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Stigmata : Les empreintes de la passion de Hidebu Takahashi

Titre : Stigmata : Les empreintes de la passion

Auteur : Hidebu Takahashi

Traduction : Alexandre Goy

Éditeur vf : Akata (L)

Année de parution vf :  2022-2023

Nombre de tomes vf  : 2 (série terminée)

Résumé : Asako est membre de la 6e division de la police métropolitaine et il possède un don unique : celui de capter les « pensées résiduelles » des derniers instants d’une personne décédée. Aussi, son travail consiste à se rendre sur les scènes de crimes et de revivre, dans sa chair et son corps, la douleur et les coups subis par les victimes. Mais quand Mari, avocate et ex-femme de son collègue Kuroiwa, est assassinée, l’enquête va prendre une tournure pour le moins compliquée. Les sentiments qu’il ressent envers son collègue sont-ils les siens ou plutôt les vestiges de ceux de la défunte ?

Mon avis :

Tome 1

C’est vraiment la mode des thrillers écrits par des femmes en ce moment et il en sort des vraiment très bons sous nos contrées. Après l’excellent Utsubora d’Asumiko Nakamura, l’éditeur revient cette fois avec Stigmata, un nouveau diptyque qui se veut moins classique par le concept attaché au don de son héros mais qui se révèle en fait l’être bien plus dans la mise en scène que son aîné.

Longtemps autrice sous pseudonyme pour le Shonen Jump, Hidebu Takahashi a ensuite amorcé un virage vers le seinen pour finalement se tourner depuis quelques années vers le boy’s love. C’est la synthèse de tout cela qu’elle nous propose dans Stigmata, un boys love mettant en scène en thriller aux allures futuristes, où comme dans The Top Secret de Reiko Shimizu, on se retrouve avec un duo d’inspecteurs dominant-dominé où l’un d’eux a un sacré don. Elle y met ainsi en scène tout ce qu’elle a acquis précédemment pour élaborer une histoire qui à première vue sort des sentiers battus.

Ce qui frappe le lecteur d’emblée, ce sont les dessins atypiques de l’autrice, alors arrêtons-nous dessus. Ils sont très différents des normes habituelles, rappelant ceux des premiers shojo et boys love auxquels ils semblent rendre hommage, mais également les romans photos d’autrefois, notamment à cause de la mise en scène des bulles dans des rectangles rappelant beaucoup cela. C’est très étrange et singulier. Bizarrement, alors que je pensais que cela allait me repousser, cela m’a à la fois séduite car cela donnait une teinte particulière au récit et que cela lui conférait notamment une ambiance glaçante et inquiétante, mais également un peu refroidie car cela mettait une distance entre nous lecteur et l’histoire.

L’histoire elle-même sort un peu des sentiers battus dans un premier temps avec son héros qui a un don paranormal lui permettant de revivre littéralement les derniers instants des victimes d’homicides dans sa chair. Il revoit les scènes comme s’il les avait vécu. Il ressent les coups comme si son corps les prenait et se retrouve avec les marques de ceux-ci, voire à baigner dans son sang à terre. C’est saisissant ! J’ai trouvé cela fort intéressant comme ressort scénaristique, surtout que ce jeune héros, maladroit, effacé, mal dans sa peau d’homosexuel mal intégré à la société, va ainsi trouver à se réaliser grâce à lui, par l’aide qu’il apporte aux enquêtes de la police pour qui il travaille.

L’autrice met, avec lui, en scène une figure de héros, presque anti-héros tant il semble fragile, joliment torturée et tordue. Il est pour cela avec un inspecteur qui, lui, tient plus de la figure de héros habituelle. On dirait un Inspecteur Gordon made in Japan. C’est un beau et bien bâti, qui respire la confiance et rassure. Il est sobre, sérieux et efficace, l’antithèse de son collègue et pourtant lui aussi est torturé. On le découvre bien moins sûr de lui que ce qu’il projette et au contraire réfléchissant beaucoup à qui il est, ce qu’il désire, ce qu’il projette sur les autres. C’est une très belle construction psychologique qu’il y a là.

Malheureusement ce beau travail sur les personnages est assorti d’une enquête on ne peut plus classique dans les polars, qui n’a pas su avoir le petit truc en plus pour me faire vibrer. L’ex-femme de notre inspecteur est découverte morte, assassinée, et ce dernier veut se servir des dons de son collègue pour en apprendre plus. C’est assez prévisible, tout comme les doutes qui commencent à naître dans ma tête en suivant cela. C’est un schéma maintes fois croisé et vu que la mise en scène graphique n’a pas la puissance narrative d’un Utsubora ou Lost Lad London, cela donne une enquête assez lisse pour le moment.

Non, la force du récit n’est pas dans l’enquête mais bien plutôt dans le don d’Asako qui vient se greffer à celle-ci. C’est simple mais assez fascinant de voir les implications des visions et souvenirs de l’ex-femme de Kuroiwa sur Asako. L’autrice l’interroge alors sur son identité et ses désirs sont-ils le résultat de sa propre construction ou des souvenirs passé de cette femme. Pourquoi ressent-il une telle attirance pour Kuroiwa ? Est-ce parce qu’il est son type d’homme ou parce qu’à travers ses souvenirs il ressent également les sentiments de son ex-femme et les fait sien ? J’ai beaucoup aimé ces thématiques.

N’eurent été ces dessins un peu trop atypiques et figés pour moi, et cette ambiance assez froide et détachée qu’ils donnent à l’ensemble, je pense que cette lecture aurait pu être encore meilleure car je trouve le travail psychologique fait sur les personnages ainsi que le twist du don d’Asako particulièrement intéressants et maîtrisés, offrant un beau thriller ésotérique atypique. A confirmer dans le second et dernier tome en février !

Tome 2 – Fin

C’est encore ce dessin atypique qui m’a frappé lors de ma lecture de Stigmata et qui m’a laissé une forte impression, comme quoi parfois un dessin dérangeant peut rester imprimé sur la rétine. Mais le titre est également tellement plus que cela. Desservi peut-être par son format court, il offre pourtant une belle proposition sur l’identité sexuelle qu’il serait bon de voir partagé plus librement.

Mélange de thriller ésotérique et de romance LGBT, Stigmata m’a un peu déçue dans ce premier aspect mais plutôt convaincue dans le second, même si je pourrais faire le même reproche aux deux : leur brièveté qui gâche un peu le propos développé.

L’enquête menée par nos enquêteurs est bien rythmée et fait preuve des rebondissements et du dénouement attendu. Elle va malheureusement trop vite pour qu’elle ait un réel impact dans ce qu’elle dénonce, même si j’ai aimé ce discours vif sur les violences faites aux femmes et les hommes toxiques, parfois par leurs coups, parfois par leur ignorance de l’autre aussi. C’est assez fin et cela aurait mérité plus.

La romance qui se noue entre les deux inspecteurs est un peu particulière. Si j’ai aimé les choix fait par Kuroiwa pour aller vers Asako, sa prévenance, son honnête et ses interrogations franches sur son orientation sexuelle de manière totalement ouverte, ce qui fait un bien fou pour l’acceptation de celle-ci plus ouvertement ; j’ai aussi trouvé que l’autrice allait bien trop vite pour que ce soit pleinement crédible. Il y a certes des échanges, des regards, des petits moments de bascules, mais c’est bien faible, pour moi, pour un changement et une prise de conscience aussi rapide et radicale de sa part. De plus, je ne suis pas fan des personnages aussi timorés qu’Asako, cela a tendance a beaucoup m’agacer. Du coup, entre ça et la froideur de Kuroiwa dues au dessin très particulier de l’autrice, heureusement que leur histoire dépasse leurs personnes sinon ç’aurait été dur d’apprécier.

Enfin, revenons un instant sur le dessin terriblement atypique de Hidebu Takahashi, il se prête à merveille à l’ambiance thriller du titre, je trouve. Il a un côté rétro, classe et très cinématographique dans son côté un peu figé, cliché de photo et instantané, qui m’a plu ici. J’y ai moins adhéré quand il a s’agit de représenter les sentiments et le désir sensuel de nos héros. Cela avait un petit côté art nouveau qui entrait en dissonance avec ce que j’attendais ici. Alors certes, cela a aussi offert quelques très belles planches mais souvent cela a rendu le moment froid et lointain. Dommage.

Je suis donc assez partagée sur le choix de publier ce titre. Il est intéressant de l’avoir fait pour nous offrir une proposition graphique différente de ce à quoi on est habitué et c’est tout à fait dans la ligne éditoriale d’Akata quant à son combat pour ouvrir notre société à plus de diversité, mais que c’est frustrant également d’avoir un titre qui aurait mérité un espace bien plus large.

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