Livres - Mangas / Manhwa / Manhua

Hiraeth : La fin du voyage de Yuhki Kamatani

Titre : Hiraeth : La fin du voyage

Auteur : Yuhki Kamatani

Traduction : Yohan Leclerc

Éditeur vf : Akata (M)

Années de parution vf : 2022-2023

Nombre de tomes vf  : 3 (série terminée)

Résumé : Mika, ne supportant pas la mort d’une de ses proches, s’apprête à se jeter sous un camion pour anéantir sa peine… Mais elle est sauvée in extremis par un mystérieux (et sexy !) jeune homme qui s’avère en réalité être un zombie. La lycéenne va alors s’embarquer dans un mystérieux voyage aux côtés de son sauveur, mais aussi d’un étrange individu qui prétend être une divinité. Les voilà partis sur la route, à trois, pour se rendre au pays des morts… Tout au long de son chemin et au fil de ses mystérieuses rencontres,?retrouvera-t-elle goût à la vie ? A moins que son véritable souhait ne soit tout autre…

Mon avis :

Tome 1

Chaque sortie d’un titre de Yuhki Kamatani chez Akata est en train de devenir un petit événement pour moi, cette autrice ayant « le truc » pour me faire craquer, que ce soit avec l’émouvant Eclat(s) d’âme ou le beau et poétique Nos c(h)oeurs évanescents. Premier titre sans parenthèses de l’autrice, Hiraeth m’a fait vivre une expérience où justement je ne veux rien mettre entre parenthèses.

Depuis ses débuts, je trouve que l’autrice a vraiment son univers, son style graphique, sa narration et ses thèmes et ici, tout y est. On a sa patte graphique poétique virevoltante qui émeut indéniablement. On a sa narration éclatée qui nous emporte dans un voyage intime décoiffant et touchant. On a ses thèmes poignants et un brin sombres qui viennent nous bousculer. Je suis fan.

Nos c(h)oeurs évanescents, son précédent titre, avait eu un démarrage un peu timide à mon goût et m’avait souvent laissé sur ma faim avec un sentiment d’improvisation. Hiraeth, lui, m’a embarquée dès les premières pages avec ses tonalités étranges où se mélangent folklore divin japonais et angoisse poignante face à la perte d’un être cher. Ce fut saisissant.

J’aime les thèmes sombres et intimes. J’ai été servie ici avec Mika, notre héroïne, qui ne supportant pas la disparition de sa meilleure amie souhaite se suicider pour la rejoindre, mais elle est sauvée in-extremis par un dieu passant par là. Celui-ci en accompagne un autre, sur le point de mourir, qui entreprend son dernier voyage. Voyant dans ce duo un chemin à emprunter pour peut-être se rapprocher de celle qu’elle recherche, Mika décide de les suivre dans leurs drôle de voyage.Ainsi né un surprenant trio !

Il y a du Akie Irie et du John Tarachine dans cette aventure, cela m’a frappée direct ! En effet, Yuhki Kamatani emprunte le côté loufoque et désinvolte de la première, pour l’étrange trio qu’elle met en scène, en particulier Hibino qui a le look typique de l’un de ses héros, mais également le côté plus intime et âpre du second qu’on avait découvert dans Goodnight I Love you et qui devrait prochainement revenir chez nous. Cela sort de l’ordinaire mais j’ai aimé ce mélange. J’ai été totalement emportée par la détresse poignante de l’héroïne dans sa difficulté, son impossibilité même à faire son deuil. J’ai trouvé émouvant qu’elle en repousser les limites de l’entendable dans sa tentative de suicide et encore plus dans ce voyage qu’elle entreprend avec des inconnus qui viennent bouleverser son monde.

Tout est fait pour que cette étrangeté nous semble naturelle. Le folklore de nos divinités nous est conté par le menu et parfaitement intégré dans l’époque actuelle où vit Mika, donnant un côté très spirituel au titre, très bouddhique. Tout est alors occasion de rencontre, de croisements de monde pour mieux nous conter cette difficulté de chacun face au thème de la mort que ce soit pour appréhender la sienne ou celle des autres, l’accepter ou sombre. Nous sommes les spectateurs muets et consentants de ce drame auquel on ne peut qu’assister et c’est poignant. Pour autant, l’autrice ne tombe pas dans le mélo. Elle tient un superbe équilibre entre humour, réflexion pertinente sur ce sujet douloureux, spiritualité et humour. C’est un très bel exercice !

En plus, elle met cela en scène avec maestria, nous offrant encore des compositions d’une poésie rare grâce à ces métaphores virevoltantes qu’elle maîtrise parfaitement désormais. J’ai particulièrement aimé la symbolique des liserons, plante qui semble sans cesse s’agripper à notre héroïne passionnée d’athlétisme, la clouant au sol et l’empêtrant dans ses sentiments, elle qui ne parvient pas à gérer son deuil. C’est une image forte. Elle excelle aussi avec tout ce qui touche à la spiritualité japonaise, nous offrant des images de temples et divinités sublimes, totalement dépaysantes pour nous, et comportant une grande douceur. C’est sublime et très onirique ! Les motifs du parapluie et de la volute de fumée qui reviennent régulièrement emportent le lecteur, lui aussi soufflé avec eux. Que de magie entre ces doigts ! Et pourtant quand il s’agit d’exprimer une émotion aussi terre à terre que la peine et la souffrance, elle est là aussi pour ravager notre coeur, offrant des pages particulièrement impactantes ! J’ai été très touchée.

Alors que j’avais peut-être une petite pointe de scepticisme en commençant cette lecture, sachant qu’elle allait être belle mais craignant qu’elle soit encore en-dessous d’Eclat(s) d’âme, chef d’oeuvre de l’autrice, je me retrouve avec un début fort prometteur. Le mélange de folklore, de fantastique, de spiritualité et de sentiments très humains qui parcourent ce titre, entre émotion et humour, fut totalement ravageur. L’autrice a su proposer une oeuvre me rappelant de très belles références, le tout dans ce trait si singulier qui lui est propre dont la poésie âpre et intime m’émeut à chaque fois. C’est une très belle réussite qui frôle le coup de coeur !

 > N’hésitez pas à lire aussi l’avis de : Les instants volés à la vie, Vous ?

Tome 2

Emportée par le tome 1, c’est avec émotion que j’ai retrouvé le trio dans son road-trip vers… la mort ! Avec la maestria graphique qu’on lui connaît, Yuhki Kamatani vient à nouveau gratter nos convictions sur la mort et la vie.

Intrigue étrange, il n’y a vraiment que les japonais pour mêler à ce point vie et mort dans leur spiritualité et en faire une histoire à la fois barrée et sensible. Pendant toute ma lecture, j’ai ainsi été partagée entre l’émotion des thèmes abordés et l’envie de rire du décalage produit par la légèreté dont font preuve nos héros alors qu’ils ne devraient pas. Etrange.

Cette étrangeté n’a pas été sans me rappeler celle dont fait preuve Aki Irie dans ses séries Dans le sens du vent et Le monde de Ran, où l’autrice a le même talent graphique, la même virtuosité magique de la mise en scène et le même côté décalé malgré parfois des sujets puissants. Je vois vraiment un lien entre les deux autrices ici et je me demande si l’une n’a pas inspirée l’autre ou si elles n’ont pas travaillé ensemble tant la synergie est forte.

J’ai donc adoré retrouver notre trio de la mort, à savoir un dieu, un immortel et une suicidaire. Cette fois, ils font la rencontre d’une fille qui est leur nemesis : elle veut à tout prix vivre et comprendre le secret de l’immortalité alors qu’eux ne souhaitent que s’en débarrasser. C’est très singulier. A travers cette rencontre, l’autrice nous parle avec force de la peur de mourir, de la volonté de vivre, de la maladie et la fin de vie, des thèmes difficiles mais ici traités avec une légèreté non pas coupable mais déculpabilisante. Oui, on a le droit d’avoir peur de mourir. Oui, on a le droit de désirer l’éternité. C’était pareil dans le tome 1 mais dans le sens inverse. L’autrice nous permet de mieux comprendre et accepter les désirs de chacun face à la vie qu’il vit de son plein gré ou non. C’est assez fort.

Le ton est pourtant volontiers léger, avec des personnages assez fou fou, mais l’émotion n’est jamais bien loin et l’utilisation du folklore shintoïste n’y est pas pour rien. Avec cette ambiance entre vie et trépas, on plonge dans un monde de tradition qui a un je ne sais quoi d’onirique. J’aime beaucoup ce décor, utilisé notamment ici pour évoquer les multiples passés d’Hibino, immortel qu’on découvre de plus en plus sensible, mais également l’entité qu’est Hani et ce que la spiritualité et les croyances peuvent revêtir. C’est très riche et tellement joliment mis en scène à l’image de cette couverture pleine de symbolique où Hani justement est mis en avant. Je suis amoureuse de ce trait à la virtuosité virevoltante.

Nouvelle lecture frôlant le coup de coeur, je suis sensible à l’écriture de Yuhki Kawatani sur la vie et la mort, nos désirs d’éternité ou de disparition. Elle conte cela avec une belle poésie, subtile et sensible, drôle et tendre, souvent émouvante et toujours doucement percutante sous ce trait tellement enchanteur et envoûtant. Je suis fan !

Tome 3 – Fin

La poésie mélancolique qui empreint cette série m’a étreinte jusqu’à sa dernière page et c’est avec une émotion sincère que je referme cette lecture.

Pourtant, on ne peut pas dire que Yuhki Kawatani brille par sa narration ici. C’est plutôt assez linéaire et parfois assez brumeux, voire cela va trop vite dans cet ultime opus et pourtant j’en viens à tout lui pardonner, parce que j’aime le ton décalé et mélancolique, parce que j’aime les dessins poétiques, parce que l’émotion des personnages m’étreint moi-même sur ces questions intimes et universelles.

L’autrice nous a embarqué au cours d’un poignant road-trip morbide où ses trois héros ne souhaitaient qu’une chose : mourir, l’un parce qu’on était en train de l’oublier et les autres parce qu’ils avaient trop de souvenir leur faisant du mal. C’est ce rapport à la vie, à la mort, à l’individualité et à l’amitié qu’interroge l’autrice avec brio. Elle fait preuve de douceur, de sensibilité et d’un regard neuf ou plutôt totalement vierge sur la question, s’ouvrant ainsi à tous les champs du possible.

Impossible de ne pas craquer devant ce héros millénaire qu’est Yamato quand on découvre son passé avec le dieu, Hani, qu’il sert depuis si longtemps. Plus facile c’est de résister quand l’autrice plaque sur son personnage un modèle digne des Paroles de poilus. Ça ne m’a pas fait vibrer comme le reste et j’ai trouvé cela un peu artificiel à cause de la façon brutale dont s’est incorporé au récit. C’est tout le contraire de la douce fragilité des liens Yamato – Hani qui seront notre fil conducteur final et toucheront par l’éphémérité durable dont elle témoigne.

Cette vision de la mort, teinté de divinité et croyance ne pouvait que me plaire par son rappel à la culture bouddhiste japonaise quand il s’agit de se moment charnière de la vie. Yuhki Kawatani le met en scène avec tellement de poésie avec ses dessins lumineux et virevoltant faisant la part belle au folklore japonais. C’est lumineux et plein d’émotion.

Alors oui, ça parle de peur de la mort, de l’après mais surtout peur de l’oubli et tragédie de la mémoire. Et chacun des deux aspects saisi, que ce soit la peur d’être oublié ou la douleur de se rappeler de quelque chose qui a changé et présente un manque. Pas besoin de longs discours chez l’autrice, elle sait trouver l’art et la manière de conter cela en peu de cases pour nous émouvoir.

Ce n’est donc pas sans émotion que j’ai mis un terme à ce voyage au dénouement plein de surprise et d’émotion. C’est beau de voyager avec ses personnages. C’était tendrement amusant de les rencontrer et de faire un bout de chemin avec eux. Ce fut donc bref mais chargé en émotion et décidément je signe pour chaque série de cette autrice tant son univers et son ton me séduit. Merci à Akata de la suivre d’aussi près !

Ce diaporama nécessite JavaScript.

3 commentaires sur “Hiraeth : La fin du voyage de Yuhki Kamatani

Laisser un commentaire