Livres - Mangas / Manhwa / Manhua

Utsubora d’Asumiko Nakamura

Titre : Utsubora

Auteur : Asumiko Nakamura

Traduction : Miyako Slocombe

Éditeur vf : Akata (L)

Année de parution vf : 2022-2023

Nombre de tomes vf  : 2 (série terminée)

Résumé : Mizorogi est auteur et s’il y avait bien une chose à laquelle il ne s’attendait pas, c’était de recevoir un appel de la police lui demandant de venir identifier un corps. Il s’agit d’Aki, une mystérieuse jeune femme qui se serait suicidée. Mais alors qu’il se rend à la morgue, il croise la route de Sakura, qui prétend être la sœur jumelle de la défunte. Tandis que des enquêteurs tentent de comprendre quel lien unissait l’écrivain à la victime, Mizorogi essaie de relancer sa carrière en publiant un nouveau roman…

Mon avis :

Tome 1

Dernier coup de coeur chez moi, cette mangaka est vraiment ma révélation de l’année avec son travail tellement intimiste et fluide dans sa narration graphique que quand on lit un de ses titres, on reconnaît de suite sa patte, ce que j’adore ! Découvert il y a quelques années en anglais, je suis ravie de pouvoir relire Utsubora, son meilleur titre à mes yeux à ce jour, dans la langue de Molière grâce au beau travail d’Akata.

L’éditeur nous avait promis une trilogie de thriller puissant portée par des femmes, en voici le deuxième volet après le punchy mais décevant Mon mari dort dans le congélateur qui m’avait fait miroiter de belles choses avant de me décevoir. Ce ne sera pas le cas ici car Asumiko Nakamura est une toute autre conteuse et que quand elle décide d’installer une ambiance à faire froid dans le dos, elle est bien plus subtile que Misaki Yasuki. Akata tient donc ses promesses en nous offrant une belle histoire psychologique à coller des frissons.

 Surtout connue en France pour ses romances Boys Love, Asumiko Nakamura revient donc une nouvelle fois, après Double Mints chez Hana Collection, avec une thriller extrêmement bien ficelé. Là où le premier jouait avec une relation MxM malsaine entre deux anciennes connaissances du lycée, nous sommes ici avec un scénario beaucoup plus fin et subtile où le travail psychologique est tout autre et l’autrice explose dans le genre ! Elle m’avait déjà conquise avec l’émotion de sa saga Doukyusei et ses suites grâce à son travail sur les personnages et leurs émotions à fleur de peau, elle récidive avec en plus une dimension bien plus noire ici.

L’histoire débute sur un suicide, celui d’une belle jeune femme aux longs cheveux bruns qui se serait jeté du toit d’un immeuble. Sur son téléphone, seulement deux numéros : celui d’un vieil écrivain à succès et celui de sa mystérieuse soeur jumelle. Appelés à venir identifier le corps, les deux se croisent, chacun cachant quelque chose et chacun trouvant le regard de l’autre. Une valse étrange va débuter entre eux tandis que la police, interloquée par cette affaire, va mener l’enquête.

D’emblée, l’autrice pose une ambiance froide, lente, mystérieuse et entêtante avec des héros qui avancent au ralenti mais avec une grâce inquiétante. L’homme du répertoire, Mizorogi, est un auteur en panne d’inspiration qui va voler le travail de la morte et le faire publier à son nom avant de se rapprocher d’elle. La jeune femme, Sakura, reste très mystérieuse et semble prendre cet homme dans sa toile telle une mante-religieuse. Les deux sont étranges, inquiétants. C’est le premier que nous allons suivre et c’est à travers son regard que le mystère et l’inquiétude vont naître. On sent sa peur de se faire percer à jour et l’attirance qu’il va éprouver malgré lui pour le sosie de son ancienne amante. Mais tellement de questions sont en suspens.

L’enquête est finement menée. Elle pousse les inspecteurs dans leurs retranchements sous les dehors tranquilles de la narration lente et entêtante de l’autrice. C’est quelque chose d’assez classique mais terriblement efficace ici grâce à un travail psychologique au scalpel ! L’inspecteur Kaiba a lui-même connu une victime de suicide dans ses proches, il ne peut donc s’empêcher de vouloir fouiller et comprendre ce qu’il s’est passé, ce qui le met sur la trace de nos deux suspects. L’ambiance est posée.

L’autrice entremêle ainsi un polar finalement ciselé, des questionnements sur les relations à fort écart d’âge et le désir, le poids de la culpabilité, la question du plagiat et de la création artistique, le tout porté par son trait reconnaissable entre tous. C’est grâce à lui qu’elle nous fascine d’entrée car il impose ce rythme lent qui nous saisit et cette fascination qu’on ressent pour les suspects et la victime.

Son dessin et sa narration graphique sont à nouveau une petite claque pour moi. Elle impose sa marque : fabrique des lignes et des courbes pleines de symboliques, joue sur les angles de vues, propose des formes géométriques qui se perdent dans des cases qui semblent bien vide, dirigeant le regard et nous mettant en tête tout un tas de questionnements pour tenter d’en comprendre la symbolique. C’est puissant et fascinant à l’image d’Aki et Sakura, ces deux jeunes femmes, tellement sensuelles définies avec une économie de traits fascinantes mais les rendant envoûtantes, telles des vamps ! (au premier sens du terme). J’ai été totalement transportée encore une fois par cette patte graphique et tout ce qui s’y cache.

Avec un faux air de Black Swan, ce polar psychologique d’Asumiko Nakamura frappe fort. Il peut sembler fort simple dans son écriture car rien ne dépasse et qu’il est d’une efficacité terrible pour mettre en scène le suicide qui nous occupe et l’enquête qui suit, mais il recèle plein de petites touches dramatiques frappantes et entêtantes. Avec son trait toujours aussi arty et polarisant, l’autrice nous percute et nous entraîne dans sa macabre valse séductrice entre deux suspects qui ont tout deux quelque chose à cache. Entre questionnement sur l’identité, le soi, la création artistique et le plagiat, elle noue une histoire complexe avec une narration graphique extrêmement riche qui ne peut que faire réagir le lecteur.

> N’hésitez pas à lire aussi l’avis de : Last Eve, Vous ?

Tome 2 – Fin

Chef d’oeuvre annoncé, chef d’oeuvre confirmé avec un second tome à nouveau magistral où l’autrice fait preuve de virtuosité aussi bien dans le propos, la narration que la mise en scène. Pépite !

Etant archi fan du style graphique d’Asumiko Nakamura, je ne suis peut-être pas la juge la plus impartiale, mais la dame est vraiment une virtuose pour moi de la mise en scène avec son style rempli de fluides et de virevoltes qui séquence l’histoire comme personne. Son dessin est également plein de métaphore mélangeant création et sentiments amoureux, impuissance et désir, amour pur et toxique. C’est assez incroyable à lire au point de donner envie de s’arrêter sur presque chaque planche pour en déceler les mystères cachés tant cette narration semble avoir de choses à raconter pour prolonger le texte. L’autrice m’a ainsi tour à tout inquiétée, fascinée, mise mal à l’aide, énervée ou dégoûtée avec une force rarement atteinte.

Il faut dire que son histoire est assez puissante elle aussi derrière son habillage de simplicité et de déjà vue avec cette intrigue de plagiat et de suicide. La mangaka entremêle les deux avec une attirance réciproque et contraire à la fois, nous subjuguant, nous happant et nous capturant très vite. C’est très singulier de lire cette histoire où tout s’entremêle pour monter peu à peu en puissance autour des deux intrigues qui la composent. Cela pourrait sembler flou et brouillon, c’est au contraire d’une virtuosité pour rendre la complexité de la pensée de ces être torturés par leur amour, leur amour de la littérature, leur amour de l’écriture ou leur amour de l’autre.

L’autrice n’a pas son pareil pour mettre en scène des relations malsaines et toxiques, que ce soit le rapport de Shun à l’écriture ou cela des femmes de sa vie à leur désir pour lui qui mélange désir charnel et désir créatif de manière assez dérangeante. En effet, on sent combien la contrainte est partout dans ces relations. L’une impose son désir à l’auteur en déshérence, l’autre lui impose ses sentiments maladroits mais presque oppressant et une dernière lui impose même son imaginaire, lui qui vit tellement mal son absence de nouvelles idées pour écrire. Nous sommes donc face à un homme victime de toutes ces femmes incarnant toutes les possibilités s’offrant à lui mais qu’il rejette et qui ne sait comment s’en sortir alors qu’on aurait pu le croire lui en position de force. Quel beau retournement !

La thématique de la création, centrale, est en effet fascinante dans cette oeuvre tant l’autrice pousse loin la réflexion. Nous sommes confrontés dans ce thriller à une véritable décomposition en règle de l’industrie du livre, avec une mise en accusation sévère du système éditorial qui se moque et profite de ses auteurs, mais aussi d’auteurs qui usent et abusent du système et notamment de leur responsable éditorial. Un portrait qui fait froid dans le dos et que l’autrice a su à merveille associer à l’intrigue policière de sa série, comme si les deux ne faisait qu’un.

Le rythme de ce polar est l’un des meilleurs que j’ai pu lire et pourtant, comme je le disais plus haut, l’histoire est classique. Mais cette quête de la vérité, cette recherche de la véritable identité de l’auteur/trice d’Utsubora mais aussi de la victime du suicide, est passionnant. C’est complexe de démêler tous les fils pour finir par réussir à tirer sur celui qui nous dévoilera l’unique personnalité derrière tout cela, car les fils se chevauchent et se mélangent sans cesse, faussant les pistes. Et comme en plus la figure qui porte ce mystère est terriblement malaisante, frôlant la folie furieuse, forcément on est captif de son regard et ses jeux, sans possibilité d’en décrocher.

En l’espace de seulement deux tomes, Asumiko Nakamura m’a totalement happé avec son univers et ses personnages torturés, franchissant même un nouveau pallier ici avec les sentiments amoureux qui s’y adjoignent. Sans pouvoir parler de réel attachement, j’ai été fascinée par les destins tragiques sentimentalement et humainement parlant pour chacun des membres de l’histoire, de l’inspecteur divorcé, en passant par le jeune éditeur, la nièce de notre écrivain, ce dernier et son étrange muse. Chacun est cabossé, chacun tente de faire avec ses failles, certains sombrent, d’autres surnagent, tout est âprement raconté par une autrice qui n’hésite pas à les écorcher vif pour cela, afin qu’on voit encore mieux leurs plaies. C’est fascinant et terrifiant à la fois.

Meilleure oeuvre à ce jour de l’autrice, j’espère vraiment qu’Utsubora aura le succès qu’il mérite car c’est l’un des thrillers les mieux ficelés et plus fascinants que j’ai pu lire grâce à un travail graphique, rythmique et narratif incroyable. L’autrice touche du doigt des sujets sensibles et très intimes autour des thèmes du désir, de la création, de l’envie, la jalousie et la dépression. Elle y va avec une rudesse bienveillance qui met à nu ses personnages et nous frappe en plein coeur, avec des images crues et puissamment symboliques, demandant un vrai travail réflexif à son lecteur. C’est beau une autrice qui va aussi loin et joue ainsi avec son lecteur.

5 commentaires sur “Utsubora d’Asumiko Nakamura

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