi-réaliste de l’autrice. Cela fait un bien fou pour la trentenaire que je suis de trouver enfin un récit au cadre si proche où elle peut s’identifier un peu, car bon les romances lycéennes et étudiantes, c’est mignon mais passer à l’étape supérieure aussi au fil des années qui passent ^^!

Tome 7

C’est de manière assez tranquille et classique que se poursuit l’histoire dans ce 7e tome où pas mal de choses se sont réglées pour nos deux amoureuses. C’est donc naturellement que l’autrice porte son regard ailleurs et là où elle est douée, c’est pour observer les enfants, ce qu’elle fait à merveille ici.

Je ne l’ai jamais caché, je n’ai jamais été hyper emballée par la façon dont est mise en scène l’histoire de ce couple de deux jeunes femmes dont l’une vient enfin de se séparer de son mari. Sans surprise, un tome où elles sont un peu en retrait et où on parle d’autre chose ne pouvait que me plaire plus que les précédents. C’est le cas ici avec la question de la phobie scolaire représentée par Ichika, une des élèves d’Ayano.

Etant moi-même enseignante, c’est forcément un sujet qui me touche et j’ai trouvé que l’autrice y allait avec beaucoup de finesse et de justesse pour ne pas nous offrir le discours caricatural habituel. Ce n’est pas la première fois que je le remarque mais j’aime sa façon de parler de l’école, des enseignants et des élèves. Ichika ne souhaite plus revenir en classe suite à ce qu’il s’est passé avec ses amies. Il faut donc trouver une solution pour ne pas la laisser avec ce mal être. L’autrice ne cherche pas à faire dans le racoleur avec des solutions vides de sens comme on en voit parfois, avec Ayano qui se fait sa porte parole, elle prend en compte toutes les données pour trouver une réponse juste et adaptée, qui m’a touchée par sa belle simplicité et son côté pratique, sincère et adaptée à ce cas. J’ai donc beaucoup aimé ce volet de l’histoire.

Parallèlement cependant nos héroïnes continuent d’avancer dans leur relation de couple et là, je trouve l’autrice moins fine. Elle va même un peu trop vite pour moi. Elle nous présente une Ayano qui fait son coming-out public à son travail suite à une rumeur. Quel parent poserait une telle question devant toute la classe et donc devant des enfants lors d’une journée porte-ouverte ?! Je n’y ai pas cru une seconde, tout comme j’ai trouvé bien facile la façon dont elle va changer d’établissement, oubliant déjà les enfants dont elle a la charge alors qu’on nous la présentait comme une enseignante très préoccupée par ces derniers. Ce n’est pas crédible. Et tout ça pourquoi ? Pour faire avancer sa relation avec Akari et les pousser à emménager ensemble. Ça ne fonctionne pas avec moi, un peu comme toute cette histoire qui ne sonne pas très juste, en dehors de leurs sentiments à toutes deux.

Je me retrouve donc une nouvelle fois perplexe face à l’écriture de l’autrice. Elle a des fulgurances d’une rare justesse quand il s’agit d’évoquer des personnes en souffrance (Eri, Ichika ici) mais à côté elle perd toute crédibilité quand elle développe l’histoire de son couple d’héroïnes. C’est très étrange. Alors je continue à aimer sans adorer cette histoire qui me parle mais seulement à moitié. J’aimerais bien que la suite me convainque plus.

Tome 8

La série franchit un cap avec ce tome, nos deux jeunes femmes habitent désormais ensemble et Mme Okubo prépare sa nouvelle vie en disant au revoir à l’ancienne à travers son dernier trimestre dans son école. Mélancolie et tournage de page au rendez-vous.

Malgré mon manque d’attachement aux héroïnes, qui perdurera jusqu’à la fin, je pense, j’ai apprécié ce tome, lent, qui prend son temps, est plein de pudeur et ose dire les choses en même temps. Je trouve les propos de Takako Shimura très adultes à tous les niveaux et j’apprécie sa façon de mêler les histoires des différents personnages, l’air de rien, avec toujours une morale en fond, comme une petite musique.

C’était touchant et un peu pesant de suivre les derniers jours de Mme Okubo dans son école, avec ses élèves et sa classe, surtout après sa déclaration à leurs parents et les rumeurs que ses derniers ont fait courir. Heureusement l’autrice nous partage aussi le point de vue des enfants, ce qui permet de rompre un peu le malaise ambiant. Cependant, que j’ai eu du mal avec certains propos. Voir l’héroïne excuser et défendre presque ces parents qui se sont mal comportés et ont répandu des horreurs sur elle, ce n’est pas normal. On ne peut pas excuser cela et porter seule la responsabilité. C’est là que je vois une fois de plus la différence culturelle entre eux et nous, ici les enseignants se seraient révoltés contre ça. Bref. J’ai été contente qu’elle ne parte pas comme une voleuse en laissant tout en suspens comme je le craignais.

J’ai aimé les instants de vie de ce tome, que ce soit nos héroïnes qui s’installent tranquille dans leur nouveau chez elles, ou les élèves qui continuent de prendre leur marque et d’avancer dans l’année scolaire. C’était mignon de voir les petites régler ainsi leurs soucis relationnels, entre elles, comme des grandes, sans se rendre compte peut-être de l’influence de Mme Okubo sur cette progression. L’autrice a bien joué d’ailleurs, elle a pas mal centré ce tome sur l’école et en a profité pour nous expliquer comment Eri en était venue à ne plus (ou presque pas) sortir de chez elle. C’était banal et poignant à la fois, montrant qu’il suffit parfois d’un rien. J’ai aimé qu’on nous montre via cette histoire, tout l’amour de sa mère pour elle. J’avais une mauvaise opinion de cette dernière et j’en suis un peu revenue ici, en tout cas vis-à-vis d’Eri.

L’autrice est donc assez astucieuse pour mêler ainsi l’air de rien ses histoires. Elle profite à chaque fois d’une phrase qui n’a l’air de rien pour faire basculer son récit vers d’autres personnages et montrer ainsi ce qu’ils deviennent. Ce fut le cas pour Eri, qui nous a offert une belle surprise avec son amoureux adultère. Ce fut aussi le cas avec l’ex-mari d’Ayano, qui rebondit déjà. Mais j’avoue que je le trouve tellement fade et sa compagne aussi que je m’en désintéresse totalement… J’ai trouvé en 3 pages, bien plus intéressantes, les histoires des collègues d’Akari qui souhaitent chacune divorcer.

Tome de transition riche en événements, Takako Shimura offre la césure que je croyais qu’il allait manquer à la fin du tome précédent, ce qui m’a grandement rassurée. J’ai beaucoup aimé ce tome très centré sur l’école et ses élèves. Je trouve l’autrice toujours aussi astucieuse pour mêler ses différentes histoires très adultes. Je regrette juste un ton toujours un peu trop tranquille au point d’être fade sur certains personnages. J’aimerais un peu plus de relief.

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© 2019 Takako Shimura / © 2021 Editions Akata

 

9 commentaires sur “Si nous étions adultes… de Takako Shimura

  1. A priori, je fuis les histoires d’adultère, mais ce manga a l’air d’être bien plus que cela et semble dégager quelque chose de spécial qui m’intrigue pas mal… Je suis également toujours intéressée quand un manga aborde certains aspects de la société japonaise.

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  2. Ho mais tu m’apprend quelque chose, je n’avais pas fait le rapprochement avec comme un adieu et je retiens rarement le nom des mangaka ( je suis vieille ). D’ailleurs il faut encore que je finisse comme un adieu, qui m’attends… dans ma pile lol. Suivant si j’aime ou non du coup comme un adieu, et bien je pourrais très bien prendre celui là également… J’avoue que c’est pas forcément le genre d’histoire qui m’intéresse le plus ( j’ai lu tellement de shojo… ), MAIS j’aime beaucoup la maison d’édition Akata et en général j’accroche pas mal sur leurs propositions.

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    1. Akata a vraiment une belle image de marque, c’est clair.
      J’ai aussi lu beaucoup de shojo mais celui-ci change clairement, d’ailleurs c’est un josei 😉
      Je croise les doigts pour que toi aussi tu aimes la fin si complexe de Comme un adieu 🤞

      J’aime

      1. Comme beaucoup et dont certains spécialistes du manga, je ne suis pas d’accord avec eux. Le josei existe et est une catégorie éditoriale reconnue au Japon dans les mag et en librairie, désolée pour eux 😉

        Pour la question du type d’histoire, je peux comprendre, on a chacun(e) nos préférences et la trouillarde en moi a du mal avec l’horreur lol

        Aimé par 1 personne

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