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Le Clan des Poe de Moto Hagio

Titre : Le Clan des Poe

Auteur : Moto Hagio

Éditeur vf : Akata (Héritages)

Années de parution vf :  2023-2024

Nombre de tomes vf : 2 (série terminée)

Résumé : 1744, quelque part en Angleterre… Edgar et Marybelle, enfants illégitimes d’un aristocrate, sont abandonnés au fond des bois… Ils sont alors recueillis par la mystérieuse Hannah Poe. Mais cette dernière, issue d’un clan nimbé de mystères, cache un secret… Quelques années plus tard, le jeune Edgar découvre ce dernier : le Clan des Poe dont fait partie sa « mère » adoptive est constitué de vampanella, des êtres immortels qui se nourrissent du sang des humains. Dès lors, les vie d’Edgar et de sa soeur seront bouleversées à jamais… Suivez à travers différentes époques le destin tortueux d’Edgar, vampanella bloqué dans son corps d’enfant.

Mon avis :

Tome 1

Autrice culte et fondatrice dans le domaine du manga et en particulier du shojo mais aussi du shonen, du seinen et du boys love, Moto Hagio n’avait été publiée qu’épisodiquement chez nous entre 2012 et 2013, ce qui était fort dommage. Heureusement avec sa collection « Héritages » qui a pour ambition de mettre en avant des oeuvres fondatrices (présentation ici), Akata permet le retour de cette autrice sous nos latitudes avec son plus grand succès : Le clan des Poe, une réécriture poétique et torturée du mythe des vampires.

Il faut d’abord saluer l’édition proposée par l’éditeur, qui en plus d’être un grand format avec des pages couleurs et un appareil critique de qualité (surtout la postface de la traductrice), est fort agréable à tenir en main contrairement à d’autres éditions patrimoniales ayant fait le choix d’éditions reliées (comme la version US dont je parlais ici). La série étant sortie sous forme d’épisodes au Japon au fil des ans, l’éditeur a de plus fait un choix chrono-bibliographique et chrono-narratif des plus intéressants, qui tranche par exemple avec la version choisie par les Américains, et qui permet une meilleure compréhension de l’oeuvre. Les meilleures conditions sont donc réunies pour la découvrir.

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Et Le clan des Poe tient toutes ses promesses. Oeuvre transgénérationnelle, elle puise ses influences dans les récits classiques du XIXe et début XXe siècle qui ont pu accompagner notre propre enfance. Il y a une douce mélancolie très européenne dans ce titre qui berce le lecteur au fil des chapitres permettant de découvrir cette étrange famille qu’est le clan Poe. Amatrice d’oeuvres européennes comme c’était à la mode quand elle était jeune, Moto Hagio y a puisé de nombreuses références que l’on ressent à la lecture de son héros aux allures de Peter Pan et de Faune de Shakespeare, en passant par le nom du clan et des héros références directes à Edgar Allan Poe, ou les lieux visités qui rappellent ceux de la littérature enfantine d’alors : Le petit Lord Fauntleroy, Les Quatre filles du Dr March, Remy sans famille et j’en passe. L’oeuvre avait donc tout pour plaire aux lecteurs français et européen.

Elle se couple d‘une narration graphique à couper le souffle, surtout quand on se rappelle que les chapitres lus ici ont été publiés entre 1972 et 1975 (merci Akata au passage de nous en donner la chronologie et les références). Le trait de Moto Hagio est singulier, envoûtant, sombrement poétique. Elle dessine le mouvement des coeurs et des âmes avec une virtuosité tragique, faisant ainsi bouger ses personnages sur qui le temps passe inlassablement. C’est éprouvant et mélancolique à souhait, sublimant à merveille cette oeuvre pleine de sentiments âpres et rugueux où les personnages ont tant de mal à vivre avec eux-mêmes. Alors la beauté singulière et presque divine de ceux-ci ravit nos yeux. On tombe assurément sous le charme de ces personnages aux allures de statues marmoréennes ou de poupées d’un autre temps. 

Et tout cela se conjugue dans des histoires doucement tragiques où l’on se plaît à suivre une famille de vampires romantico-gothiques tels qu’on pouvait les imaginer au XIXe siècle avec cette permanence du temps sur eux et cette fuite en avant qui les poussait à sans cesse changer de lieu pour éviter qu’on se rende compte de leur nature et qu’on les persécute. Nous sommes loin de la vision brutale et conquérante de ceux-ci que la littérature plus moderne a fait d’eux. Ils sont ici les reflets des victimes de persécutions, des âmes en peine qui cherchent juste à trouver un havre de paix.

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Dans ce premier volume, l’autrice, ou plutôt l’éditeur, nous offre d’abord à entendre le récit presque fondateur de l’oeuvre, celui qui met en scène tragiquement toute la famille et son destin, avant ensuite de rebrousser chemin et de partir aux origines du mythe, puis de reprendre le cours du temps et de voir ce qui arrive à Edgar et Allan ensuite. On s’attache vite aux personnages qui se raccrochent eux-mêmes fougueusement et brutalement à ceux qui sont proches d’eux à cause de cette peur d’être seuls. Edgar est LE personnage emblématique et tragique de l’histoire, rôle qu’il porte avec son perçant regard bleuté. Allan sera son acolyte qui lui permettra peut-être avec sa joie de vivre de dépasser sa mélancolie et Marybelle le souvenir et le regret qui l’accompagnera inlassablement. Il faut dire qu’Edgar a vécu tellement de drames comme nous allons le découvrir.

Pourtant le ton n’est jamais trop dramatique. Certes, nous allons aller d’histoire triste en histoire triste, mais il y a aussi beaucoup de drôlerie et de bonhommie dans la narration de l’autrice qui se pique d’un trait très expressif et se plaît à capturer de superbes grimaces et autres moments où ses héros se chamaillent avec d’autres, dans un trait typique des années 70 quand il s’agissait de caricaturer des personnages en situation burlesque (comme dans La Rose de Versailles par exemple). On se plaît ainsi à suivre leurs rencontres au fil de leur pérégrinations, à découvrir les nouveaux lieux où ils s’installent et les nouvelles thématiques que va développer l’autrice. C’est extrêmement riche et ça va droit au coeur en même temps à chaque fois. 

Seul petit bémol : un papier un brin trop transparent et des onomatopées aux allures qui détonnent parfois au milieu des planches superbes de l’autrice.

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Le Clan de Poe, qu’Akata a enfin fait parvenir jusqu’à nous, a su cocher toutes les cases pour toucher mon coeur et mon âme. J’ai succombé au charme des compositions graphiques et narratives d’une autrice au sommet de son art. J’ai été emportée par cette proposition du mythe du vampire mélancolique, poétique et dramatique mais avec toujours une pointe de lumière et surtout une grande dose d’émotion. C’était beau et puissant de suivre le courant de ce temps qui passe mais que les héros ne peuvent sentir sur eux ce qui les oblige à une grande solitude contre laquelle ils ne vont cesser de lutter, montrant combien les liens humains sont importants. Un titre fondateur qui a toute sa place pour ouvrir la future très belle collection « Héritages » de l’éditeur !

(Merci à Akata pour ce superbe moment !)

Tome 2 – Fin

Même pas un an plus tard, Akata nous sort la suite et « fin » provisoire de ce monument du manga dont nous pouvons nous délecter en grand format et pages couleurs. Quelle merveille !

Avec la seconde moitié des histoires sur ses chers Vampirella que Moto Hagio avait écrit dans les années 70, ce tome se garnit de moments fantastiques hors du commun, qui nous transportent totalement ailleurs, le temps d’une aventure qui semble déconnectée de tout et qui forme en fait un tout qu’on commence à deviner et qu’on nous confirme en fin de volume grâce à une chronologie, ô combien utile.

Tout le charme se joue dans les dessins et les compositions narratives de l’autrice qui a tout compris, à mon sens, de ce gothique romantique auquel elle emprunte tant. Avec une narration empruntant au fluide, elle nous immerge et nous berce dans l’étrangeté dans laquelle chaque rencontre avec Edgar emporte lecteur et personnages croisés. C’est magnifique d’efficacité et effroyable d’emprise aussi, car le charme de ce dernier est implacable. On se retrouve ainsi tour à tour pris dans son regard dans un internat privilégie pour garçons où l’un d’eux a tragiquement disparu il y a peu, au sein d’une famille d’élite avec querelle d’héritage et au cours d’enquêtes mélangeant art et mystère autour des vampirellas et d’une certaine famille. C’est excellent !

On passe cependant d’une époque à l’autre et sans la chronologie fournit à la fin, il aurait été facile de se perdre, même si l’autrice tente de faire des appels du pied à ses lecteurs. Les histoires ont cependant toute une aura de mystère qui fascine, qu’elles jouent plus la carte du huis clos scolaire, ou celui de la famille, celui de la campagne ou de la ville, celui du passé ou du présent. En navigant ainsi, l’autrice montre combien elle a compris le caractère éternel et transgénérationnel de la figure du vampire qui se transmet d’une époque à l’autre sans varier, continuant de nous fasciner. Elle reprend d’ailleurs les décors et les ambiances de cette horreur romantique allégé où les sentiments emportés des personnages se transfigurent à travers les pages, ce qui est splendide et emporte à la lecture.

Mais ce n’est pas tout. On retrouve encore et toujours des thématiques puissantes dans les histoires de l’autrice allant de la gestion du deuil, à la difficulté à élever un enfant, en passant par les querelles d’héritage, sans oublier la famille et l’amour, notamment à travers ces images suggérées d’amour interdit (différence d’âge, proximité familiale, homosexualité). C’est bien pour cela que les histoires nous transportent également autant et pas juste pour la figure fascinante d’Edgar et son étrange relation fusionnelle avec Allan, sur lequel il reporte l’image de sa soeur tragiquement disparue.

Cependant, comment ne pas rester sur sa faim à la fin d’une lecture aussi puissante où les histoires ne sont que de brefs passages dans la vie de ces héros romantiques que le destin bouscule. La dernière histoire étant particulièrement tragique et laisse un héros face à LA situation qu’il redoutait, j’espère vivement qu’Akata fera le choix de publier les histoires inédites (chez nous) de l’autrice sur cette univers qu’elle a repris dans les années 2010 et qui vient d’être annoncé aux Etats-Unis.

Sans surprise pour cette oeuvre culte, ce fut une nouvelle lecture envoûtant, perturbante, où j’ai été totalement transportée par le travail graphique et narratif de l’autrice, qui a su transposer ici avec fièvre et poésie tout la douce âpreté d’un certain romantisme gothique à la mode autrefois. C’est beau, c’est puissant, ça remue. Les personnages sont de vrais feu follet qui sèment le chaos où ils passent mais marquent les esprits et poursuivent inlassablement leur quête pour mettre fin à leur solitude. Poignant et indispensable. Donc indispensable d’avoir la suite 😉

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9 commentaires sur “Le Clan des Poe de Moto Hagio

    1. On est nombreux, je pense, à avoir attendu cela : le retour de cette autrice et l’arrivée de cette collection. Quel bonheur que ça ait vraiment vu le jour, enfin !
      Je te souhaite d’avoir vite quelques sous pour l’acheter et t’émerveiller comme moi devant cette somptueuse histoire 😀

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    1. Merci beaucoup, je suis flattée.
      Je l’avais déjà lu il y a quelques années et je ne pensais pas pouvoir reprendre une autre claque. J’ai l’impression d’avoir encore plus aimé, notamment grâce à l’agencement des histoires.
      J’adore la Moto Hagio de ces années-là. Je suis moins fan de l’évolution graphique de son style. Je trouve qu’on perd en lyrisme et qu’on gagne en froideur sur certaines oeuvres plus récentes ^^!

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      1. Mais c’est normal!
        Je trouve l’agencement des histoires très intelligent et beau mais je suis curieux de lire la version anglaise (celle que tu as lu j’imagine). J’ai l’impression que c’est le genre de lecture qui ne faiblie pas au fil des relectures bien au contraire!
        Je connais peu son style graphique actuel je vais y jeter un oeil tiens.

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      2. Oui, Akata a vraiment fait le bon choix. Je n’avais pas été autant impactée la première fois ou alors c’est l’effet relecture et vf ici, je ne sais pas. Mais qu’est-ce que l’objet américain est beau *0*
        Je te laisse découvrir. Je l’aime mois sur Otherworld Barbara qu’ici par exemple, je lui trouve plus de froideur, mais ça vient aussi peut-être aussi du fait que c’est de la SF et que ça s’y prête.

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      3. Ah oui la relecture plus la vf ont pu avoir un impact sur t’as relecture.
        Ahah j’avoue que leur édition est sublime!
        Je ne sais pas, peut être que Moto Hagio fait partie de ces artistes qui arrivent à adapter leur trait de fonction de l’oeuvre

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