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Céleste : « Bien sûr, monsieur Proust » de Chloé Cruchaudet

Titre : Céleste : « Bien sûr, monsieur Proust » / « Il est temps, monsieur Proust »

Auteur : Chloé Cruchaudet

Éditeur : Noctambule

Année de parution : 2022-2023

Nombre de pages : 116 x 2 tomes

Histoire : À l’occasion du centenaire de la mort de Marcel Proust, ce diptyque, signé Chloé Cruchaudet, repose sur une structure en miroir et s’intéresse au lien qui unit Céleste Albaret et l’écrivain de génie.
Grâce à de multiples sources, Chloé Cruchaudet tisse le portrait dévoué et passionné de Céleste Albaret, gouvernante et parfois secrétaire de Marcel Proust jusqu’à sa mort, en 1922. Elle révèle leur lien, l’écrivain sous toutes ses aspérités, l’atmosphère d’une époque et les dessous de la construction d’une fiction. Monde réel et monde fantomatique s’entremêlent pour nourrir ce sublime diptyque.

Mon avis :

Tome 1

Je suis issue d’une famille de grands amateurs de Proust. J’ai donc été biberonné avec les écrits et l’univers du monsieur, allant même jusqu’à faire un voyage presque pèlerinage sur certains lieux de ses romans. Cependant, je n’ai jamais réussi à finir un de ses romans lors de mes tentatives adolescente et jeune adulte. Mais quand j’ai vu la bande-dessinée de Cholé Cruchaudet qui proposait d’entrer dans son univers par le biais de sa domestique Céleste, à travers un sublime camaïeu de violet et de vert, j’ai de suite été charmée et je ressors de cette lecture avec un énorme coup de coeur et une puissante envie de redonner encore sa chance à l’écrivain.

Je ne connaissais pas du tout Chloé Cruchaudet sur ce registre avant de voir cet objet. Je l’avais croisé au cours d’une lecture jeunesse qui n’avait rien à voir : La poudre d’escampette qui m’avait laissé un peu sur ma faim, et j’ai été très surprise de voir la poésie qu’elle était capable de porter désormais.

Couverture La poudre d'escampette

L’univers de Proust n’a rien de simple et le porter à l’écran ou simplement en image est une gageure, cependant l’autrice-illustratrice l’a merveilleusement réussi avec un trait et une composition virevoltante qui reprend à merveille la fluidité entraînante du style de l’auteur. C’est juste magique !

Elle nous fait entrer pour cela dans la vie de l’auteur à travers le singulier personnage de sa domestique : Céleste, inspiration d’un personnage clé de sa recherche et femme indispensable à la vie de monsieur quand elle s’y trouvait. Avec elle, nous découvrons l’homme derrière l’écrivain ou plutôt à côté de l’écrivain, les deux se fondant l’un dans l’autre. Elle nous dévoile sa petite vie entre les quatre murs de sa chambre à Paris, ses escapades à Cabourg, ses échanges épistolaires avec ses amis et les soirées mondaines auxquelles il participe, mais surtout, nous découvrons le caractère très fantasque de l’homme et son rapport à son oeuvre.

J’ai beaucoup aimé avoir un portrait tout sauf complaisant de l’auteur. Chloé Cruchaudet ose le montrer capricieux, souffreteux, maladroit même. Ce n’est pas un génie sur de lui, loin de là. Elle nous montre aussi ses difficultés à être publié, puis le parcours de son oeuvre d’un éditeur à l’autre. Elle nous plonge dans les coulisses d’une grande oeuvre. Elle évoque pour cela la bourde de Gallimard, puis les difficultés dans les révisions de son texte avec sa propension à en ajouter toujours et toujours au point de rendre cela incompréhensible à part pour lui. Pour qui ne connaît pas la genèse de l’oeuvre, c’est passionnant et très didactique.

L‘autrice met en plus en scène sa méthode d’écriture reposant sur ses souvenirs de jeunesse avec son besoin de retourner sur les lieux, d’obtenir certains objets, de revivre certaines scènes à l’aide d’amis pour faire ressusciter ses souvenirs. C’est assez magique. La mise en scène choisie par l’illustratrice ici colle parfaitement à l’homme et à l’oeuvre avec ces phrases de La Recherche qui virevoltent par bouts à travers les pages pour nous entraîner dans le tourbillon des souvenirs de l’homme. J’en suis restée baba. J’en suis sortie fascinée, avec une grosse envie de retenter de lire sa saga.

Pour autant, pour ceux ne connaissant pas Proust, cela peut se révéler déroutant peut-être. L’héroïne de l’histoire, Céleste est une femme, somme toute assez passive face à ce tourbillon. Il faut dire qu’elle vient de la classe laborieuse et de la campagne, et qu’elle se retrouve propulsée dans l’élite parisienne, même si Proust vit en quasi reclus. Pas simple alors pour elle de s’imposer, mais est-ce le sujet ici. Cette bande-dessinée ne se veut pas une oeuvre pour l’émancipation des femmes ou pour dresser le portrait d’une femme forte. C’est le récit d’une relation de confiance entre une domestique et son employeur. On y voit Céleste devenir peu à peu indispensable à la vie et à l’oeuvre de Proust, et celui-ci s’en rend compte l’air de rien. Céleste, elle, tombe peu à peu en admiration pour cet homme qui reste également un peu un enfant pour elle. C’est une relation étrange et très forte à la fois.

Enfin le portrait de l’époque réalisé par l’autrice est saisissant, lui aussi. J’ai été émerveillée par le tableau de son Paris d’avant-guerre, puis sous le feu de l’ennemi, puis reprenant vie. On y retrouve la beauté des quartiers bourgeois, la misère des quartiers ouvriers. J’ai aussi été saisie par la retranscription de Cabourg, où j’ai moi-même été, et dont j’ai retrouvé toutes les sensations ici, même si c’était à des époques totalement différentes. L’autrice a vraiment su saisir l’essence des choses, jusque dans le portrait des relations de Marcel Proust et de sa brève incursion dans un club mondain masculin raconté à la lumière d’une chandelle à cette pauvre Céleste qui n’en demandait pas tant de ces secrets « honteux ».

Amoureux de Proust, vous pouvez compter un nouveau membre parmi vous avec Chloé Cruchaudet. Avec cette bande-dessinée, qui est un vrai petit bijou esthétique, elle fait revivre la grande époque, la grande oeuvre et la grande figure d’homme et d’écrivain qu’était Marcel Proust, le tout à travers le regard émerveillé de Céleste qui est aussi le nôtre. C’est magique. Les mots, tout comme la magie et nos sentiments volent à travers les pages jusqu’à toucher notre coeur. Si vous aimez l’oeuvre originelle, vous ne pourrez qu’aimer cet hommage ô combien réussi !

> N’hésitez pas à lire aussi les avis de : Ma Petite Médiathèque, De quoi lire, Vous ?

Tome 2

Un an plus tard Chloé Cruchaudet revient nous livrer sa lettre d’amour à Proust et surtout son aidante : Céleste et la famille Albaret qui ont été d’une aide précieuse à la réalisation du grand oeuvre de ce écrivain désormais culte.

Entre temps, j’ai eu la chance d’aller voir l’Exposition Proust à la BNF et je me suis encore plus familiarisée avec l’écrivain, rendant cette lecture encore plus intime et touchante, mais surtout me permettant de réaliser le travail incroyable de Chloé Cruchaudet pour adapter et évoquer la vie de l’artiste. Bluffant !

Dès le début, on ne peut qu’être époustouflé devant ses prouesses graphiques mais quand en plus on connait mieux l’auteur, on se rend compte d’à quel point cela colle à la virtuosité maladroite et travaillée de Proust, à sa rapport à sa corps, à son esprit et aux mots qui s’écoulent de lui. C’est splendide ! Dans cette seconde partie qui s’intéresse un peu plus à la métamorphose de ses écrits de petit texte intimiste à chef d’oeuvre reconnu, elle nous offre encore des pages marquantes et très symboliques ou plutôt remplies de symboles à l’image de celles relatant sa réception du Prix Goncourt ou encore celles où il se noie dans les souvenirs des Albaret, relançant son amour et son envie d’écrire. J’ai adoré la palette colorimétrique de l’autrice avec toujours de vert tilleul si cher à l’auteur. J’ai adoré la fluidité brumeuse de l’atmosphère qui ainsi nous enfume et nous pénètre. Ça représente si bien l’atmosphère de l’oeuvre et la fin de vie de Proust. C’est une magnifique réussite formelle.

Mais cela va encore plus loin, l’autrice parvient ici sous couvert de poésie à relater avec intensité la personne de Proust, son rapport à son oeuvre, la genèse de celle-ci et son devenir, ainsi que le rôle de la famille Albaret et de Céleste notamment auprès de lui à chaque instant. On retrouve ses allures souffreteuses, son côté un peu geignard, mais sa nature simple quand il s’agit d’écouter sa chère Céleste. On le voit également aller d’un logement à l’autre, poussé à chaque fois par le destin. On le voit se confronter avec difficulté à son oeuvre, qui s’allonge sans cesse et à laquelle il a du mal à mettre le fameux point final dont il a si souvent parlé à Céleste. La représentation de ce dernier, tout comme des derniers instants de Proust est magique, et rend si bien hommage à la fin de celui-ci, que j’en suis ressortie toute émue. Qu’est-ce que l’autrice utilise bien les silences, de la BD comme de la vie !

On sent la riche documentation dont elle a fait preuve mais sans que cela soit du bourrage de crâne. Elle intègre parfaitement tout ce qu’elle a appris de l’oeuvre et la vie de cette homme dans une vraie narration terriblement émouvante et très poétique où Céleste se voit porteuse d’un regard privilégié, elle, qui aura souvent été la plus fidèle héritière du maître après sa mort. L’histoire, comme les pages et les mots de La Recherche, coule entre nos doigts et se déroulent avec une fluidité folle, tandis qu’on le voit s’isoler, réussir, se remettre difficilement à l’ouvrage et peu à peu succomber à ses vieux démons. C’est émouvant.

Superbe biographie non pas de Proust l’auteur mais de Proust l’homme vu à travers le regard de sa gouvernante et amie Céleste, ce diptyque est aussi beau que bon. Je suis définitivement tombée sous le charme de la poésie du trait et de la palette de l’autrice, tandis que ses mots et sa mise en scène m’ont énormément touchée, de même que l’angle de vue choisi, très intimiste et en même temps réaliste. Une très belle façon de plonger dans l’intimité d’un grand artiste et de celle qui l’a accompagné dans son épopée.

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12 commentaires sur “Céleste : « Bien sûr, monsieur Proust » de Chloé Cruchaudet

  1. Je ne suis pas une inconditionnelle de Proust dont j’ai surtout lu des extraits ou des adaptations BD, mais cela ne m’empêche pas d’être très tentée par cette BD qui semble nous permettre de toucher au plus près l’auteur ET l’homme, mais aussi tout une époque. Je l’avais repérée pour ses graphismes, maintenant, j’ai surtout envie de découvrir Proust, artiste complexe décrit sans excès de béatitude, et sa relation particulière avec Céleste. Et quitte à me répéter, très bel article. On te sent très inspirée par cette BD, son histoire et ses illustrations !

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    1. Merci beaucoup, je suis flattée. C’est si dur parfois de trouver les mots pour nos coups de cœur.
      Je suis ravie de t’avoir donné envie de découvrir cette bd, qui a en effet beaucoup à apporter que ce soit sur l’homme, l’auteur, son œuvre, sa relation avec Céleste, l’époque, les dessins… J’espère que tu aimeras toi aussi ☺️

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  2. J’ai adoré Mauvais genre de l’autrice il y a quelques années. Basée sur l’histoire vraie d’un homme qui après avoir déserte à la guerre doit se grimer en femme pour passer inaperçu. Sa femme n’avait pas prévu qu’il aimerait beaucoup cette nouvelle image de lui… enfin de iel…

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  3. je n’ai jamais lu Proust mais j’ai adoré cette BD, graphiquement c’est superbe et l’approche narrative est très réussi. Quand à Proust… la BD n’aura pas réussi à me convaincre de le lire, mais en revanche je lire la suite de la BD à coup sûr 🙂

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    1. Si déjà la BD t’a convaincue, je n’en demanderai pas plus lol
      C’est vrai qu’on le voit de façon assez négative ici et je pense que ça correspond à une certaine réalité du personnage, donc je peux comprendre que ça ne donne pas envie, même si ça a eu l’effet inverse sur moi ^^!

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