Livres - BD / Illustrations

Hoka Hey ! de Neyef

Titre : Hoka Hey !

Auteur : Neyef

Éditeur : Rue de Sèvres (Label 619)

Année de parution : 2022

Nombre de pages  : 225

Résumé : Dès 1850, les jeunes amérindiens étaient internés de force dans des pensionnats catholiques pour les assimiler à la nation américaine. En 1900, la population des natifs en Amérique du Nord avait diminué de 93%. La plupart étaient morts de nouvelles maladies importées par les colons, d’exterminations subventionnés par l’état, et lors des déportations. Georges est un jeune Lakota élevé par le pasteur qui administre sa réserve. Acculturé, le jeune garçon oublie peu à peu ses racines et rêve d’un futur inspiré du modèle américain, en pleine expansion. Il va croiser la route de Little Knife, amérindien froid et violent à la recherche du meurtrier de sa mère. Accompagné de ses deux comparses, celui-ci arrache Georges à sa vie et l’embarque dans son périple. Au fil de leur voyage, l’homme et le garçon vont s’ouvrir l’un à l’autre et trouver ce qui leur est essentiel : l’apaisement de la colère par la transmission de sa culture pour l’un et la découverte de son identité et de ses origines pour l’autre.

Mon avis :

Second titre du Label 619 co-dirigé par Run et Florent Maudoux que je lis et seconde énorme réussite. Hoka Hey ! est un grand coup de coeur pour un projet porté par un seul homme : Neyef, aussi bien aux dessins, qu’à la colorisation et à l’histoire. Un grand chapeau à lui car son histoire est parfaite !

A Short Story : la véritable histoire du Dahlia Noir invitait à voir les femmes qualifiées de Vamps autrement et à repenser notre image du Hollywood doré. Hoka Hey ! nous invite, lui, à revoir notre vision du western et des Amérindiens. Des textes terriblement forts et ici un prix des Libraires de Canal BD reçu lors du Festival International de la BD d’Angoulême totalement mérité tant chaque pan de l’oeuvre est parfait !

C’était ma première rencontre avec Neyef, pourtant cet auteur qui m’est quasiment contemporain a déjà un sacré parcours derrière lui. C’est sûrement ce qui lui a permis de nous offrir cette très belle somme. Car Hoka Hey ! est un beau bébé de plus de 200 pages, tout en couleurs, dans une belle et impressionnante édition au dos toilé orange qu’on peut retrouver depuis quelques mois chez Rue de Sèvres. Avec une écriture totalement maîtrisé, il nous replonge dans l’Amérique sacralisée par les westerns mais avec sa propre vision, bien plus moderne et proche de l’histoire réelle que du mythe propagé par les colons.

Tout le propos de Hoka Hey ! est là : redonner la parole aux vrais acteurs de cette Histoire et pas seulement aux vainqueurs ! Le thème de la réécriture de l’Histoire est vraiment un sujet qui m’intéresse et j’ai aimé ici la subtilité et les nuances avec lesquelles ce fut fait. Bien que ce soit une sombre histoire de vengeance et qu’on retrouve des marqueurs des westerns tels qu’on les connaît, Neyef propose également une autre narration, une narration proche du nature writing d’un côté mais également une narration proche de ces histoires sur les minorités, ces histoires sensitives. Incarnée en cela par un jeune héros, lakota de naissance mais élevé comme un blanc, l’histoire sera vue à travers son regard et n’en apportera que plus d’émotion.

On aurait pu croire aux allures de la couverture que nous aurions une belle aventure pleine d’action entre ce groupe d’Indiens à l’âme vengeresse et le chasseur de prime qui les pourchasse pour les arrêter et empocher les sous. Nous allons avoir un tout autre récit. L’auteur va s’attacher à dépeindre toutes les nuances des relations entre les hommes Blancs et les Amérindiens, et ce qui les éloigne, pour nous faire comprendre pourquoi et comment notre jeune héros devra aller de l’avant pour ne pas reproduire les erreurs meurtrières de ses aînés tout en conservant sa culture de naissance. C’est poignant.

A l’aide d’un road-trip magnifique mais rude et tragique, Neyef va nous amener au plus près de la culture Amérindienne. Il va nous faire goûter à cette nature si chère à leur coeur et leur âme, notamment grâce aux tableaux terriblement poétiques qu’il peint d’elle où on a l’impression d’y être avec eux et de sentir et ressentir les mêmes sensations. Il nous aussi nous conter leur terrible histoire, celle d’une incompréhension culturelle avec les Blancs, mais également celle d’un patriarcat et d’une intransigeance très forte vis-à-vis de ceux qui rompent leurs traditions au sein même de leur propre peuple. Rien n’est blanc ni noir ici, tout le monde a sa part de responsabilité, tout le monde a fait des erreurs.

Portée en cela par un trio d’adultes fort bien choisi, l’histoire n’en sera que plus poignante au fil de leur voyage. Poignante car leur passé va se dévoiler et évoquer les violences faites aux femmes, le racisme des blancs même entre eux et cette violence de l’effacement d’une culture et/ou son appropriation par des gens qui ne la comprennent pas. J’ai été bouleversée par le personnage de No Moon, la femme de la troupe, tellement forte et pugnace jusqu’au bout. J’ai trouvé très forte la relation qui se noue entre leur chef Little Knife et le petit qu’ils recueillent, George. Ce dernier est clairement l’espoir du groupe et de l’histoire, celui à qui on va rappeler qui il est et qui comprendra peut-être ce qui éloigne les Blancs et les Natifs.

Rien n’est facile dans cette histoire. Sous ses dehors superbes grâce à des peintures des paysages poétiques et magiques dès les premières cases, l’histoire, elle, est rude et âpre à chaque tournant. L’auteur ne nous épargne pas la violence de cette époque, violence sous tellement de formes différentes, qui pousse chacun à s’endurcir et à grandir trop vite. Ce n’est donc pas une vision idéalisée de l’Amérique qu’il nous conte, ni une vision binaire avec les gentils d’un côté et les méchants de l’autre, mais juste la froide réalité d’un petit groupe de natifs face à des colons parfois maladroits, souvent violents, toujours ignorants. Ça prend aux tripes.

Une fois le titre refermé, impossible de ne pas se dire que c’est un petit chef d’oeuvre, un titre qui compte pour évoquer cette réalité passée avec bien plus de nuances que d’autres l’ont fait. Voilà comment on doit raconter l’Histoire, non pas du point de vue seul des vainqueurs, mais en écoutant tous les acteurs. Non pas en la badigeonnant de noir et de blanc, mais en utilisant toute la palette colorimétrique comme l’a fait Neyef. Alors c’est tantôt tendre, tantôt émouvant, tantôt poétique, souvent rude et rugueux mais toujours juste. Une BD qui fera date !

(Merci à Lireka et Rue de Sèvres pour ce coup de coeur)

> N’hésitez pas à lire aussi l’avis de : Lady That, L’accro des bulles, Samba BD, Vagabondage autour de soi, Vous ?

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14 commentaires sur “Hoka Hey ! de Neyef

    1. Et je te comprends parfaitement vu que c’est aussi mon cas.
      Je sais pas si t’as vu, ils vont sortir une édition exclusive qui coûtera bonbon mais dont la couverture est encore plus belle 😍

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